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Note de lecture

Socialisme ou barbarie, une anthologie

lundi 14 mai 2007

Texte paru dans Echanges 120 (printemps 2007).

Socialisme ou barbarie, anthologie

Ed.Acratie

344 p., 27 euros

Après tout, pourquoi pas une anthologie de textes qui ont marqué des débats dans le microcosme « révolutionnaire » des années 1950-1960, dans la mesure où la plupart de ces textes sont introuvables et où un choix forcément limité (pour des raisons purement matérielles) et partant inévitablement partisan, peut sembler répondre à et alimenter un mythe assez répandu dans ce même milieu d’aujourd’hui, celui de la prégnance de Socialisme ou Barbarie et plus spécialement de celui qui en fut le gourou, Castoriadis.

Après tout, pourquoi ne pas republier des textes qui ont marqué des étapes dans l’évolution de divers courants de pensée qui servent parfois de référence non seulement dans ce milieu mais aussi dans les milieux universitaires et politiques (au moins pour deux d’entre eux, Lefort et Castoriadis) qui furent, en leur temps d’éminents participants à Socialisme ou Barbarie. Mais cette entreprise méritoire va heureusement au-delà de ce qui pourrait paraître un culte de la personnalité : nombre d’autres textes - inévitablement en nombre limité - reproduits dans ce livre émanent de ceux qui furent aussi, à différentes époques, parmi les militants, en petit nombre il faut le souligner, qui firent et prolongèrent le groupe Socialisme ou Barbarie.

Lors d’une présentation publique de cette anthologie, j’ai entendu un participant déclarer qu’il se réclamait des « idées de Socialisme ou Barbarie » et un autre se dire de même attaché aux « idées de Castoriadis ». Au cours des seize années d’existence de la revue (c’est une bonne idée d’avoir mis à la fin du livre le sommaire de l’ensemble des quarante numéros parus, de mars 1949 à juin 1965, de sorte que chacun pourra, à défaut d’avoir un texte sous la main, se le procurer d’une manière ou d’une autre), les « idées de Socialisme ou Barbarie » ont grandement évolué, au gré des polarisations historiques du groupe sur tel ou tel centre d’intérêt considéré alors comme primordial. Au gré, il faut bien le dire et l’ouvrage le dissimule quelque peu, des évolutions personnelles de Castoriadis, qui fut de plus en plus, et à la mesure des éliminations successives d’opposants à son évolution, le seul idéologue imposant, avec la conservation du titre, sa propre évolution sur celle du groupe (1). Entendant ces propos, je me suis demandé (ayant constaté, lors de ma participation de six années au groupe, des mutations d’« idées ») ce que cela pouvait bien vouloir dire, les « idées » du groupe comme celles de Castoriadis, « idées » qui, manifestement, étaient pour leurs auteurs des points importants de référence.

La présente anthologie permet, en partie tout au moins, de répondre à cette question, mais sans l’éclaircir pour autant. Le regroupement thématique s’imposait si l’on voulait donner une idée juste de l’ensemble des préoccupations qui animaient les participants à « S ou B » : « La société bureaucratique », « Le monde du travail », « La crise du système bureaucratique », « Le contenu du socialisme », « L’organisation », « Le tiers-monde (Algérie et Chine), « Le capitalisme moderne » et « La rupture avec le marxisme » sont les grands chapitres de ce qui, d’une certaine façon, avec l’introduction et les explications préliminaires, constitue une sorte de reconstitution historique. Mais si ces thèmes furent effectivement présents dans les débats et articles du groupe, ils le furent inégalement à différentes périodes et ils n’intéressaient pas également tous les participants d’alors. Par exemple je me souviensd’interminables débats sur le « journal ouvrier » avant 1958, ou sur la guerre autour de 1952 avec des textes de Philippe Guillaume (un des acteurs importants de la tendance Chaulieu-Montal) qui sont juste mentionnés dans le livre (2).

En tête de chacun des thèmes proposés et parfois d’articles, des introductions rappellent quelque peu l’historique des positions et des débats, montrant qu’il est difficile de parler des « idées » de Socialisme ou Barbarie, qui divergeaient selon les moments - ce que le livre mentionne en donnant des textes reflétant les positions de chacun.

Mais la résultante de ces débats fut toujours à terme l’élimination de ceux qui s’opposaient à la dominante du moment, la pensée et les options de Castoriadis (sans mentionner ceux qui, sans bruit, avaient quitté ou restaient proches du groupe tout en refusant de s’y intégrer). Une bonne introduction donne une vision historique globale de l’évolution de Socialisme ou Barbarie (même si on peut penser que le cadre du livre ne tient pas compte de ce fil historique), vision qui, d’une certaine façon, se ramène à celle des idées de Castoriadis. Ce qui nous conduit à la question que nous posions ci-dessus sur les « idées » de Castoriadis qui, finalement, flanquées d’oppositions tolérées puis éliminées, furent celles du groupe lui-même vues dans la continuité de son titre et de son existence sous ce titre (3). Pour le profane, les textes « contre » la ligne dominante à une époque ou à une autre peuvent ainsi paraître comme des sortes de faire-valoir à cette ligne qui finit toujours par triompher.

Il eût été intéressant, par exemple, de montrer à quel point l’évolution des idées de Castoriadis avait été déterminée par la construction centrale de la plate-forme de la tendance Chaulieu-Montal (Chaulieu étant le pseudonyme de Castoriadis, Montal celui de Lefort) à l’intérieur du PCI (trotskiste) qui fut l’acte de naissance de Socialisme ou Barbarie : le fait que l’URSS était une société capitaliste d’Etat où la classe dominante était une bureaucratie d’un type nouveau et où la division dirigeants-exécutants était la pierre angulaire d’un système qui préfigurait l’avenir du capitalisme occidental. La critique de la position trotskiste de défénse de l’URSS comme Etat ouvrier dégénéré s’éloignait radicalement des analyses qui avaient pu être faites antérieurement, notamment par les germano-hollandais du mouvement communiste de conseils, considérant la révolution russe comme une révolution bourgeoise assumant la consruction du capitalisme (4). Une telle position s’éloignait déjà d’un déterminisme marxiste.On ne peut dénier la constance avec laquelle Castoriadis défendra cette position, même après la fin du groupe en 1967, ainsi que les conclusions qu’il en tirera logiquement quant aux théories qu’il défendra par la suite (5).

Cela impliquait l’abandon du marxisme tout comme de son corollaire, le déterminisme économique. Restant fidèle au projet révolutionnaire, il lui fallait pourtant, si les exécutants n’étaient pas amenés à lutter de par leur position dans le système d’exploitation du travail, trouver ce qui pouvait créer un mouvement de renversement de l’ordre capitaliste bureaucratique. D’où la réapparition du volontarisme sous la forme de constructions autour de « l’imaginaire social » et de L’Institution imaginaire de la société (6).

C’est en ce sens que l’on peut parler des « idées de Castoriadis » qui finirent par être celles du groupe, mais seulement après la dernière scission de 1963 (7).

Répétons-le, malgré tout ce que je viens d’écrire, il était bon de republier ces textes, d’en tracer les perspectives historiques et ce faisant de replacer les mythes dans leur réalité. Comme le souligne D.B. dans la préface, ce travail collectif de réflexion que fut Socialisme ou Barbarie « ...bien que portant sur un passé à bien des égards révolu, nous paraît encore capable d’éclairer bien des aspects du présent... » Puisse-t-il avant tout montrer que ce n’est pas l’adhésion à une « idée » fusse-t-elle apparemment « la plus adéquate » qui est essentielle mais le débat lui-même par lequel s’introduit une réalité mouvante qui a déjà fissuré les théories les mieux établies sur un passé « dépassé ».

H. S.

Notes

(1) Cette identification, entretenue par la publication en 10/18 des seuls textes de Castoriadis sous le bandeau rouge de la revue (dont la couverture du livre se pare justement), se poursuit aujourd’hui, et, à ce titre la publication de l’anthologie est une pierre pour la reconsttution d’une vérité historique. Elle montre, avec les limites matérielles dont les promoteurs du livre sont bien conscients) que le groupe et la revue, et surtout les débats qui s’y déroulaient étaient, d’abord, une œuvre collective.

(2) Le livre ne mentionne pas, et pour cause, que le groupe n’a jamais consacré de débats et d’articles aux syndicats et à leur rôle (non plus que la revue, malgré l’annonce qui en avait été faite à plusieurs reprises dans ses pages). Le rôle dévolu à Mothé, militant à Renault-Billancourt, en tant que « répondant » aux idées de Castoriadis ne sont peut-être pas étrangers à ce fait étant donné que Mothé, toujours membre de, Socialisme ou Barbarie, devint militant de FO puis de la CFDT ; le lien avec Castoriadis devait se développper plus tard en 1968 lorsque Castoriadis (alias Coudray) conseillait aux militants de 1968 d’adhérer à la CFDT (La Brèche) et publiait des articles dans le bulletin théorique de la CFDT, CFDT aujourd’hui. Parmi les textes de la rubrique « Le monde du travail », il n’est pas fait mention des textes de G.Vivier, alors ouvrier chez Chausson, « La vie en usine » (nos 11 et 12 )que l’on peut mettre en parallèle avec ceux de Mothé sur le même sujet.

(3) Sur l’historique du groupe Socialisme ou Barbarie, l’ouvrage le plus complet et le plus proche de ce que fut sa vie,est le travail universitaire de Philippe Gottraux Socialisme ou Barbarie, un engagement politique et intellectuel dans la France de l’après-guerre (Payot-Lausanne) qui donne maintes précisions sur la composition sociale du groupe et l’évolution sociale et politique de ses membres.

(4) On trouve ici l’explication de l’arrêt brutal de la relation Chaulieu-Pannekoek et du fait qu’avant l’insurrection hongroise de 1956, les conseils ouvriers tenaient peu de place dans la revue ou dans les discussions du groupe. L’historique de cette correspondance est relaté dans la brochure d’Echanges toujours disponible : Correspondance 1953-1954 , Pierre Chaulieu (Cornélius Castoriadis)-Anton Pannekoek.

(5) On trouvera cette position clairement affirmée dans un article de Castoriadis dans Libre.

(6) C’et le titre de l’ouvrage en quelque sorte fondateur de la pensée de Castoriadis (Seuil,1975).

(7) Un ouvrage récent, concis et clair, tente de retracer d’une manière plus philosophique mais indéfectiblement liée à son évolution politique, cette « histoire » de Castoriadis : Introduction à Castoriadis, de Jean-Louis Prat (La Découverte, 2007). Bien que n’évoquant pas directement la question que nous soulevons, ce petit livre n’en constitue pas moins un bon complément à l’anthologie en donnant quelques-unes des clés qui peuvent manquer à cet ouvrage.

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