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A propos du mouvement étudiant britannique

jeudi 5 avril 2007

Cet article est la traduction d’une intervention de Daniel Randall lors d’une réunion en France en juillet 2006.

Chers camarades, Pour comprendre les mouvements étudiants en Grande-Bretagne, il faut connaître le cadre dans lequel s’inscrit la politique des organisations étudiantes et certains aspects de leur histoire récente.

Contrairement à la France, la Grande-Bretagne ne possède qu’un seul syndicat étudiant à l’échelle nationale, le National Union of Students, NUS. Chaque université et chaque college (établissement d’enseignement supérieur) possède son propre syndicat, basé sur le campus, qui doit décider s’il veut ou non s’affilier au NUS. La plupart des universités importantes sont affiliées au NUS. L’adhésion est automatique : toute personne inscrite à un cours dans une université affiliée est automatiquement membre à la fois du syndicat du campus et du NUS. Le NUS prétend donc avoir 5 200 000 membres. Mais, bien sûr, le nombre d’étudiants actifs est beaucoup plus faible.

Au sein du mouvement étudiant, il existe un débat entre ceux qui voient dans le NUS un simple fournisseur de services (par exemple, la carte du NUS donne droit à des réductions dans de nombreux magasins), et ceux, comme nous, qui considèrent que le rôle du NUS est de défendre et d’étendre les droits des membres du syndicat. En tant que révolutionnaires et qu’éléments radicaux du mouvement étudiant, nous devons donc faire face à la politique agressive du gouvernement contre les étudiants et contre les travailleurs, mais aussi à une aile droite du mouvement étudiant particulièrement véhémente et influente. Pour ces gens-là, les seules campagnes que doit mener le NUS concernent le prix de la bière dans les bars de l’université.

La direction du NUS est traditionnellement composée de partisans blairistes du gouvernement travailliste. Ceux-ci s’appuient sur l’aide droite, antimilitante, du syndicat qui, en retour, la soutient à chaque décision qu’elle prend Ainsi, par exemple, bien qu’en 2006 le gouvernement Blair ait introduit une augmentation des droits d’inscription de 3000 livres (euros) pour obtenir le privilège d’étudier à l’université, la direction du NUS a décidé d’annuler sa manifestation nationale pour une éducation gratuite et a régulièrement félicité les ministres blairistes responsables de l’augmentation des droits d’inscription. L’incapacité historique et le refus des directions successives du NUS d’organiser la moindre campagne significative pour les droits des étudiants (et l’absence d’une gauche bien organisée, défendant des principes politiques solides, dans le NUS qui puisse offrir une direction de rechange) a conduit de nombreux étudiants voulant s’engager, pour ne pas dire la plupart, à le faire en dehors des structures du mouvement officiel quand ils voulaient participer à des campagnes politiques. Aujourd’hui, les étudiants engagés ont tendance à s’investir dans des comités à l’organisation souple (contre la guerre, contre la mondialisation, contre les multinationales, etc.) plutôt que d’intervenir de façon régulière et organisée dans les structures de l’organisation étudiante de masse existante, le NUS.

Les mobilisations de masse contre la guerre en Irak en 2003 et contre le G8 en 2005 (qui ont vu des centaines de milliers d’étudiants descendre dans la rue, au cœur des principales villes britanniques, ainsi que des grèves spontanées des lycéens dans tout le pays) montrent qu’une fraction significative des étudiants désirent participer à des campagnes sur de « grands » sujets politiques. Cependant, l’absence d’un syndicat combatif entraîne que les questions sociales nationales et internationales sont rarement liées et que les militants étudiants sont rarement mobilisés sur des questions sociales qui concernent la classe ouvrière dans ce pays, telles que les loyers, les droits d’inscription ou les droits des travailleurs.

De nombreuses campagnes impressionnantes sur ces questions ont eu lieu : occupation de bibliothèques dans les universités du Sussex et à Swansea ; manifestations de masse sur l’annexe du campus de l’université de Plymouth à Exmouth ; campagnes pour les droits des travailleurs les plus mal payés du campus à Oxford, à l’université Queen Mary (à Londres) et à la London School of Economics. Dans plusieurs établissements d’enseignement post-secondaire (les Further Education colleges sont destinés soit à des jeunes déscolarisés soit à des jeunes adultes qui veulent se préparer à entrer à l’université), on a vu les étudiants mener campagne contre la privatisation et les coupes budgétaires. Mais ces campagnes sont nées et ont grandi localement, soit à cause de la présence d’un syndicat radical sur le campus, soit grâce au travail d’un groupe dévoué de militants locaux. Le NUS n’a établi aucun lien entre ces campagnes locales, et n’a pas lancé non plus une directive nationale visant à les étendre à d’autres campus.

Nous avons absolument besoin que le NUS mobilise, pour des causes sociales, les milliers d’étudiants actuellement actifs sur des questions internationales, et puisse lier les campagnes existantes entre elles. En septembre 2006 aura lieu une augmentation massive des droits d’inscription, augmentation qui empêche de nombreux jeunes ouvriers d’étudier à l’université. Le gouvernement Blair mène aussi une politique agressive de privatisation et de « professionnalisation » dans l’Education nationale, de façon à ce que, à chaque niveau du cursus scolaire, les employeurs soient présents et aient un rôle décisif, et que chaque lycée, établissement d’enseignement supérieur et université devienne un centre privé de formation pour les travailleurs sous-payés et jetables de demain. Les lois répressives contre les syndicats qui existent encore en Grande-Bretagne, combinées avec l’existence d’une direction bureaucratique dans la plupart des grands syndicats, paralysent les réactions du mouvement ouvrier face à cette situation ; celui-ci n’a pas été capable de pousser le mouvement étudiant à l’action, et l’inertie bureaucratique actuelle du NUS a fait que les actions de la base n’ont pas non plus poussé le NUS à agir Il nous faut construire un réseau militant qui réunisse les meilleurs éléments des mouvements pour des causes internationales et les amène à s’investir dans les structures du NUS pour lutter contre la bureaucratie et rendre le syndicat à ses membres. La plupart des organisations de la gauche étudiante - aussi divisée et confuse que le reste de la gauche britannique - n’ont aucune proposition à offrir sur ce terrain, et, comme toutes les sectes, cherchent uniquement à perpétuer leur propre existence.

Les principales organisations de gauche en Grande-Bretagne sont :
- Student Respect, la branche étudiante de Respect, coalition populiste et communautariste dirigée par le député stalinien George Galloway, où les éléments les plus actifs sont ceux du Socialist Workers Party (liés à Socialisme par en bas, l’un des courants de la LCR en France). Leur activité politique, au cours des dernières années, a été marquée par le suivisme vis-à-vis de la droite religieuse dans le mouvement étudiant, et en particulier vis-à-vis de la Federation of Student Islamic Societies (FOSIS), dirigée par des partisans conservateurs et réactionnaires de l’islam politique.

-  la Student Broad Left (SBL) tendance stalinienne très bureaucratique liée à Socialist Action. Ce groupe agit comme le PT lambertiste, dans la mesure où il opère en secret dans l’appareil bureaucratique de diverses organisations. Défendant des positions staliniennes, il soutient les régimes de la Chine et de la Corée du Nord. Il a rejoint avec enthousiasme l’alliance de Student Respect avec le FOSIS et prône un « anti-impérialisme » réactionnaire, séparé de tout contenu de classe ou socialiste.

-  Les Socialist Students, petit groupe lié au Socialist Party (section britannique du Comité pour une internationale ouvrière, représenté en France par la Gauche révolutionnaire). Les Socialist Students sont plus sains politiquement que les deux groupes précédents et ont une base plus active sur les campus que leur intervention minimale dans les structures du NUS ne pourrait le suggérer. Ils se caractérisent cependant par le même sectarisme qui sévit dans leur organisation mère, le Socialist Party. Les meilleurs éléments de la gauche étudiante sont regroupés dans le réseau Education Not for Sale (ENS) qui rassemble des militants révolutionnaires de différentes tendances, des anarchistes partisans de la lutte des classes et des altermondialistes. Deux représentants du réseau ENS font partie du National Executive Committee (Comité national exécutif) du syndicat NUS, son principal organe de direction qui compte en tout vingt-sept personnes. Le réseau Education Not for Sale (L’Education n’est pas à vendre) défend :

-  la lutte pour une éducation publique accessible à tous, gratuite, laïque, d’excellente qualité et financée par des impôts sur les riches,

-  un syndicat étudiant qui combatte sur des questions sociales comme l’augmentation des droits d’inscription, un revenu pour tous les étudiants, des logements et le respect de nos droits au travail ; et pour que les syndicats locaux et la gauche militante entreprennent dès aujourd’hui ce combat si le NUS ne le veut pas.

-  Une campagne unitaire avec le mouvement syndical pour défendre l’Education nationale et les services publics ; une solidarité permanente avec les luttes ouvrières en Grande-Bretagne et dans le reste du monde.

-  Un soutien positif à la démocratie, c’est-à-dire en faveur d’un authentique pouvoir du peuple et un contrôle par en bas, et pour des droits de l’homme universels - pas pour le relativisme culturel ; une solidarité réelle envers les luttes pour la libération des femmes, des homosexuels, des lesbiennes et des trans-genre, et contre le racisme.

-  Une participation massive au NUS et aux campagnes du syndicat étudiant - un syndicat démocratique et politique national qui soit tourné vers les mouvements antiguerre, écologistes, pour la justice internationale, contre le capitalisme et contre les conditions de travail dans les ateliers clandestins

-  L’unité de la gauche. Les militants et les organisations de la gauche étudiante doivent s’unir - veiller à conserver une unité d’action maximale, tout en débattant librement et ouvertement de nos divergences et désaccords.

La situation du mouvement étudiant n’est pas aussi sombre que le panorama présenté ci-dessus pourrait le suggérer. Le développement du réseau Education Not for Sale comme une force indépendante, l’extension régulière des campagnes étudiantes sur des questions internationales, et surtout l’existence de campagnes, bien implantées sur les campus et impulsées par la base, sur des problèmes quotidiens touchant la classe ouvrière, montrent que la possibilité existe à la fois pour que le militantisme étudiant radical se développe et pour que l’énergie de ces militants s’investisse dans les structures du mouvement étudiant (au niveau de chaque campus comme à l’échelle nationale, à travers le NUS) et mène une lutte sérieuse contre la droite bureaucratique du syndicat.

Il est essentiel pour nous de connaître les leçons que vous tirez du récent mouvement en France si nous voulons réussir à forger un mouvement étudiant en Grande-Bretagne qui soit démocratique, combatif et orienté vers la lutte des classes. C’est pourquoi nous sommes heureux de vous présenter ce document dans un esprit internationaliste et pour manifester notre solidarité. Nous vous envoyons nos salutations fraternelles et nos meilleurs vœux de succès pour votre congrès.

Daniel Randall

Membre du Comité national exécutif (pour l’année scolaire 2005-2006) du NUS et du Réseau Education Not for sale (Cette contribution a été écrite à titre personnel et son contenu politique n’engage pas les organisations ci-dessus mentionnées dont l’auteur est membre.)

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