Trois « grosses » organisations (dont les effectifs dépassent le bon millier de militants, quelle que soit l’acception plus ou moins stricte que l’on donne à ce terme) sont aujourd’hui liées au trotskysme en France : le PT, la LCR et LO. Ces trois organisations ont toutes été fondées par des hommes (et quelques rares femmes) qui militaient avant ou pendant la Seconde Guerre mondiale, ce qui explique beaucoup de choses sur leurs mœurs internes et leurs idéologies. Ces trois organisations ont parfois collaboré ensemble, voire mené des campagnes communes, mais aucune n’a véritablement le projet de fusionner un jour avec l’une de ses concurrentes.
L’OCI a infiltré la LCR et organisé des scissions en son sein. Quant à Lutte ouvrière, elle est restée à l’écart de ses petits jeux organisationnels, préférant que ses militants recrutent des individus qui n’ont jamais été organisés, « vierges politiquement », ou alors des ouvriers staliniens de base, plutôt que d’aller picorer dans le champ de ses voisines trotskystes.
Sans entrer dans l’histoire détaillée du trotskysme, il faut préciser au lecteur que Trotsky fut expulsé du Parti communiste russe en 1927 et d’Union soviétique en 1929. Ses partisans constituèrent, tant bien que mal, une Opposition de gauche internationale au sein de la Troisième Internationale. Après la prise du pouvoir par Hitler en Allemagne, les partisans de Trotsky jugèrent qu’il était devenu illusoire de penser réformer les partis communistes, puisque le plus puissant d’entre eux, le Parti communiste allemand, avait fait le jeu des nazis et même déclaré « Après Hitler, ce sera nous. » C’est ainsi que, après de longs débats, la Quatrième Internationale fut fondée en 1938, en France, par des militants provenant d’une dizaine de pays, pour se préparer à la guerre mondiale qui approchait et relever l’honneur du communisme « trahi » par les staliniens.
Précisons enfin que, durant la Seconde Guerre mondiale, il existait au moins quatre groupes trotskystes dont on retrouvera les militants dans les trois grandes organisations actuelles et dont les dirigeants sont cités dans les entretiens réalisés par Karim Landais :
le Groupe Octobre,
le Comité communiste internationaliste (CCI),
le Parti ouvrier internationaliste (POI)
et l’Union communiste (UC).
Le lecteur désireux d’en apprendre plus sur le trotskysme en France et ailleurs aura du mal à se procurer un ouvrage de qualité en français. Soit ils sont écrits par des journalistes, soit ils sont écrits par des militants ou d’ex-militants qui ont un point de vue partisan et partiel. En attendant qu’un historien sérieux entreprenne cette tâche, il pourra se reporter néanmoins à la bibliographie « condensée » figurant à la fin de ce volume.
Le PT
Le Parti des travailleurs ne se réclame pas officiellement du trotskysme, mais est entièrement contrôlé par les trotskystes regroupés dans le CCI ou Courant communiste internationaliste au sein du Parti. Le PT fait partie d’une « Internationale », l’Entente internationale des travailleurs et des peuples, présente sans doute dans plusieurs pays. Si l’on en croit le site du PT il n’existe d’organisations sœurs que dans quatre pays, la Suisse, l’Espagne, les Etats-Unis et le Brésil. Quant à l’EIT, il est impossible de connaître l’influence de cet embryon d’Internationale, les rédacteurs restant dans un flou artistique total puisqu’ils tiennent à la fiction d’une organisation mondiale qui serait construite sur le modèle de la Première Internationale, regroupant des syndicats et des militants de différentes tendances.
Brève chronologie de l’OCI-PCI-CCI
Mars 1944 : création du Parti communiste internationaliste (PCI) qui rassemble à peu près tous les trotskystes sauf ceux de l’Union communiste, lointain ancêtre de Voix ouvrière, puis de Lutte ouvrière.
1952-1953 : scission du PCI menée entre autres par Marcel Bleibtreu, Michel Lequenne, Pierre Lambert et Marcel Gibelin, qui s’opposent à l’orientation donnée à la Quatrième Internationale notamment par Michel Raptis, alias Pablo, Ernest Mandel et Pierre Frank. Ces derniers, devant la menace d’une troisième guerre mondiale, proposent d’entrer clandestinement dans les partis staliniens pour y pratiquer « l’entrisme sui generis » en vue de préparer une future résistance armée. Dans la plupart des cas, l’entrisme clandestin aboutira à des résultats catastrophiques : démissions, démoralisation, retournements de veste, exclusions quand ce n’est pas assassinats par les staliniens comme cela se produisit au Vietnam. Les scissionnistes (majoritaires en France) créent le Comité International pour la Quatrième Internationale avec le Socialist Workers Party (SWP) de l’Américain James P. Cannon et la SLL (Socialist Labour League) du Britannique Gerry Healy. Pendant quelques années il y aura deux PCI (Parti communiste internationaliste) et même La Vérité !
1955 : Marcel Bleibtreu est « écarté » du PCI tout comme Marcel Danos, Jacques Gibelin. Michel Lequenne rejoint l’autre PCI, celui de Pierre Frank.
1958 : création du bulletin ronéoté Informations ouvrières.
1961 : naissance du Comité de liaison des étudiants révolutionnaires (CLER)
1964 : Informations ouvrières crée un supplément imprimé de 4 pages.
1965 : le PCI de Lambert se transforme en OCI, Organisation communiste internationaliste.
1968 : création de la Fédération des étudiants révolutionnaires (FER).
12 juin 1968 : dissolution de l’OCI ; qui devient l’Organisation trotskyste (l’OT).
1969 : création de l’AJS, Alliance des jeunes pour le socialisme. Les lambertistes créent la tendance EE-FUO (Ecole émancipée pour le Front unique ouvrier) dans la Fédération de l’Education nationale. 4 juillet 1970 : annulation par le Conseil d’Etat du décret de dissolution ; l’OT redevient l’OCI.
1971 : scission de l’UNEF et création, par les lambertistes, de l’UNEF-Unité syndicale.
1973 : Exclusion de Michel Varga dont les partisans créent la LOR, Ligue ouvrière révolutionnaire.
1979 : exclusion de Charles Berg.
1980 : Fondation de l’UNEF-ID (indépendante et démocratique) réunifiant les tendances de l’UNEF.
1980 : L’OCI devient pour quelques mois l’OCI-U (unifiée) car elle fusionne avec des scissionnistes de la LCR emmenés par Daniel Gluckstein, futur secrétaire général du PT.
1981 : exclusion des partisans de Moreno.
Décembre 1981 : l’OCI-U devient le Parti communiste internationaliste (PCI).
1983 : départ des enseignants lambertistes de la FEN vers FO.
1984 : Pierre Lambert présente une nouvelle politique, baptisée la « ligne de la démocratie » qui provoquera de nombreux remous, scissions et départs dans son organisation. Exclusion de Stéphane Just avec une cinquantaine de militants.
30 novembre-1er décembre 1984 : l’OCI « s’élargit » (pour la galerie) et devient le Mouvement pour un Parti des travailleurs (MPPT).
1986 : départ de Jean-Christophe Cambadélis, Benjamin Stora et la plus grande partie du secteur étudiant (environ 400 personnes).
1987 : Exclusion de Luis Favre.
1988 : Pierre Boussel (alias Pierre Lambert) candidat aux présidentielles.
1989 : Exclusion de Pierre Broué.
1991 : Exclusion d’André Langevin, directeur d’Informations ouvrières.
10-11 novembre 1991 : le Mouvement pour un Parti des travailleurs (MPPT) devient le Parti des travailleurs (PT) dont le Courant communiste internationaliste (CCI) rassemble les trotskystes qui contrôlent le Parti. Daniel Gluckstein devient le secrétaire national du PT.
1992 : Exclusion de Pedro Carrasquedo et Alexis Corbière. Mai 1992 : le PCI devient le Courant communiste internationaliste (CCI) à l’intérieur du PT, qui comptera bientôt quatre courants (anarcho-syndicaliste, socialiste, communiste et trotskyste) censés être autonomes et représentatifs de chaque « sensibilité » du mouvement ouvrier.
La LCR
La LCR est liée au Secrétariat unifié de la Quatrième Internationale, organisme qui possède des sections officielles dans une douzaine de pays (Portugal, Catalogne, Allemagne, Suède, Danemark, Belgique, Angleterre, Irlande, Pays-Bas, Grèce, Porto-Rico, Québec) sans compter les pays où les groupes sont entrés dans un Parti plus grand comme le Partito Rifondazione Comunista (Italie) ou le Partido dos trabalhadores (Brésil), ou bien ceux (nombreux) qui ne sont que sympathisants de cette Internationale.
Brève chronologie de la LCR
Mars 1944 : création du Parti communiste internationaliste (PCI) qui rassemble à peu près tous les trotskystes sauf ceux de l’UC, lointain ancêtre de Voix ouvrière, puis de Lutte ouvrière.
1946 : constitution de la tendance Chaulieu-Montal (Cornelius Castoriadis-Claude Lefort qui prendra le nom de Socialisme ou Barbarie et rompra deux ans plus tard.
1952-1953. Suite à la scission de ce que l’on appellera plus tard les « lambertistes », le PCI (Secrétariat international), minoritaire en France se réduit à une peau de chagrin (moins de 50 militants).
1962 : départ de Juan Posadas de la Quatrième Internationale et création du Parti communiste révolutionaire trotskyste par les « posadistes ».
1965 : création et départ de la Tendance Marxiste Révolutionnaire de la Quatrième Internationale par Michel Raptis, alias Pablo.
Janvier 1966 : création de la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR) composée d’exclus du PCF et de l’UEC dont le noyau dirigeant avait fait un travail d’entrisme clandestin au sein des organisations staliniennes. Le prétexte de l’exclusion est le refus de soutenir la candidature de François Mitterrand à l’élection présidentielle.
12 juin 1968 : dissolution du Parti communiste internationaliste (PCI) et de la Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR)
5-8 avril 1969 : la JCR et le PCI se reconstituent et fusionnent dans la Ligue communiste, section française de la Quatrième Internationale
1969 : Alain Krivine candidat aux élections présidentielles recueille 1, 06 % des voix.
23 juin 1973 : dissolution de la Ligue communiste suite à l’attaque d’un meeting organisé par l’extrême droite le 21 juin et qui donne lieu à des affrontements très durs avec les flics qui protègent les fascistes.
10 avril 1974 : La Ligue communiste devient le Front communiste révolutionnaire (FCR)
19-22 décembre 1974 : Le FCR devient la Ligue communiste révolutionnaire (LCR).
1976 : création du Mouvement d’action syndicale auquel adhèrent les étudiants de la LCR et qu’ils contrôlent rapidement.
1979 : liste commune LO-LCR aux européennes
1979 : Exclusion de la Tendance léniniste-trotskyste de Daniel Gluckstein qui fonde la Ligue communiste internationaliste (LCI) puis rejoindra l’OCI-U, le futur PCI, l’année suivante.
1980 : le MAS participe à la création de l’UNEF-ID, réunifiant les branches séparées de l’UNEF.
1981 : Une partie des militants de la LCR du MAS rejoignent le PS
1988 : la LCR soutient Pierre Juquin, stalinien dissident.
1994 : scission des militants de Démocratie et Révolution (Gérard Filoche) qui rejoignent le PS.
1998 : Adhésion de Voix des travailleurs, groupe exclu de Lutte ouvrière en 1995.
1998 : La LCR obtient 3 élus dans les conseils régionaux
1999 : La LCR a deux députés européens (Alain Krivine et Rosely Vachetta)
Au cours des trente dernières années, la LCR a accueilli en son sein les restes plus ou moins symboliques de plusieurs autres groupes : Organisation communiste des travailleurs (maoisante), « Gauche » du PSU et Alliance marxiste révolutionnaire (groupe de Pablo, alias Michel Raptis). Elle a ensuite intégré un groupe issu de Lutte ouvrière (Voix des travailleurs) et finalement Socialisme International et Socialisme par en bas, tendances proches du Socialist Workers Party britannique.
Lutte ouvrière
Lutte ouvrière (alias l’Union communiste trotskyste) possède son propre réseau international : l’Union communiste internationaliste, présente aux Antilles (Martinique et Guadeloupe), à Haïti, en Afrique (sans autre précision officielle), en Grande Bretagne, aux Etats-Unis, en Espagne et en Turquie.
Brève chronologie de Lutte Ouvrière
1939 : Création du Groupe communiste (IVe Internationale), puis de l’Union communiste (trotskyste) par David Korner, alias Barta (1914-1976), militant trotskyste d’origine roumaine qui fut d’abord actif dans son pays natal puis en France.
1944 : selon le récit officiel fourni par LO à ses militants, l’UC ne participe pas à la réunification du mouvement trotskyste qu’elle juge sans principes (selon elle, il n’y a eu aucun bilan sérieux des positions adoptées par chacun des groupes durant la Seconde Guerre mondiale). De plus, elle est convaincue qu’elle pourra montrer le bien-fondé de « sa méthodologie organisationnelle » en investissant toutes ses forces sur une entreprise : Renault.
Fin 1949 : L’Union communiste se démembre après avoir joué un rôle dirigeant dans la grève Renault d’avril 1947. Cette grève commencée dans un seul département s’étendit à toute l’usine ; elle obligea les ministres staliniens à quitter le gouvernement d’union nationale formé avec De Gaulle et aboutit à la création d’un syndicat indépendant, le SDR, Syndicat démocratique Renault. Barta cessa de militer en 1951. Selon l’explication de Lutte ouvrière, la « désertion » de cet intellectuel persuadé que le prolétariat avait « rejeté la greffe révolutionnaire » traumatisa les quelques militants de l’époque, notamment le futur dirigeant de Voix ouvrière (puis Lutte ouvrière) Robert Barcia, alias Hardy. Quoi qu’il en soit de la vérité historique, il est évident que ce groupe se construisit sur une méfiance congénitale doublée d’une peur irrationnelle vis-à-vis de la petite bourgeoisie intellectuelle et de ses trahisons.
1956 : Création de Voix ouvrière, groupe centré autour de la diffusion de bulletins d’entreprise puis d’un journal, qui deviendra hebdomadaire et enfin d’une revue mensuelle (La lutte de classes).
12 juin 1968 : Dissolution de Voix ouvrière (Union communiste). Voix ouvrière se reconstitua immédiatement, mais pas officiellement, d’abord en éditant des bulletins d’entreprise sous des dizaines de noms différents puis en créant dès juillet 1968 un journal (Lutte ouvrière) et enfin en recréant l’Union communiste quelques années plus tard.
1969 : Lutte ouvrière soutient la campagne présidentielle d’Alain Krivine.
1973 : Lutte ouvrière présente pour la première fois « une femme, une travailleuse » (Arlette Laguiller) aux élections présidentielles.
1974-1975. Exclusion d’une centaine de militants, qui considèrent l’URSS et les régimes staliniens (Chine, Cuba, démocraties populaires) comme des capitalismes d’Etat. Les militants de province (Bordeaux, Saint-Nazaire, etc.) créeront Union ouvrière, groupe qui durera deux ans puis se dissoudra. Ceux de Paris créeront Combat communiste qui publiera son mensuel et ses bulletins d’entreprise pendant une quinzaine d’années. Certains d’entre eux reviendront d’ailleurs à LO dans les années 90.
2002 : Lutte ouvrière réalise son plus beau score électoral, 5,2 % des voix.
Y. C.