Mouvement Communiste - Lettre numéro 23- mars 2007
VOLKSWAGEN FOREST : MEME FAIBLES, LES REACTIONS OUVRIERES FONT TOUJOURS PEUR AU PATRON
Le vendredi 17 novembre 2006, suite à des rumeurs persistantes de fermeture du site d’assemblage automobile de Volkswagen à Forest, l’équipe de l’après-midi (14-22 heures) décide d’arrêter le travail vers 20h. Les ouvriers de cette équipe sont environ 1500.
Cette décision est prise contre l’avis des syndicats (FGTB et CSC principalement) qui appellent à la continuation du travail tant que la direction ne déclare pas ses intentions concernant un « éventuel » plan de restructuration.
A l’extérieur de l’usine, les autorités communales, en relation avec la direction de VW Forest ont déjà pris les mesures nécessaires pour parer à d’éventuelles réactions des ouvriers. Près de 300 policiers sont prévus pour contenir des débordements possibles et une centaine d’entre eux sont postés discrètement, avec des auto-pompes, aux abords de l’usine.
La décision de l’équipe de l’après-midi sera suivie par les autres équipes. Le travail ne reprendra pas à VW Forest avant le lundi 8 janvier 2007, et encore, de manière très parcellaire.
Ce n’est que le mardi 21 novembre, à la suite d’un conseil d’entreprise extraordinaire de Volkswagen Forest, que la direction annonce son intention de restructurer l’usine. La suppression de la Golf est annoncée. Elle sera dorénavant produite sur les deux sites allemands de Wolfsburg et de Mosel. Le porte-parole de la direction allemande précise que la fermeture du site n’est pas envisagée.
Conséquence de l’annonce du transfert de l’assemblage de la Golf vers les deux usines allemandes, ce sont environ 4 000 suppressions d’emplois qui sont de facto mis sur la balance. Sans compter les coupes sombres qui vont frapper les plus de 10 000 ouvriers de la sous-traitance. L’ensemble des syndicats et de la classe politique belge crient au scandale et dénoncent le nationalisme des dirigeants allemands de VW (IG Metal compris).
Les syndicats déclarent à l’envie ne pas avoir eu connaissance de la préparation de ce plan de restructuration (ils n’envisageaient pas plus de 1 500 suppressions d’emplois).
Du côté des travailleurs, c’est le coup de massue. Les 4 000 suppressions de postes sur 5 200 impliquent à terme la fermeture de l’usine (malgré les déclarations de la direction allemande). L’hypothèse la plus répandue, défendue et entretenue par les syndicats, est qu’il s’agit d’une fermeture déguisée. Elle se ferait en deux temps, pour éviter d’avoir à payer les indemnités importantes prévues dans le cadre de la loi Renault.
Les syndicats appellent à une manifestation nationale pour le samedi 2 décembre.
La direction belge de VW Forest et les syndicats annoncent sans arrêt qu’ils ne sont pas au courant des modalités concrètes qui vont être appliquées aux travailleurs concernés par la restructuration, créant un climat favorable au maintien des ouvriers chez eux. « Nous entreprendrons des actions appropriées quand nous saurons clairement de quoi il s’agit. En attendant, restez chez vous », proclament les syndicats.
Quelques jours plus tard (samedi 25 novembre), la direction allemande laisse entendre qu’il serait possible d’assembler l’Audi A1 à partir de 2009 sur le site de Forest ; mais à une condition : la réduction de 20 % des coûts de production A partir de ce moment, le plan de la direction de VW apparaît de plus en plus clairement. Même si le plan de restructuration de l’usine de Forest n’est pas encore très précis, les dirigeants de VW ont une idée globale de ce qu’ils veulent faire. A ce stade, VW a déjà provisionné dans ses comptes 100 000 euros par poste supprimé pour l’ensemble des plans sociaux des sites à salaire comparativement élevé (Allemagne comprise). L’annonce de la suppression de 4 000 emplois et donc de la très probable fermeture de l’usine apparaît destinée à tester les réactions ouvrières. La direction, comme les syndicats craignent les réactions des ouvriers. C’est l’inconnue principale, les syndicats vont parfaitement remplir leur rôle, en parvenant à occuper à eux seuls le terrain de la négociation tout en maintenant les travailleurs à leur domicile.
Il est également difficile de croire que les syndicats belges n’étaient au courant de rien, comme ils le claironnent à leurs affiliés, sachant que le puissant syndicat allemand IG Metal siège au conseil d’administration du groupe VW. Il y a 10 ans, la CGT avait été mise au courant de la fermeture de Renault Vilvoorde avant l’annonce officielle.
L’usine de Forest
Effectifs
Avant la restructuration, l’usine Volkswagen de Forest employait 5 115 ouvriers et 670 employés. Parmi les 5 115 ouvriers, on compte 4 489 hommes et 626 femmes. On dénombre également 511 ouvriers âgés de plus de 50 ans, 1 800 âgés de 40 à 50 ans et 1 866 de 30 à 40 ans. 2 938 ont moins de 30 ans. L’origine se répartit comme suit : Flandres (Nord) avec 62 % des travailleurs, notamment de la région de Gent ; Bruxelles, avec 8 % ; et 30 % du Hainaut, avec une majorité de travailleurs de la région de Mons-Borinage.
Salaires
Exemple pour un ouvrier qualifié avec 10 ans d’ancienneté :
Montant brut par mois : environ 2 700 euros
Montant net : 1 600 euros
Assurances pension fournie par VW
Assurance hospitalisation
13e mois + prime de vacances : environ deux fois 1 000 euros
Chèque repas : d’un montant de 6 euros par jour presté (pas pour les intérimaires)
Intéressement : les travailleurs reçoivent des actions d’une valeur d’environs 500 euros chaque année comme prime de production.
Les qualifications
Ouvrier normal
ARK : remplacement et formateur
Agent de maîtrise qui se charge de donner des explications, des recommandations, gère les absentéismes, les retards, les blessés...
Chef leader : dirige la production et supervise la qualité
Cadre : le esponsable de l’atelier.
Procès de travail
VW Forest est uniquement une usine d’assemblage avec six lignes d’assemblages d’une longueur d’environ 1 km, sur lesquelles les ouvriers travaillent en poste fixe.
Toutes les pièces proviennent des sous-traitants, dont certains sont regroupés dans l’Automotive Park voisin. Elles viennent de Belgique et d’Allemagne... par train et par camion. La voiture arrive "désossée", châssis nu. Assemblage des portières, capots, hayons, ailes... Bain. Peinture.
Montage du cockpit : tableau de bord, la finition des portières, roue, et autres détails de finition. Tous les matériaux à l’intérieur du véhicule...
Finition : ponçage, vérification des défauts...
Les différents horaires
Tranche horaire de 6 h à 14 h et de 14 h à 22 h. La nuit de 22 h à 6 h. Le week-end : dix heures d’affilée de travail, chômage économique selon les besoins de la production.
Un chômage économique partiel est instauré depuis 4 ans.
Un congé est accordé à ceux qui travaille de 6 h à 14 h, un vendredi sur deux.
Travail un lundi sur deux.
Les raisons patronales de la restructuration du site de Forest
Pourquoi s’en prendre à l’usine de Forest se demandaient les ouvriers du site après que la nouvelle de l’arrêt de la production en Belgique de la Golf se soit répandue ?
Avec l’équivalent d’environ 5 000 postes à temps plein, l’usine de Forest assure une production de 204 000 véhicules, soit environ 40 voitures produites par salarié et par an. Une productivité inférieure à celle de l’usine de Pampelune (50) en Espagne, mais nettement supérieure aux 25 véhicules de l’usine d’Emden en Allemagne ou d’AutoEuropa (filiale VW Ford) à Palmela au Portugal.
Une comparaison avec Wolfsburg n’a pas de sens car, outre l’assemblage, on y assure production et emboutissage. Concentrer la production de la Golf à Wolfsburg devrait amener une économie de 400 euros par unité produite et réduire les coûts logistiques. Ceux-ci représentent une part équivalente à celle du travail dans la structure globale des coûts de production. Si de nombreux équipementiers se sont installés à proximité des usines d’assemblage, des composants essentiels (bloc-moteur, boîte de vitesses) viennent d’Allemagne pour Forest ou d’Espagne pour l’usine portugaise. Enfin, Forest a la réputation d’être une usine extrêmement flexible, capable de monter différents modèles, sans plate-forme commune, en parallèle.
La décision prise par le directoire de VW est à chercher dans l’histoire récente du groupe et dans la situation globale de l’industrie automobile en Europe. Industrie mûre - il est difficile pour chaque habitant d’avoir plusieurs voitures -, la construction automobile ne peut plus guère développer de nouveaux marchés. Les progrès rapides de la productivité entraînent donc l’apparition d’ouvriers surnuméraires pour une production totale qui n’évolue plus que modérément.
La faiblesse du dollar, la hausse des prix des matières premières et l’augmentation de la concurrence ont, en 2003, brutalement mis en cause le modèle VW moins rentable et plus vorace en capital que ses concurrents. Un premier plan de redressement, ForMotion, allait remettre en cause un modèle fondé sur d’importantes dépenses d’investissement mais justifié par des prix de ventes supérieurs à ceux de la concurrence. L’avantage concurrentiel disparu, notamment au niveau de la qualité, VW devait s’attaquer à la faible productivité de son capital fixe et à sa rapide dépréciation. Le lancement d’un vaste programme de rajeunissement de la gamme et de multiplication des modèles n’est pas en soi un facteur décisif face à une concurrence (Renault et Peugeot par exemple) qui multiplie également les lancements de nouveaux modèles. Sur un marché mûr, l’augmentation des ventes ne peut se faire qu’au détriment des concurrents.
Un coût élevé du travail et une faible productivité ont toujours été les points faibles de VW, particulièrement en Allemagne qui représente 37 % de la production globale du groupe. Tous les efforts de restructuration de VW s’orientent vers la conquête d’une profitabilité permanente à un niveau jugé suffisant. D’ici à 2008, l’objectif est d’abaisser de 15 % le point mort de VW.
L’objectif déclaré de la direction VW est d’obtenir 5,1 milliards d’euros de profits avant impôts en 2008. Pour ce faire, pas moins de 65 % de l’amélioration des résultats devraient venir d’économies sur les coûts fixes (dont les suppressions de postes). Dans les calculs de la direction, entre 2008 et 2010, l’augmentation des volumes et des économies sur les fournitures seront le moteur des profits.
Les réductions d’effectifs programméesPour remonter son taux de profit, VW avance sur trois axes : gains de productivité, économies sur les composants et les matières et déploiement de la stratégie modulaire.
Diminuer le nombre de salariés dans les usines sous-utilisées avant tout en Allemagne où 15 000 travailleurs seront mis en préretraite et 6 000 accepteront de partir en échange de primes conséquentes. Globalement, le nombre total de salariés sera ramené à 345 000, soit une baisse de 9,1 %. Avec un coût salarial moyen annuel de 40 000 euros, l’économie globale annuelle se monte à 1,6 milliard. Si le coût élevé du travail en Belgique ou en Allemagne n’est pas un inconvénient rédhibitoire - dans une usine d’assemblage moderne et hautement automatisée, les coûts salariaux ne dépassent pas 10 % du coût du produit final -, la baisse continuelle de la masse salariale reste cependant un objectif central. Les différences des coûts du travail - plus ou moins 40 % entre l’Allemagne ou la Belgique et le Portugal - se soldent par un petit écart des coûts de production de seulement 2 ou 3 % ;
Augmenter le nombre d’heures travaillées en Allemagne sans augmentation des salaires. En 2006, VW a signé avec les syndicats, essentiellement allemands, un accord destiné à réduire les effectifs de 10 % en cinq ans. L’accord conclu avec IG Metall plus vite que prévu a mis fin, en septembre 2006, à la semaine de 28,8 heures introduite en 1994, après la crise cyclique mondiale de 1991. L’élément central du nouvel accord d’entreprise est une semaine de travail standard de 33 à 34 heures, sans augmentation de salaire. En compensation, VW va introduire une participation aux bénéfices. Pour financer cet accord, VW doit assurer un taux élevé d’utilisation des capacités de production qui devrait dépasser les 90 % alors que l’usine de Wolfsburg ne dépassait pas les 70 %. Quelques semaines plus tard, la nouvelle du départ de la Golf tombait à Forest. Des décisions similaires pourraient suivre pour les usines d’Espagne et du Portugal ;
Améliorer la productivité en améliorant le processus de production et la conception des véhicules. Il s’agit, pour le patron, de remonter une productivité du travail qu’il juge trop faible. Auditées pour la première fois par Harbour Group, les usines VW, malgré des progrès notables, sont globalement en fin de peloton des usines automobiles en Europe. L’objectif de VW, 28 heures pour construire un véhicule, contre 32 en 2006, le laisserait nettement en retrait de ses concurrents.
Entre 2004 et 2008, VW table sur des économies de 1,7 milliard d’euros amenées par l’augmentation de la productivité et 1,3 milliard de baisse des coûts salariaux. Facture finale pour les travailleurs de VW : 3 milliards d’euros. Dans le même temps, les firmes sous-traitantes devront réduire leur facture à VW de 3,2 milliards. Leurs travailleurs sont d’ores et déjà massivement appelés à se serrer la ceinture pour garder leurs postes.
Le déroulement de la lutte de Forest
Vendredi 17 novembre 2006
Les rumeurs de fermeture ou de restructuration du site de VW Forest, propagées notamment par la presse allemande, semblent devoir se concrétiser rapidement. Le Conseil de surveillance de Volkswagen (où est représenté le puissant syndicat allemand IG Metall) est, depuis quelques jours, en réunion pour finaliser le plan de restructuration de VW. Les syndicats belges déclarent qu’ils n’ont pas d’informations concrètes concernant un plan de restructuration de l’entreprise. De son côté, la commune de Forest mobilise dès l’après-midi 300 policiers pour prévenir des débordements éventuels. Une centaine d’entre eux et des auto-pompes sont postés (discrètement) aux abords de l’usine. « Il s’agit d’une mesure purement préventive », souligne Fanny Wellens, porte-parole de la zone de police, « mais nous devons nous tenir prêt ». Pendant la journée, les syndicats appellent les travailleurs à ne pas faire grève. Les syndicats redoutent le changement d’équipe qui doit avoir lieu à 22 heures et qui pourrait être un moment propice à des réactions ouvrières. Les 1 500 ouvriers de l’équipe de l’après-midi (14-22 h) décident d’arrêter le travail vers 20 h. Une centaine de travailleurs de l’équipe de l’après-midi restent devant les portes de l’usine, mais n’empêchent pas les travailleurs de l’équipe de nuit de rentrer dans l’usine. Très vite, dans la soirée, l’équipe de nuit (qui avait commencé le travail) décide à son tour d’arrêter la production (vers 22 h 30 - 23 h). Une partie de l’équipe décide de sortir dans la rue, face à l’entrée principale, sans provoquer d’incidents
Samedi 18 et dimanche 19 novembre 2006
Les ouvriers de l’usine déclarent qu’ils poursuivront la grève jusqu’à ce qu’ils reçoivent des informations concrètes de la part de la direction. Le dimanche, au cours de l’émission « De Zevende Dag » sur la VRT, les présidents des partis flamands font de la surenchère nationaliste sous couvert de reproche de l’« attitude nationaliste » des syndicats allemands et de la direction allemande. Les ouvriers de l’équipe de nuit du dimanche soir (500 ouvriers se sont présentés) maintiennent la pression et décident de continuer la grève suite à l’annonce du report de la réunion du conseil d’entreprise de mardi à mercredi. Vers 21 h, les syndicats ont demandé aux travailleurs de rentrer chez eux et de se présenter à nouveau lors de leur prochain service. Si le calme continue de régner dans l’usine, les travailleurs n’en sont pas moins très énervés par le manque d’informations.
Lundi 20 novembre 2006
L’équipe du matin qui avait refusé de travailler vendredi soir continue la grève. Cette équipe compte entre 1 100 et 1 200 travailleurs qui décident d’arrêter le travail jusqu’à au moins mercredi, date de la réunion du conseil d’entreprise. La grève s’étend à l’Automotive Park. Il s’agit des nouveaux bâtiments situés au sud du site de Forest et qui rassemblent le centre logistique et plusieurs sociétés sous-traitantes de VW . Aucun camion ne peut plus entrer ou sortir du site. Les travailleurs de l’équipe du matin sont pratiquement tous rentrés chez eux à la demande des syndicats. Un piquet de grève d’une dizaine de travailleurs bloque l’entrée principale. En réaction à ce qui se passe à Forest, d’autres sous-traitants ont aussi arrêté le travail, Arvin Meritor à Drogenbos (habillage intérieur des portes), Johnson Control à Geel (sièges) ou encore Alcoa (cadres en aluminium). Les travailleurs de l’équipe de l’après-midi décident à leur tour de continuer la grève. Très peu ont fait le déplacement à l’usine, la plupart appliquant les consignes syndicales. Une délégation syndicale belge s’est par ailleurs rendue en Allemagne afin d’examiner la situation avec le syndicat IG Metall. Les syndicats appellent les travailleurs à ne plus venir à l’usine jusqu’à mercredi 10 h pour participer à une assemblée générale où ils les informeront du résultat de la discussion avec la direction.
Massivement passifs, les ouvriers de Forest allaient se contenter d’attendre que les syndicats négocient en leur nom le montant des indemnités pour ceux qui allaient partir ou les nouvelles conditions d’exploitation pour ceux qui allaient rester. Leur volonté ne s’affirmera que par leur refus d’obtempérer aux appels successifs de la direction à la reprise du travail. Beaucoup de travailleurs vont passer leurs journées à chercher un autre travail ou même à travailler ailleurs en attendant que la situation se décante. Le lendemain le transfert de la production de la Golf de Forest vers les sites allemands de Mosel et Wolfsburg est officiellement annoncé. Le nombre de travailleurs concerné par les licenciements, 4 000 représenterait les 2/3 de l’ensemble des 5 600 travailleurs. Ce qui ne laisserait que 1 500 à 2 000 travailleurs en activité. Cette annonce reprise par les syndicats qui renouvellent leurs appels au calme, et par la classe politique qui dénoncent la fermeture déguisée de l’usine, a pour effet d’assommer les travailleurs. Dans l’après-midi, des délégations syndicales de Ford Genk, de General Motors Anvers et de Volvo Gand expriment leur solidarité, mais affirment qu’ils ne feront rien.
Mercredi 22 novembre 2006
2 000 travailleurs sont présents à l’assemblée générale dont des travailleurs de la sous-traitance, mais aussi des anciens de Renault Vilvorde, des Forges de Clabecq ou encore de la Sabena. Malgré quelques huées, la foule des travailleurs s’est dispersée dans le calme à la fin de l’assemblée générale, peu après 11 heures. Un syndicaliste propose alors de se diriger vers Forest alors que certains travailleurs voulaient forcer la grille de l’usine. L’ambiance est électrique. Finalement, le calme revient et 300 à 400 travailleurs s’engagent dans les rues de Forest pour une marche pacifique. D’autres estiment ce type d’action complètement inutile. Certains participants expliqueront le lendemain que cette marche n’a rien apporté à la lutte et reprochent aux syndicats leur manque d’initiatives. Plusieurs centaines d’ouvriers restent devant les grilles de l’usine. La grève est reconduite pour cette semaine et la semaine prochaine.
Pour s’assurer du calme, la direction s’engage à continuer de payer les salaires (grévistes et non grévistes) jusqu’à vendredi. Une mesure qui sera prolongée jusqu’à fin novembre. Conséquence de l’arrêt de l’usine, les entreprises sous-traitantes vont être mises en chômage technique, ou vont subir des grèves. Johnson Controls, à Geel (fabriquant de siège de voiture) Faurecia (pare-chocs, revêtements intérieurs des toits), Arvin Meritor (fabricant de portes de voitures) Decoma Belplas vont alterner débrayages et arrêts de production. Certaines usines seront même occupées. Les travailleurs obtiendront des primes ou autres indemnités pour les jours non travaillés. A Johnson Controls, par exemple, les ouvriers recevront un complément pour porter leur indemnité de chômage au niveau de leur salaire habituel. Un accord est passé entre les syndicats et la direction de VW pour assurer la sécurité de l’usine avec retour des agents de sécurité (Securitas) au sein de l’usine.
Pour occuper les travailleurs les plus actifs les syndicats vont organiser des visites chez les sous-traitants du groupe, les concessionnaires et les autres sites de construction automobile (Ford, Volvo, Opel, Caterpillar) de Belgique. Ils iront même symboliquement bloquer le TGV. Une irruption un peu sportive au siège de la fédération patronale Agoria aura lieu le 7 décembre alors que les représentants syndicaux étaient reçus par ceux des patrons.
Le samedi 2 décembre a lieu la grande manifestation organisée par les syndicats à Bruxelles. Prudente, la police est venue en force mais reste à l’abri des regards dans les rues adjacentes. Le nombre de manifestants, 20 000, est largement inférieur aux 70 000 venus il y a dix ans à la manifestation organisée contre la fermeture de Renault Vilvoorde. La manifestation frappe par son caractère ouvrier, ce sont bien les travailleurs concernés qui défilent , même si l’ensemble des travailleurs de VW et des entreprises sous-traitantes n’est pas au grand complet (familles comprises). Le sentiment dominant chez les travailleurs n’est pas à l’abattement, mais plutôt à la volonté que le conflit se termine le plus vite possible et surtout d’empocher un maximum d’argent comme prime de départ ou de licenciement. L’ambiance générale étant plutôt bon enfant.
Le 8 décembre les montants des primes sont annoncés. Les travailleurs (ouvriers et employés) qui quitteront l’usine volontairement recevront une prime équivalente à un mois de salaire brut par année d’ancienneté. Ces primes oscillent entre 25 000 et 144 000 euros. A noter, les travailleurs intérimaires sont assurés de recevoir une prime de départ de 25 000 euros mais au total, l’Etat belge devrait empocher quelque 50 % du montant des primes versées aux travailleurs. La direction annonce qu’elle assume ses responsabilités sociales et se déclare prête à payer de nouveau les salaires dès la semaine prochaine si le travail reprend le 18 décembre. Du côté syndical, on attend des garanties sur les volumes de production à venir, les conditions de travail pour ceux qui restent et les prépensions, avant de se prononcer sur le redémarrage. La grève se poursuit. Les propositions de VW ne conviennent pas à l’Etat belge, désireux de maintenir au travail les travailleurs âgés. Les travailleurs de plus de 50 ans pourront bénéficier de la prépension, mais seulement après avoir mis tout en œuvre pendant 6 mois pour retrouver un emploi.
Mais rien ne peut enrayer la fuite de ceux qui peuvent bénéficier de mesures nettement plus élevées que l’ordinaire des plans sociaux. Le 11 décembre, en fin de journée, 700 travailleurs se sont déjà portés candidats au départ volontaire. Le lendemain ils sont plus de 1 000 à midi et 1 680 le soir. Ils seront rapidement 1 900, dont 1 500 assurés de toucher la prime. Les employeurs de la sous-traitance ont immédiatement affirmé qu’ils ne pouvaient pas octroyer les mêmes conditions de départ. Les syndicats demandent que VW interviennent pour ces travailleurs de la sous-traitance. Très vite, les milieux patronaux belges expriment leur crainte que le coût de cette restructuration ne dissuade à l’avenir les entreprises étrangères d’investir en Belgique. Ils ont surtout souligné que le montant des indemnités, trois ou quatre fois plus élevé que la moyenne, ne pourrait constituer un précédent. Après 9 jours où ils n’ont touché que la prime syndicale de 25 euros, la direction rétabli le paiement des salaires afin de hâter la reprise du travail le lundi 18 décembre.
Le lundi 18 décembre, le travail ne reprend pas le matin faute des garanties demandées par les syndicats. Un conseil d’entreprise extraordinaire se tient pour concocter un accord, d’autant que les travailleurs sont de plus en plus énervés et que traditionnellement l’usine ferme entre Noël et le Nouvel An. L’accord achoppe sur les prépensions. Finalement, un accord sera trouvé pour les 915 prépensionnables. VW versera le complément entre l’allocation de chômage et le dernier salaire net mensuel (lequel inclut la prime de fin d’année et les congés payés) pour les ouvriers, et à hauteur de 90 % pour les employés. La firme refusera pourtant une prime de 10 000 euros supplémentaires pour les 915, réclamée par les syndicats. Il n’y aura finalement pas de licenciements secs parmi les ouvriers et très peu chez les employés. Comme prévu l’usine ferme pour les fêtes de fin d’année, les travailleurs seront donc payés jusqu’au 7 janvier. Chez les sous-traitants les négociations sont bien plus difficiles. Début janvier les travailleurs de Faurecia de Gand débraient pendant deux heures à l’appel de leurs camarades de Faurecia Anderlecht. C’est symbolique mais l’usine Volvo de Gand est stoppée pendant 45 minutes. Des travailleurs de Decoma Belplas vont mener une action devant le siège de Magna à Genk. Après quelques remous, la situation va se régulariser par l’adoption de plans sociaux en net retrait par rapport à celui de VW, mais plus avantageux que ce qui était proposé initialement.
Le vendredi 5 janvier 2007 un vote sur la reprise du travail est organisé auquel ne participeront pas les candidats au départ volontaire. Environ cinq cents travailleurs se sont rassemblés devant l’usine. Beaucoup d’entre eux sont venus avec femme et enfants. Les travailleurs font leurs comptes. Un travailleur âgé d’une cinquantaine d’année explique à son collègue : « Moi je m’en moque. J’ai signé pour partir. De toute façon, j’ai calculé, si je continue je perds au moins six cents euros par mois. Ici avec la prime de départ, je paie la maison et la voiture et après je vis au chômage avec neuf cents euros par mois ». Un autre prolétaire explique : « Moi j’ai quarante-huit ans et je ne trouverai pas de travail, je n’ai pas beaucoup de diplôme » Son vis-à-vis lui répond : « Moi, j’ai calculé, on devrait gagner mille deux cents cinquante euros par mois et les primes de nuits, faut pas rêver, ils vont les supprimer. » Quant à l’avenir pour ceux qui restent : « L’ambiance ne sera plus la même. Elle sera lourde. Et pour être payé mille deux cents vingt-cinq euros autant aller voir ailleurs ». Une dame, monte sur un escabeau et annonce la victoire du oui. Certains travailleurs sont furieux et lancent : « C’est cinquante-cinquante. Tous ici lundi devant l’usine et le premier qui tentera de rentrer ça ira mal » La tension monte. La centaine de travailleurs restée devant l’usine n’arrive pas à accepter la victoire du oui. Des travailleurs lancent des injures vers un groupe de journalistes.
Le lundi 8 janvier les portes de l’usine sont rouvertes et les salariés rentrent petit à petit, tout comme à l’Automotive Park. Ceux qui ont signé pour un départ volontaire et ceux qui vont en prépension sont également là pour recevoir les papiers nécessaires et plus d’explications sur les formalités. Aucune voiture ne sera encore produite lundi. Les premiers tests de production sont prévus pour le mercredi et les premiers modèles devraient sortir de la production le jeudi.
Les jours suivants, on assiste au lent redémarrage des chaînes d’assemblage à VW Forest. « C’est le calme. Depuis la reprise du travail, on tourne à 21 voitures de l’heure, alors qu’avant la grève on en faisait 49. Je ne vais pas dire que c’est mieux qu’avant mais pour le moment les cadences sont plutôt faibles et puis on nous fout la paix. Bien sûr, cela ne durera pas... », explique un travailleur. Reste une profonde amertume chez l’ensemble des travailleurs, indépendamment des montants des primes perçues. Amertume et frustration qui se canalisent régulièrement contre les syndicats, mais aussi contre les travailleurs eux mêmes, entre ceux qui reprochent aux autres de n’être pas venus sur les piquets et de n’avoir rien fait pour lutter contre la restructuration. On assistera encore à quelques soubresauts de la part des ouvriers, mais vite résorbés par un contrôle syndical qui n’a cessé d’opérer depuis le début du conflit.
Mercredi 24 janvier, ultime soubresaut, une assemblée de l’équipe du soir à 21 h décide un nouveau débrayage. Les travailleurs qui restent, veulent des informations concrètes et des garanties de la direction sur l’avenir de la production sur le site de Forest. La direction belge menace : cette nouvelle grève pourrait bien lasser les dirigeants allemands... Le gouvernement envoie un conciliateur social pour rétablir la discussion entre syndicats et direction, et pour arriver rapidement à un accord.
Ce sera chose faite le samedi 27 janvier. L’accord précise que les conditions du plan social resteront d’application pour les salariés qui souhaiteraient quitter l’usine pendant la période de transition, en 2007 et 2008. En outre, Volkswagen s’engage à ce que 84 000 voitures soient produites en 2008 et 100 000 Audi dès 2009. Satisfaits de cet accord, les syndicats ont d’ores et déjà appelé les ouvriers à reprendre le travail lundi. Mais il y aura encore des heurts avant que le fleuve ne retourne dans son lit.
Le 12 janvier, c’est au tour des employés de débrayer pour défendre leur sort. Le lendemain, ils acceptent massivement un accord qui donne aux employés licenciés des primes supérieures à celles des volontaires au départ : de 29 000 à 196 000 euros, suivant l’ancienneté. Ils se sentent exclus des négociations qui se poursuivent et peu enthousiastes à l’idée de travailler plus pour moins de salaire,
Le 26 janvier, les ouvriers arrêtent une nouvelle fois l’usine, ils réclament des garanties sur leur avenir. Syndicats et direction accélèrent les tractations et signent le soir même un protocole comprenant le passage de 35 à 38 heures sans augmentation de salaires, une baisse de 20 % des coûts salariaux globaux pour VW qui s’engage en échange à garantir 2 200 postes de travail. L’accord sera soumis à référendum. Le travail reprend mais les chaînes tournent au ralenti. L’après-midi, les trois-quarts (76,1% exactement), soit 1 631 des 2 142 salariés - ouvriers et employés - participant au référendum répondent positivement à la seule question qui leur est posée : « Etes-vous d’accord ou pas d’accord pour poursuivre (l’activité) avec Audi ? »
Le 2 mars, 160 nouveaux volontaires au départ parmi les 501 qui ont voté non, une bonne partie des travailleurs les plus énervés qui voulaient continuer la lutte. Au total, il y a 2 311 volontaires au départ, 37 employés licenciés et il ne reste plus que 2 095 salariés dans l’usine. Les plans de production devront être revus à la baisse et VW prévoit même de réembaucher en 2009. Volkswagen fait durer le plaisir et ce n’est que le 12 mars, après de nouveaux atermoiements, que les syndicats se rendent dans le fief Audi d’Ingolstadt pour entériner le plan et le changement d’identité de l’usine. La catastrophe d’une lutte dure a été évitée et syndicats et direction peuvent trinquer à la santé d’Audi Bruxelles.
Des comptes...
La restructuration de VW Forest coûte près de 350 millions d’euros au groupe Volkswagen. Les quelques 2 311 travailleurs qui ont opté pour la prime de départ reçoivent un montant compris entre 25 000 et 144 000 euros, suivant leur ancienneté, ce qui représente un total d’environ 200 millions d’euros. Cette prime se décompose en trois éléments. Une indemnité de préavis légal, un dédommagement moral et le solde comme prime de départ. Chacun des éléments étant imposé de manière différente, mais au total, l’Etat belge devrait empocher quelque 50 % du montant des primes versées aux travailleurs. Les travailleurs intérimaires (qui en cas de restructuration sont les premiers à être liquidés) reçoivent une prime de 25 000 euros. Certes, le nombre d’intérimaires restant dans l’entreprise n’est plus que d’environ 179, VW ayant liquidé les autres durant les restructurations précédentes. Le gouvernement belge ayant refusé que les prépensions soient octroyées à des travailleurs ayant moins de 50 ans (VW semblait d’accord de recourir à des prépensions à partir de 48 ans), l’accord final est que les 915 prépensionnables à partir de 50 ans recevront environ 100 % de leur dernier salaire net (incluant le pécule de vacances et la prime de fin d’année - bruts) plus une prime d’ancienneté pouvant atteindre 12 mois de salaire net.
Force et faiblesses de la grève
D’un strict point de vue défensif, les grands « vainqueurs » de cette grève sont ceux d’entre les travailleurs qui ont choisi d’empocher la prime de départ et les travailleurs prépensionnés, ainsi que les employés licenciés. Il est un fait que les montants des primes et les conditions des prépensions sont très élevés en en comparaison avec ce qui se pratique dans les autres pays européens. Des ouvriers de 50 ans et plus licenciés ont obtenu un salaire proche de celui qu’ils gagnaient dans l’usine et ce jusqu’à leur retraite.
Néanmoins, la direction allemande de VW avait déjà provisionné 100 000 euros par travailleurs pour les plans sociaux belge et allemand. Ce qui revient à dire que les travailleurs de Forest ont réussi ni plus ni moins à être liquidés aux mêmes conditions que les ouvriers allemands.
Les syndicats sortent presque auréolés des négociations avec la direction. Ils ne sont d’ailleurs pas loin de dire qu’il s’agit d’une grande victoire, alors que près de 3 000 emplois disparaissent sur le site. Le coup de bluff de la direction allemande (4 000 suppressions d’emplois et peut-être la fermeture) vient bien à point pour renforcer leur crédibilité. Les travailleurs qui se sont spontanément mis en grève sur les rumeurs de restructuration et contre l’avis des syndicats ont aussitôt laissé l’initiative à ces derniers. Très vite et massivement, les travailleurs de Forest (ouvriers et employés) sont restés chez eux à attendre des informations des syndicats ou de la presse.
Une autre faiblesse de cette grève est que les travailleurs ne se sont pas battus pour supprimer ou diminuer les taxes que l’Etat va prélever sur les primes. Ce dernier va empocher pratiquement 50 % du montant des primes, soit quelque 150 millions d’euros, et environ 17 % des primes d’ancienneté accordées aux prépensionnés. Les prépensions sont composées d’une partie payée par le chômage et d’une partie ajoutée par VW. La partie chômage est payée via l’ONEM (dont les syndicats sont les gestionnaires) et donc par l’Etat. Pour un travailleur qui est prépensionné à 50 ans, l’Etat va devoir payer un chômage jusqu’à la pension du travailleur (fixée à 65 ans). Ce qui devrait correspondre à au moins la somme perçue par les impôts sur les primes.
Quant aux ouvriers restants, l’accord syndicats-direction en prévoit le maintien de quelques 2 200 à la condition expresse de la réduction de 20 % des coûts de production. L’augmentation du temps de travail de 35 heures à 38 heures sans compensation salariale en représente déjà 7 %. D’autre part, les chèques repas (6 euros par jour) ont été supprimés et, en attendant une probable hausse de la productivité : ceux qui sont restés l’ont fait en connaissance de cause affirment la direction, et doivent être prêt à renoncer à certaines choses. Ils invitent d’ailleurs ceux qui ne sont pas contents à aller s’ajouter à la liste des départs volontaires...
Mais le point le plus noir concerne les travailleurs des sous-traitants. Même si VW est intervenu pour partie dans le versement de primes de départ à ces ouvriers, le montant de ces dernières est loin du niveau de celles élargies aux travailleurs de Forest. Jamais, au cours de cet épisode de la lutte de classe, ne s’est établie une claire unité d’action, d’objectifs et d’organisation entre ces deux secteurs de salariés du site de Forest.
Au total, la primauté donnée par les travailleurs aux solutions individuelles a fortement diminué la portée de l’agitation. Toute tentative initiale de tracer un parcours indépendant et unifié à la lutte a été battue en brèche. Ceci ne doit pourtant pas faire oublier la valeur politique intrinsèque du démarrage en trombe et de façon parfaitement autonome de l’agitation dans l’usine. Les travailleurs de Forest ont ainsi fait la démonstration qu’il était possible de se défendre et même de prendre le patron de vitesse.
Bruxelles-Paris, le 18 mars 2007
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