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McDonald’s, FNAC, Virgin, EuroDisney, Arcade… (1)

lundi 12 janvier 2004

Une expérience parisienne un peu particulière : le collectif de solidarité

McDonald’s

Le 24 octobre 2001, au McDonald’s situé à l’angle des boulevards de Strasbourg et Saint-Denis, en plein centre de Paris, le gérant du restaurant annonce le licenciement de cinq salariés (des "managers") et, parallèlement, porte plainte contre X pour vol : 150.000 euros auraient disparu de la caisse. Comme par hasard, les licenciés étaient en train de mettre sur pied une section syndicale et avaient l’intention de se présenter aux élections professionnelles. Le même jour, les salariés du restaurant répondent en se mettant en grève. Le restaurant cesse ainsi toute activité .

En France, l’entreprise McDonald’s est en forte croissance : fin 2001, elle compte plus de 900 restaurants en fonctionnement ; en 2000, elle emploie déjà 35.000 salariés et accueille quotidiennement 1.400 clients, pour un chiffre d’affaires de 17,5 millions d’euros. Le système dominant est celui de la franchise, qui permet à McDo, par le biais d’un contrat de quasi-exclusivité, de contrôler la marque, les prix, les fournitures, la qualité et de récupérer un pourcentage des bénéfices variant de 12 à 25 %, les investissements restant à la charge du gérant. Par ce moyen, McDo se décharge de tous les coûts de gestion et surtout du risque de conflit avec les salariés.

Le système est par ailleurs conçu de telle manière qu’il est difficile que des conflits puissent s’y développer. Ne sont embauchés pratiquement que des salariés jeunes, à temps partiel (87 heures pour 485 euros net par mois) et plus rarement à temps plein (790 euros), pour des restaurants ouverts sept jours sur sept ; un "swing manager" (un chef d’équipe, de fait) gagne entre 850 et 990 euros pour un temps plein, jusqu’à devenir "manager" à 1200-1300 euros par mois. Pas de 13e mois, bien sûr. Le turn-over est important, les rythmes et la flexibilité de fait des horaires interdisant à ceux qui suivent des cours de mener de front travail et études pendant plus de quelques mois - la majorité d’entre eux finissent par quitter le travail pour poursuivre leurs études, mais, vu le taux de chômage élevé, ceux qui font l’inverse et choisissent de grimper dans la hiérarchie de l’entreprise pour obtenir un salaire qui leur permette de vivre se font de plus en plus nombreux. Le recrutement épouse en général les caractéristiques "ethniques" du quartier et les équipes jouissent d’une grande cohésion interne : on sort ensemble, les rapports sont faits à la fois d’amitié et de paternalisme, les emmerdeurs sont en général poussés vers la sortie avant même qu’ils ne créent des problèmes. La cohésion est un facteur important de la haute productivité exigée. Bref, c’est un système où l’organisation syndicale est perçue comme dérangeante et où les luttes se comptent sur les doigts de la main .

Mais, dans notre cas, le sentiment de l’injustice subie vient renverser ce qui faisait précisément la force du patron, en la transformant en facteur déclenchant de la lutte. Les salariés sont des copains, ils se connaissent bien et savent que les accusations formulées sont des prétextes. Tous ou presque s’engagent dès la première minute dans une lutte qui durera 115 jours.

On ne peut comprendre comment la lutte a pu rompre l’isolement dont souffrent généralement celles de ce secteur peu syndicalisé si l’on ne tient pas compte de l’existence à ce moment précis de militants plutôt jeunes mais déjà aguerris. Le collectif de solidarité se constitue quand il existe déjà un petit réseau militant : le collectif CGT de la restauration rapide, né dans les luttes de l’année précédente, le réseau Stop Précarité et surtout un certain nombre de contacts informels, passant plus par le canal de l’amitié et des fréquentations communes que du militantisme au sein d’un même groupe politique, syndical ou associatif.

Quand il s’agit d’engager des énergies dans des secteurs ingrats comme celui de la restauration rapide - entreprises aux méthodes expéditives, qui détestent toute forme d’organisation des salariés, où la précarité, le turn-over encouragé et les bas salaires sont la règle, rendant la perspective d’une syndicalisation durable avec des cotisations substantielles très aléatoire - on sait que les syndicats dits "représentatifs" n’ont guère tendance à se précipiter. D’ailleurs, même quand les salariés entrent en lutte tout seuls et vont frapper à leur porte pour obtenir un soutien et une couverture, ils doivent la plupart du temps composer avec l’attitude distante et polie des responsables qui en clair signifie : mais qu’irions-nous faire dans cette galère ? Attitude qui explique la présence dominante dans ce secteur de délégués syndicaux à la botte du patron, élus (quand ils le sont) dans des conditions plus que discutables.

Au McDo de Strasbourg-St-Denis, les relations de travail étaient plus ou moins les mêmes que dans le reste du secteur : formes de surexploitation (temps partiel payé sur la base du SMIC, horaires flexibles permettant une intensité maximale du travail en permanence, conditions de travail souvent dangereuses), mais avec un potentiel de révolte émoussé par l’esprit d’équipe ("si tu traînes, ce sont tes copains qui en font les frais") et des rapports quasi familiaux entre salariés et responsables, favorisant l’arrangement individuel et rendant difficile la prise de distance psychologique nécessaire au salarié pour défendre ses intérêts. Malgré cela, le miracle s’est produit "grâce" à l’arrogance d’un nouveau gérant : en prenant prétexte d’un trou dans la caisse pour licencier cinq "managers" (des chefs d’équipe au fond, considérés un peu comme des grands frères) trop encombrants, il a provoqué la révolte des salariés, déclenchant une grève de l’ensemble du personnel pour la réintégration de tous sans conditions. Comment, en d’autres termes, le sentiment d’injustice peut faire échec aux stratégies patronales les plus éprouvées.

Démarre alors un processus de syndicalisation. Les grévistes vont sonner à différentes portes pour obtenir une couverture et un soutien syndical, et finissent par trouver une oreille attentive à la fédération du commerce CGT . Une section syndicale CGT est constituée et, grâce à certains militants CGT décidés et convaincus de l’importance symbolique de cette grève (eux-mêmes assez peu soutenus par l’appareil), elle trouve un relais. Trois ou quatre semaines après le début de la grève, un collectif de solidarité prend forme. Dans son noyau dur se retrouvent des militants de tendances diverses, dont une forte composante libertaire, mais aussi des membres de la CGT d’autres entreprises du commerce engagés dans les luttes en cours.

Le débat et les initiatives du collectif de solidarité (la traditionnelle longue liste d’organisations qui le composent ne doit pas induire en erreur : dans la pratique, c’est toujours un noyau relativement réduit de militants décidés qui font les choses) contribuent à garantir la continuité, à élargir et populariser la lutte. Parmi ces initiatives, la série d’occupations et de blocages de différents McDo parisiens organisés de samedi en samedi revêt une importance particulière. Ces actions hebdomadaires ont permis de mettre en lumière les tensions spécifiques à d’autres restaurants de la chaîne, tout en les associant à un objectif commun : le retrait des licenciements à Strasbourg-Saint-Denis. Pour les salariés des McDo de Saint-Germain, Rivoli, Bonne-Nouvelle, Opéra, Champs-Elysées… qui se sont mis en grève à leur tour, même plus épisodiquement, elles ont été l’occasion de commencer à se parler, à se connaître, à lutter ensemble. Un élargissement au-delà de l’enseigne McDo a même semblé possible quand une grève d’une semaine s’est déclenchée dans le restaurant Quick du boulevard Barbès, que le collectif de solidarité a bien évidemment soutenue.

Mais ces occupations ont permis aussi de faire connaître la lutte et ses raisons aux clients, à la population et aux médias, qui dans l’ensemble ont fait preuve de beaucoup de sympathie et de compréhension. Des tracts en anglais, allemand, espagnol, portugais, italien, arabe et russe ont contribué à expliquer les raisons de la grève aux immigrés et aux touristes. Evidemment il n’a pas manqué de frictions et d’altercations avec des clients agressifs, mais dans l’ensemble les gens avaient tendance à encourager les grévistes. L’idée qu’il fallait faire des choses à la hauteur de nos forces était un des points cardinaux des actions et plus d’une fois c’est la fantaisie et le jeu qui nous ont permis de nous sortir adroitement de situations qui auraient pu devenir pesantes. Les tracts en langue étrangère ont été précieux pour désamorcer l’agressivité de clients - perceptible surtout dans les lieux les plus touristiques et chers - dont nous ne parlions pas la langue : avec les Russes, qui, ne comprenant pas que l’on puisse se mettre en grève, prenaient ça quasiment comme une offense personnelle ; avec les Américains, qui n’acceptaient de ne pas forcer les piquets qu’après une longue explication ou la lecture du tract ; avec les jeunes Beurs, que le texte en arabe surprenait et amadouait singulièrement, comme si l’on reconnaissait par là leur existence.

Le soutien actif de certaines structures de la CGT, mais aussi le produit des collectes - faites au cours des blocages du samedi, sur les marchés, au cours des diffusions de tracts, voire sur les lieux de travail et, plus tard, une fois la campagne électorale engagée, à l’entrée de certains meetings politiques - ont permis de récolter de quoi assurer aux grévistes un apport de 150 à 250 euros chacun (avec majoration pour les chargés de famille) en décembre, et quasiment le double à partir de janvier. Ce qui représentait une belle bouteille d’oxygène pour des personnes vivant déjà en temps normal avec des bas salaires. L’approche des élections a bien sûr fourni certaines bonnes occasions de populariser la lutte : si les groupes trotskistes étaient contents d’afficher leur soutien, le PCF n’a pas perdu une occasion de se montrer ; Robert Hue, José Bové, Noël Mamère, suivis chacun de son cortège de caméras, ont fait acte de présence devant le restaurant en grève, et plus tard aussi devant d’autres magasins en lutte.

Dans le collectif de solidarité se sont retrouvées autour de la même table pour soutenir la lutte des personnes qui en général se détestent cordialement et n’ont guère l’habitude de faire des choses ensemble : la CGT en premier lieu, mais aussi SUD et certains militants de la CNT (laquelle n’a fait son apparition qu’au bout de quelques mois ), des membres de groupes trotskistes, des libertaires de toute tendance, des membres de collectifs indépendants et des "électrons libres", jusqu’à, à un bout du spectre, les jeunes chevènementistes et, à l’autre bout, la coordination des sans-papiers, tous ont apporté leur soutien à la lutte. En province, les actions de solidarité se sont multipliées dans différentes villes, mais nous avons eu aussi écho d’actions menées à l’étranger (Allemagne, Angleterre, Grèce). Plusieurs journaux militants de divers pays européens ont publié des informations et des analyses sur la lutte, et les grands médias eux-mêmes (jusqu’à CNN, au moment où la grève s’est propagée à l’avenue des Champs-Elysées, dans le plus grand McDo d’Europe) ont fait preuve de curiosité.

La question de l’information a bien sûr été cruciale. Information interne d’abord, permettant au collectif de se structurer et de se garantir une continuité : assurer avec constance la circulation des comptes rendus de réunion, des rendez-vous et des questions qui de temps à autre se posaient s’est avéré indispensable. Sans cela, nous n’aurions probablement pas eu de collectif dans les termes où nous l’avons connu. Aucun secrétariat formel n’a été institué, mais cette fonction a été assumée essentiellement par un camarade au départ, relayé ensuite par d’autres, avant de passer d’une main à l’autre. Cette circulation des comptes rendus - essentiellement par e-mail, mais aussi sous forme de photocopies pour ceux qui n’avaient pas d’accès Internet - a permis à tous les camarades de rester en contact, de ne pas perdre le fil des discussions et des activités communes : pas de démocratie formelle, donc, mais une attention à un problème réel. L’absence de polémiques sur le contenu de l’information mise en circulation n’était pas artificielle : c’était le reflet de l’activité du collectif, au sein duquel les différences d’opinion n’étaient pas exclues, mais étaient centrées sur la poursuite et le développement de la lutte, et non pas sur la vision du monde de ses membres. Information de type interne-externe, ensuite : comptes rendus et tracts ont circulé, par voie d’e-mail essentiellement, bien au-delà du cercle des camarades qui fréquentaient le collectif, créant dans un vaste milieu de gens politisés un climat favorable à certaines initiatives plus larges. Ce type d’initiatives explique en bonne partie le succès des manifestations et des fêtes de soutien.

Information externe, enfin. C’est l’une des principales tâches auxquelles s’est consacré le collectif, à travers la distribution en quantité industrielle de tracts - ceux produits par les grévistes eux-mêmes ou les sections syndicales qui les soutenaient d’abord ; ceux du collectif ensuite, qui, plus qu’à faire de l’agitation, visaient surtout à informer les gens avec qui un contact s’établissait, mais qui finissaient par un appel à la solidarité, un appel à la responsabilisation du lecteur. En général, ils ont été bien accueillis et ont souvent eu un résultat concret dans les collectes . Les affiches du collectif, abondamment illustrées, détournant souvent les publicités des entreprises où l’action prenait place ou annonçant les fêtes de soutien, rendaient les occupations visibles de loin.

Le rapport avec les médias, enfin. Si certains camarades plus jeunes avaient parfois tendance à "vite rentrer à la maison pour se voir à la télé", le mélange de jeunes et moins jeunes a produit une forme d’intelligence politique collective que, schématiquement, nous pourrions résumer ainsi : nous savons que les médias sont comme les banques, elles ne prêtent qu’à ceux qui ne sont pas dans le besoin ; il faut donc nous montrer capables d’assurer nous-mêmes une information de base, et à cette base ajouter les rapports avec la presse et la télévision . Certaines actions spectaculaires peuvent être utiles dans certains cas, mais en abuser nous rend dépendants des médias. Quand ça s’est avéré possible, nous avons "choisi" le contact avec un(e) journaliste précis(e) s’étant montré(e) sensible à ce que nous faisions ; quand c’était le journal qui l’envoyait, nous n’avons pas hésité à critiquer les positions défendues par le journal sur ce conflit, mais sans nous fermer. Bref, peu d’idéologie, beaucoup de pragmatisme et d’attention à ne pas nous faire utiliser. Le résultat d’ensemble porterait à croire que cette recherche d’équilibre n’a pas été infructueuse.

Quelle a été l’attitude du gérant (et de la direction de McDonald’s France, qui n’était officiellement qu’observatrice, mais qui dans les faits dictait la musique) ? Au départ, certains salariés ont reçu des menaces ; puis, parallèlement aux négociations en cours avec les représentants syndicaux, il y a eu quelques tentatives de corruption individuelle. Les modalités des "négociations" qui formellement se poursuivaient, e où le mépris des dirigeants pour ce groupe de jeunes qui osait défier une multinationale transparaissait clairement, ont mis en évidence l’absence d’une culture de gestion des conflits chez McDo. Ils ont en effet proposé de réembaucher (sans prendre en compte l’ancienneté) les licenciés - admettant ainsi implicitement l’inconsistance de leurs accusations - mais ont pendant longtemps opposé un refus à la revendication principale des grévistes : la réintégration de tous les licenciés, dans le plein respect de leurs droits.

Entre-temps l’inspection du travail a annulé le premier licenciement et, une semaine plus tard, les prud’hommes en ont fait autant pour deux salariés qui avaient fait recours à eux, condamnant le patron à payer 153 euros par jour en cas de non-application. L’action menée sur le plan juridique a alimenté la discussion du collectif et des grévistes pendant toute la durée du conflit et fourni des éléments pour répondre coup pour coup aux initiatives de l’adversaire. Il n’a par ailleurs pas manqué d’initiatives venues d’en bas, de pressions exercées par divers groupes politiques de gauche sur le gouvernement, sur le ministère du Travail, sur l’inspection du travail afin qu’ils interviennent en tant que médiateurs. Tout cela, bien qu’étant resté sans autre effet pratique que la poursuite formelle des négociations, a accentué la pression sur la maison mère. Celle-ci avait en effet décidé de laisser pourrir le conflit, pariant, à tort, sur la fatigue des grévistes et sur l’effritement du soutien. On peut parier qu’ils se mordent encore les doigts d’avoir ainsi non seulement permis à différents groupes de salariés de se former directement dans la lutte, mais aussi d’avoir provoqué une baisse, modeste mais constante, du chiffre d’affaires et surtout de s’être fait une image d’exploiteurs de la jeunesse, largement véhiculée par les médias.

Le 15 février, après 115 jours de grève, le gérant du restaurant a accepté la majeure partie des revendications des grévistes, à savoir :

- l’annulation des licenciements et la réintégration des cinq licenciés, sans perte d’ancienneté et en maintenant leur qualification ;

- le paiement des jours de grève à 33 % plus une indemnité de fin de grève de 380 euros, ce qui porte le paiement des jours de grève à environ 45 % ;

- le paiement intégral des salaires pendant toute la durée des travaux de restructuration prévus dans le restaurant (travaux que les grévistes avaient réussi à bloquer) ;

- l’engagement à ne pas exercer de représailles contre les grévistes. Parmi les revendications non satisfaites, il y avait l’éloignement du gérant. Qui s’inscrira dans les faits quelques semaines après la reprise du travail...

G. Soriano (à suivre...)

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