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République tchèque : l’industrie automobile moteur de l’accumulation du capital et des luttes de classes ?

mardi 24 avril 2007

L’article qui suit est paru dans le n° 76 (printemps 2006) de la revue allemande Wildcat. et dans Echanges n° 118 (automne 2006).

Dans Echanges n° 111 (hiver 2004-2005), nous avions déjà traduit un article extrait du n° 70 (été 2004) de la même revue allemande, Investissements en République tchèque : progrès ou déclin ?. Il s’agit ici plus particulièrement des transformations qui affectent l’industrie automobile en République tchèque et de leurs répercussions économiques et sociales. Cet article existe aussi en version anglaise, différant de l’original sur plusieurs points, dans le n° 5 (février 2006) de la revue en ligne prol-position news (site : www.prol-position.net)

L’industrie automobile joue un rôle pionnier en Europe centrale et orientale, et sert de moteur à la « nouvelle » industrialisation parce qu’elle a introduit de nouvelles méthodes d’organisation de la production et du travail (en tout cas dans la production sociale en général). A cause du haut niveau d’interdépendance dans cette branche, et au-delà (par exemple dans les transports ou l’industrie électronique, et la sidérurgie), ce secteur est extrêmement sensible aux conflits. Un arrêt de travail à un point stratégique pourrait paralyser l’ensemble de la production.

Bien sûr, la transformation de la composition technique de la classe ouvrière est toujours en devenir et ce processus ne s’est pas encore manifesté jusqu’à maintenant dans des luttes ouvertes allant au-delà des microconflits ordinaires sur le lieu de travail. Dévoiler les points stratégiques pour des luttes futures reste dans cette mesure, jusqu’à plus informé, une pure spéculation. Néanmoins, la grève chez Skoda en mars 2005 pour des augmentations de salaires après que l’entreprise eut connu une forte croissance de ses profits, bien que limitée à quelques heures et contrôlée par les syndicats, a éveillé de fortes craintes que le conflit ne s’étende à d’autres entreprises ayant ouvert ici des usines de fabrication ces dernières années.

Que se passe-t-il en pleine campagne ?

On ne peut que comparer les changements pour la classe ouvrière en République tchèque après 1989 avec ceux qui eurent lieu pendant la période d’industrialisation dans la deuxième moitié du xixe siècle ou bien encore avec le début du stalinisme dans l’après-guerre. Depuis les années 1990, la désindustrialisation, accompagnée de licenciements de masse, touche les vieilles régions industrielles, Moravie du Nord et Bohême du Nord et du centre. C’est dans ce contexte que les investissements étrangers ont déferlé massivement dans le pays, surtout à partir de 1998, année de l’arrivée au gouvernement des sociaux-démocrates.

En un laps de temps de quelques années, l’industrie automobile est devenue le secteur-clé de l’accumulation du capital en République tchèque. Deux gros fabricants automobiles - Skoda/Volkswagen (avec les grandes usines de Mladá Boleslav, Vrchlabí et Kvasiny) et Toyota Peugeot Citroën Automobile (TPCA) (à Kolín) - constituent la colonne vertébrale de ce secteur. Un grand nombre de nouveaux sous-traitants (tels que Bosch, Behr, Visteon, Continental, Siemens, etc.) dépendent d’eux, non seulement des producteurs automobiles à l’intérieur du pays mais aussi des chaînes de production de ces deux fabricants en Europe de l’Ouest et dans leurs nouvelles usines, celles établies en Slovaquie par exemple (Volkswagen, PSA, Kia). Il y a peu, le conglomérat sud-coréen Hyundai a aussi annoncé la construction de sa première usine européenne à Ostrava, en Bohême du Nord.

La pénurie d’ouvriers qualifiés est rapidement devenue le problème principal de l’industrie automobile tchèque et apparaît comme le frein majeur à son développement futur. Pour le moment, une grosse partie des travailleurs, hommes et femmes, dans les nouvelles usines viennent de Slovaquie ou même d’Ukraine, et dans une moindre mesure de Pologne. Le prétendu démantèlement de l’Etat social devrait obliger ceux qui, jusqu’à maintenant, s’y opposaient à cause de la pénibilité du travail et des bas salaires à aller travailler dans ces nouvelles usines (et pas seulement là).

La contribution de l’industrie automobile à la production industrielle tchèque est de 20 % ; 85 % de la production automobile est destinée à l’exportation, comptant pour 21 % du total des exportations du pays. En tout, l’industrie automobile occupe d’ores et déjà plus de 130 000 travailleurs, hommes et femmes. Dans certaines régions, par exemple autour de Liberec ou en Bohême du Sud, plus de 75 % de l’ensemble des investissements vont à l’industrie automobile ; ce taux atteint 91 % dans la région de Liberec, sans doute à cause de la proximité de Mladá Boleslav.

Skoda : « troubles locaux » ?

Contrairement à Volkswagen même, Skoda ne semble pas, à première vue, avoir de gros problèmes. En 2004, l’entreprise a enregistré un bénéfice record de 3,5 milliards de couronnes (contre « seulement » 1,48 milliard en 2003). En 2001, l’entreprise avait dû encore décréter des congés obligatoires et ralentir la production à cause de ventes insuffisantes ; cette année, des équipes supplémentaires ont été imposées, avec l’accord des syndicats, afin de répondre à la demande, apparemment en augmentation. Aux dires de certains représentants patronaux, les gains record de l’année 2004 ne seraient cependant pas dus à la bonne « situation du marché » en tant que telle, mais avant tout à des réductions de coûts et des transformations logistiques (par exemple, une diminution des stocks de marchandises). Il faut savoir qu’en 2004, les ventes n’ont que légèrement augmenté par rapport à l’année précédente (451 675 véhicules vendus en 2004 contre 449 578 l’année précédente), de plus seulement en direction de l’Europe de l’Est et de l’Ouest, et de l’Asie, tandis qu’elles plongeaient carrément en République tchèque et dans le reste de l’Europe centrale.

Skoda n’est pas seulement le plus gros exportateur de la République tchèque, mais aussi son plus gros employeur. A la fin 2004, 24 561 personnes, en tout, y travaillaient, dont 20 897 « titulaires ». La majorité des employés travaillent à l’usine principale de Mladá Boleslav. Dans l’usine de Vrchlabí et dans celle de Kvasiny, en Bohême orientale, ils ne sont que 2 300 environ. Un grand nombre d’ouvriers et d’ouvrières viennent de Slovaquie, et une autre partie de Pologne ; ces ouvriers sont très souvent recrutés par l’intermédiaire d’agences d’intérim et ont autrefois, à plusieurs reprises, servi à « amortir les conflits » quand l’entreprise devait temporairement licencier.

Skoda possède déjà une usine de montage en Bosnie (Sarajevo), en Ukraine (Uzghorod) et en Inde, envisage de construire une usine au Kazakhstan et veut aussi, à partir de 2007, lancer une usine d’assemblage de grand style en Chine (Shanghaï). Mais, selon les perspectives les plus optimistes, Skoda ne pourra pas vendre là-bas plus de 40 000 véhicules par an qui seront montés par 4 000 à 5 000 travailleurs. Les usines Skoda à l’étranger ne sont pas des unités de production indépendantes, mais reçoivent des pièces de l’usine de Mladá Boleslav. Dans celle-ci, contrairement à celle de TPCA à Kolín, on ne réalise pas seulement le montage final ; on y produit aussi des moteurs, des engrenages et autres composants, non seulement pour Skoda et ses usines à l’étranger, mais pour toute l’entreprise Volswagen. L’importance de Mladá Boleslav en tant qu’« équipementier » devrait encore s’accroître.

Des dizaines de sous-traitants, qui ont livré des pièces détachées pour une valeur de 1,8 milliard d’euros en 2004 (400 millions de plus que l’année précédente), dépendent de la production chez Skoda ; 60 % de ces pièces proviennent de République tchèque. Il paraît que l’on réfléchit à faire une part plus grande à des sous-traitants du reste de l’Europe de l’Est, où s’implantent de nombreuses entreprises parce qu’elles ne trouvent pas suffisamment de main-d’œuvre qualifiée en République tchèque.

Au printemps 2005, il y a eu une grève de trois heures chez Skoda (chaque équipe a arrêté le travail pendant une heure) et une manifestation a rassemblé 10 000 personnes à Mladá Boleslav. La revendication principale portait sur une augmentation des salaires étant donné que l’entreprise avait fait des bénéfices records. La pénurie de main-d’œuvre et une conjoncture économique favorable a forcé les dirigeants de l’entreprise à concéder aux travailleurs une augmentation salariale de 7 %, le maintien du treizième mois, l’augmentation des primes d’équipe de fin de journée et de nuit, et le versement d’un bonus extraordinaire.

Ce conflit n’est, toutefois, pas parvenu à outrepasser l’encadrement syndical malgré la position de départ des ouvriers et ouvrières. Jusqu’à maintenant, ce n’est arrivé qu’à l’occasion d’arrêts de travail « sauvages » en juin 2000 lorsque plusieurs centaines d’ouvriers, hommes et femmes, de la fabrication des carrosseries pour la Fabia à Mladá Boleslav ont protesté contre les fortes températures insupportables à l’intérieur de l’atelier. Les chaînes d’assemblage et d’expédition des Fabia ont connu d’autres rassemblements pour protester contre le surcroît de travail sur les chaînes de production en octobre 2000 et en juillet 2001.

Et au début 2003, les ouvriers ont refusé plusieurs fois de participer à des équipes de nuit extraordinaires ; mais il s’agissait, dans ce cas, plutôt d’une tactique syndicale dans le cadre des négociations salariales que de l’expression d’une opposition ouvrière autonome. Néanmoins, dès cette époque, les délégués syndicaux prévenaient du risque de « troubles locaux » et de possibles destructions volontaires d’automobiles par les travailleurs.

TPCA : « tant qu’il y a du travail »

Contrairement à Skoda qui produit des automobiles depuis des décennies, passée en 1991 sous le contrôle de Volkswagen qui l’a « modernisée », TPCA est l’exemple type d’une usine nouvelle créée de toute pièce en « plein champ », au sens littéral du terme, à quelques kilomètres de Kolín. Dans la campagne, tout près de l’usine, se dresse même un obélisque en pierre sombre, illustré d’une automobile, sur lequel est inscrit en latin « Ut sit labor » (tant qu’il y a du travail).

A l’origine, c’est une usine BMW qui devait s’élever ici. Mais, finalement, BMW a construit sa nouvelle usine à Leipzig libérant la voie pour l’arrivée du consortium Toyota-Peugeot-Citroën Automobile à Kolín. TPCA n’est pas seulement venu à cause de la main-d’œuvre bon marché, mais il a en plus obtenu une aide financière rondelette de l’Etat tchèque et de la ville de Kolín s’élevant à 15 % du total de la somme investie. La ville a pris à sa charge tous les coûts de la mise en exploitation du site industriel, de la construction de voies de communication et de murs anti-bruit, et des compensations pour les dégradations environnementales dues à l’usine automobile. Elle promit, en outre, de construire de nouvelles habitations pour les ouvriers ainsi que les infrastructures correspondantes.

Lorsque l’on sut que TPCA voulait investir 23 milliards de couronnes, on a parlé à Kolín et dans toute la République tchèque du « plus important investissement », de l’« usine automobile la plus moderne d’Europe », d’une « assurance pour les chômeurs » et même d’un « sauvetage de l’économie ». A Kolín même, le prix des logements a immédiatement augmenté, les écoles se sont fait concurrence pour former au mieux les forces de travail nécessaires à l’entreprise et l’usine automobile veillait en permanence à ce qu’on parle d’elle dans les manchettes des journaux locaux.

Quand la production tournera à plein, l’usine TPCA de Kolín devrait produire une automobile par minute, 1 100 par jour, 300 000 par an. Ce qui fait environ 100 automobiles par an et par employé ; à première vue cela fait beaucoup, particulièrement en comparaison avec les 18 automobiles par an et par employé chez Skoda. Cela pourrait bien cacher de nouvelles méthodes d’organisation de la production et du travail, c’est-à-dire avant tout une plus grande pression sur les ouvriers. Il est vrai que chez TPCA, où l’Aygo de Toyota, la Peugeot 107 et la C1 de Citroën sont supposées partager une même chaîne, on ne réalise que l’assemblage final ; tandis que chez Skoda, on produit aussi des moteurs, des engrenages et d’autres composants. Jusqu’à 95 % des voitures qui sortiront de l’usine devraient aller à l’exportation. Environ 75 % des composants proviennent apparemment de République tchèque. Plus de 100 sous-traitants, pour moitié du Japon et pour moitié d’Europe de l’Ouest, sont venus en République tchèque dans le sillage de TPCA. Toutefois, ils ne veulent pas seulement approvisionner Kolín mais aussi Skoda et les nouvelles usines de production automobile qui se créent en Slovaquie.

Chaque travailleur sur chaque poste de la chaîne a le droit, et même, selon le règlement intérieur de l’usine, le devoir, d’arrêter immédiatement toute la chaîne s’il constate une malfaçon. Cette mesure doit aider au contrôle de la qualité de la production. Dans le même temps, chaque geste de travail est standardisé à l’extrême ; par exemple, on apprend aux ouvriers à se servir correctement d’un marteau afin que chaque mouvement soit le plus efficace possible et que le procès de production dans son ensemble se déroule sans incident.

L’arrivée de TPCA n’a quasiment rien changé au taux de chômage qui atteint plus de 10% depuis plusieurs années à Kolín. Bien que le principal argument en faveur de la construction de l’usine eût été précisément celui d’une baisse radicale du chômage. Malgré une vaste campagne de recrutement dans les régions les plus touchées par le chômage et la pauvreté, TPCA fut longtemps sans parvenir à trouver suffisamment de travailleurs, hommes et femmes. On dit qu’environ 40 % seulement des employés sont issus de Kolín et ses environs ; dans cette région de Bohême centrale, traditionnellement « riche », personne n’a envie de trimer pour un salaire brut de 14 000 couronnes. Pourtant TPCA n’exigeait aucune qualification préalable et proposait même des formations maison.

TPCA organisa la première équipe comme elle put ; pour la seconde, il fallut déjà beaucoup plus de temps ; et la troisième ne fut constituée qu’en octobre 2005. En tout, 3 000 personnes devaient travailler dans cette usine, mais pour le moment, ils ne sont que 2 400 ; on dit qu’en comptant les sous-traitants il faudrait jusqu’à 10 000 ouvriers. Après que la troisième équipe fut au complet, on mélangea les groupes de travail des trois équipes de manière à obtenir dans chaque équipe la même proportion d’employés expérimentés et de néophytes ; certainement pour maintenir une productivité identique dans chaque équipe. Avec ce système de travail en trois huit, la production se poursuit sans interruption pendant six jours dans la semaine et s’arrête du samedi 17 h 11 au dimanche 18 h 30.

La plupart des travailleurs viennent de Moravie du Nord, de Slovaquie et d’Ukraine. Ils sont avant tout alléchés par la perspective d’obtenir un logement de l’entreprise. La municipalité de Kolín avait promis 850 logements à TPCA. Mais à cause de retards dans la construction, beaucoup d’ouvriers et d’ouvrières ont dû emménager dans des habitations totalement inadaptées (une armoire par chambre, toilettes et douches communes) et doivent payer 3 700 couronnes pour un lit dans une pièce de trois ou quatre. TPCA verse une aide au logement de 1 500 couronnes à chaque employé et 500 couronnes suppplémentaires pour le transport. Ceux qui déménagent avec toute leur famille pour Kolín ont droit à une prime de déménagement de 10 000 couronnes. Ces problèmes de logement passent pour être la raison essentielle pour laquelle 50 à 60 personnes quittent l’usine tous les mois.

La très forte pression exercée sur les travailleurs, confrontés à la nouvelle organisation de la production et du travail, y a aussi certainement sa part. Une jeune ouvrière explique ainsi les raisons pour lesquelles elle pense à quitter l’usine : « Ce n’est vraiment pas de bon cœur que je changerai de boulot, mais en attendant je ne suis même plus capable de faire des mots croisés. Il ne va pas falloir beaucoup de temps avant que je sois complètement abrutie. »

Elle est détentrice d’un bac professionnel de commerce et après l’école a travaillé chez un vendeur automobile jusqu’à ce que la campagne de recrutement de TPCA lui fasse miroiter des salaires pouvant atteindre 16 500 couronnes, un logement et un emploi à vie. Pour le moment, elle réside dans un foyer parce qu’avec un salaire brut de 14 000 couronnes elle ne peut pas s’acquitter d’un loyer de 8 000 couronnes.

Elle travaille au contrôle qualité. Quand elle reçoit une pièce sur la chaîne, elle pose un crochet en fer sur la soudure et frappe dessus avec un marteau. Si la soudure tient, la pièce peut poursuivre sa course. « Je dois tenir le marteau dans la main gauche et le crochet dans la droite. Sinon, un surveillant surgit immédiatement et me passe un savon. » Lorsque la chaîne est arrêtée en dehors des temps de pause, elle doit continuer à travailler, par exemple balayer son coin même s’il n’y a aucun grain de poussière. Quand elle a repris le travail après un mois de maladie, « on m’a mise à un nouveau poste avec de parfaits inconnus. J’ai dû tout recommencer de zéro. » Des affiches sont accrochées dans les halls de production telle que « J’ai le visage épanoui, énergique et souriant ». Cette jeune ouvrière décrit ainsi le système d’embrigadement permanent : « Ils veulent toujours que nous soyons aimables et communicatifs. Pour finir, notre “chef d’atelier” reçoit 10 000 couronnes en liquide et on va tous ensemble dans un bar ; on s’en met plein la panse et on se prend une cuite avec cet argent pour la communication entre employés. »

D’autres ouvriers critiquent également l’organisation et le rythme du travail. Un ouvrier de 36 ans, originaire de Bohême orientale, se plaint ainsi : « C’est un boulot incroyable ! Nous serrons des écrous sur des roues pendant une heure entière, toujours la même chose. Et pour 14 000 brut, alors que le secteur énergétique et l’industrie automobile sont les branches les mieux payées en France. » Il considère de manière tout aussi critique les conditions de logement dans les foyers, où il n’y a ni réfrigérateur ni possibilité de faire la cuisine. « Il ne me reste que l’espoir d’une promotion ; avec de la patience, et si le syndicat s’en mêle, nous aurons peut-être un jour des salaires comme chez Skoda à Mladá Boleslav. » Il existe effectivement un syndicat chez TPCA ; mais c’est l’encadrement de l’usine qui a participé activement à la fondation de la branche d’entreprise de l’OS Kovo. D’un autre côté, les commentateurs des grands journaux estiment unanimement que ce n’est qu’une question de temps avant que les travailleurs de TPCA prennent conscience de leur force collective et exigent de meilleurs salaires.

Pendant la grève chez Skoda au printemps 2005, les journalistes ont donc aussitôt cherché à tester l’ambiance chez TPCA, si par hasard il ne s’y tramait pas la même chose.

Les sous-traitants

Les sous-traitants, plus de 300, dont au moins les deux tiers sont à capitaux étrangers, composent l’essentiel de l’industrie automobile tchèque ; ils disposent de la quote-part la plus importante dans la production (56 %), le nombre d’employés et les profits de l’ensemble de la profession. Une partie d’entre eux sont originaires du pays, mais la plupart s’y sont délocalisés ou y ont étendu leurs activités. Sur un total de 57 usines de production japonaises en République tchèque, 34, représentant 70 % des investissements japonais dans le pays, travaillent directement pour l’industrie automobile. On dit qu’un sous-traitant allemand sur trois a une filiale en Europe centrale et orientale, et que la majorité de ces 85 entreprises produisent en République tchèque. Beaucoup de sous-traitants sont affiliés à Skoda et à TPCA. Mais elles approvisionnent aussi d’autres fabricants automobiles, avant tout en Europe de l’Ouest et, bientôt, les usines Kia et PSA en Slovaquie. Par exemple, une trentaine d’entreprises situées en République tchèque livrent des pièces détachées à Ford qui n’a aucune production directe dans le pays. Une douzaine d’entre elles font de même pour les usines de Volkswagen (sans Skoda) ; pour un million d’euros rien qu’en 2004.

L’importance de l’industrie automobile pour la République tchèque est évidente compte tenu des liens unissant les nombreux sous-traitants entre eux au sein de la chaîne de production, ce qui fait d’eux un sujet politiquement très sensible.

Continental, à Otrokovice, appartient aux plus gros sous-traitants avec 4 500 travailleurs, hommes et femmes et est, pour le moment, la principale usine de pneumatiques pour voitures. Bosch, à Jilhava, compte aussi beaucoup ; 5 800 employés y fabriquent des composants pour moteurs diesel. Dans une autre usine Bosch, à Ceské Budejovice, 2 000 ouvriers et ouvrières produisent des pièces détachées pour voitures. Ils semblent avoir pour clients tous les gros fabricants automobiles européens, mais aussi exporter une partie de leur production à des producteurs asiatiques et sud-américains. Citons d’autres sous-traitants en République tchèque : Autopal (Visteon), à Nová Jicín, qui emploie 4 500 travailleurs ; Siemens Automotive, à Frenstát, 1 200 ; Kiekert, à Prelouc, 1 400 ; etc.

Cependant, en dépit de leur importance, il reste très difficile de dresser le portrait du processus de classe en cours chez les sous-traitants. Ceci parce qu’ils restent dans l’« ombre » des fabricants automobiles, qu’ils sont associés à la production de ces derniers et que l’on dispose de peu d’informations officielles. Enfin, que d’autre part, faute de conflits ouverts chez les sous-traitants, ceux-ci ne présentent, jusqu’à maintenant, aucun « intérêt politique » pour la presse.

Perspectives

Il est certain, tout d’abord, que l’industrie automobile en Europe centrale et orientale agit comme un important moteur pour l’industrialisation et l’accumulation du capital dans la région, au moins depuis la fin des années 1990. C’est naturellement le point de vue du capital. Aussi longtemps qu’un nouveau cycle de luttes ouvrières n’aura pas commencé, il est difficile de savoir si l’industrie automobile joue un même rôle central pour la classe ouvrière, ne serait-ce qu’à cause de son déplacement géographique en Europe de l’Ouest vers l’Est. A ce propos, nous ne devons pas oublier que la classe ouvrière n’est pas une abstraction, un vis-à-vis séparé du capital, mais qu’elle en est, au contraire, une partie intégrante et que, par conséquent, les formes concrètes d’exploitation et les formes concrètes de la lutte de classes sont en relation étroite entre elles. Aux yeux de la classe ouvrière, les points où le capital est à l’apogée de sa puissance peuvent aussi se révéler être ses points de plus grande vulnérabilité.

Afin de dépasser le pur « compte rendu événementiel », il va nous falloir tout d’abord chercher avec minutie quels sont précisément les points de tension importants pour les luttes à venir. Nous devrons aussi découvrir si, et comment, les travailleurs sauront utiliser cette nouvelle structure technique dont nous avons parlé contre le capital lui-même et quelles formes de résistance en résulteront. Bien qu’on ne puisse s’en passer, la presse officielle et les statistiques ne sont que d’une utilité limitée pour répondre à ces questions. Il y a sans doute un excellent moyen de briser les barrières de l’information, c’est d’aller discuter directement avec les travailleurs ; ce qui aurait en plus l’avantage de nous permettre d’échanger des expériences entre « points de tension » isolés et luttes concrètes, et de mener à une réflexion politique des travailleurs eux-mêmes sur les conditions de leur exploitation.

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