Pour compléter l’entretien Après la disparition du « bol de riz en fer », restructurations et mutations de classes .
Des mutations sont apparues dans les orientations et le comportement des prolétaires chinois, le tout lié à l’évolution des structures économiques et aux déplacements du capital.
Un rapport officiel du ministère du travail souligne que la région du delta du Yang Tsé Kiang (région centrale de la côte est, autour de Shanghai et ses quinze cités satellites) attire plus que jamais les travailleurs par de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail. Cela serait dû pour une bonne part au développement industriel mettant en œuvre des technologies avancées, moins gourmandes en capital variable. Mais, sans que cela puisse être confirmé en détail, cette amélioration des conditions d’exploitation du travail serait également due, en partie à un militantisme de base, en partie à la nécessité pour ces productions nouvelles d’avoir un minimum d’effectif stable ayant acquis une certaine expérience professionnelle, éventuellement après formation.
Parallèlement, l’augmentation de la production agricole (pour une part due à une augmentation de productivité) et, conséquemment, des revenus agricoles a quelque peu tari la source des quelque 120 millions de migrants, lesquels s’orientent de préférence vers le delta du Yang Tsé.
Un des paradoxes de cette situation est que la seconde génération des fils de paysans ont pu acquérir un certain niveau d’éducation et de formation professionnelle grâce à l’argent qu’envoyaient, depuis les bagnes d’exploitation des zones spéciales, les migrants de la génération précédente.
L’agriculture se transforme, d’une agriculture de subsistance et d’approvisionnement local en une agriculture capitaliste à plus fort rendement, par l’utilisation des techniques agricoles modernes (engrais, pesticides, matériel agricole...).
La conséquence de cette double évolution fait que tout le Sud-Est de la Chine (Canton, Shenzen, Hong Kong, tout le Guangzhou et le Fuzhou), dont la prospérité était basée essentiellement sur la surexploitation du capital variable dans des industries à faible investissement en capital fixe (confection, électronique, jouet, etc.) cesse d’être le pôle d’attraction et se voient délaissé par les migrants. Toute la région connaîtrait un important déficit de main-d’œuvre, un « manque » de 2 millions de prolétaires à exploiter.
Ce qui vient compliquer encore la situation et accentuer cette carence, c’est la possibilité de délocalisation à l’intérieur même de la Chine (pays aussi grand que l’Europe avec des zones intérieures parfois sous-développées).
L’augmentation des salaires dans les régions côtières et le ralentissement des migrations vers le bas de l’échelle de l’exploitation fait que les entreprises à fort taux d’exploitation du travail migrent vers les régions agricoles de l’intérieur, où elles peuvent offrir un revenu de complément tout en maintenant un bas niveau de salaires et de conditions de travail (au prix de participation à la corruption locale pour des conditions d’installation préférentielles).
On peut ajouter à l’attrait de ces délocalisations le développement accéléré en Chine des voies de communication (3 000 km d’autoroutes construites annuellement, extension du réseau ferré dans des régions reculées comme le Sinkiang ou le Tibet).