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Questionnaire sur les mouvements anti-CPE de février-avril 2006 (4)

lundi 18 septembre 2006

Interview de Pierre (Jussieu, Paris)

Dans quelle faculté étudies-tu ? Je suis à l’université Paris VI Jussieu. Je suis boursier et je ne travaille pas.

Y a-t-il eu des luttes auparavant dans ta faculté ? En 2001-2002 il y a eu le mouvement anti-guerre de l’Irak avec quelques AG mais ce n’est pas allé plus loin que quelques manifestations d’ampleur moyenne. Au moment des présidentielles il y a eu quelques AG et un petit mouvement auquel je n’ai participé que de très loin, puis un petit truc au moment de la réforme du LMD (licence master doctorat) qui n’a débouché que sur des AG et quelques manifestations.

Les « émeutes » de novembre ont-elles été discutées dans ton établissement ? On est dans un établissement central de Paris. Il y a quand même quelques banlieusards. Je n’ai pas rencontré de gens qui aient participé aux émeutes. Dans les premières AG de février on a commencé à bloquer le 27 février. Pendant la semaine précédente, celle du 20 février, des motions ont été proposées pour l’amnistie des « émeutiers » et cela a été adopté. Les émeutes de novembre n’ont pas provoqué de discussions collectives importantes à Jussieu. C’est possible que dans des facs comme Saint-Denis, Nanterre ou Créteil des réunions se soient tenues. La fac n’était pas recouverte d’affiches. Quelques discussions informelles ont eu lieu, sans plus. Comme je suis en dernière année, la sélection sociale est telle qu’il y a beaucoup moins de gens originaires de banlieue et issus des classes populaires.

Le retrait du CPE était-il l’unique revendication ? Les étudiants sont venus aux AG pour le CPE, pour s’informer. Parmi mes amis personnels, on commençait à discuter du CPE avant même le début du mouvement. La plupart de mes copains à l’extérieur de la fac ont fait un peu de fac ou pas du tout. Je suis un des seuls à avoir continué après les trois premières années. Les autres ont arrêté et vivent de petits boulots. Ils se sentaient vraiment concernés par le CPE. Ce qui les sensibilisait le plus c’était le fait que l’on puisse être viré sans raison. Mais certains de ceux qui bossent dans des petits boulots disaient qu’ils pouvaient déjà se faire virer très facilement, même en CDI. A la fac certains s’étaient déjà intéressés à la question. De petites AG, ou plutôt des réunions d’informations appelées par les syndicats, ont eu lieu à partir de début février. On était en retard sur Rennes. Le blocage de la fac de Rennes a servi d’argument moteur pour lancer la mobilisation et bloquer Jussieu. On sentait que les gens, quelle que soit leur position, s’intéressaient à la question. Dès qu’il y a eu des AG plus nombreuses (les premières étaient de 200 personnes avec environ un tiers de syndicalistes du personnel de la fac - professeurs et ATOS - et des syndicalistes étudiants), les syndicalistes ont proposé d’ajouter la loi sur l’égalité des chances et le CNE, et la non-diminution des postes offerts aux concours de professeurs au niveau du CAPES. L’argument principal était que la plate-forme avait été votée à Toulouse. Et cela a été voté aussi à Toulouse. Une bataille interne à l’UNEF de Jussieu s’est déroulée entre la tendance majoritaire au niveau national qui est proche du PS et de l’autre côté la tendance minoritaire nationalement, mais majoritaire à Jussieu, qui est constituée par les JCR et quelques individus de LO. Le PS ne voulait parler que du CPE et ne voulait pas élargir à d’autres revendications. « Trop de revendications tuent la revendication », a affirmé l’un d’eux à une AG. Aux premières AG on voyait surtout des syndicalistes. Au début du mouvement, j’ai rencontré pas mal de gens militants libertaires mais aussi des non-militants, des étudiants ordinaires, qui voulaient autre chose que les AG syndicales et ont commencé à parler d’autre chose que du CPE : salariat, travail, diplômes, précarité. Des petites réunions étaient organisées avec des discussions informelles et on a eu des discussions autour d’articles. Les AG nous ennuyaient et on voulait faire autre chose. On pensait que le mouvement allait décroître et on n’est pas allés aux AG. Et quand le mouvement a démarré, eh bien on a eu un métro de retard. Et on a changé d’avis plusieurs fois de suite sur notre participation. On a créé un journal - Le canard du Jussieu - qui a sorti trois numéros assez critiques envers la façon dont se déroulaient les AG et les batailles entre organisations. Il a malgré tout eu une petite influence sur le mouvement dans Jussieu mais aussi d’autres universités.

Certains grévistes ont-ils refusé d’avancer des revendications, considérant qu’elles limitaient le mouvement ? Quelques individus voulaient plus que le retrait du CPE, mais ce n’était qu’une infime minorité.

Quels départements de la faculté ont été le plus mobilisés ? A Jussieu, les UFR les plus mobilisées étaient celles de Lettres Art et Cinéma, ils ont été parmi les premiers à débrayer et à venir, une partie des jeunes de psycho, l’UFR de Géographie, histoire et sciences sociales qui est dans le XIIIe (la direction de leur UFR était solidaire et ils ont organisé des cours ouverts à tout le monde avec des topos sur la précarité, l’immigration, etc.).

Combien d’étudiants comporte ton établissement ? On avance le chiffre de 40 000 inscrits pour Paris VI et Paris VII et 20 000 personnels (il y a beaucoup de labos ; Jussieu est un des plus gros campus scientifiques d’Europe et Paris VI la plus grosse fac scientifique française). Tout le monde n’est pas physiquement sur le campus qui est partiellement délocalisé. Une partie des étudiants lâchent les cours durant l’année, d’autres viennent toute l’année et lâchent avant l’examen. Chaque jour on estime que 8000 étudiants seraient présents sur le campus chaque jour. Quant au personnel il vient travailler quasiment tous les jours.

Quelle est la composition sociale des étudiants ? Les étudiants travailleurs ont en principe plus de mal à se mobiliser. Je ne dispose pas de statistiques. Dans le mouvement, il y a autant de filles que de garçons, dans les milieux militants, comme dans les autres. J’ai l’impression que les plus militants avaient participé aux mouvements lycéens de l’année dernière, ou en tout cas avaient suivi ces mouvements.

Quelle est l’influence du statut social ou de l’appartenance de classe des parents sur la lutte ? J’ai l’impression que le statut social n’a pas directement joué de rôle dans le mouvement.

Quelle a été l’attitude des enseignants et du personnel de la faculté ? Sur ma fac, les syndicats de personnel ont essayé de faire des AG. Les personnels et les profs ont été sympa, nous ont encouragés mais ils n’avaient pas très envie de faire grève eux-mêmes. Un ou deux profs sont intervenus à titre individuel sur les AG pour dire ce qu’ils pensaient des examens. Les décisions concernant les examens se prennent UFR par UFR. Les profs au sein même d’une UFR peuvent prendre les décisions qu’ils veulent. Les stressés des exams ont voulu aller voir les profs en disant « il faut que nos diplômes aient quand même de la valeur » avec, dans la tête, une phobie de Mai 68 et de son bac facile. Les profs étaient dans l’expectative. Ils restaient très vagues et n’avaient pas de positions politiques sur la question des examens.

Qui a déclenché la grève ? Ça a commencé par des barrages filtrants plutôt sous l’initiative des syndicalistes, ensuite - étant donné que cela avait marché et que les AG commençaient à être nombreuses (400 personnes), les syndicalistes se sont dits qu’il y avait quelque chose à faire et ils sont partis sur l’exemple de Rennes. Il y avait un contexte favorable et même exceptionnel par rapport aux années précédentes sur la fac de Jussieu. C’était la première fois que je voyais une AG aussi importante.

Quel est le rôle concret de Jussieu dans l’extension ? Certains trotskystes ont poussé à aller voir les lycées au début du mouvement mais je n’y ai pas participé. Au moment de la phase la plus haute du mouvement, ils sont allés tracter dans les gares et les stations de métro pour toucher des travailleurs. Ce que je pense être une erreur parce que cela ne touche pas directement les gens en tant que travailleurs, mais en tant que simples citoyens. Sur la fin, alors que le mouvement commençait à descendre, les syndicalistes étudiants se sont décidés à assumer leur appel à la grève générale et aller voir des salariés sur leurs lieux de travail. L’UNEF n’a jamais pris position ni pour ni contre le blocage. Ils ont été très prudents pour ménager l’avenir. Jussieu a très peu été un centre d’attraction pour les lycéens, et pas non plus pour les étudiants, chaque fac étant plutôt centrée sur elle-même. Les lycéens venaient pour les manifs et une infime minorité venaient aux AG pour s’investir, mais individuellement. Symboliquement, Jussieu a été important parce que le blocage a tout de même été suivi . Et c’est une fac dont on a un peu plus parlé à la télé que les autres facs.

Quelle a été l’originalité du mouvement dans ta fac par rapport à d’autres ? La seule originalité c’est qu’on a une forte implantation de la JCR et que ce sont eux qui ont mené le mouvement dans la fac.

Quelle influence ont eue les étudiants de base sur le conflit ? Globalement, ils n’avaient pas forcément envie d’aller plus loin que ce que leur racontaient les JCR. Les JCR avaient un discours plus radical que le reste de l’UNEF (ils sont à l’intérieur de ce syndicat dont ils forment une tendance minoritaire depuis plusieurs années). Les gens de la majo de l’UNEF (PS, PCF) étant plus jeunes et moins expérimentés, ils se mélangeaient les pinceaux dans les AG et disaient parfois le contraire de ce qu’il leur aurait fallu dire - suivant leur ligne, bien sûr. Les étudiants à certains moments, de manière partielle et localisée, ont parfois débordé la tribune syndicale sur la façon dont se faisaient les votes (le comptage des votes à main levée était sujet à polémiques), par exemple. Cela a toujours pu être rattrapé, réorienté par la suite, par la tribune. Quelques individus ont pu faire des propositions plus radicales, voire loufoques, mais ils n’ont pas été suivis. Il y avait les manœuvres classiques (donner la parole une fois sur deux aux militants de la même organisation, sans qu’ils annoncent leur appartenance), mais ce type de manœuvre ne peut fonctionner longtemps sans que les gens s’en rendent compte. Malgré cela, les étudiants n’avaient pas envie de remettre en cause ce que disaient les syndicats.

Qui a fait les propositions ? Les syndicalistes de l’UNEF (mino et majo). Au début du mouvement il y avait une présence extérieure du PT et de la FSE, mais les deux ont disparu en voyant sans doute que les JCR contrôlaient le mouvement. Du moins c’est mon hypothèse. LO (majo et Fraction) était aussi présente. Il y a eu quelques propositions faites par des étudiants non organisés, mais le plus souvent sur des questions peu importantes (colorer l’eau des fontaines pour protester contre la répression). Les étudiants ont suivi les organisations syndicales parce que le discours des JCR correspondait à ce qu’ils attendaient : blocage, liens avec les lycées, tractage. Les JCR ont même eu tendance au début à pousser les étudiants en avant. Une méfiance très forte s’est exprimée vis-à-vis des syndicats et des organisations politiques : les étudiants demandaient aux gens de se présenter et de révéler leur appartenance politique ou syndicale, voire souhaitaient qu’il y ait autant de syndiqués que de non-syndiqués à la tribune et dans les délégations (souhait anticipé par les syndicalistes).

Quelles initiatives ont été prises pour obtenir le soutien d’autres gens que les grévistes ? Surtout des diffusions de tracts dans les gares parisiennes, puis des tentatives très minoritaires d’aller vers les entreprises, en partie à l’initiative des militants de LO (SNECMA, Banque postale, cheminots) en commun avec des syndicalistes et sympathisants de LO. Il y a eu une tentative très minoritaire d’aller voir les gens des chantiers (de désamiantage et de construction) de Jussieu qui n’a débouché sur rien et qui a été ignorée totalement par les militants de LO et des JCR. A part les syndicalistes du personnel (ATOS et enseignants), les personnels ne venaient pas aux AG étudiantes et tenaient leurs AG séparées. Les AG des personnels étaient surtout des AG d’information très peu combatives. Certains des personnels ont sans doute fait grève individuellement lors des journées d’action.

Quels ont été les moyens utilisés pendant la grève ? Barrages filtrants avec diffusion massive de tracts à l’entrée de la fac, blocages de gares, diffusion de tracts dans les gares et les supermarchés.

Quelles ont été les initiatives prises contre la grève ? Sur Jussieu, la répression a été inexistante. Les mecs des RG étaient présents de temps à autre, mais on n’a même pas vu de cars de flics. L’administration, dans un communiqué de la présidence au début du blocage, a indiqué qu’elle aurait pris contact avec le préfet mais que celui-ci aurait répondu qu’il fallait attendre. Le seul jour où les flics sont venus, c’est quand des chercheurs ont voulu forcer le piquet de grève et où les flics se sont placés entre les deux pour modérer... les antigrévistes. Une autre fois, après une manif un peu agitée à la Sorbonne et sa dispersion, quelques dizaines de manifestants se sont retrouvés devant Jussieu et, au bout de 20-30 minutes, un car de policiers anti-émeutes et plusieurs voitures sont arrivés. Les manifestants se sont réfugiés tout de suite dans la fac en escaladant la grille (la fac était fermée, il était près de 21 heures), mais certains se sont fait arrêter. Mais les policiers n’ont pas poursuivi ceux qui avaient réussi à entrer dans la fac et ne sont même pas restés à l’extérieur pour les attendre. Une petite organisation d’antibloqueurs s’est créée sur la fac, en partie noyautée par l’UNI, mais majoritairement composée d’étudiants uniquement inquiets pour leurs cours. On n’a eu aucun affrontement, à part un petit chahut de temps à autre. On peut dire qu’ils étaient encore plus minoritaires que les bloqueurs mais que s’ils avaient eu la volonté de débloquer la fac, même en étant moins nombreux mais déterminés à se battre, ils auraient pu facilement le faire. Ce qui n’a pas été le cas. Cependant, de nombreux événements à Jussieu ont été médiatisés alors qu’il ne s’était rien passé de sérieux.

Quel a été le rôle politique des organisations extérieures à la faculté ? La CGT a appuyé le mouvement en tirant des tracts, en prêtant des porte-voix, une sono. Les partis politiques de gauche n’ont pas diffusé de tracts (leurs militants sont intervenus en portant la casquette syndicale, union de la gauche oblige), le MJS a collé des affiches au début du mouvement.

Que pensent les étudiants ou les lycéens de ces organisations ? Les étudiants sont méfiants. Ils ont peur d’être manipulés, ils stigmatisent le militantisme, pas très à la mode chez eux ; je relie cette attitude avec la vague abstentionniste dans la jeunesse, ils ne sentent pas représentés par ces organisations, elles leur semblent extérieures, d’autant plus qu’elles regroupent très peu de gens. Une minorité va un peu plus loin en disant des trucs comme « le PS et la droite, c’est pareil », ou « La LCR s’ils arrivent au pouvoir, qu’est-ce qu’ils vont pouvoir faire ? » Mais il n’y a pas de volonté d’organisation autonome ou à la base de groupes importants d’étudiants.

Quelles ont été les formes d’organisation pratiquées par les étudiants ? A Jussieu, il y a eu des AG régulières, quotidiennes au début du blocage, qui avaient lieu soit le matin, soit le midi et qui duraient entre 2 à 4 heures. Les après-midi, quasiment tous les jours, un comité de mobilisation se réunissait et n’importe quel étudiant pouvait y participer. Il se chargeait de préparer la journée suivante et la mobilisation à venir. De fait, le comité de mobilisation avait un poids décisionnel aussi important que celui de l’AG ; il pouvait orienter l’action dans un sens, ou faire preuve d’inertie si une décision ne lui plaisait pas. Le comité de mobilisation comprenait un tiers de militants syndicalistes et politiques, et le reste était composé du noyau dur des étudiants radicalisés. Ces derniers, même s’ils collaboraient avec les syndicalistes, étaient quand même un peu méfiants. Les commissions, en général, ne regroupaient pas beaucoup d’étudiants, surtout des militants. C’est là qu’on pouvait voir la barrière entre les militants « professionnels » et les étudiants de base. Malgré tout, un comité culture a rassemblé des étudiants qui voulaient organiser des activités culturelles sur la fac (concerts, « jeu de loi » à base de pochoirs sur les trottoirs, projections de films, etc.). Des réunions intersyndicales se sont tenues à la faculté mais pas d’interpro avec des entreprises en lutte.

Quels problèmes ont-ils rencontrés en s’organisant ? Le fait que le mouvement ait été minoritaire n’a pas posé de problèmes. La majorité des non-grévistes a été silencieuse et passive. Ils avaient trop peur de ne pas avoir leurs examens pour faire quoi que ce soit. De petits problèmes sont apparus au niveau de l’organisation des AG, pour le comptage des votes, etc. Malgré le nombre important de gens dans les AG, seuls 10% participaient au blocage. Sur des AG de 800 à 1000 personnes, par exemple, seule une petite centaine venait bloquer la fac le matin.

Quel a été le rapport entre actions « légales » et « illégales » ? Dans les AG les étudiants ne se sont pas tellement posés le problème de la légalité. La majo de l’UNEF a tenu des discours du genre : « On n’est pas légitime parce qu’on n’est pas la majorité », mais l’argument n’a pas convaincu. L’existence d’affrontements symboliques aussi étendus et déterminés entre les flics d’un côté et, de l’autre, des étudiants, des jeunes chômeurs, des lycéens et une poignée de lascars est un événement nouveau. La plupart des gens qui étaient arrêtés suite à ces affrontements étaient inconnus des milieux militants, ce qui me fait penser qu’il y a une sorte de colère un peu plus profonde que ce qu’on peut voir à la surface, une haine du flic, certes un peu primaire, qui prouve que certains jeunes n’en peuvent plus. En tout cas, il n’y a pas eu de rejet, de la part du mouvement, de ces affrontements.

Quels sont les effets de la grève ? Majoritairement ce que les étudiants veulent, c’est passer leurs examens. Au moment de la reprise des cours, l’UNEF (majo et mino) a essayé de relancer le mouvement avec pour objectif d’obtenir des « conditions justes pour les examens », ce qui n’a pas du tout marché. La plupart des étudiants savent qu’ils passeront leurs examens à la fin de l’année même s’ils doivent bosser un peu plus. La sélection est prévue à l’avance. Le handicap est le même pour tout le monde. La faculté ne peut pas éliminer toute une promotion. A mon avis, le nombre de gens recalés ne sera pas plus important que d’habitude. Certains professeurs sont fâchés parce qu’ils n’auront pas le temps de finir le programme, d’autres disent que de toute façon ils n’ont jamais le temps de le terminer.

Que pensent les étudiants grévistes des conséquences du conflit ? Tout le monde ressent comme une victoire qu’on ait montré qu’on pouvait faire quelque chose. Même ceux qui ont initié le blocage n’étaient pas persuadés qu’on pouvait avoir un poids dans la société, et la plupart de ceux qui ne voulaient pas faire grève étaient persuadés du contraire. Maintenant on tient un argument solide vis-à-vis de ces gens-là.

Quelle a été l’attitude des médias ? Jusqu’à l’occupation de la Sorbonne on n’a pas vu beaucoup de journalistes. Globalement le mouvement a juste été brièvement décrit, sans antipathie ni sympathie. L’AFP, à mon avis, a été sympa en rapportant des chiffres un peu revus à la hausse et en ne s’attardant pas sur ce qui aurait pu discréditer le mouvement, en n’insistant pas sur le côté minoritaire du mouvement, l’opposition des antibloqueurs. Après l’occupation de la Sorbonne, il y avait des caméras et des photographes tout le temps, et ce pendant plusieurs semaines. L’occupation de la Sorbonne a marqué une étape. Les gens ont cru qu’il y avait eu un affrontement important avec les policiers (alors que ce n’était pas vraiment le cas) et on peut dire que le symbole de Mai 68 a fonctionné.

Comment la lutte s’est-elle développée ? Comment le moral des étudiants a-t-il évolué ? Le plus dur aura été de gérer la fatigue, les blocages ayant duré quasiment deux mois entiers. Des étudiants très mobilisés au début se sont éloignés du mouvement, mais la relève s’est toujours faite par les nouveaux arrivants.

Y a-t-il eu des conflits parmi les grévistes ? À ma connaissance, non. Les JCR se sont débrouillés pour se maintenir à la tête du mouvement. Les oppositions politiques étaient plutôt rares et faiblardes.

Quelle est la réaction de l’administration et des enseignants après la fin de la grève ? Quelles ont été les tentatives de médiation et de négociation ? Grosso modo, les syndicalistes étaient toujours en contact avec la présidence de l’université, mais ils ont refusé de négocier l’arrêt du blocage. Il est difficile de parler du contenu de leurs discussions.

Que va-t-il se passer maintenant ? Globalement, il n’y a pas pour l’instant de mesures visibles de rétorsion. Divers petits groupes d’étudiants mobilisés à la base se sont créés à l’extérieur des organismes traditionnels, autour d’une volonté d’avoir des discussions plus approfondies, mais je ne suis pas très optimiste quant à leur survie après les vacances scolaires.

Que pensent les étudiants de l’expérience qu’ils ont vécue ? Je ne pense pas qu’un bilan collectif clair ait été tiré du mouvement. En gros, la seule démarcation se fait entre ceux qui ont l’impression d’avoir gagné, et ceux qui, malgré tout, auraient aimé aller plus loin.

Que pourrait-on améliorer ou faire différemment la prochaine fois ? À mon avis, cela ne dépend pas uniquement des choix des divers individus quant à la manière d’organiser le mouvement, mais plus de la volonté collective qui s’exprime pendant celui-ci. Si la majeure partie des étudiants décident de ne pas aller plus loin qu’une simple lutte revendicative, il n’y a pas grand chose à redire, étant donné la victoire sur ce point du mouvement. Quels liens les étudiants établissent-ils entre leur lutte et la situation sociale générale ? Je trouve cela très positif que des jeunes scolarisés se soient bougés sur quelque chose qui les touche en tant que salariés, et pas en tant qu’étudiants. Mais de là à dire que tous les étudiants en aient tiré des conclusions, en se voyant maintenant comme partie intégrante du salariat et pas comme un secteur différencié (la jeunesse), il y a tout de même un pas.

Quels liens établissent-ils avec les luttes des salariés ? Le seul lien qui a été fait, et qui n’a pas eu de retombée pratique hors des grandes manifestations nationales, était un appel à la solidarité contre le gouvernement.

Comment s’est fait le travail de popularisation de la lutte ? Des liens nouveaux et prometteurs ont-ils été tissés pour de futures luttes ? J’aurais tendance à dire que le mouvement n’a pas dépassé de manière durable les limites de la jeunesse scolarisée, au niveau de l’université de Jussieu.

Les filles ont-elles participé moins, autant ou plus que les garçons aux AG, aux actions, aux discussions ? J’ai pu constater un bon équilibre entre le nombre de garçons et de filles dans les Coordinations et à tous les niveaux du mouvement. C’est quelque chose d’inhabituel.

Les organisations syndicales ou politiques ont-elles recruté pendant et après le mouvement ? Durant tout le mouvement, l’UNEF n’a eu de cesse de rappeler l’importance de l’organisation politique, et donc bien entendu du syndicat. Les organisations ont surtout lancé leur recrutement sur la fin du mouvement, avec comme argument principal que la seule manière de rester mobilisés hors des luttes était de faire partie d’un syndicat et aussi bien sûr d’une organisation politique.

Les comparaisons incessantes avec Mai 68 à chaque grand mouvement étudiant ou lycéen te semblent-elles pertinentes ou pas ? Personnellement, ça m’a plus fatigué qu’autre chose : il ne s’agissait pas de la comparaison entre deux mouvements réels, mais entre celui que nous vivions et le mythe de 68. D’ailleurs, je me souviens d’avoir vu plusieurs vieux soixante-huitards venir sur les piquets pour discuter avec les jeunes. En tout cas, Mai 68 semble également être quelque chose d’assez lointain pour les étudiants également et, sur le terrain, la plupart semblaient plus concentrés sur le CPE que par le fait de refaire Mai 68.

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