Mouvement communiste, dans sa Lettre n° 19 consacrée aux émeutes de l’automne 2005 en France, se demandait : « Ces émeutes sont-elles solubles dans la lutte de classe ? » La question, en fait induisait la réponse « non ». Réponse que ce groupe n’était pas le seul à apporter.
Les mêmes ne posèrent pas la même question au sujet du mouvement anti-CPE du printemps 2006 en France. Comme si celle-ci avait été incongrue, parce que la réponse aurait été de toute évidence « Oui ». Ils pensaient qu’elle ne se posait même pas. Il n’est pas difficile d’expliquer ces différences d’opinion et d’analyse au sujet de ces deux événements majeurs qui ont eu lieu en France en seulement quelques mois. Toutes organisations confondues, depuis les officielles, partis et syndicats, jusqu’aux groupes « révolutionnaires », l’éventail des avant-gardes organisées ou individuelles étaient totalement étrangères à la révolte des banlieues. Au contraire toutes se retrouvaient comme poissons dans l’eau dans le mouvement anti-CPE avec, bien sûr, des buts différents et parfois opposés.
Tous, d’une part du côté du capitalisme et de ceux qui concourent d’une manière ou d’une autre à son fonctionnement (y compris tous partis et tous syndicats), d’autre part indistinctement tous ceux qui se réclament de l’avant-garde (organisés ou non en groupes formels ou informels), sont contaminés par la même maladie : le syndrome de Mai-68.
Il y a une légende tenace qui veut qu’alors le mouvement étudiant fut l’avant-garde de la grève générale, en d’autres mots qu’une catégorie spécifique (pas une classe en elle-même) pouvait être plus radicale et plus « consciente »que les travailleurs et pouvait leur montrer le chemin vers un mouvement révolutionnaire d’émancipation. Au printemps 2006, toute la diaspora de l’avant-garde crut devoir se mobiliser pour intervenir dans le mouvement anti-CPE pour le pousser vers des « voies révolutionnaires », pour l’aider à « aller au-delà » (selon les propres mots d’un de ces groupes). Naturellement, elle était bienvenue, car le milieu étudiant est particulièrement réceptif à ces spéculations intellectuelles sur le futur, une pratique que ces intervenants maîtrisent bien et qui peut facilement séduire des têtes néophytes. Même si leur intervention, consciemment ou pas, révélait un tel but, le sens général de celle-ci contenait l’espoir que le mouvement anti-CPE pouvait conduire à une grève générale et, qui sait, à une « situation révolutionnaire ».
Du côté capitaliste et de ses divers auxiliaires, on trouvait la même obsession du souvenir de Mai-68 et du risque qu’un mouvement d’étudiants puisse initier une grève générale, préjudiciable non seulement à l’économie nationale mais également au rôle politique et social des structures de médiation œuvrant autour de l’exploitation du travail - ce qui nécessiterait beaucoup d’efforts pour rétablir le rapport de forces « normal ».
Des mouvements limités au secteur éducatif
Si nous considérons les différents mouvements étudiants au cours des vingt dernières années, on peut observer qu’ils restèrent strictement limités aux problèmes de l’éducation, même s’ils concernèrent l’ensemble de la France et regroupèrent parfois des centaines de milliers de manifestants, même si, comme le CPE, les réformes mises en cause concernaient le contrat de travail des jeunes.
En novembre-décembre 1986, plus de 500 000 manifestants obligèrent le gouvernement à retirer un projet de réforme du système universitaire ; le ministre de l’éducation dut démissionner, la Sorbonne fut occupée et un manifestant tué par les flics ; mais le mouvement ne connut aucun « débordement ».
En novembre 1990, plus de 150 000 étudiants manifestèrent pour demander au gouvernement socialiste plus de crédits pour les universités. En 1994, des centaines de milliers de manifestants étudiants descendirent dans la rue pour demander l’annulation du CIP, un contrat de travail pour les jeunes payés seulement 80% du salaire minimum, vite surnommé SMIC-jeunes. Cette mesure, comme le CPE, concernait le contrat de travail ; pourtant, en dépit de manifestations monstres dans toute la France, le mouvement ne s’étendit pas dans le monde du travail mais son ampleur fit retirer le projet.
En 1999, de nouveau, des centaines de milliers de manifestants obtinrent le retrait d’un projet de réforme de l’université. En 2003, bien des étudiants participèrent à une lutte confuse mêlant la réforme des retraites et celle du système éducatif. Etudiants, enseignants et travailleurs manifestèrent pendant plusieurs mois, essayant d’autres actions mais sans résultat clair, parce que la plus grande partie des travailleurs ne s’engagèrent pas dans le mouvement qui, mis à part les retraites, resta pour l’essentiel limité au secteur éducation et contrôlé par les syndicats. Et en 2005, près de 50 000 personnes, essentiellement des lycéens, manifestèrent contre une nouvelle réforme du système éducatif.
La conclusion de tous ces mouvements de résistance à des réformes touchant les jeunes, visant à rendre plus efficace le système éducatif et à faciliter l’exploitation des jeunes travailleurs quand ils sortiraient de ce système à n’importe quel niveau, même si nous considérons qu’ils concernaient de futurs travailleurs et même plus précisément, comme le CIP ou le CPE, autant les jeunes travailleurs que les étudiants, ne débordèrent pratiquement jamais le système éducatif et n’eurent pratiquement aucune incidence sur la lutte de classe, impliquant directement et réellement les travailleurs.
D’autre part, ce que l’on peut voir c’est que si ces luttes furent importantes par le nombre des manifestants et l’expansion territoriale des manifestations dans toute la France, elles ne rassemblèrent essentiellement que des étudiants et des lycéens, qu’elles n’eurent aucune connexion avec d’autres luttes (même si elles impliquèrent quelquefois des adultes, parents d’étudiants ou bureaucraties syndicales d’entreprise). Si ces mouvements étaient sans conteste des mouvements sociaux, ils n’en restaient pas moins par leur revendication centrale d’un retrait d’une disposition prise par le gouvernement et par le caractère même et inévitable des actions des mouvements essentiellement sectoriels.
Parmi les questions que soulève le mouvement anti-CPE, quelques-unes méritent de retenir l’attention :
pourquoi le mouvement s’est-il interrompu si brutalement après le retrait de seulement un article d’une loi répressive (même le mot annulation ne fut pas prononcé dans cette opération) et sans que cela ait des conséquences politiques (par exemple la démission d’un ministre) ?
pourquoi, si on pense que le mouvement avait un caractère autonome (en insistant sur l’importance des assemblées et des collectifs nationaux et autres) et si l’on dénie le rôle joué par les syndicats étudiants et ouvriers traditionnels, le mouvement s’arrêta-t-il si brusquement, en un jour, après que ces organisations traditionnelles eurent crié « victoire », laissant les « groupes révolutionnaires » impuissants, dans une dernière manifestation réduite à leurs propres membres et suiveurs.
Les réponses à ces questions doivent être faites en prenant en considération l’arrière-plan social des « grévistes » et des manifestants impliqués dans le mouvement. Cette question a soulevé pas mal de controverses. Même si l’on pense que cet arrière-plan peut se référer à l’appartenance à une « classe moyenne » au sens traditionnel du terme, on doit considérer que la plupart de ces étudiants et lycéens ( âgés de plus de 16 ans) ont déjà été sélectionnés selon leur milieu familial, en gros en fonction des revenus familiaux.
Le système éducatif français est bâti de telle sorte que la plupart des enfants de moins de 16 ans venant de familles aux plus faibles revenus n’ont pratiquement pas accès aux échelons supérieurs du système éducatif (lycées et universités) qui se trouvent en quelque sorte réservés aux enfants de plus de 16 ans des familles à revenus moyens et supérieurs.
Jusqu’à récemment, la plupart de ces derniers étudiants et lycéens pouvaient espérer grimper dans l’échelle sociale et, à la fin de leurs études, accéder à un emploi avec un contrat de travail permanent, un salaire « normal » et l’espoir de faire carrière (il n’y a pas si longtemps encore, on parlait, lors de l’embauche de diplômés, de « plans de carrière », une notion totalement obsolète aujourd’hui). Il est évident que dans les années récentes, la précarité a envahi peu à peu et insidieusement les relations de travail, pas seulement sous la forme de travail temporaire ou de contrats à durée déterminée mais aussi sous des formes plus sophistiquées, touchant le contenu même de contrats permanents (on a pu ainsi dénombrer plus de 40 différentes formes de contrats précaires parfaitement légaux).
Depuis pas mal d’années, cette précarité a été le lot « normal » pour les jeunes n’ayant pas franchi cette barrière d’accès au lycée et à l’université. Ils ont été contraints pour vivre d’accepter n’importe quelles conditions de travail, y compris le chômage. Ces jeunes n’avaient rien à faire du CPE, qui ne les menaçait nullement puisque pour eux c’était présentement leurs conditions « normales » de travail et pas du tout un futur. Mais pour les autres de plus de 16 ans toujours dans le système éducatif, lycées et universités, le CPE était la concrétisation et la généralisation de ce qui envahissait déjà le présent, mais auquel ils pensaient encore pouvoir échapper. Il ruinait leurs espoirs d’obtenir avec un diplôme une situation plus stable.
Des actions sans conséquence réelle
Quelques commentateurs ont pu observer que dans certaines manifestations des adultes s’étaient mêlés aux lycéens et étudiants, en tirant la conclusion que des travailleurs étaient impliqués dans le mouvement. D’un côté, les parents des jeunes manifestants pouvaient normalement se sentir concernés par l’avenir de leurs enfants (la reproduction de leur position dans les relations de travail) et venir épauler leurs rejetons ; d’un autre côté, les partis, syndicats et autres groupes divers pouvaient saisir cette opportunité de « se montrer » et/ou d’exprimer leur mécontentement général face à la politique économique et sociale du parti au pouvoir (on doit observer à ce sujet qu’il n’y eut de la part des syndicats jamais un mot d’ordre de grève générale, mais seulement de « journées d’action » que chaque section syndicale était entièrement libre d’interpréter ou de ne pas suivre).
D’une certaine façon, le mouvement, par son ampleur et sa généralisation, allant au-delà de sa spécificité, était l’expression de ce mécontentement général, ce qui en même temps lui donnait un caractère plus politique.
Quelques groupes « révolutionnaires » pensèrent, devant ses limites, pousser le mouvement pour qu’il « aille au-delà ». Les assemblées d’étudiants, les comités de coordinations, les manifestations offraient des opportunités inattendues pour fournir tout matériau dans des discussions sur une société future et l’élimination du capitalisme. Mais c’étaient alors seulement des mots, même si cette parole pouvait trouver un écho au-delà des murs des universités. Internet fut un outil merveilleux pour distribuer, partout en France et dans le monde, des paroles enflammées propageant l’idée (liée aussi à l’exploitation médiatique) qu’une sorte de révolution était en marche. Pourtant, de toute façon, les occupations des locaux universitaires ou des lycées n’avaient aucune conséquence sur la marche habituelle du capitalisme. Bien que certaines élucubrations eurent tenté d’assimiler ces établissements à des usines « produisant » de la force de travail, dont la grève aurait des conséquences pour le système, cette vision était déjà démentie par les intéressés eux-mêmes, faisant des efforts pour « rattraper le temps perdu ».
Beaucoup d’étudiants soucieux de leur avenir faisaient ainsi des efforts pour « organiser » dans la grève la poursuite de leurs études. Ce souci de leur futur dans cette circonstance rejoignait, d’une certaine façon, les raisons profondes de leur engagement dans le mouvement anti-CPE.
Sur cette question de la contradiction entre ce qui pouvait être dit dans et hors des assemblées et collectifs divers dans des motions ou individuellement, et ce qui se faisait en pratique, on doit rappeler que ce qui est essentiel n’est pas ce que les acteurs disent ou pensent de leur action, de leurs but et d’eux-mêmes, mais ce qu’ils font effectivement. De ce point de vue, on doit dire qu’il y avait un abîme entre les mots et les actes.
Pour être « efficients », les « grévistes » devaient sortir des murs, aller ailleurs que dans les manifestations pour être mieux entendus, avec l’espoir d’« étendre » le mouvement vers la classe ouvrière. Une de ces tentatives consista à tenter de bloquer les voies de communication, routes et chemins de fer, ou l’entrée de bâtiments publics (voire d’envahir ces bâtiments). Ce n’était pas vraiment original, car c’était un moyen traditionnel, utilisé fréquemment par les travailleurs ou les paysans et souvent proposés ou soutenus par les syndicats traditionnels, et finalement sans conséquence pour l’activité économique parce que ces blocage ne duraient jamais plus de quelques heures et cédaient facilement à la répression policière.
Il en eût été autrement si une importante participation et la détermination avaient tenté d’aller au-delà, mais cela aurait supposé des affrontements beaucoup plus violents et des risques que manifestement les « grévistes » ne voulaient pas prendre. Tout comme les manifestations, même répétées, ces actions n’allaient pas très loin et manquaient totalement de la radicalité qu’elles prétendaient exprimer. Même plus, leur répétition (manifestations et blocages) ne pouvait finalement qu’entraîner le découragement, qui est d’ailleurs un des moyens habituellement utilisés par les syndicats pour émousser la combativité d’un mouvement trop fort à leur avis.
De toute façon, l’origine sociale de la plupart des étudiants et lycéens telle que nous l’avons décrite et le souci de ne pas compromettre leur futur les éloignaient de l’utilisation de moyens non seulement plus radicaux, mais aussi plus efficaces pour étendre leur mouvement (par exemple, le sabotage).
Il en alla de même avec les efforts plus directs d’étendre le mouvement vers les travailleurs en distribuant des tracts ou montant des piquets devant les portes des usines ou autres lieux d’exploitation. Même si parfois ces actions étaient soutenues (voire organisées) par quelques travailleurs individuels ou membres de groupes ou syndicats plus radicaux, même si en bloquant les voies ou les gares ou tout autre bâtiment, ils trouvait qelque sympathie chez les travailleurs concernés, toutes ces actions furent pratiquement sans conséquence sur le fonctionnement de l’économie. Là aussi, le manque de radicalité traduisait l’arrière-plan idéologique d’une couche sociale.
Ce fut en raison de cette situation que quelques minorités d’« avant-garde »essayèrent de redonner quelque force au mouvement par des « coups » supposés réveiller le géant endormi et d’entraîner la réaction des foules à la répression que ces coups entraîneraient (toujours le syndrome de Mai-68).
Les occupations éphémères de la Sorbonne et celle de l’EHESS (Ecole des hautes études en sciences sociales) furent parmi les plus commentées et elles échouèrent tout simplement parce que la situation, même mobilisant une foule d’étudiants dans occupations et manifestations, manquait totalement de l’arrière-plan existant en mai 1968. Une analyse précise du mouvement dès son début aurait pu permettre une telle conclusion mais, comme toujours, c’est précisément la fonction de l’avant-garde (organisée ou pas) de voir dans tout événement social un potentiel pour une révolution.
Quelle victoire, à l’heure de la mise en place de la « sécurité sociale professionnelle » ?
La prétendue « victoire » qui mit fin si brusquement à toutes sortes d’actions (excepté dans quelques universités mais pas pour longtemps) était une victoire à la Pyrrhus pour ceux qui y avaient mis tout leur cœur et tous leurs espoirs.
Pratiquement, tous les étudiants et lycéens se précipitèrent pour récupérer le temps perdu et passer leurs examens et un certain nombre allèrent repeupler la gauche et l’ultra-gauche.
Pour la gauche : le Parti socialiste a enregistré plus de 60 000 adhésions nouvelles. Comme après chaque mouvement étudiant des vingt dernières années, nous verrons certainement dans les années à venir quelques-uns des « leaders » du mouvement grimper dans les hiérarchies politiques.
Pour l’ultra-gauche : quelques survivants du mouvement parmi les plus « radicaux » tentèrent au cours de l’été de rassembler les débris de ce qu’avaient été les coordinations pour une offensive d’automne lors de la rentrée scolaire ; eux échouèrent.
Quelques commentateurs ont pu expliquer, que le mouvement fut un bon entraînement pour les jeunes et que cette expérience ne serait pas perdue et leur serait précieuse pour impulser les luttes lorsqu’ils entreraient dans la vie professionnelle active : c’est à voir, car alors leur lutte dépendra de leur place dans le procès de production et, pour sûr, on ne verra pas la plupart d’entre eux dans les bas échelons de la hiérarchie ; leur expérience pourrait bien alors servir leur carrière dans les fonctions d’autorité.
Le mouvement fut organisé autour de la précarité qui fut en fait son véritable enjeu.
Quelques commentaires tentent d’expliquer qu’il avait un arrière-plan politique beaucoup plus vaste, et d’abord qu’il visait à faire annuler toute la loi sur « l’égalité des chances ». De la manière dont le mouvement se termina brusquement, après d’obscures discussions entre les syndicats ouvriers et étudiants et le gouvernement menant à l’abandon d’un seul article de cette loi, on peut tirer la conclusion que la majorité des lycéens et étudiants ne se souciaient guère des autres dispositions du texte concernant les banlieues, un milieu qu leur était totalement étranger. Cet accent mis sur la précarité rejoignait ce qu’on pouvait déceler du mouvement comme l’expression d’un mécontentement général dont cette précarité n’était qu’un des éléments : le tout transférait le caractère du mouvement sur le plan de la politique politicienne, croyant qu’elle pouvait régler tout un ensemble de problèmes sociaux, et d’abord celui de la précarité.
Pourtant c’était et c’est encore exactement l’opposé qui se déroulait suite à ce mouvement. D’une certaine façon, étudiants et lycéens dans ce mouvement anti-CPE inabouti ont tiré les marrons du feu pour les syndicats étudiants et ouvriers.
Ceux-ci, non seulement ont joué leur rôle habituel. Ils n’étaient pas en réalité contre l’institution du CPE, pas plus qu’ils n’avaient été auparavant contre son frère jumeau, le CNE - dont le retrait n’a pas été demandé et qui est aujourd’hui largement appliqué. Le mouvement anti-CPE n’avait pas été lancié par eux mais rapidement, ils ont vu l’intérêt d’en apparaître les animateurs (de fait, ils fixèrent les dates et les schémas des grandes manifestations, leurs fournissant les services d’ordre) et surtout les interlocuteurs avec le pouvoir pour y mettre un terme.
Les syndicats ouvriers avaient discuté depuis longtemps sur une modification du code du travail pour répondre au chômage et à la précarité ; de leur côté, syndicats patronaux et gouvernement planchaient sur la même question et il n’est pas du tout exclu qu’il y ait eu depuis des mois des approches communes en ce sens. Un plan général était déjà bien en route entre tous ces protagonistes qui peu à peu révélaient les pièces du puzzle sous le nom de « sécurité sociale professionnelle ». Le but reste d’organiser un cadre général pour intégrer chômage, précarité, formation professionnelle, le tout dans une refonte générale qui à la fois tarirait le chômage tout en donnant aux entreprise une flexibilité totale avec une main-d’œuvre spécialement formée pour leurs besoins.
Le mouvement anti-CPE a aidé, même si le CPE était déplacé vers des formules plus alambiquées, à avancer dans la voie de cette réforme associant tous les « acteurs sociaux ». Cette nouvelle organisation de la précarité est actuellement testée dans quelques départements ; si elle réussit, elle se généralisera et le mouvement anti-CPE sera enterré sous sa prétendue « victoire ».
u Pour revenir à la loi sur « l’égalité des chances », on peut dire que ce n’est pas par hasard qu’elle n’a pas été démantelée (le déplacement de l’article sur le CPE n’a en rien ruiné l’économie de ce texte). D’un côté, comme il a été souligné, la plupart des lycéens et étudiants n’étaient pas du tout concernés par cette loi, en dehors du CPE. D’un autre côté, organisations, partis et syndicats, tout comme le gouvernement ne savaient pas trop comment faire face aux émeutes de banlieues et en général au « problème » des banlieues, parce que la pauvreté et l’extrême précarité qui touche cette partie de la population pose le problème de l’économie globale, du capitalisme et d’une révolution communiste.
Personne ne tenait à voir cette loi annulée qui pourtant apparaît aujourd’hui assez inefficiente contre le « problème des banlieues ». Récemment, des chiffres ont été donnés sur une augmentation sérieuse des délits seulement dans le premier semestre de 2006, corroborant d’une part l’aggravation générale de la situation économique et d’autre part la constatation que depuis les émeutes, les jeunes ont redressé la tête, devenant plus agressifs, plus provocateurs, et moins respectueux de la légalité. D’une certaine façon, les accrochages dans les manifestations anti-CPE, entre les lycéens et étudiants d’un côté et les jeunes de banlieues de l’autre ont non seulement montré les caractères différents des deux mouvements mais aussi que ceux qui y étaient impliqués se meuvent dans des mondes différents.
Lycéens et étudiants sont revenus vers leur futur (même si celui-ci n’est pas très clair), les jeunes des banlieues sont retournés vers un présent bien clair, dans lequel il n’y a pas de futur.
H. S.
A lire par ailleurs sur le mouvement anti-CPE
De la révolte des cités aux mouvements étudiants et lycéens
Selon que vous serez puissant ou misérable...
Revue depresse
Textes sur la lutte anti-CPE du printemps : « Le grondement de la bataille et la plainte des pleureuses », « Le mouvement étudiant anti-CPE en région parisienne », « Limite du mouvementisme : les assemblées dans le bordel anti-CPE à Paris ». Dans Cette semaine, n° 90 (automne 2006). BP 275, 54005 Nancy Cedex.
Courriel : cettesemaine@no-log.org. Site : http ://cette semaine.free.fr
« Contre le CPE et son monde, Notes sur le mouvement dit anti-CPE en Avignon », un document très complet sur le printemps 2006 dans la Cité des papes.
Les éditions Impossibles. impossibles@no-log.org,
Prix libre (+ 0,77 euro de frais de port).)
« Mort à l’économie. Vive le parti de la révolte » à propos du CPE dans A trop courber l’échine n° 18, mai 2006.
« Deep crisis in France » (en anglais) dans Principia Dialectica n° 2 (automne-hiver 2006) : sur la révolte des banlieues et la lutte anti-CPE. Avec cette appréciation sur notre brochure La Révolte des cités, selon laquelle Echanges « ne peut sortir de la camisole prolétarienne alors que le prolétariat aurait été plus ou moins dissous dans une masse de consommateurs. » Pour cette revue, « l’accumulation capitaliste a atteint sa limite interne absolue ».
Dans Temps critiques n° 14 (hiver 2006) : « Jeunes en rébellion », un ensemble de textes sur la révolte des banlieues et « Le moment CPE ».
Alternative libertaire n° 153 (juillet-août 2006) publie sous forme d’entretien la description d’un mouvement autonome des contrôleurs de la SNCF qui, à partir d’une pétition ayant recueilli 7 000 signatures (deux tiers des effectifs), tente d’impulser des actions unitaires sur des revendications catégorielles.