Entretien à propos de l’ « islamophobie » réalisé le 28 juin 2004. Maryam Namazie et Bahram Soroush sont membres du Parti communiste-ouvrier d’Iran.
MARYAM NAMAZIE : Un groupe islamique a récemment déclaré que l’islamophobie et l’arabophobie ont toujours fait partie de la culture occidentale et que « Saddam Hussein et Oussama Ben Laden sont seulement les derniers d’une longue lignée de croque-mitaines créés par la culture occidentale ». L’islamophobie et l’arabophobie sont-elles identiques ? Proviennent-elles de la culture occidentale ?
BAHRAM SOROUSH : A mon avis, il ne s’agit pas véritablement d’une question culturelle ou historique. On ne peut assimiler l’aversion contre l’islam à l’aversion contre un groupe déterminé de personnes. L’hostilité contre l’islam croît bien plus que l’hostilité contre les habitants ou les personnes originaires du Moyen-Orient. Cet argument est employé par les islamistes et leurs partisans qui subissent des critiques et essaient ainsi de les esquiver. Ils prétendent que les Arabes ou les peuples du Moyen-Orient seraient la cible d’attaques. Ce n’est pas le cas. Ce qui croît en ce moment, c’est une critique, tout à fait justifiée, de l’islam. Et celle-ci s’est développée en raison des atrocités commises par le mouvement islamiste, les gouvernements islamiques et leurs défenseurs.
MARYAM NAMAZIE : Les islamistes te répondront : « L’islam est la religion qui connaît la croissance la plus rapide dans le monde ; la culture occidentale, ou le christianisme, prennent ainsi leur vengeance en l’attaquant. »
BAHRAM SOROUSH : L’islam est-il vraiment la religion qui se développe le plus rapidement ? Je n’en suis pas sûr. Par contre, on ne peut nier son essor au cours des dernières décennies. Cette expansion est liée à l’appui des gouvernements occidentaux, pendant des années, particulièrement durant les deux dernières décennies ; aux gouvernements islamiques qui sont arrivés au pouvoir en Iran et en Afghanistan ; et aux richesses et à l’argent employés pour soutenir ce processus. Dans ce sens, l’islam est devenu une force plus puissante, et nous sentons davantage son influence sur nos vies. Mais l’islam devient-il plus populaire ? Je ne crois pas qu’il attire plus de gens, en général. En fait, ce serait plutôt le contraire. Et c’est d’ailleurs pourquoi les islamistes tentent de combattre les critiques de l’islam.
MARYAM NAMAZIE : Selon eux, l’« islamophobie » croîtrait en raison d’une rivalité historique entre le christianisme et l’islam.
BAHRAM SOROUSH : Je ne pense pas. Selon moi, la raison pour laquelle les gens critiquent l’islam, et éprouvent une sensation de dégoût envers lui, a plus à faire avec l’islam lui-même et avec sa pratique. Ils voient l’islam en action, ce n’est pas simplement pour eux une doctrine, des idées. Ils assistent à sa mise en pratique. Ils voient l’islam en action en Iran, et ils réagissent contre lui exactement comme les Iraniens. Il est très intéressant de noter que l’opposition à l’islam, à la domination politique et aux lois islamiques est la plus forte précisément dans les pays où l’islam est au pouvoir ou occupe une position puissante. Comment les islamistes expliquent-ils ce phénomène ? Il ne peut s’agir dans ce cas d’un affrontement entre le christianisme et l’islam ! Il s’agit d’un conflit entre l’humanité civilisée et l’islam ; d’un affrontement entre des êtres humains qui souffrent sous un régime islamique et l’islam. Et les individus défient ce régime, ils lui résistent, ce qui est parfaitement normal. Cela se produit en Iran, en Afghanistan, en Irak, dans le monde entier, et en Occident aussi. Je ne crois pas que ce phénomène historique ait le moindre rapport avec un prétendu conflit entre la chrétienté et les valeurs chrétiennes, d’un côté, et l’islam, de l’autre.
MARYAM NAMAZIE : Selon beaucoup d’islamistes, l’islam serait parfaitement compatible avec les droits humains. Shirin Ebadi, qui a récemment eu le prix Nobel, le pense également. Les islamistes prétendent que, s’il existe des violations des droits humains, c’est parce que l’islam serait mal interprété, mal appliqué.
BAHRAM SOROUSH : J’ai du mal à prendre au sérieux ce type de raisonnement. Le bilan de l’islam et ses principes sont parfaitement connus ou plutôt, devrais-je dire, parfaitement infâmes. Les gens en ont fait l’expérience concrète. Ceux qui ont le culot d’affirmer que l’islam est compatible avec les droits de l’homme feraient bien de nous expliquer les lapidations, les crimes d’honneur, les amputations des membres, et la nature oppressive de l’islam que nous voyons mise en pratique, et qui s’oppose aux droits fondamentaux des personnes et à la liberté de pensée. Il y a tellement de preuves qui contredisent ce que les islamistes avancent ! Je crois qu’ils auront du mal à les réfuter. MARYAM NAMAZIE : L’islam, et rien que l’islam, serait donc responsable ?
BAHRAM SOROUSH : Prenons le cas du régime islamique en Iran. J’aimerais que ces gens me démontrent en quoi la doctrine islamique est incompatible avec ce qui se produit en Iran. Le gouvernement se proclame islamique ; le monde entier l’identifie comme islamique, et ce qu’ils professent et pratiquent est islamique. Leurs actes et leurs idées ne sont pas du tout contraires au Coran, aux hadiths et à toute la pensée islamique. En fait, si certains tentent, de façon très maladroite, de dire que l’islam est compatible avec les droits de l’homme, c’est uniquement parce que la vérité et le bilan de sa pratique démontrent le contraire.
MARYAM NAMAZIE : D’après certains, l’islam s’opposerait aux valeurs universelles, chrétiennes, et ces valeurs s’opposeraient donc aussi à l’islam.
BAHRAM SOROUSH : Les gens ne montrent pas une telle aversion pour l’islam parce qu’ils le trouvent incompatible avec le christianisme, ou parce qu’ils voient en l’islam une solution alternative ou un rival à celui-ci. Si tu demandes à la majorité de ceux qui critiquent l’islam : « Qu’avez-vous à reprocher à cette religion ? pourquoi éprouvez-vous de l’hostilité envers elle ? », ils te répondront : « Elle ne respecte pas les droits des femmes, elle opprime les femmes et les enfants ; elle ne reconnaît pas les droits fondamentaux des personnes ; elle est violente, elle est intolérante, etc. » Je pense que tu obtiendras ce genre de réponses. Quelques-uns te diront peut-être : « Je ne crois pas que le christianisme soit comme l’islam », mais cela ne change pas grand-chose dans le cadre de notre discussion. Ce qui compte, c’est le contenu réel de l’islam, la façon dont il est perçu. Les gens ont une façon de juger l’islam qui est très terre-à-terre et relève du bon sens. Et je pense qu’ils le décriraient comme je viens de le faire.
D’ailleurs, le christianisme lui-même ne peut prétendre avoir eu une histoire très paisible. Il a fallu la révolution française, les Lumières et des années de luttes menées par le peuple, les socialistes, les laïques et les libres-penseurs pour marginaliser l’influence de l’Eglise et du christianisme. Pendant des siècles, l’Eglise et le christianisme ont été le bras droit des rois et des despotes. Tout le monde a entendu parler de l’Inquisition, des tortures, des bûchers pour les sorcières et les hérétiques. Le christianisme a, lui aussi, un passé très violent. En Occident, la société, et les personnes progressistes dans cette société, ont réglé leurs comptes avec le christianisme. Ce processus ne s’est pas encore produit avec l’islam. Nous commençons seulement à entendre les premières critiques de l’islam - non seulement sur le plan idéologique, mais aussi sur le plan pratique, comme en Iran, par exemple.
MARYAM NAMAZIE : D’après toi, d’où proviennent donc les valeurs universelles, les valeurs qui défendent les droits de la personne, si elles ne viennent pas de la religion ?
BAHRAM SOROUSH : Si nous parlons des droits de l’homme, des valeurs progressistes qui respectent les droits et la dignité des êtres humains, elles se sont imposées à travers une critique de la religion. Au point que lorsque les gens sont parvenus à se libérer des griffes de la religion, ils ont réussi à avoir une vie plus heureuse et une société meilleure. Et cela s’est fait en sapant l’influence du christianisme et de la religion. Ces valeurs ont été imposées aux dépens du christianisme. Je ne crois pas qu’il y ait un élément intrinsèquement progressiste dans la religion. Pour moi, en tant qu’athée, il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises religions ; toutes les religions sont mauvaises pour les êtres humains.
MARYAM NAMAZIE : Certains diront : « Certes, l’islam s‘est imposé par la force brutale, mais regardez le christianisme aujourd’hui, dans le monde occidental, c’est quand même une "meilleure" religion, non ? Le christianisme défend mieux les droits de l’homme, il défend davantage les valeurs universelles. » Je sais que nous avons déjà parlé de cette religion dans le passé, mais aujourd’hui, qu’en penses-tu ?
BAHRAM SOROUSH : Quelque chose a changé, bien sûr. Mais, si tu analyses le christianisme comme religion, tu verras que tous les principes, le dogme, les principes sont toujours là. Ces éléments-là n’ont pas bougé. Ce qui a changé, c’est l’influence sociale et politique du christianisme dans la société d’aujourd’hui, sur nos vies, sa relation avec l’Etat. Le christianisme, en lui-même, n’est pas devenu une religion plus humaine. Plus il a été miné et affaibli, plus les gens ont acquis de l’espace pour mettre en pratique leurs valeurs véritablement humanistes et progressistes.
MARYAM NAMAZIE : Une dernière question : l‘islamophobie joue-t-elle un rôle positif ou négatif ?
BAHRAM SOROUSH : Tout dépend de la définition qu’on donne à ce mot : s’il est synonyme de critique de l’islam, il n’a rien de négatif. MARYAM NAMAZIE : Est-elle nécessaire, alors ?
BAHRAM SOROUSH : Oui, et nous ne sommes qu’au début d’une critique radicale de l’islam comme idéologie et pratique. Dans ce sens-là, c’est une bonne chose.