[Les thèses suivantes ont été adoptées par la Communist League en janvier 2006. Les intertitres et les notes explicatives ont été ajoutés par nos soins pour les lecteurs qui ne sont pas familiers avec l’histoire des Etats-Unis et certains événements de l’histoire religieuse. Bien sûr, les notes n’engagent pas la Communist League. Seule la dernière thèse de de ce document a été supprimée dans la version française, car elle concernait de façon trop spécifique l’activité de ce groupe politique aux Etats-Unis. (Ni patrie ni frontières)]
1. Le fondamentalisme religieux est, incontestablement, l’un des courants politiques et sociaux majeurs dans le capitalisme d’aujourd’hui. Dans le monde chrétien, l’Etat juif d’Israël ou l’Orient musulman, les doctrines fondamentalistes qui font appel aux émotions de base (1) et à l’arriération sociale prévalant dans les sociétés de classe sont devenues des mouvements de masse. Ceux-ci enrôlent des millions de partisans dévoués, y compris de nombreuses personnes prêtes à sacrifier leur vie au nom de leur Dieu.
2. Le fondamentalisme religieux a toujours été l’une des caractéristiques des sociétés de classe, y compris de la société capitaliste. Le christianisme et l’islam, deux des plus importantes doctrines religieuses aujourd’hui dans le monde, ont commencé comme des fondamentalismes sui generis - correspondant à une époque et des conditions historiques spécifiques. Cependant, au fur et à mesure que ces deux religions devenaient des instruments officiels pour gouverner et contrôler les sociétés féodales, des tendances fondamentalistes dissidentes ont commencé à apparaître et à attirer des partisans
Les premiers mouvements fondamentalistes dans le monde chrétien...
3. Les premiers mouvements fondamentalistes dans le monde chrétien sont apparus peu après la romanisation et la reconnaissance officielle du christianisme par l’empereur Constantin au IVe siècle. Dans les steppes et les zones désertiques de la Méditerranée orientale, de petits groupes de fanatiques et d’« élèves du Christ » se sont mis à prêcher une doctrine prônant la solitude et le rejet de la société romaine. Alors que cette société commençait à se fissurer et à se désintégrer sous le poids du déclin du système esclavagiste (tout d’abord sous la forme du schisme entre les chrétiens catholiques et orthodoxes, puis sous le poids des défaites militaires de l’Empire contre les Goths et les Vandales), ces prêtres laïques auto-désignés et ces « élèves du Christ » fondèrent les premiers et les plus anciens ordres monastiques existant encore aujourd’hui. Au début du VIe siècle après Jésus-Christ la « foi » dans l’ordre catholique établi, déjà entamée par la division qui se produisit après le concile de Nicée (2), s’était considérablement érodée ; de nombreux Romains considéraient la religion chrétienne officielle comme très éloignée du communisme (3) simpliste, primitif, prôné par Yeshoua (Jésus) dans les testaments écrits par ses « apôtres ». Le développement des ordres monastiques risquait de remettre en cause le contrôle de l’Eglise (et donc de la domination romaine) dans de nombreuses zones de l’Empire romain en crise. Face à ces défis, la réaction de Rome fut de reconnaître ces ordres et de légitimer ces sous-tendances du christianisme. Les capucins, franciscains (4), etc., plongent leurs racines dans la cooptation et l’institutionnalisation de ces mouvements par la hiérarchie ecclésiale officielle.
...et en terre d’Islam
4. Des mouvements similaires ont pu être observés dans l’islam au Xe et au XIe siècles après Jésus-Christ. La première et la deuxième croisades (5), malgré les succès militaires de Sala ad-Din (Saladin) [6] et de ses armées basées à al-Qods (Jérusalem) menaçaient de saper l’âge d’or de l’islam. A l’époque, l’empire construit par Mahomet, le califat, s’étendait de Gibraltar au Gange - exploit qui, jusqu’alors, n’avait été réalisé que par Alexandre le Grand. De nombreux progrès scientifiques et culturels dus aux Egyptiens et aux Grecs, y compris les grandes bibliothèques construites par Alexandre, étaient exploitées par les lettrés musulmans qui n’étaient pas soumis aux mêmes contraintes que leurs collègues chrétiens qui subissaient la période la plus obscurantiste du Moyen Age. Mais ces progrès culturels et souvent sociaux ne constituèrent qu’un rempart partiel contre la domination militaire que cherchaient à imposer les envahisseurs chrétiens ; ils ne purent freiner le développement économique et la rupture avec les rapports sociaux féodaux qui avait commencé à se produire dans les villes plus « éclairées » de Salamanque, Alexandrie, Tombouctou, etc. De nombreuses petites sectes de l’Islam commencèrent donc à se développer dans tout le califat. Beaucoup d’entre elles n’eurent qu’une brève existence, dont l’essor et la chute coïncidèrent souvent avec des victoires et des défaites militaires. Cependant, en Perse, en Inde, en Afrique du Nord et dans l’Espagne mauresque, un sous-courant fondamentaliste de l’islam, créé du vivant de Mahomet, attira les descendants des convertis perses, indiens et pashtounes et acquit une influence de masse. Pendant un moment, cette secte, les soufis (7), menaça de saper la défense de la Palestine et de l’Espagne mauresque contre les armées chrétiennes en rejetant le progrès social. En fin de compte, cependant, les soufis, et même les courants qui se développèrent à partir du soufisme au cours du deuxième millénaire, furent reconnus comme musulmans par la communauté islamique, même si cela ne se produisit pas à temps pour conserver les zones de l’Europe qui se trouvaient sous le contrôle du califat.
Une dynamique commune
5. Dans les deux cas précités, on décèle une dynamique commune qui éclaire l’interrelation entre les doctrines religieuses officielles et le fondamentalisme : les courants fondamentalistes émergent et se développent comme des conceptions du monde alternatives dans les périodes de crise et de déclin sociaux, mais sont cooptées, partiellement ou totalement, par l’ordre établi afin de maintenir la domination politique et sociale (culturelle). L’essor des ordres monastiques (dans le monde chrétien) et du soufisme (dans le monde musulman) se sont produits à une époque où le vieil ordre social déclinait et laissait place à de nouvelles formes sociales et à de nouveaux rapports sociaux - la période de transition entre la société esclavagiste et la société féodale dans le monde chrétien ; la transition entre le féodalisme asiatique et la petite production marchande (aux mains, à la fois, des croisés chrétiens et des villes « éclairées ») dans le monde musulman. En ce sens, la croissance et le développement du fondamentalisme religieux peuvent être considérés comme un indicateur du déclin des rapports sociaux au cours d’une longue période historique.
Le rôle du fondamentalisme dans l’histoire des Etats-Unis
6. On peut dire, sans exagération, que l’histoire des Etats-Unis d’Amérique, aujourd’hui la première puissance impérialiste à l’échelle mondiale, est intégralement liée à l’histoire et au développement du fondamentalisme religieux (particulièrement du fondamentalisme chrétien, mais aussi de tous les fondamentalismes religieux en général) au cours des quatre derniers siècles.
7. Les premières colonies anglophones d’Amérique du Nord furent fondées par des fondamentalistes religieux qui fuyaient les persécutions déclenchées contre eux par la religion d’Etat en Angleterre, elle-même une dissidence nationaliste de l’Eglise catholique officielle. Ces fondamentalistes cherchèrent à créer de petites communautés dans le « Nouveau Monde » en s’inspirant de leur perspective religieuse, mais ils furent rapidement obligés de remodeler leurs doctrines pour affronter les réalités d’une société qui connaissait un développement embryonnaire, mais croissant. Par exemple, après environ un siècle de puritanisme rigide - fondamentalisme importé par leurs ancêtres anglais -, les colons de la Nouvelle-Angleterre se tournèrent vers les idées des Lumières et le rationalisme. Une évolution similaire se produisit chez les colons néerlandais à New York et en Pennsylvanie, et les propriétaires d’esclaves et les planteurs, classe qui croissait en Virginie, en Caroline du Nord et en Caroline du Sud. Ces changements dans la conscience des premiers résidents européens d’Amérique du Nord donnèrent naissance à leur tour à une nouvelle contradiction : l’essor d’une république démocratique-bourgeoise, fondée sur une société profondément religieuse, mais respectant le principe de la séparation entre l’Eglise et l’Etat.
8. Les dirigeants de la Première Révolution américaine et de la Première République américaine (1789-1861) étaient à la fois profondément religieux et farouchement laïques dans leurs conceptions de l’exercice du pouvoir. En effet, parmi les premiers présidents des Etats-Unis, plusieurs d’entre eux, y compris George Washington (8), appartenaient à la franc-maçonnerie, organisation supra-religieuse se réclamant des Templiers et des croisades. Cependant, ce fut aussi le même Washington qui proclama, sous les applaudissements de tous, que les Etats-Unis « n’étaient pas fondés sur la religion chrétienne ». Jusqu’à l’essor des démocrates jacksoniens (9) dans les années 1820, cette conception - religieuse et laïque à la fois - ne fut pas remise en cause dans les cercles dirigeants des jeunes Etats-Unis.
9. Dans les années 1840, la Première République entra dans une période de crise politique et sociale. Le compromis social conclu entre le Nord industriel-capitaliste et le Sud agricole-esclavagiste à l’époque de la fondation de la République commença à désagréger toute la société. En 1820, le « compromis du Missouri » (10), conçu pour apporter un nouveau souffle à ce compromis, ne fit qu’exacerber les tensions, en particulier sous la pression des jacksoniens populistes. La guerre du Mexique (11) visait à coloniser de nouveaux territoires qui auraient pu contribuer à préserver le « compromis » passé une génération auparavant (y compris l’annexion du Texas (11) et son admission dans l’Union en tant qu’Etat esclavagiste). Mais cette guerre ne contribua absolument pas à stopper la décadence de la vieille république. Au contraire, elle accéléra son déclin, parce qu’il devint de plus en plus clair que ces conquêtes (à l’ouest et au sud-ouest des futurs Etats-Unis) étaient menées pour le bénéfice de la petite classe des propriétaires d’esclaves et des trafiquants d’esclaves - et non pour « le bien de tout le pays ».
10. L’aggravation des tensions sociales se combina avec des crises économiques périodiques pendant les deux dernières décennies du XIXe siècle. Cette situation ouvrit la voie à une nouvelle vague de fondamentalisme religieux qui toucha la république américaine. Ce mouvement, connu sous le nom de Grand Réveil (12), marque le début du fondamentalisme religieux, tel que nous le connaissons aujourd’hui. Le mouvement du Grand Réveil, comme pratiquement tous les mouvements fondamentalistes de l’ère capitaliste, avait une dimension à la fois spirituelle et politique, et pontifiait sur les affaires religieuses comme sur les affaires publiques. A l’époque, pour ceux qui étaient impliqués dans ce mouvement, la question politique la plus urgente était... celle de l’esclavage. En réalité, le Grand Réveil représenta un pôle social d’attraction pour les « bons chrétiens » qui étaient moralement opposés à l’esclavage. De ce mouvement religieux et social émergèrent une série de mouvements politiques bourgeois et petits-bourgeois, y compris les Free Soilers (13), les Know-Nothings (14) (appelés ainsi parce qu’ils répondaient à ceux qui leur posaient des questions sur leur organisation : « Je ne sais rien ») et les Eyes Awake (15). Dans les années 1850, ces mouvements politico-socio-religieux disparates convergèrent dans un seul mouvement politique : le Parti républicain.
11. Le Parti républicain, en opposition à son homologue historique, le Parti démocrate (16), est né comme un mouvement politique dans une période de déclin social. En tant que tel, il représentait aussi un mouvement qui allait accompagner la transition d’un système social (ou politique) à un autre. Dans une certaine mesure, à l’intérieur des paramètres posés par l’essor et le déclin de la société capitaliste existante, il joue encore actuellement ce rôle central. Nous pouvons donc nous attendre à ce que, dans une période d’aiguisement des luttes de classe, le Parti républicain serve d’avant-garde politique à la bourgeoisie et à ses alliés petits-bourgeois.
12. La période qui s’ouvre avec le commencement du Grand Réveil et qui se termine par la Grande Trahison de 1877 (que les historiens « officiels » appellent le Grand Compromis [17]) fut une période très courte et instructive de déclin, de transition et de reconstruction qui montre aussi le rôle du fondamentalisme religieux et ses relations avec une société de classe. On peut diviser cette période de l’histoire américaine en trois phases clairement distinctes : crise et déclin (1843-1861), crise et transition (1861-1865), et reconstruction et essor (1866-1877). Ces phases correspondent grosso modo à celle que les historiens classiques américains appellent la Crise de la Sécession, la Guerre de Sécession et la Reconstruction (18). Ce n’est pas un hasard. Ces trois grands événements de l’histoire américaine représentent un phénomène historique à propos duquel on dispose de nombreux documents et qui dévoile, en microcosme, ce qui ne s’est passé jusqu’ici que rarement dans l’histoire mondiale - et généralement sans la présence d’une multitude de chroniqueurs disposant des moyens et de l’audience de ceux qui vécurent au XIXe siècle.
13. La période de crise et de déclin, à la fois dans le Nord et dans le Sud, représentait, à la base, une crise des modes de production qui prédominaient aux Etats-Unis depuis leur création. Au Nord, la révolution industrielle était dans sa phase la plus florissante. La fabrication à la main fut rapidement remplacée, dans pratiquement tous les secteurs de l’économie, par la fabrication avec des machines. Le vieux métier à tisser fut remplacé par l’énorme machine à tisser ; la fabrication du métal, même si elle n’était pas encore à son apogée remplaçait déjà le travail qualifié du forgeron ; la scie hydraulique commençait à s’imposer à la fois dans l’industrie du bois et le bâtiment. Dans les transports, la voile était remplacée par le moteur à vapeur, et le chemin de fer livrait des marchandises à l’intérieur du pays, dix fois plus vite que si elles avaient voyagé par bateau ou par péniche. Dans le Sud, les conséquences indirectes de la révolution industrielle bouleversèrent toute l’économie. Au début du XIXe siècle, le développement de l’égreneuse de coton permit à l’industrie de ces Etats de devenir très dynamique. Dans les années 1850, cependant, une contradiction fondamentale commença à déchirer la société sudiste. D’un côté, la possession et l’entretien d’esclaves étaient devenus une entrave au développement du capitalisme agricole qui était le moteur de l’économie du Sud ; le travail salarié, tel qu’il était pratiqué dans le Nord et partiellement dans les Etats de la frontière (19) et dans les principales villes du Sud, s’avérait un moyen plus efficace et plus économique d’accumuler des profits. D’un autre côté, pour les Etats du Sud situés le long de la côte Atlantique, comme la Caroline du Sud, le commerce d’esclaves était tellement lucratif que l’achat et la vente d’êtres humains étaient devenus l’industrie principale - en Caroline du Sud, le trafic d’esclaves était une activité économique plus importante que le coton et le tabac dans les années précédant la Guerre de Sécession.
14. Les différentes formes prises par la période de crise et de déclin, au Nord et au Sud, eurent de profondes conséquences sur l’évolution du fondamentalisme religieux dans chaque région. En réalité, le Grand Réveil, évoqué précédemment, eut sa contrepartie dans le Sud. Ce fondamentalisme religieux chercha à utiliser la religion chrétienne comme une justification historique et spirituelle pour le maintien et l’expansion du système esclavagiste. Ce fondamentalisme trouva un allié dans le mouvement favorable à la sécession qui grandissait dans les Etats du Sud profond. Le fanatisme spirituel se découvrit des affinités avec le régionalisme enragé (et l’appel délibéré aux couches les plus arriérées de la société) qui sous-tendait ces mouvements, et dont de nombreux éléments finirent par rejoindre le Parti démocrate, organisation particulièrement hétérogène. La devise latine Deo Vindice (littéralement « Avec Dieu notre champion », ou « Dieu nous vengera ») devint le cri de ralliement de ce mouvement religieux et politique unifié ; un certain nombre de députés et de sénateurs du Sud dirigèrent ce nouveau mouvement religieux et politique, y compris le futur président des Etats confédérés d’Amérique, le sénateur démocrate du Mississippi : Jefferson Davis (20).
15. Cette période de crise et de déclin représenta elle-même une période de transition, car lorsque cette période historique se termina, tous les acteurs de premier et de second rang de la période suivante, celle de la crise et de la transition, étaient en place. Pour l’essentiel, la période de crise et de transition correspond aux quatre années de la Guerre de Sécession ; en fait, l’ouverture de la période de crise et de transition commence avec le premier coup de fusil tiré contre Fort Sumter (21), le 12 avril 1861. Cependant, cette période s’étend au-delà du cadre temporel de la Guerre de Sécession, puisqu’elle dure jusqu’à l’automne de 1866. Il fallut attendre dix-huit mois après la reddition des principales armées confédérées, pour que mûrissent les conditions matérielles favorables à l’ouverture de la troisième période.
16. Nous pourrions parfaitement décrire de façon générale les périodes de crise et de transition par un terme plus simple et plus commun : révolution. C’est vrai pour la Guerre de Sécession comme pour n’importe quelle autre période similaire de l’histoire. Durant la période de crise et de transition qui commence au printemps 1861 aux Etats-Unis, toutes les vieilles coutumes sociales et les traditions morales se transformèrent en leur contraire. « Tous les rapports sociaux, figés et couverts de rouille, avec leur cortège de conceptions et d’idées antiques et vénérables, se dissolvent ; ceux qui les remplacent vieillissent avant d’avoir pu s’ossifier. Tout ce qui avait solidité et permanence s’en va en fumée, tout ce qui était sacré est profané, et les hommes sont forcés enfin d’envisager leurs conditions d’existence et leurs rapports réciproques avec des yeux désabusés. » (Marx et Engels, Manifeste du Parti communiste). Ce fut le cas dans les deux camps durant la Guerre de Sécession. Les relations sociales entre les femmes et les hommes, les Européens et les non-Européens, les Euro-Américains autochtones et les immigrés, etc., s’effondrèrent, resurgirent sous de nouvelles formes et s’effondrèrent à nouveau en un éclair. Dans le Nord, la conscience des soldats et leur attitude envers les Africains réduits en esclavage dans le Sud évoluèrent : ils passèrent d’une indifférence à la fois désinvolte et cruelle, à la défense paternaliste des esclaves, puis au respect et à la fraternité qui naquirent des combats. (Nous évoquons la conscience des soldats, parce qu’il s’agissait le plus souvent de volontaires et qu’à ce titre ils représentaient les citoyens qui réfléchirent le plus à la guerre de Sécession et à ses implications.) Cela se refléta aussi dans l’évolution générale de la conscience des enfants du Grand Réveil. Alors que la guerre passait d’un conflit autour de l’autorité constitutionnelle à une lutte pour la libération sociale, le rôle politique et social du mouvement religieux fondamentaliste qui poussa en avant des gens comme Abraham Lincoln (22), William Lloyd Garrison (23) et Harriet Beecher Stowe (24) changea ; en particulier, ce fondamentalisme suivit l’évolution parcourue par les ordres monastiques chrétiens et les musulmans soufis : après une période d’opposition à l’ordre établi, sa vision du monde fut cooptée et intégrée comme un moyen de conserver et étendre l’ordre social existant.
17. On peut observer une évolution similaire dans les mouvements fondamentalistes religieux du Sud à cette époque. Alors que les défaites militaires se traduisaient par des pertes politiques pour la classe dirigeante du Sud, le mouvement fondamentaliste religieux, quant à lui, s’intégra de plus en plus à la structure dominante afin de survivre. En même temps, il devint plus dépendant de sa base sociale plébéienne, base qui sert toujours de point de départ aux mouvements fondamentalistes. Dans le développement du mouvement politique et social dans le Sud, unifié durant la Guerre de Sécession, l’érosion du système confédéré correspond au développement négatif du fondamentalisme religieux dans une période de déclin et de transition. Alors que les fondements sociaux et politiques du système établi dans le Sud entraient en décadence et s’érodaient sous les coups des forces politiques et militaires du Nord, la cooptation du fondamentalisme religieux par les cercles politiques dirigeants se transforma en son contraire - les cercles politiques dirigeants furent en fait cooptés par le mouvement fondamentaliste. Même si le fondamentalisme religieux de la société du Sud avant la guerre de Sécession fut entièrement coopté et intégré dans la structure politique de ce qui devint la Confédération (25), ce fondamentalisme ne cessa jamais d’exister (ou, plus précisément, il ne fut jamais capable d’être transformé) à cause de la réalité matérielle du système social du Sud : un système en déclin ne subit pas une pression centripète suffisante pour transformer un mouvement social correspondant et satisfaire les besoins de la période suivante.
18. Nous pouvons voir les résultats de ces deux mouvements fondamentalistes religieux divergents, au cours de la clôture de la période de crise et de transition. Le fondamentalisme religieux du Nord, au départ opposé au système politique existant et qui fut plus tard coopté par ce même système durant la guerre de Sécession, se transforma durant la période de reconstruction et d’essor en une sorte de nouvelle mythologie. Le Grand Réveil lui-même fut présenté comme aussi juvénile et comme le produit d’une « époque plus simple », mais cet adjectif n’était pas utilisé de façon péjorative. La période précédant la Guerre de sécession, comme toute l’histoire avant 1861, était plutôt considérée comme une époque tellement éloignée de l’après-guerre que peu de gens pouvaient comparer leur vie en 1866 avec celle qu’ils menaient une décennie auparavant. En ce sens, la négation du sécularisme initial de la République américaine, exprimée dans le Grand Réveil, céda devant sa propre négation durant la période de la Reconstruction et l’ouverture de l’ « Age d’or » (26). Ce n’est qu’au début du XXe siècle et avec l’essor du populisme de la Grange (27) que le fondamentalisme religieux - sous la forme du « renouveau de la foi » - allait de nouveau balayer le pays.
19. Le fondamentalisme religieux du Sud suivit, au contraire un chemin très différent. La défaite de la Confédération et la perte consécutive de sa base sociale par la classe des propriétaires de plantations sudistes forcèrent le mouvement fondamentaliste dans le Sud à s’appuyer encore davantage sur les petits propriétaires et les petits commerçants, ainsi que sur la classe - désormais obsolète - des organisateurs et administrateurs du système esclavagiste, pour sa survie. Cela donna naissance à une nouvelle mythologie spécifique, celle du Southern Heritage (28), l’ « Héritage sudiste », et transforma le fondamentalisme religieux d’avant la guerre de Sécession en un nouveau mouvement politique et social. Celui-ci identifia aussitôt les changements fondamentaux qui avaient eu lieu, mais exigea aussi la « restauration » de relations sociales qui prévalaient avant la Guerre de Sécession et avaient été modifiées. Pendant la période de reconstruction et d’essor, ce mouvement rétrograde s’incarna le plus clairement dans le Ku Klux Klan (29).
20. Ce panorama du développement du fondamentalisme religieux, à la fois dans les premiers temps du christianisme et de l’Islam, et durant la période du déclin et de l’essor dans l’histoire américaine, offre une clé d’interprétation capitale pour comprendre l’essor et le développement, et l’évolution potentielle future, des mouvements religieux fondamentalistes auxquels nous avons affaire aujourd’hui.
Les fondamentalismes religieux au XXe et XXIe siècles
21. Aujourd’hui, les travailleurs doivent affronter deux mouvements fondamentalistes principaux, l’un issu du christianisme et l’autre de l’islam. Cependant, tandis que les chemins suivis par ces deux fondamentalismes sont très différents, les deux idéologies ont une dynamique politique et sociale semblable. D’une façon générale, les fondamentalismes chrétien et musulman attirent la même base sociale : des secteurs de la petite bourgeoisie (professions libérales, producteurs indépendants, gestionnaires, etc.) qui sentent la pression de la bourgeoisie tandis que cette dernière continue à intensifier la mondialisation de l’économie capitaliste. Politiquement, ces fondamentalismes puisent à la fois dans le chauvinisme national (centré sur le culte de l’Etat-nation et de l’appartenance nationale) et dans l’arriération sociale. Apparues entre le XVIIe et le XIXe siècles, les traditions de l’époque des Lumières - laïcité, démocratie, respect des droits de la personne et de l’intimité, etc. - sont inadmissibles pour les fondamentalistes religieux. En effet, la philosophie des Lumières repose sur l’idée que le monde n’est pas une communauté homogène, unique, d’êtres humains qui pensent de façon identique. C’est pourquoi leurs droits démocratiques sont « inaliénables », comme le proclame la Déclaration d’indépendance des Etats-Unis, et qu’ils découlent d’une autre source qu’un roi ou tout autre dirigeant. Au contraire, les fondamentalistes religieux croient que les droits du peuple sont un cadeau ou un privilège, accordé à un peuple obéissant par un dirigeant qui exprime la volonté divine. Pour eux, l’égalité est donc un privilège qui doit être accordé à ceux qui respectent strictement les livres saints. Ceux qui ne les respectent pas doivent par conséquent être « punis », c’est-à-dire mis au ban de la communauté, ou condamnés à mort.
Des guérisseurs itinérants à George W. Bush
22. Aux Etats-Unis, le mouvement fondamentaliste chrétien moderne est né après la Seconde Guerre mondiale et l’essor du « siècle américain ». Il y avait, depuis le début du XXe siècle, un petit mouvement fondamentaliste qui organisait des tournées sous chapiteaux pour le « renouveau de la foi », et des charlatans qui se présentaient comme des « guérisseurs ». Dans les années 1920 et 1930, ce petit mouvement fondamentaliste commença à prendre de l’ampleur, en raison de la polarisation sociale, déclenchée d’abord par la désorientation provoquée par la Première Guerre mondiale puis par la Grande Dépression. A cette époque, le Ku Klux Klan utilisa le fondamentalisme religieux comme un pôle d’attraction social et culturel ; il recruta des millions de membres et contrôla même le gouvernement de certains Etats. Plus tard, lorsque le fascisme devint une force politique à l’échelle mondiale, des démagogues religieux comme le père Coughlin (30) combinèrent le fondamentalisme religieux avec le soutien politique aux régimes de Franco en Espagne et Mussolini en Italie pour construire un mouvement qui préfigura l’avenir du fondamentalisme religieux.
23. Pour l’essentiel, la Seconde Guerre mondiale mit un terme à ces mouvements spécifiques, dans la mesure où le patriotisme américain devint synonyme d’antifascisme et, en partie, d’antiracisme et de rejet de l’antisémitisme. Le mouvement fondamentaliste qui survécut après la fin de la Seconde Guerre mondiale était, sous de nombreux aspects, semblable au mouvement pour la « renouveau de la foi » qui avait eu lieu cinquante ans auparavant, mais il se développa désormais à un niveau supérieur. Les progrès de la technologie, y compris la radio et plus tard la télévision, permirent aux dirigeants fondamentalistes d’acquérir d’abord une audience régionale, puis nationale. Grâce aux progrès technologiques, les propagandistes religieux purent économiser des ressources considérables car ils n’avaient plus besoin de voyager pour étendre leur influence à partir de leur quartier général. Durant les années 1950 et 1960, ce mouvement ne rechercha pas à briller sous les feux de la rampe à l’échelle nationale, il s’implanta tranquillement dans les zones semi-rurales et parmi des secteurs de la petite bourgeoisie hostiles aux mouvements sociaux, que ce soit ceux pour les droits civiques, contre la guerre [du Vietnam], etc. Ce travail d’organisation fut stimulé, à la fin des années 1960, par le développement de la Southern Strategy (31), « Stratégie du Sud », qui unifia les éléments réactionnaires et fascisants des cercles politiques dirigeants du Sud avec les conservateurs du Nord hostiles aux mouvements sociaux précédemment mentionnés.
24. Pour ce mouvement fondamentaliste chrétien, la phase d’organisation préliminaire se termina dans la période qui suivit immédiatement l’effondrement du mouvement petit-bourgeois anticapitaliste (la Nouvelle Gauche) au début des années 1970. Les fondamentalistes chrétiens choisirent deux cibles principales : l’Equal Rights Amendment (32) et le mouvement croissant pour l’égalité des droits pour les lesbiennes et les gays. A l’époque, les capitalistes furent capables de convaincre des fractions significatives de la population - principalement ces mêmes éléments petits bourgeois, mais aussi des secteurs du prolétariat blanc paupérisé - que les crises économiques qui affectaient la société provenaient des « excès gauchistes » (33) des mouvements sociaux de la décennie antérieure. Les fondamentalistes réussirent à mobiliser des porte-parole populaires et charismatiques, surtout des célébrités dont l’astre ne brillait plus depuis une vingtaine d’années. Ces célébrités, grâce à leurs amis dans les médias capitalistes, surent « présenter » les idées fondamentalistes chrétiennes à des secteurs encore plus larges de la population. Ils renouèrent aussi des liens avec des éléments fascistes et néofascistes en les intégrant à la base de leur mouvement, au titre de fantassins ou de petits cadres.
25. En même temps que cette campagne « de terrain », le mouvement fondamentaliste chercha à consolider sa présence dans le système politique établi. Jouissant au départ d’une influence réduite, plutôt régionale, le fondamentalisme chercha à gagner des postes à la direction du Parti républicain. Ces efforts initiaux facilitèrent l’accession de Ronald Reagan à la Maison Blanche en 1980. Mais ce n’était que le commencement. Le but ultime des fondamentalistes était de choisir un des leurs comme président des Etats-Unis. Ils firent une première tentative, en 1988, avec Pat Robertson (34) ; ce prêcheur fondamentaliste qui chercha à être le candidat du Parti républicain. Ils échouèrent, surtout d’ailleurs à cause de leur mauvaise organisation au sein du parti lui-même. Les fondamentalistes chrétiens en tirèrent la leçon et formèrent la Coalition chrétienne (35). Cette organisation en chapeautait plusieurs autres, unissant en un seul bloc des mouvements fondamentalistes hétérogènes répartis dans tout le pays. Presque immédiatement, la Coalition chrétienne réussit à prendre le contrôle de positions clés dans l’appareil du Parti républicain au niveau des municipalités et des Etats. Ce fut seulement dans les années 1990 qu’ils réussirent à s’emparer du Comité national du Parti républicain et à influencer de façon décisive le choix des candidats. (Notons cependant que la Coalition chrétienne dut, pour cela, créer une coalition avec d’autres forces ultra-réactionnaires, y compris des éléments des mouvements « néo-confédérés » (36) et des mouvements néo-conservateurs (37) qui émergeaient à l’époque, afin de conserver le pouvoir.)
26. L’apogée du mouvement fondamentaliste chrétien eut lieu en 2000, quand George W. Bush devint président. Cette victoire fut encore plus importante que le contrôle des deux Chambres du Congrès à partir de 1994, sur le dos des « Républicains de Gingrich » (38) et de leur « Contrat avec l’Amérique » (39). Comme nous l’avons déjà dit à de nombreuses reprises, l’élection de 2000 représente un tournant décisif. Pour la première fois dans l’histoire américaine, un mouvement fondamentaliste chrétien contrôle les trois branches d’un gouvernement bourgeois. Cela a ouvert une nouvelle période dans l’histoire du pays - et dans laquelle nous vivons encore maintenant (40).
Le fondamentalisme islamique, du XVIIIe siècle à nos jours
27. Contrairement au mouvement fondamentaliste chrétien, les origines des fondamentalistes islamistes les plus importants aujourd’hui remontent au XVIIIe siècle, et notamment aux écrits de Mohammed ibn abd al Wahhab (41). [Dans un sens, ce mouvement vient d’encore plus loin, du XIIIe siècle, d’un ouléma du nom Ibn Taymiya (42).] Mais Taymiya ne forma jamais un mouvement autour de ses enseignements.) Wahhab était un religieux musulman qui croyait que le courant sunnite, dominant en Islam, était corrompu par les innovations et les « nouveautés » comme le soufisme (et le progrès scientifique).
Les partisans de Wahhab refusaient de célébrer les événements de la vie de Mahomet, ou de tous les saints et prophètes reconnus par les sunnites (43). Ils considéraient à la fois le soufisme et le chiisme (44) qui était un courant de l’Islam, comme une hérésie et ils cherchaient à organiser un nouveau mouvement qui reviendrait à ce qu’ils considéraient comme l’enseignement originel du Prophète.
Les partisans de Wahhab prirent le nom de « salaf », ce qui signifie « ancêtre » ou « prédécesseur » en arabe et ils s’appelèrent les salafistes ; leurs critiques préférèrent les appeler les wahhabites. Ce nom est couramment utilisé en Occident et est considéré comme une injure par les salafistes.
28. Le mouvement salafiste commença à s’organiser en formant une alliance avec l’un des nombreux petits chefs de tribus qui régnaient dans la péninsule arabique, les Saoud. Ensemble, ils créèrent le premier Etat saoudien en 1744, tandis que Wa’hab donnait à ce brutal chef tribal une apparence de légitimité religieuse. Après la mort de Wa’hab en 1792, les Saoud devinrent les gardiens du salafisme et le diffusèrent dans les territoires arabes contrôlés par l’Empire ottoman. Les Ottomans renversèrent et écrasèrent à deux reprises l’Etat saoudo-salafiste, mais ce dernier se reconstitua à chaque fois.
Le dernier conflit entre les Ottomans et les Saoud prit fin en 1932, avec la création du royaume d’Arabie saoudite dont le salafisme est la doctrine religieuse officielle. Bien que l’Etat saoudien abritât deux des sites les plus sacrés de l’Islam (la Mecque et Médine [45]), ce qui permettait aux salafistes de contrôler les idées prêchées pendant le pèlerinage sacré, le salafisme resta un mouvement régional jusqu’à la découverte de pétrole en 1938.
Les sommes colossales dégagées par cette ressource financèrent la création de centaines d’écoles, de publications et d’organisations communautaires qui firent connaître la doctrine salafiste, et ce mouvement fondamentaliste put alors exercer son influence à travers tout le monde musulman.
L’Afghanistan
29. Jusqu’aux années 1980, peu de gens connaissaient ou comprenaient ce qu’était le salafisme (46) en dehors du monde musulman. Le plus souvent, en Europe et en Amérique du Nord, seules de petites communautés musulmanes et des théologiens spécialistes de l’histoire comparative des religions s’y intéressèrent dans les universités. Mais la situation changea quand les capitalistes « occidentaux » cherchèrent à utiliser les guérillas musulmanes pour mener une guerre par procuration contre l’Union soviétique. La révolution du printemps 1978 en Afghanistan provoqua un soulèvement démocratique qui renversa la vieille monarchie semi-féodale installée par la Grande-Bretagne en 1919. Pour la première fois depuis la Révolution d’Octobre 1917, un pays traditionnellement musulman prônait l’égalité sociale entre les hommes et les femmes, s’attaquait à l’illettrisme chez les femmes et leur ouvrait les portes de l’éducation supérieure. Après presque un an de conflit intérieur et de guerre civile croissante, le nouveau gouvernement afghan appela l’Union soviétique à la rescousse. L’URSS envoya des troupes d’infanterie aéroportée pour aider le nouveau gouvernement. En réaction, les fondamentalistes musulmans du monde entier accoururent à la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan - qui historiquement a toujours été le bastion du salafisme et d’autres courants fondamentalistes de l’Islam - afin de travailler avec l’ISI (les services secrets pakistanais) et la CIA américaine pour renverser le nouveau gouvernement révolutionnaire. Parmi ceux qui rejoignirent cette nouvelle guérilla (les moujahiddine) se trouvait un fervent partisan du salafisme, un médiocre trafiquant d’armes issu d’une des plus riches familles d’Arabie saoudite : Oussama ben Laden. Il gagna la confiance de la CIA et de l’ISI, et acquit une certaine popularité dans le mouvement étudiant fondamentaliste qui se structura près de la frontière entre l’Afghanistan et le Pakistan : ceux que l’on appela les « talibans ».
30. Le départ des troupes soviétiques d’Afghanistan en 1989 ouvrit une nouvelle phase de développement pour ce mouvement fondamentaliste islamique. L’objectif immédiat des moujahidine n’était plus la défaite militaire de l’armée soviétique ; il s’agissait maintenant de renverser le gouvernement de Kaboul et d’établir un Etat islamique salafiste. Une guerre de sept ans commença après le départ des Soviétiques et aboutit finalement à ce que les talibans contrôlent 90% du pays et renversent le gouvernement. Cependant, à ce moment-là, l’intérêt des fondamentalistes s’était à nouveau déplacé de l’Asie centrale vers la Péninsule arabique. La guerre du Golfe de 1991 amena des milliers de soldats, hommes et femmes, originaires surtout des Etats-Unis et d’Europe, à séjourner dans des garnisons stationnées en Arabie saoudite et au Koweit. Leur présence dans des régions considérées comme sacrées par tous les musulmans, quel que soit le courant de l’islam auquel ils appartiennent, constitua un motif de ralliement commode pour les agitateurs fondamentalistes salafistes dans tous le Proche et le Moyen-Orient. Se combinant avec l’antagonisme entre le monde musulman et l’Etat sioniste d’Israël, cette campagne alimenta puissamment l’expansion et le développement du mouvement fondamentaliste salafiste en dehors de la Péninsule arabique. Cela permit la croissance d’une organisation créée d’abord en 1998 parmi les vétérans de la guerre en Afghanistan, le Front international pour le Djihad contre les Juifs et les Croisés, plus connu sous le nom d’al-Quaida.
Al-Quaida
31. Durant les années 1990, ce nouveau mouvement salafiste se mit à croître à pas de géant. Ses premières actions initiales n’eurent guère de succès ou en tout cas d’impact. L’attentat de décembre 1992 contre un hôtel au Yémen où séjournaient temporairement les soldats américains qui se rendaient en Somalie (ils étaient déjà partis quand l’attentat eut lieu) et l’attentat de 1993 contre le World Trade Center furent considérés comme des échecs, surtout parce qu’ils ne réussirent pas à perturber les activités économiques et militaires des Etats-Unis. La première victoire réelle du mouvement eut lieu en 1994 avec la prise de pouvoir par les talibans en Afghanistan. Le nouveau gouvernement afghan, influencé par une tendance particulière du fondamentalisme salafiste prôné par al-Quaida, le Qotbisme (doctrine définie par l’intellectuel musulman Sayed Qotb (47), un produit du travail de propagande salafiste commencé dans les années 1930), accueillit les fondamentalistes salafistes et leur permit de s’entraîner et s’organiser. Cela permit à ces fondamentalistes de s’engager dans un certain nombre de campagnes internationales ; les membres d’al-Quaida combattirent aux côtés de séparatistes musulmans en Bosnie et en Tchétchénie, et avec les milices [islamiques] en Somalie et au Soudan. Durant la seconde moitié des années 1990, ces fondamentalistes continuèrent à lancer des attaques relativement petites sur des cibles liées aux intérêts américains dans différentes parties du monde : on les soupçonne aussi d’avoir participé à des attentats en Arabie saoudite, au Kenya, en Tanzanie, en Inde, aux Philippines et en Jordanie. On pense qu’ils seraient également impliqués dans la planification d’un attentat à l’aéroport international de Los Angeles et contre un destroyer de la marine américaine le The Sullivans. Mais l’action la plus importante d’al-Quaida a certainement été les attentats contre le World Trade Center et le Pentagone, le 11 septembre 2001.
32. Les attentats du 11 septembre 2001 amenèrent les fondamentalismes chrétien et islamique à entrer ouvertement en conflit l’un contre l’autre. La « croisade » déclarée par Bush, au nom des fondamentalistes chrétiens qui contrôlent le gouvernement américain, a légitimé l’affirmation des fondamentalistes musulmans - en particulier les partisans salafistes d’al-Quaida - selon laquelle la guerre qu’ils avaient déclarée contre les Etats-Unis en 1998, sous la forme d’une fatwa (48), était nécessaire. A partir de ce moment-là, les destins des deux mouvements fondamentalistes se sont entremêlés. Dans un sens, une relation symbiotique s’est développée depuis lors entre eux, chaque camp étant nourri et alimenté par les actions de l’autre. Aujourd’hui, cette relation symbiotique et conflictuelle représente la principale bataille politique et philosophique parmi les classes dominantes.
L’Ere des fondamentalismes et les tâches des communistes
33. Le monde d’aujourd’hui est entré dans l’Ere des fondamentalismes. Tout comme l’Ere des dictatures (entre les deux guerres mondiales), cette nouvelle ère se caractérisera par des crises sociales et des guerres. En effet, les principaux protagonistes à l’échelle mondiale sont dirigés, influencés ou poussés à agir par l’une des principales forces fondamentalistes religieuses. Cela concerne non seulement les fondamentalismes chrétien et musulman, mais aussi les différentes variétés du fondamentalisme juif - les divers courants du mouvement sioniste. Pris ensemble, ces trois mouvements fondamentalistes façonnent les contradictions qui ont poussé les bourgeoisies du monde à entrer en conflit.
34. Dans le cadre d’une perspective communiste, ces fondamentalismes représentent une forme d’idéologie bourgeoise [qui prospère] dans une période de déclin social. Dans les périodes de déclin, les classes dirigeantes - la bourgeoisie et ses collaborateurs petits-bourgeois - s’emparent de doctrines et de programmes susceptibles de restaurer leur confiance en elles-mêmes et leur capacité à diriger. En réalité, ces doctrines ne sont que les pires déchets des croyances et des principes des classes dominantes durant leur développement et leur « âge d’or ». Toute idéologie qui cherche à restaurer la « foi » dans le système existant est susceptible d’être intégrée dans ces doctrines. La religion, spécialement sous sa forme fondamentaliste, qui défend les mêmes systèmes hiérarchiques que l’on trouve dans la société de classe et la croyance en l’infaillibilité d’un Etre supérieur, devient une forme naturelle d’expression pour les classes dirigeantes dans une période de déclin. En Europe occidentale, les courants fondamentalistes chrétiens ont puissamment soutenu les classes dirigeantes lors de leurs périodes de déclin. Quand le système esclavagiste romain déclina, Constantin intégra les ordres monastiques dans la chrétienté après le concile de Nicée. La première croisade et le commencement des persécutions de masse contre les Juifs marquèrent le début du déclin du féodalisme européen. Aujourd’hui, en cette nouvelle période du capitalisme déclinant, c’est au tour du fondamentalisme protestant de jouer son rôle.
35. Le prolétariat n’a aucun intérêt au triomphe de tel ou tel fondamentalisme religieux. Au contraire, les travailleurs, quel que soit le pays où ils vivent, veulent la défaite et la destruction de ces doctrines afin non seulement de sauver les conquêtes passées de l’humanité et de leur classe, mais aussi pour ouvrir la voie à leur libération de l’exploitation et de l’oppression. Aujourd’hui, les mouvements fondamentalistes et leurs agents dans tous les domaines de la société représentent l’ennemi immédiat du prolétariat et le principal danger, et nous devons les traiter comme tels.
36. Les implications de cette situation sont claires : les travailleurs doivent s’organiser pour contrer la philosophie et le programme des fondamentalistes, et les défier dans tous les domaines de la société de classe. Cette lutte contre le fondamentalisme religieux est d’abord et avant tout une lutte de classe - une lutte entre la société bourgeoise décadente et ses tentatives désespérées de maintenir son « ordre » à tout prix, et un mouvement prolétarien embryonnaire pour la libération, qui cherche à transformer des concepts comme la « démocratie » et l’ « unité », à les faire passer de simples concepts ou formes de gouvernement à des pratiques concrètes qui posent la base de leur propre dépassement par des méthodes supérieures de développement humain. Ce fait souligne le thème central qui devrait être souligné dans tous les cas : la religion ne sert qu’à masquer les tentatives de maintenir « l’ordre » . Si la dimension religieuse devenait un handicap pour elles, les classes dirigeantes l’écarteraient au profit d’un outil plus « séculier » et plus apte à maintenir la domination de la classe capitaliste. Néanmoins, nous continuerons à nous opposer aux tendances réactionnaires et fascistes qui sont au cœur de ce mouvement. Nous ne permettrons pas que ces fondamentalismes, s’ils tombent en disgrâce, se fassent passer pour une « force d’opposition » voire pour un mouvement anticapitaliste.
37. Si l’origine et la dynamique des différents fondamentalismes religieux sont généralement semblables, quand cette doctrine s’intègre à une idéologie dominante établie, elle devient un outil de la classe dirigeante qu’elle sert. Prenons l’exemple du fondamentalisme chrétien évangélique dominant aux Etats-Unis aujourd’hui : il prône la loyauté et une croyance acritiques en des dirigeants infaillibles ; il soutient qu’il faut réduire le pouvoir des législatures démocratiquement élues et celui du pouvoir judiciaire indépendant ; et il révère les partisans armés de l’ « ordre » capitaliste. En cela, il sert parfaitement les intérêts de la classe dirigeante capitaliste lorsque son hégémonie doit affronter les défis lancés à la fois par les anciennes puissances impérialistes rivales (Union européenne, Japon), et les nouvelles puissances capitalistes qui cherchent à entrer dans le club impérialiste (Chine, Inde) à l’échelle internationale. A l’échelle nationale, le fondamentalisme protestant permet de stopper ou canaliser le développement du mécontentement social, surtout parmi les couches les plus pauvres et chez les travailleurs, et de détourner un mouvement potentiellement révolutionnaire vers une issue réactionnaire.
De son côté, le mouvement fondamentaliste salafiste, que ce soit l’Arabie saoudite ou al-Quaida, avec son « anti-impérialisme » et son « anticapitalisme » réactionnaires, a une conception contradictoire. Il rejette les autres courants de l’islam, les considère comme un courant révisionniste de l’Oumma (la Communauté musulmane) et en même temps il s’appuie lourdement sur des traditions très anciennes qui refusent l’essentiel de l’évolution philosophique au cours des trois derniers siècles. Ce fondamentalisme convient parfaitement à une classe dirigeante capitaliste qui veut jouer un rôle croissant dans l’économie capitaliste mondialisée et pense que ces avantages stratégiques pourraient être maximisés à travers une plus grande unité politique et culturelle, non pas des Etats musulmans en général, mais des Etats producteurs de pétrole où les musulmans vivent depuis des siècles. Ce fondamentalisme permet d’empêcher le développement d’une conscience de classe révolutionnaire, spécialement ses idées et ses principes libérateurs, parmi les travailleurs des pays concernés.
38. L’organisation d’un front uni des travailleurs contre le fondamentalisme religieux peut attirer aussi des éléments de la petite bourgeoisie - les démocrates petits bourgeois - qui souhaitent également combattre cette doctrine et ce mouvement. Même si un tel front uni peut parfois fonctionner avec ces gens-là, nous, communistes, mettons en garde les travailleurs contre des relations trop étroites avec eux en dehors d’actions ponctuelles. Même s’ils approuvent notre critique du fondamentalisme religieux et de son rôle dans la société, les démocrates petits-bourgeois veulent uniquement préserver le vieux système démocratique-bourgeois qui leur a permis d’occuper une position protégée et relativement supérieure dans la société. Dans leurs tentatives pour récupérer leur place, ils peuvent aller jusqu’à offrir quelques miettes au prolétariat sous forme de lois qui leur donneront un peu d’espace et de répit supplémentaire sur le plan politique (restauration ou accroissement des droits démocratiques), économique (augmentation du salaire minimum ou des prestations du système de santé publique) ou social (renforcement des droits civiques). Cependant, selon l’équilibre des forces, ces avantages ne sont rien d’autre qu’une tentative d’acheter les travailleurs et de les pousser à accepter leur position d’esclaves salariés, afin de démanteler notre mouvement de classe indépendant. Cela nous incite à souligner deux réalités importantes :
quelle que soit leur phraséologie radicale ou même révolutionnaire, ces éléments sont incapables de faire autre chose que de restaurer le vieux système de classe ;
seul le prolétariat peut chasser les fondamentalistes de leurs position de pouvoir et éliminer les conditions matérielles qui ont permis la création de ces mouvements (...).
Communist League (Etats-Unis), janvier 2006. Extrait de Workers Republic n°5
NOTES DU TRADUCTEUR
(Ni patrie ni frontières)
1. Leur nombre varie, suivant les théories, mais on peut considérer qu’il en existe au moins huit : tristesse, honte, colère, culpabilité, joie, envie, jalousie, hostilité.
2. Convoqué par l’empereur Constantin en 325, ce concile débattit de plusieurs hérésies et schismes, notamment ceux d’Arius, prêtre d’Alexandrie (l’arianisme niait la divinité du Christ), de Mélèce (évêque égyptien) et des « novatiens ». Ce concile réaffirma des points fondamentaux de la doctrine chrétienne concernant la Sainte Trinité (le Père, le Fils et le Saint-Esprit), la nature divine de Jésus et le célibat des prêtres.
3. On retrouve souvent chez les marxistes cette thèse du caractère « communisant » du christianisme originel. C’est l’un des éléments, à notre avis, mystificateurs qui poussent certains groupes d’extrême gauche à faire les yeux doux à la théologie de la libération. Et ce fut l’un des arguments en faveur du rapprochement entre catholiques et staliniens prôné par Roger Garaudy quand il était l’idéologue du PCF. Workers Republic n° 5, organe de la Communist League des Etats-Unis, reproduit un long article historique de Jack Conrad, du CPGB (Parti communiste de Grande-Bretagne), « Jesus from Revolutionary to Ruling ideology » (Jésus : d’une idéologie révolutionnaire à une idéologie dominante) allant dans ce sens. Nous sommes très sceptiques sur cette hypothèse qui consiste à faire des premiers partisans de Jésus des pré-« communistes », d’autant que l’existence historique du fils de Marie n’a jusqu’ici pas pu être scientifiquement démontrée.
4. Les franciscains ont été créés en 1210 et les capucins, qui voulaient retrouver l’esprit primitif des précédents (pauvreté totale, liberté de la prédication) en 1528, mais ils n’ont acquis leur autonomie qu’un siècle plus tard en 1619.
5. La première croisade dura de 1096 à1099. A l’époque, l’Eglise considère qu’il s’agit d’une guerre juste et légitime puisqu’il s’agit d’un « pèlerinage » en armes pour délivrer le Saint-Sépulcre. Deux expéditions sont organisées, celle des pauvres et celle des chevaliers. Les 15 000 paysans, femmes et enfants emmenés par Pierre l’Ermite et des prédicateurs itinérants traversent l’Europe, pillant tout sur leur passage et massacrant les juifs. Arrivés à Constantinople, les 10 000 rescapés sont tous tués par les Turcs. La seconde expédition, mieux organisée, rassemble 4 500 chevaliers et 30 000 fantassins répartis entre quatre armées. Nicée, Antioche et Jérusalem sont conquises. Les croisés assassinent des milliers de musulmans dans la mosquée al-Aqsa, à proximité du Saint Sépulcre. Quatre Etats latins d’Orient seront créés suite à la première croisade. Elle sera suivie de sept autres croisades, la dernière en 1270.
En 1144, profitant des rivalités au sein du royaume de Jérusalem, les Turcs envahissent le comté d’Edesse en massacrant de nombreux chrétiens. Le pape Eugène III prône l’organisation d’une deuxième croisade, cependant celle-ci ne soulève pas le même enthousiasme que la première. Louis VII et l’empereur d’Allemagne Conrad III mobilisent deux armées (50 000 hommes) qui se rejoignent à Constantinople mais l’expédition est rapidement un échec, notamment en raison des dissensions franco-allemandes, et Louis VII rentre piteusement en France.
6. Saladin, nom francisé de Salâh al-dîn, (1138-1193). Souverain d’origine kurde qui régna de 1171 à 1193 sur un royaume comprenant l’Egypte, la Syrie et la Haute-Mésopotamie (région englobant une partie de la Turquie, une partie de la Syrie et une partie de l’Irak) avant de triompher des Francs en 1187 et de leur reprendre Jérusalem. Adversaire résolu des chiites, il rétablit le sunnisme et s’entoura de juristes et d’hommes de religion comme conseillers. Il est encore aujourd’hui un personnage mythique, sur le plan à la fois religieux et politique. Il est intéressant de noter que Saddam Hussein se présenta comme le « nouveau Saladin » quand il envahit le Koweit.
7. Le soufisme est un mouvement mystique apparu contre le sunnisme en Irak au VIIIe siècle. Il prône l’ascétisme, le renoncement aux biens de ce monde et veut s’inspirer de l’exemple des prophètes : Muhammad, bien sûr, mais aussi Jésus et Moïse. Des confréries se créèrent à partir du XIe siècle et devinrent soit des mouvements d’opposition aux souverains sunnites, mouvements qui firent alliance avec les dissidents chiites, soit au contraire des piliers du pouvoir sunnite. Le soufisme s’organisa d’abord en Irak, en Syrie, en Anatolie, en Iran et en Inde. A partir du XVe siècle son influence grandit encore en s’étendant à l’Egypte et au Maghreb. Au XIXe et au XXe siècle le soufisme s’est implanté en Afrique noire.
8. George Washington (1732-1799). Représentant de la Virginie aux Congrès de Philadelphie et grand propriétaire d’esclaves, il joue un rôle militaire essentiel dans la conduite de la guerre d’indépendance contre les Britanniques. Premier président des Etats-Unis en 1789, il est réélu en 1792.
9. On appelle « démocrates jacksoniens » les partisans du président Andrew Jackson au sein du Parti démocrate durant sa présidence (1824-1828). Héros de la guerre de 1812 contre les Anglais, Jackson fut le premier président américain à être partiellement élu par les citoyens. Contrairement à la période précédente, celle du président Jefferson, les jacksoniens mettent l’accent sur le rôle de l’exécutif et du Président au détriment du pouvoir du Congrès. En même temps, ils sont opposés au suffrage censitaire, et donc partisans d’élargir la base sociale de l’Etat à tous les hommes blancs majeurs et de permettre aux élus de distribuer à leurs partisans des emplois dans la fonction publique, mais sur la base d’une rotation régulière afin de faire participer « le peuple » et d’éviter la corruption. Les jacksoniens étaient d’accord avec les « whigs » [ce parti, assez influent avant la guerre de Sécession dans les villes, regroupait médecins, avocats, marchands, banquiers, industriels et planteurs ; son objectif était d’industrialiser au plus vite le pays, par opposition aux démocrates de l’époque qui voulaient construire une grande nation agricole] pour éviter de poser la question de l’esclavage. Ils étaient favorables à une expansion territoriale des Etats-Unis de l’Atlantique vers le Pacifique, au nom de la « Destinée Manifeste » de la nation américaine. Aujourd’hui on appelle parfois « jacksoniens » les républicains partisans d’interventions extérieures mais hostiles à la stratégie de « nation building » (l’exportation de la « démocratie », sur le modèle de ce que firent les Américains au Japon, et en Allemagne, après la Seconde Guerre mondiale, et qu’ils prétendaient faire en Irak aujourd’hui.
10. Compromis du Missouri : La cueillette du coton (partiellement mécanisée à partir de 1793) puis celle du tabac sont grandes consommatrices de main-d’œuvre, ce qui pousse les planteurs sudistes à acheter de plus en plus d’esclaves africains. La culture du coton épuisant très vite les sols, les planteurs cherchent de nouvelles terres à l’ouest. C’est ainsi que trois nouveaux Etats du Sud, la Louisiane, le Mississippi et l’Alabama obtiennent le droit de pratiquer l’esclavage, puis, en 1818, le Missouri réclame à son tour ce droit. Cela provoque l’opposition des représentants des Etats du Nord, car s’il y a 11 onze Etats au Nord et onze Etats au Sud, le Nord est plus peuplé. Un compromis est conclu le 2 mars 1820 et un nouvel Etat anti-esclavagiste, le Maine, est créé pour faire contrepoids au Missouri. De plus, les sénateurs décident que les nouveaux Etats seront esclavagistes s’ils se situent au nord du 36° 30’’ parallèle (la future ligne Mason-Dixon), et abolitionnistes s’ils sont situés au nord de cette ligne. Ce compromis sera abrogé en 1854 et déclaré inconstitutionnel en 1857. Dès lors la question de l’esclavage provoquera la guerre entre le Sud et le Nord en 1861.
11. Comme l’écrit Howard Zinn dans son Histoire populaire des Etats-Unis : « (...) l’acquisition de la Louisiane par Jefferson avait doublé le territoire des Etats-Unis en l’étendant jusqu’aux Rocheuses. Au sud-ouest se trouvait le Mexique, qui avait pris son indépendance après une guerre révolutionnaire contre l’Espagne en 1821 (...). En 1836, après un soulèvement organisé avec le soutien des Etats-unis, le Texas s’était séparé du Mexique pour se proclamer "république à une seule étoile". En 1845, le Congrès américain l’intégrait dans l’Union à part entière. Le président James Polk donna l’ordre aux troupes du général Taylor d’avancer jusqu’au Rio Grande, ce qui était une véritable provocation pour Mexico. (...) ”Le Président Polk provoqua la guerre en envoyant des soldats américains dans ce qui était un territoire certes disputé mais historiquement peuplé et contrôlé par les Mexicains" (.). Après plusieurs dizaines de milliers de morts dans des combats atroces, le Mexique capitula et les Etats-unis annexèrent le Nouveau-Mexique et la Californie. »
12. On compte au moins trois « Grands Réveils » dans l’histoire religieuse américaine. Le premier eut lieu au XVIIIe siècle sous l’impulsion du pasteur calviniste Jonathan Edwards qui souligna le rôle des affects (émotions) dans l’expérience de la foi tout en laissant une place à la raison ; le second Grand Réveil se produisit à la fin du XIXe siècle et fit la part belle aux interprétations littéralistes de la Bible ; et le troisième Grand Réveil a pris son essor depuis trente ans et s’appuie sur les moyens de communication de masse et la mondialisation. Toutes les ressources de la propagande sont mobilisées (vidéo, musique rock, cinéma, sagas romanesques), mais aussi la construction d’églises gigantesques.
13. Fondé en 1848, le Free Soil Party s’opposait à l’extension de l’esclavage dans les nouveaux territoires et à l’admission des États esclavagistes dans l’Union.
14. Le Know Nothing Party était un parti anti-immigrés et anti-catholiques né en 1849 et fondé par des protestants. D’abord clandestin, il se donna des structures publiques sous le nom d’American Party et compta jusqu’à 43 députés sympathisants dans le Congrès élu en 1855. Mais son influence diminua rapidement.
15. Organisation de jeunes qui soutint Abraham Lincoln lors de la campagne présidentielle de 1860. Elle combinait une rhétorique politique avec un discours politique et constitua une force puissante durant la campagne, grâce à ses capacités d’organisation.
16. Cette citation d’un long article de Mouloud Didane sur le site latribune-online.com permet d’avoir un premier aperçu des différences entre les partis démocrate et républicain :
« De l’indépendance à la guerre de Sécession s’établit une opposition entre fédéralistes (Washington, Hamilton, Adams) et anti-fédéralistes, défenseurs du droit des Etats (Jefferson, Madison). Ceux-ci forment le parti républicain-démocrate, dominant de 1800 à 1830 et éliminant les fédéralistes. En 1824, il se fractionne, certains de ses membres fondent un parti « démocrate » (les Jacksoniens populistes) et d’autres les « républicains nationaux » - des wighs d’inspiration conservatrice (clay). Les « démocrates » dominent la scène politique de (1830 à 1850). En 1854 s’opère une recomposition à la faveur de l’accession de nouveaux Etats et de la querelle sur l’esclavage. Une partie des wighs crée avec d’autres dissidents, dont A. Lincoln, le Parti républicain, anti-esclavagiste. Le Parti républicain démocrate, devenu parti démocrate, reste lié aux thèses esclavagistes, en particulier dans le Sud. Le bipartisme moderne est né. Après l’élection à la présidence de Lincoln en 1860 (contre trois candidats démocrates), provoquant la guerre de Sécession, la victoire des Yankees assure la domination presque totale des républicains de 1860 à 1932 (à l’exception, dans les années 1800, de l’élection de Cleveland et de T.N. Wilson, de 1913 à 1921). Après la présidence démocrate de Roosevelt (1932-1945), l’alternance entre démocrates et républicains sera beaucoup plus régulière.
« Sur le plan idéologique, le Parti républicain est devenu au fil des temps plus conservateur et défenseur du droit des Etats et du libéralisme économique, appuyé par un électorat plus rural ou suburbain, représentant des classes aisées et moyennes, souvent blanches et majoritairement protestantes. Le parti démocrate, en particulier depuis les années 1930, s’est affirmé partisan de l’interventionnisme fédéral représentatif d’un électorat urbain des grandes villes, des minorités et plus largement des intellectuels, des ouvriers syndiqués et des catholiques.
« En fait, cette opposition entre républicains et démocrates est très relative. Cette opposition entre deux partis ne repose pas sur un clivage idéologique irréductible. Dans la mesure où les deux partis ne peuvent espérer remporter les élections qu’en conquérant les électeurs indécis (électorat flottant), ils sont amenés à adopter des positions suffisamment vagues pour pouvoir « ratisser large ». Il en résulte une particulière aptitude au compromis puisque les oppositions idéologiques ne sont jamais tranchées. Les partis américains ne sont pas des partis de militants, mais des partis d’électeurs. Leur structure est donc calquée sur les circonscriptions électorales. »
17. Onze Etats (sur 13) se réunirent le 25 mai 1787 et adoptèrent le compromis proposé par le représentant du Connecticut qui proposa une représentation proportionnelle à la Chambre des Représentants et une représentation paritaire au Sénat. On trouva aussi des compromis entre les États esclavagistes et les autres, sur la prise en compte des esclaves dans le poids respectif des Etats à la Chambre des représentants, etc. Cette réunion prépara un projet de Constitution qui fut ensuite soumis aux Etats ainsi qu’une Déclaration des droits (Bill of Rights), qui ne concernait ni les Indiens, ni les Noirs, ni les femmes, ni les serviteurs sous contrat.
18. Ce terme désigne les douze années (1866-1877) qui précèdent « l’âge d’or » (1878- 1893). Au cours de cette période on abolit l’esclavage et donna, en théorie, le droit de vote aux Noirs (en fait il fallut attendre un siècle et les luttes du mouvement des droits civiques pour qu’il soit appliqué sérieusement dans le Sud) et on intégra les Etats du Sud dans l’Union.
19. Ces Etats longeaient la ligne Mason-Dixon (cf. note 9).
20. Jefferson Davis (1808-1889). Officier et homme politique américain. Président des Etats confédérés du Sud pendant la guerre de Sécession.
21. Fort Sumter, petite garnison (85 hommes) située près de Charleston mais qui avait un rôle stratégique pour le blocus du Sud sur la côte atlantique. Elle fut attaquée le 12 avril 1861 par les sudistes et prise le lendemain, au prix d’une seule perte humaine. Il est possible que Lincoln ait refusé de renforcer la garnison et laissé les sudistes attaquer les premiers pour pouvoir ensuite déclencher la guerre plus facilement.
22. Abraham Lincoln (1809-1865). Avocat, député républicain, anti-esclavagiste militant, élu président en 1860. Son élection précipita de peu le déclenchement de la guerre de Sécession. Il fut réélu en 1864 et assassiné peu après la victoire du Nord.
23. William Lloyd Garrison (1805-1879). Anti-esclavagiste, il fonde des journaux et une association pour défendre ses idées et les mettre en pratique. Au départ partisan de renvoyer en Afrique les Africains déportés aux Etats-Unis, il se radicalise progressivement et dénonce les tortures, viols, mutilations, bref la barbarie des propriétaires d’esclaves. Condamné à six mois de prison pour ses écrits. Partisan de la non violence et de la résistance passive. Après l’abolition de l’esclavage, il fit campagne pour le vote des femmes et contre... la vente d’alcool.
24. Harriet Beecher Stowe 1811-1896), auteure de La Case de l’oncle Tom qui fut un best-seller aux Etats-Unis comme dans le monde. On ne peut évidemment la comparer à Tony Morrison, mais il faut tenir compte à la fois du contexte de l’époque et du fait que ce livre fut écrit par une femme de la bourgeoisie protestante blanche.
25. Confédération : il s’agit des 11 Etats favorables à l’esclavage regroupés dans les Etats confédérés d’Amérique.
26. « Age d’or » (1867-1893) : durant cette période, les Etats-Unis mènent une politique agressive à l’extérieur de leurs frontières ; ils importent massivement de la main d’œuvre (plus de 10 millions de travailleurs) ; ils agrandissent leur territoire ; leur agriculture et leur industrie se modernisent se développent, du moins jusqu’à la crise de 1893.
27. National Grange of the Patrons of Husbandry : association de fermiers créée en 1867 et qui prit de l’ampleur après la crise agricole de 1873, durant laquelle les prix agricoles chutèrent considérablement. La Grange était organisée en sections où les femmes étaient admises à égalité avec les hommes. Les Grangers luttaient contre l’endettement et les tarifs de fret élevés pratiqués par les compagnies de chemin de fer. Le mouvement fut important dans l’Iowa, le Minnesota, le Wisconsin et l’Illinois où des lois furent votées en faveur des agriculteurs, mais balayées par le lobbying des chemins de fer auprès de la Cour suprême. Le mouvement atteignit son apogée en 1875, regroupant près de 20 000 membres, puis déclina au profit d’autres forces comme le Greenback Party des années 1870, les Farmers Alliances des années 1880 et le Populist Party des années 1890. La Grange montra que les fermiers pouvaient s’organiser et avoir un rôle politique.
28. « Héritage sudiste » : cette idéologie régionaliste et réactionnaire prône la défense du passé sudiste, le drapeau confédéré, l’ « amour du concret », les valeurs familiales et religieuses, le respect de l’ordre, et déteste le « politiquement correct ». Les Sudistes actuels se présentent comme des victimes des Nordistes, ces « fanatiques », ces « 60 traîtres qui détiennent le pouvoir », etc. Ils critiquent aussi bien les démocrates que les républicains, comme G.W. Bush.
29. Créé en 1865 par des officiers sudistes qui voulaient à la fois lutter contre les exactions des soldats nordistes et contre l’émancipation des esclaves, le Ku Klux Klan a connu trois périodes différentes : dans une première époque, finalement assez brève (1865-1871), il mène une lutte violente dans le Sud ; même si plusieurs milliers de ses membres sont arrêtés il obtient le maintien du système de la ségrégation qui perdurera pendant un siècle. Un nouveau Klan apparaît pendant la Première Guerre mondiale cette fois au Nord comme au Sud (il compte 11 gouverneurs et de nombreux sénateurs dans ses rangs) et organise plus de 5 millions de membres, dans les années 20. Il est dissous en 1944 non pas pour des raisons politiques, mais parce qu’il ne peut pas payer l’argent qu’il doit au fisc ! Depuis la Seconde Guerre mondiale, le KKK n’a jamais pu redevenir une organisation de masse et ne compte plus aujourd’hui que quelques milliers de membres.
30. Charles Coughlin (1891-1979) : ce prêtre catholique fut l’un des premiers dirigeants politiques à utiliser la radio pour toucher et influencer des millions d’auditeurs. Soutenant d’abord Roosevelt en 1932 et son New Deal, il vira rapidement à l’extrême droite, dénonçant le « communisme », les « complots juifs » et l’alliance entre Wall Street et le socialisme, deux faces du même Satan. Progressivement réduit au silence sur les ondes par le gouvernement, il cessa toute propagande politique radiophonique en 1942, sous la pression de l’Eglise, et après deux tentatives infructueuses de créer un parti politique pour diffuser ses idées réactionnaires.
31. Expression inventée par un conseiller de Nixon, Kevin Philips, qui voulait gagner les élections présidentielles en s’assurant le soutien des électeurs du Sud. En effet, pendant les années 1948-1984, les Etats du Sud, traditionnellement démocrates, ont joué un rôle pivot lors des présidentielles de 1960, 1968 et 1976. Pendant cette période, les candidats républicains mirent davantage l’accent sur les « droits des Etats », une façon masquée de critiquer les lois fédérales pour les droits civiques en faveur des Noirs. Autrefois, les thèmes clés de la « Stratégie sudiste » étaient la dénonciation du « busing » (mixité « ethnique » obligatoire dans les écoles), la défense de « la loi et l’ordre » ou « des droits des Etats ». Aujourd’hui, la Southern Strategy a des cibles plus « culturelles » , comme le mariage homosexuel, l’avortement, la « culture MTV », la pornographie, la recherche médicale sur les cellules souches, etc. Elle mène ce que les Américains appellent une « guerre culturelle » à l’intérieur du pays. Comme l’a déclaré Pat Buchanan en 1992 lors de la Convention nationale républicaine : « Une guerre religieuse se déroule dans notre pays pour l’âme de l’Amérique. C’est une guerre culturelle, aussi vitale pour la nation de demain que la guerre froide elle-même ». Ce terme de « guerre culturelle » vient de l’expression allemande Kulturkampf (combat culturel) employée par Bismarck pour désigner sa lutte contre l’Eglise catholique en Allemagne.
32. Il existe pour le moment 27 amendements à la Constitution américaine. L’Equal Rights Amendment pourrait être le 28e et concerne l’égalité des sexes. Présenté pour la première fois en 1923, il est passé au Congrès, mais n’a jamais obtenu le soutien nécessaire de 38 Etats - seuls 35 Etats sur 50 l’ont ratifié.
33. En anglais « liberal excesses », littéralement des « excès libéraux », les « liberals » étant aux Etats-Unis les gens (vaguement) « de gauche » ou le plus souvent ce que nous appellerions en France des démocrates radicaux ou des républicains conséquents.
34. Pat Robertson, né en 1930, télévangéliste fondateur de nombreuses institutions : la Coalition chrétienne, un réseau de chaînes de télévisions chrétiennes et même une université. Opposé à l’avortement et aux droits des homosexuels, il soutient le Parti républicain. Ce pasteur baptiste du Sud n’officie plus dans un temple mais exerce une influence importante chez les chrétiens conservateurs.
35. Coalition chrétienne : fondée en 1988 par Pat Robertson avec l’argent qui lui restait des fonds collectés pour sa candidature ratée à l’investiture républicaine, elle regroupe, à sa fondation, des fondamentalistes chrétiens, des évangéliques, des pentecôtistes, des catholiques et des membres des principales Eglises protestantes. Elle prétend avoir 1 200 000 membres, mais selon d’autres estimations elle n’en rassemblerait que 300 à 400 000. La Coalition distribua 70 millions de guides d’information aux électeurs dans les églises en 2000 et 30 millions en 2004. Bien qu’elle ait réussi à bénéficier d’avantages fiscaux pour ses brochures « citoyennes », elle serait désormais en perte de vitesse.
Certains spécialistes différencient les « chrétiens fondamentalistes » (plus isolationnistes en matière de politique étrangère) des protestants évangéliques, interventionnistes sur toutes les questions internationales : travail missionnaire agressif en Chine, comme en Amérique latine ou dans les pays musulmans ; agitation autour du thème de la « liberté religieuse » dans tous les pays, de l’Arabie Saoudite à la Chine en passant par la Palestine ; soutien aux interventions militaires américaines à l’étranger (de la guerre froide à l’Irak) au nom à la fois de l’unilatéralisme et du fait que les Etats-Unis sont la « nation de Dieu » ; soutien inconditionnel à Israël, réalisation de la volonté divine exprimée dans la Bible, et condition du retour du Christ sur terre. Les protestants évangéliques représentent de 25 à 30 % de la population soit de 70 à 80 millions de personnes. Pour plus de détails lire l’article de Celia Belin « Les protestants évangéliques aux Etats-Unis et la politique étrangère américaine », http://www.cfr.org/publication/11450/ les_protestants_evangliques_aux_tatsunis_et_la_politique_trangre_americaine.html
36. « Néo-confédérés » : si officiellement ils défendent le drapeau, les monuments, les traditions folkloriques, et la prétendue « culture » du Sud, les néo-confédérés ne craignent pas de s’allier avec des groupes ouvertement racistes et les partisans des milices. Il ne faut donc pas s’étonner que leurs publications se passionnent pour les QI « raciaux », défendent une politique restrictive de l’immigration, etc.
37. Apparu dans les années 60, ce courant de pensée a eu un rôle idéologique important sous les présidences de Ronald Reagan et G.W. Bush. Si au départ ce concept désignait plutôt des partisans de l’Etat providence et des droits civiques, des ex-sociaux-démocrates, qui soutenaient Nixon et la guerre du Vietnam, aujourd’hui le sens de ce terme s’est élargi et a changé. Il tend à désigner ceux, de droite ou de gauche, pensent que les Etats-Unis pourraient aider militairement d’autres nations à construire la démocratie (nation building). Les neo-cons sont censés être moins isolationnistes et plus intolérants vis-à-vis des dictateurs étrangers que les républicains traditionnels ou pragmatiques. Il faut cependant manier ce concept avec prudence. En effet, l’extrême droite fasciste américaine n’attribue cette étiquette qu’aux intellectuels d’origine juive, et préfère utiliser d’autres termes (« nationaux-conservateurs » par exemple) pour caractériser les autres partisans du néo-conservatisme. On emploiera donc ce concept avec précaution, surtout quand il est importé dans les débats franco-français pour désigner, comme par hasard, Alain Finkielkraut ou Bernard Henri-Lévy, ou d’autres vrais réactionnaires qui ne font pas mystère de leur judéité.
38. Newt Gingrich. Politicien américain né en 1943, élu de nombreuses fois député. Speaker (président) de la Chambre des représentants entre 1995 et 1999. Il dut quitter son poste quand on découvrit que ce Père-la-Pudeur avait une maîtresse. Maintenant qu’il a divorcé et épousé l’objet de sa concupiscence, il souhaite se présenter en 2008 aux élections présidentielles et continuer son rôle idéologique néfaste.
39. Rédigé en 1994, le « Contrat avec l’Amérique » de Richard Armey comprenait une liste de promesses électorales présentées comme des décisions du Congrès et fondées en partie sur le discours sur l’état de l’Union prononcé par Ronald Reagan en 1985. Signé par Gingrich et d’autres candidats républicains, ce contrat abordait des thèmes comme la réforme des prestations sociales, des lois plus sévères contre la criminalité, un budget « plus équilibré » pour la justice, une participation militaire moindre aux missions de l’ONU, etc.
40. Rappelons que ce texte a été écrit en janvier 2006 avant la victoire des démocrates en novembre 2007 au Sénat et à la Chambre des représentants.
41. Ibn Abd al-Wahhab (1703-1792) : auteur d’un Traité de l’unicité divine, il suscite l’hostilité des chiites et trouve un protecteur chez le chef de la famille des al Saud. L’émir et le théologien se jurent fidélité en 744 pour faire respecter la parole de Dieu. Ce pacte est à la base du futur régime saoudite. Le wahhabisme s’est constitué à la fois contre les autres tendances ou sectes musulmanes, mais surtout contre le soufisme, son culte des saints, ses pèlerinages à leurs tombes, etc.
42. Ibn Taimiya (1263-1328) : théologien et jurisconsulte, il joua un rôle important en Syrie et en Egypte de son vivant, puis au XVIIIe siècle par ses écrits dans le wahhabisme. Il ne défend pas l’idée d’un califat unique et voit la communauté musulmane comme une confédération d’Etats où chaque souverain doit faire respecter la Loi islamique. Il fut emprisonné à plusieurs reprises, notamment à cause de ses attaques contre le soufisme et le culte des saints.
43. Les sunnites, majoritaires dans l’islam (près de 90 %), sont les partisans de la Sunna (la doctrine qui s’inspire des actes et des dires du Prophète) et de l’ « union communautaire ». On les présente souvent comme les gardiens de l’ « orthodoxie » musulmane face aux chiites et aux autres courants ou sectes de l’islam. Le sunnisme s’est institutionnalisé entre le milieu du IXe et le Xe siècle à partir de l’idée que les oulémas pouvaient, en ce qui concerne le fiqh (jurisprudence musulmane) et les règles juridiques, dégager un consensus en s’appuyant à la fois sur le Coran, les hadiths (récits transmis par les Compagnons du Prophète) et sur le raisonnement des « théologiens ». Cinq écoles juridiques d’interprétation naquirent alors, dont quatre subsistent encore aujourd’hui. Tout au long du Moyen Age les sunnites soutinrent les califes de la dynastie des Abbassides et défendirent le principe de l’obéissance inconditionnelle au pouvoir.
44. Chiisme : mouvement politico-religieux apparu après la mort de Muhammad, autour de l’imam Ali, cousin de Mahomet, et époux de Fatima, la fille du Prophète. Ali eut des différends avec les trois califes qui succédèrent au Prophète (Abou Bakr, Ommar et Ottman) mais le véritable conflit pour la succession éclata après l’assassinat d’Ottman en 656. Devenu calife, Ali fut lui-même assassiné trois ans plus tard. Un véritable culte s’organisa autour d’Ali, car il avait été l’un des premiers si ce n’est le premier fidèle de Mahomet. Par la suite, les chiites revendiquèrent, contre la dynastie omeyyade, la transmission de l’héritage aux descendants de Fatima. Ils divinisèrent soit Ali (ils attendent son retour messianique en tant que mahdi) soit les imams qui lui succédèrent. Le chiisme n’a cessé de se diviser en sectes ou tendances concurrentes, y compris en Iran.
45. La Mecque est la ville où est né le prophète Muhammad, celle où il vécut et prêcha sans succès, celle qu’il soumit par la force en 629 et celle où se dresse la Kaaba (édifice païen bâti avant l’islam, qui contient une pierre noire que chaque pèlerin doit toucher et embrasser, et vers lequel tous les musulmans doivent se tourner pour prier). Quant à Médine, c’est l’endroit où Muhammad se réfugia après l’Hégire (l’Expatriation) en 622, où il fonda le premier Etat islamique et où il fut enterré en 632.
46. Dans un article paru dans la revue de l’IFRI (Politique étrangère n° 1, « Le salafisme en Europe », 2006) Samir Amghar distingue, à côté des fondamentalistes du Tabligh et des Frères musulmans, trois courants salafistes :
le « salafisme révolutionnaire ou djihadiste », influencé par les Frères musulmans puisqu’il considère que « les actions politiques et sociales doivent s’inscrire dans une perspective islamique » mais qui mène une « lecture littéraliste du Coran » (retour du califat) : GIA, GRCP, al-Quaeda, Hizb ut-Tahrir et « filières irakiennes » ;
le « salafisme piétiste » qui s’inscrit dans une « logique missionnaire et de prédication ». Pour ce courant, tout bon musulman vivant en Europe devra un jour émigrer dans un pays islamique. Ils ne s’intéressent pas à la politique, du moins dans un premier temps, et veulent « corriger la croyance et les pratiques religieuses » des fidèles qui vivent en Europe ; ils considèrent la démocratie comme anti-islamique mais refusent le recours à la violence dans les pays non musulmans :
le salafisme politique : très influencée par les méthodes des Frères musulmans (« participation [à la vie des pays non musulmans], création d’associations, manifestations, etc. »], cette tendance considère que les Frères modernisent « excessivement l’islam » ! On trouve aussi dans cette tendance, un sous-courant partisan d’aller aider les islamistes en Irak tout en recourant « aux instruments de la démocratie et de la liberté d’expression pour peser sur les politiques nationales ».
Ces trois courants ont, malgré leurs divergences, plusieurs points communs selon Samir Amghar : pour eux, « l’islam ne se réduit pas à sa dimension religieuse » ; ils soulignent « l’apport de la civilisation islamique » ; ils agitent le « mythe de la décadence » de l’islam et privilégient une « dimension millénariste et apocalyptique » ; enfin ils sont de fervents partisans des théories du complot à dimension antisémite.
La base sociale de ces trois courants (entre lesquels existent de nombreuses passerelles) serait composée de gens déçus par les organisations musulmanes officielles, liées aux Etats islamiques, de « mécontents que ni les partis politiques ni les autres courants religieux ne prennent en charge », voire de révoltés en quête d’une affirmation identitaire et fiers d’appartenir à une « élite, une avant-garde chargée de mettre en œuvre le dessin de Dieu sur terre ».
47. Sayyid Qutb (1906-1963). Penseur égyptien emprisonné suite à la rupture en 1954 entre Nasser et les Frères musulmans. Il devient un des chefs de ce mouvement, est emprisonné une seconde fois puis exécuté. Son œuvre principale (A l’ombre du Coran) compte trente volumes rédigés entre 1952 et 1963. Hostile à tous les systèmes politiques parce qu’ils reposent sur des valeurs humaines, il prône l’établissement de gouvernements fondés sur les valeurs révélées par Dieu dans le Coran. Pour Qutb, la Loi islamique est immuable et s’applique à tous les êtres humains, en tout lieu et en toute époque.
48. La fatwa est une réponse fournie par un juriste à une question juridique concernant une interprétation de la loi musulmane. Chez les sunnites, l’avis du juriste est pris en considération mais pas obligatoirement exécutoire. Chez les chiites, les fatwas sont rendues par des représentants de l’ « imam caché », censés être infaillibles. (L’imam caché, chez les chiites duodécimains, redescendra un jour sur terre mais, en attendant, il s’exprime par l’intermédiaire de certains « imams parlants ».) Dans ce cas, les fatwas ont donc un poids beaucoup plus grand.