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Il faut sauver le soldat Redeker

Philosophie de combat, pensée de sous-off

lundi 30 octobre 2006

(Extrait de Le Monde comme il va - Hebdo libertaire d’actualité sur- Alternantes FM, le 12 octobre 2006)

Depuis plus d’une dizaine de jours, un homme est en danger de mort. Il s’appelle Robert Redeker. Des Islamistes radicaux, des djihadistes, en clair des barbus réactionnaires et sanguinaires en voudraient à sa peau. Son crime ? Avoir commis un blasphème, avoir insulté l’Islam et Mahomet. Ce philosophe a ainsi rédigé un article intitulé : « Face aux intimidations islamistes, que doit faire le monde libre ? ». Dans ce brûlot, il a traité Mahomet de pillard, de pogromiste, de polygame, d’exalté violent et rendit sa sentence : « L’Islam est une religion qui (...) exalte violence et haine ». Etant peu porté sur la théologie et l’histoire des religions, je ne me hasarderai pas à commenter ses propos. Je sais juste que Dieu n’existe pas, que les religions et ses promesses d’au-delà ne sont que foutaises et ne nous apprennent qu’une chose : la soumission à l’ordre établi, qu’il soit politique, social ou spirituel.

Et oui, au Monde comme il va, nous faisons nôtre cette phrase sublime de l’anarchiste Michel Bakounine : « Si Dieu existe, l’homme est esclave ; or l’homme peut et doit être libre. » Je pourrai donc en rester là et déclarer tout de go que nous sommes solidaires de Robert Redeker contre les intégristes de tout poil, voire contre les apologues de la tolérance molle qui voudraient que l’on ne fasse plus de l’athéisme un enjeu majeur de nos temps tourneboulés.

Mais évidemment, l’affaire est moins simple qu’il n’y paraît. Certes, en défenseurs de la libre parole et de la pensée libre, nous nous opposons à toutes celles et ceux qui entendent nous faire passer de vie à trépas pour la libre critique des inepties religieuses. Mais les conceptions politiques, voire philosophiques de Robert Redeker nous irritent au plus haut point. Il y a plusieurs mois, ce philosophe de combat participait à une émission de France-Culture, animée par Alain Finkielkraut, autre penseur médiatique en vogue. Là, il y déversa sa bile contre les émeutiers de l’hiver passé. Selon lui, ces jeunes étaient des barbares, des nihilistes. Dans un de ces articles, il écrivait ceci : « Expression d’un problème essentiellement culturel, la révolte des banlieues dont l’absence de sens paraît être la caractéristique principale et la haine, le moteur, s’explique avant tout par le nihilisme auquel a conduit une politique culturelle inspirée d’une certaine sociologie plutôt que de la philosophie. » Vous l’aurez noté, si les émeutes de 2005 furent un problème « essentiellement culturel », cela veut dire que la misère, le chômage ou la dégradation des conditions de logement sont du domaine de l’accessoire. Et comme le problème est « essentiellement culturel », cela explique que les émeutiers, de nationalité française mais d’origine étrangère comme l’on dit, s’en soient pris aux écoles, aux bibliothèques, donc à la Culture, à la Connaissance. Pas étonnant que Robert Redeker, comme Alain Finkielkraut, s’en prennent à une « certaine sociologie », c’est-à-dire à celles de Pierre Bourdieu et des marxisants, une sociologie qui s’obstinent à analyser les faits sociaux dans le cadre qui les fait naître : celui d’une société divisée en classes sociales, d’une société capitaliste centrée sur le profit des uns, et l’exploitation de la force de travail des autres. Haro donc sur les sociologues qui veulent tout expliquer, autant dire excuser !

Haro donc sur ceux qui ne voient pas en cette fraction de la jeunesse française autre chose que des barbares sans foi ni loi, abrutis par le consommation de masse et l’appât du gain. Venant de bons bourgeois ventrus nourris par l’argent public, je trouve la remarque plutôt piquante ! Haro également sur les travailleurs sociaux qui sont accusés de survaloriser les pratiques culturelles populaires au dépens de la Culture, la grande, celle devant laquelle il convient de se prosterner ! Robert Redeker a du oublier les querelles autour de l’enseignement du latin au 19e siècle : c’est la maîtrise de cette langue morte qui signifiait que l’on appartenait au « beau monde », à l’élite, la véritable élite, celle qui peut philosopher et pérorer loin des basses contingences matérielles. Il doit savoir que la maîtrise de la Culture, la grande, demeure un outil de domination de classe, et que sa vulgarisation ne fut jamais une revendication forte des élites conservatrices et libérales : car partager le savoir et la culture, c’est-à-dire une forme de capital, cela signifiait à terme, partager le pouvoir. Et quand une fraction de cette élite, celle qui s’était converti au socialisme, en fit un de ses combats en développant l’éducation populaire, elle ne le fit pas en méprisant les cultures locales ou singulières mais en prenant appui sur elle.

Est-ce du racisme de classe ? Oui, cela en est. Un racisme de classe qui cache, maladroitement, un racisme tout court. A le lire, on sent poindre le grand retour des « classes dangereuses », celles qui remettent en cause l’Ordre social. Et quand ces classes dangereuses s’incarnent un temps sous le masque de l’Etranger, « d’origine ou de papier », c’est la Civilisation, celle des Lumières et de l’Occident chrétien, qui est en danger ! Entre ses propos peu amènes sur les émeutiers barbares et l’Islam barbare, Robert Redeker s’est attaqué avec son sens habituel de la mesure à un sujet qui lui tient à cœur : l’enseignement. Ou plutôt à la crise de l’école d’aujourd’hui. Dans un numéro des Temps modernes, revue fondée par Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, il nous délivre de façon évidemment lapidaire la critique suivante : « Chacun se souvient du sinistre mot d’ordre : « l’enfant au centre du système » ; ce slogan signifiait : chaque enfant est le Roi-soleil, sorte de Louis XIV en miniature, autour de qui doit graviter la cour déférente des pères et des mères, des instituteurs et professeurs, des adultes. L’impératif énonçant « l’enfant au centre du système » instaure la monarchie absolue de l’enfant. »

Haro donc sur les pédagogies actives, différentes, nouvelles, sur les esquisses de « républiques éducatives » ! Redeker est un sentimental : il a l’arme à l’œil, plus qu’à gauche, à l’évocation de ses files bien droites d’élèves studieux, nippés de blouses grises, la goule ouverte et silencieuse, prête à recevoir le savoir qu’y déverseront les Hussards noirs de la République. Et qu’importe si cette image d’Epinal cache la réalité scolaire de ce temps ancien : une éducation pour les riches qu’on mène au bac, une éducation pour les pauvres destinés à la machine industrielle et agricole. Et entre les deux, les rares rejetons des classes populaires que l’instituteur soucieux va prendre sous son aile et aider à sortir de leur classe sociale d’origine. L’histoire regorge de ces fils de paysans et d’ouvriers, condamnés à la reproduction sociale, et parvenant malgré tout à s’extraire de la nasse pour devenir fonctionnaire ou ingénieur, en clair « quelqu’un de bien », qui a du savoir, de l’éducation. La méritocratie républicaine cache ainsi le laminage des potentialités individuelles de la plupart de celles et ceux qui n’ont pas eu le bonheur de bien naître. Pierre Bourdieu et Robert Redeker ont ainsi un point commun : rien en les prédestinait à « réussir socialement », eux, les fils de pauvres, qui plus est, provinciaux. La différence, c’est que Bourdieu, fît de la sociologie de combat, et Redeker, de la philosophie de comptoir.

Que l’école soit en crise, c’est un fait. Mais elle doit cette crise à une multiplicité de facteurs, de la massification scolaire aux problèmes d’intendance et d’encadrement, de l’évolution des outils de transmission de la culture à la crise économique et sociale. Critiquer la méthode globale est nécessaire par exemple, encore faut-il ne pas oublier que les enseignants ont depuis longtemps appris à composer avec des outils pédagogiques différents. Quant à l’enfant « au centre du système », c’est plus une image, une tension qu’une réalité concrète vécue par les uns et les autres.

Robert Redeker est un réactionnaire. Il pourfend, gesticule, invective, pérore, provoque avec l’élégance et le raffinement d’un militaire de la Coloniale. Le plus drôle, c’est que c’est a priori un homme de gauche puisqu’il présidait le Comité de soutien à Jean-Pierre Chevènement, celui qui entendait réduire au silence les « sauvageons », les quelques caïds faisant régner la terreur dans les quartiers populaires !

De l’Islam, Robert Redeker ne retient que la lecture littéraliste, celle des islamistes radicaux, des barbus, des « fous de Dieu », et oublie tout le travail effectué hier par les musulmans réformateurs, toutes les réflexions que ceux-ci ont porté sur la Charia, la nature de l’Etat ou encore l’Oummah. Redeker aurait trouvé intérêt à parcourir « La laïcité face à+ l’Islam » d’Olivier Roy dans lequel celui-ci écrit : « Définir l’Islam comme un ensemble de normes fermées, et les musulmans comme formant une communauté exclusive de toute autre appartenance, c’est précisément emprunter aux fondamentalistes leur définition de l’Islam. » Redeker oublie qu’un Islam modéré et adepte du libéralisme économique s’affirme avec moins de fracas mais beaucoup plus de puissance, un Islam qui essaie de conjuguer religiosité et culte de la réussite individuelle. Bref, pour aller vite, ces Musulmans-là prennent lentement mais sûrement le chemin pris jadis par les protestants nord-américains dans la glorification de la Fortune comme don de Dieu. Redeker aurait trouvé intérêt à lire le petit livre éclairant de Patrick Haenni « L’Islam de marché - L’autre révolution conservatrice ». Il oublie également que la très grande majorité des Musulmans de France sont aussi peu exaltés que les crapauds et grenouilles de bénitier qui fréquentent les églises : ils sont pieux, croient en Dieu mais ne sont guère prêts à s’enflammer pour le Djihad.

De la banlieue, Robert Redeker ne voit que les flammes de la destruction et la preuve que nous sommes en plein « choc des civilisations ». Sa boussole, c’est la paranoïa qui suinte le racisme : les Huns sont dans nos murs, les Huns sont Noirs ou Arabes, les Huns sont Musulmans donc assoiffés de sang et rétifs à la Culture. Qu’importe si les islamistes radicaux ne jouèrent aucun rôle dans ces événements ! Qu’importe si l’essentiel des émeutiers interpellés et condamnés sont de nationalité française ! Qu’importe si dans le Nord de la France, des émeutes ont éclaté dans des quartiers populaires à la population étrangère marginale ! Peu importent les faits, car les faits, Redeker n’en a cure : il a juste besoin d’un bouc-émissaire. A rejeter la sociologie comme un outil d’appréhension et de compréhension du monde tel qu’il va, on se condamne à déblatérer comme on le fait au Café du Commerce où le fort en gueule et le roquet l’emportent toujours sur le Sage. Les émeutes de décembre 2005 méritent mieux que ces envolées lyriques et pontifiantes qui ne reposent sur aucune enquête de terrain. Quant à la philosophie, elle mérite mieux que ces rodomontades aussi vulgaires qu’indécentes.

Patsy

Le Monde comme il va - Hebdo libertaire d’actualité politique et sociale, nationale et internationale - Tous les jeudis de 19h à 19h50 - Alternantes FM 98.1 Mgh (Nantes) / 91 Mgh (Saint-Nazaire) - Alternantes FM 19 rue de Nancy BP 31605 44316 Nantes cedex 03 adresse e-mail : patsy-alternantes@internetdown.org ;

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