de Piotr Kendziorek et August Grabski
De l’anti-impérialisme frelaté au racisme
Le discours antisioniste de gauche établit fréquemment un lien entre l’existence de l’Etat juif et de la diaspora juive, d’un côté, et le vieux thème antisémite de l’exploitation parasitaire des autres nations par les Juifs. L’utilisation de formules telles que l’impérialisme, le colonialisme ou le racisme « sionistes » permet d’établir un pont avec la pensée idéologique de gauche. Mais ces liens avec des catégories de la pensée progressiste n’empêchent pas que « l’orientation et les effets » de cette « conception anti-impérialiste du monde (18) soient structurellement antisémites. Cette conception repose sur le manichéisme, la personnalisation (19), les théories du complot, et l’opposition entre de bons peuples et de méchants financiers capitalistes » (Thomas Haury). Isaac Deutscher a identifié, de façon percutante, le raccourci qui mène de cet « anti-impérialisme des imbéciles » à l’antisémitisme. Il devient évident quand on se rend compte que ce type de conceptualisation politique ne reconnaît pas le statut de nation au peuple juif (déni lié, en partie, au fait que ces courants partagent la même conception de la nation que Staline) et réduit les Juifs à des colons blancs racistes. Ce discours ignore complètement les questions de l’antisémitisme, de l’Holocauste, leur rôle dans l’apparition du sionisme comme mouvement politique et, plus tard, dans la création de l’Etat d’Israël suite à ses efforts et ses luttes.
Ce regard sur la réalité permet de placer toujours les Juifs en Palestine du côté des forces du mal : en tant que colonisateurs, racistes, impérialistes et capitalistes. Comme l’a noté subtilement noté Shulamit Volkov (20), les Juifs, dans le monde arabe, commencent à remplir une fonction symbolique redoutable : celle d’incarner leur pire expérience des sociétés post-coloniales dans le cadre de leurs contacts avec le monde occidental. Il n’est donc pas surprenant que l’adoption acritique d’un tel point de vue effraye et éloigne la plupart des Juifs de la gauche radicale. De plus, cette démarche acritique renforce le consensus sioniste dans la société israélienne (consensus fondé sur la peur, comme l’a bien expliqué Moshe Zuckermann [21]), mais aussi le potentiel antisémite des idéologies nationalistes dans les pays occidentaux et européens. Il n’est pas nécessaire d’éprouver beaucoup d’empathie envers les expériences historiques des Juifs pour pouvoir être d’accord avec le militant trotskyste israélien Jacob Taut (auteur du livre Le sionisme et la question juive, paru en allemand en 1969), qui a vécu en Palestine à partir des années 30 : « Cet Etat, dont nous avons critiqué la création (...) est maintenant, après vingt ans d’existence, un fait. Et son élimination, par n’importe quelle force arabe, mènerait seulement à de nouveaux malheurs, de nouveaux meurtres et de nouveaux massacres. Israël est un pays riche qui, comme tous les pays capitalistes, est divisé en classes sociales. Le rôle du sionisme est réactionnaire, mais la population juive d’Israël ne pourra être attirée vers la lutte contre l’impérialisme et pour le socialisme que lorsque son existence physique et nationale sera garantie. »
De même, il est évident que l’antisionisme de la gauche juive antisioniste (par exemple, le Matzpen (22) ou le Bund (23) qui défendent le droit des Juifs à l’autodétermination) n’a rien de commun avec l’« anti-impérialisme des imbéciles ». De toute façon, le droit d’Israël à exister n’est pas contesté par la Quatrième Internationale, organisation internationale la plus importante de la gauche radicale dont les activités sont souvent citées par les rédacteurs de Lewa Noga et de Rewolucja. Mais, par rapport au conflit israélo-palestinien, les rédacteurs de ces revues dissimulent constamment le fait que la Quatrième Internationale a abandonné l’idée d’un Etat binational sur le territoire de la Palestine et d’Israël (cf. les résolutions du XIIIe congrès mondial en 1991). Quelle conclusion tirer de tout ceci ? A notre avis, toute personne qui écrit à propos de l’antisionisme et de la gauche radicale devrait toujours préciser de quel « antisionisme » et quelle « gauche radicale » elle parle. Autrement, comme cela arrive souvent, les discussions ne s’engagent pas à partir d’un thème clairement défini, et sont donc fréquemment stériles. Il est dommage que les rédacteurs des revues Lewa Noga et Rewolucja essaient systématiquement de propager les idées moralement et politiquement les plus douteuses (directement influencées par Les questions du léninisme de Staline et par la tradition stalinienne) que l’on trouve dans l’héritage politique et théorique de la Nouvelle Gauche, héritage riche et important. Heureusement pour les Juifs et pour la gauche, il existe également des militants de gauche qui critiquent cet antisémitisme de gauche, comme en témoignent les auteurs et organisations cités dans notre article.
Cet article est une version raccourcie et légèrement retouchée d’un texte paru dans la revue juive polonaise Midrasz en juillet-août 2006 (dans le cadre d’une discussion sur les liens entre l’antisionisme de gauche et l’antisémitisme). Piotr Kendziorek est l’auteur de Antisémitisme et société bourgeoise : interprétations néo-marxistes (Varsovie 2005).
August Grabski travaille à l’Institut d’histoire juive de Varsovie et est co-auteur du livre : Le trotskysme : Doctrine et mouvement politique (Varsovie, 2003).
NOTES des auteurs (P.K et A.G.). et du traducteur (Y.C.)
1. Mieczyslaw Moczar (1913-1986), membre du Comité central du Parti communiste polonais de 1965 à 1981. Général de l’Armée du peuple, ministre de l’Intérieur (1964-1968). Il joua un rôle déterminant dans les événements de mars 1968 en Pologne durant lesquels il fut un des “durs” du Parti stalinien (Y.C.).
2. « L’Association patriotique Grunwald fut créée en 1981 par un certain nombre de staliniens du Parti communiste. Grunwald est un village où se déroula en 1410 l’une des plus grandes batailles du Moyen Age, souvent appelée la bataille de Tannenberg. Au cours de cette bataille, des troupes polonaises, lituaniennes et ruthènes battirent l’Ordre allemand des chevaliers teutoniques. Néanmoins les slogans antisémites diffusés par l’Association Grunwald furent rejetés unanimement par les militans de Solidarnosc. » (Note tirée d’un article d’August Grabski intitulé « Le mémorial d’Auschwitz, la Pologne et l’Holocauste » cf. le site de mondialisme.org Ni patrie ni frontières n° 18-19.)
3. Rédacteur en chef de cette revue, il est récemment devenu le rédacteur en chef adjoint de l’édition polonaise du Monde Diplomatique. Il se présente en Pologne comme un membre de la Quatrième Internationale. (P.K et A.G.).
4. Cf. annexe.
5. Souligné par nous (P.K et A.G.).
6. Fondé en 1967 sous la direction de Georges Habache et Ahmed Jibril, le Front populaire de libération de la Palestine combine nationalisme arabe et une phraséologie marxisante. Ce groupe a rejoint l’Organisation de Libération de la Palestine en 1968 et était dans les années 70, au sein de l’OLP, le deuxième groupe le plus important après le Fatah. Il défend l’idée d’une Palestine où vivraient Juifs et Arabes avec les mêmes droits mais qui serait intégrée dans la « nation arabe », concept qui joue pour le FPLP un rôle essentiel et permet de satisfaire à la fois les gauchistes naïfs et les nationalistes arabes.
7. C’est-à-dire depuis la création de l’Etat d’Israël (P.K et A.G.).
8. Compradors : ce terme désigne traditionnellement les éléments (intermédiaires, hauts fonctionnaires, commerçants, voire même entrepreneurs) de la bourgeoisie d’un pays dépendant qui se mettent au service d’une bourgeoisie « étrangère » (coloniale ou impérialiste). Ils sont généralement accusés de jouer un rôle « parasitaire » par rapport à un « bon » développement capitaliste qui pourrait favoriser une « saine » accumulation primitive permettant l’émergence d’une bourgeoisie « nationale ». Ce concept a connu une grande fortune dans la propagande des mouvements nationalistes, staliniens ou pas. Son principal inconvénient : il permet de faire croire aux exploités qu’il y aurait deux bourgeoisies, une bonne (la bourgeoisie nationale) et une mauvaise (la bourgeoisie compradore). Cette opposition factice ressemble comme deux gouttes d’eau à celle entre capitalisme éthique (ou économie durable) et néolibéralisme, ou petite industrie et multinationales, coopératives et capitalisme, entreprises privées et entreprises nationalisées, etc. Bref les lieux communs de l’altermondialisme actuel. (Y.C.).
9. Secrétaire général du FPLP, Saadat fut arrêté par l’Autorité palestinienne après le meurtre du ministre israélinen du Tourisme, Rehavam Zevi en 2001, emprisonné à Jéricho en Palestine puis emmené en Israël en mars 2006, après l’intervention d’un commando israélien (Y.C.)
10. Cf. Shulamit Aloni “L’assassinat d’une population sous des airs de vertu, republié en polonais dans Rewolucja n° 3, et traduit en français : http://www.fairelejour.org/article.... ). Cet article est en fait très ambigu car il semble suggérer qu’un génocide pourrait se produire, car cette ex-secrétaire générale du Parti travailliste, ex-ministre de l’Education sous Rabin et membre actuelle de la direction du parti Meretz, conclut : „ce n’est pas encore un génocide sous la forme terrible et unique dont nous avons été les victimes”. Son article constitue plutôt un rappel à l’ordre des principes de la morale juive et un avertissement puisqu’un rabbin cinglé (Israël Hess) a écrit que les Israéliens „avaient tous l’obligation d’exécuter un génocide, parce ses recherches lui auraient fait découvrir quue les Palestiniens étaient Amalech”. (Les Amalécites sont une tribu nomade qui barra le passage aux Hébreux venus d’Egypte, mais qui fut battue ensuite par Saül et David.) On voit bien quelle utilisation des antisionistes antisémites peuvent faire de tels propos pour „prouver” les intentions génocidaires supposées des gouvernements israéliens. (Y.C.)
11. Cf. Annexe.
12. Cette expression est une des expressions favorites du Ku Klux Klan et des milices d’extrême droite aux Etats-Unis qui mélangent un antisémitisme débridé, des théories conspirationnistes et une idéologie hostile aux fonctionnaires et à l’administration de l’Etat central (le gouvernement fédéral aujourd’hui) - idéologie aux relents anti-étatiques qui est celle des premiers pionniers et imprègne encore la Constitution américaine actuelle qui reconnaît au peuple le droit de porter des armes et de se révolter en cas d’abus du pouvoir (Y.C.).
13. Socialist Viewpoint. Petit groupe trotskyste américain dirigé par des anciens du SWP, l’ex „grand” parti trotskyste aux Etats-Unis qui a explosé en plusieurs chapelles de quelques dizaines de membres chacune. (Y.C.).
14. L’expression est de l’historien Isaac Deutscher, auteur notamment d’une célèbre biographie de Trotsky en trois volumes et d’un ouvrage intitulé Essais sur le problème juif (Y.C.).
15. Ceux qui s’intéressent à l’analyse de Thomas Haury et ne lisent pas l’allemand peuvent se reporter à lire l’article de Stephen Grigat („L’antisémitisme, l’antisionisme et la gauche”) republié en français dans Ni patrie ni frontières n° 8-9, mais surtout au résumé en anglais d’une conférence de Thomas Haury sur le site http://www.workersliberty.org/node/6705, suivie de quelques critiques utiles. (Y.C.).
16. Cette question est en fait bien antérieure au stalinisme (censé, pour les trotskystes, régner à partir de 1924 et être l’antithèse de la période rose „léniniste”) : elle se posa au sein de l’Union soviétique (dans les rapports entre le gouvernement central et les républiques musulmanes, par exemple) ; au sein du gouvernement soviétique (dans ses innombrables compromis diplomatiques avec les puissances impérialistes comme avec la République de Kemal Ataturk, ce qui coûta la vie aux communistes turcs qui s’opposaient aux kémalistes et permit au dictateur turc de massacrer les Kurdes en 1921 grâce aux bons conseils du bolchevik Frounzé) ; et dans l’Internationale communiste (cf. par exemple les tentatives des communistes allemands de récupérer des thèmes nationalistes voire de s’allier avec des groupes nationalistes, comme l’illustre la „ligne Schlageter” du KPD prônée par le bolchevik Karl Radek en 1923), tout cela entre 1917 et 1924. (Y.C.).
17. Ville où une partie de la population polonaise participa à un pogrom antijuif par les nazis en 1941 (P.K. et A.G.).
18. Celle que nous critiquons ici (P.K. et A.G.).
19. Dans sa conférence, Thomas Haury définit ainsi la „personnalisation” : „tous les processus sociaux et les relations sociales sont expliqués par l’œuvre consciente de gens foncièrement mauvais. Le corrolaire nécessaire d’une telle personnalisation est la théorie du complot”. (Y.C.).
20. Cette historienne a écrit plusieurs ouvrages qui ont été traduits en anglais et en allemand mais pas en français : Germans, Jews, And Antisemites : Trials in Emancipation (Allemands, Juifs et antémites : tentatives d’émancipation) ; Das jüdische Projekt der Moderne (Le projet juif de la modernité) ; Antisemitismus als kultureller Code (L’antisémitisme, un code culturel) ; Germany : The Urban Master Artisans, 1873-1896 (Les maîtres artisans urbains en Allemagne, 1873-1896). (Y.C.).
21. Moshe Zuckerman, professeur d’histoire allemande à l’université de Tel Aviv. Intellectuel de gauche critique par rapport au sionisme. On peut trouver un court article de lui en anglais sur Internet : „ On landscapes and human beings’” http://kremerphoto.com/infectedland...
22. Matzpen (La Boussole) organisation d’extrême gauche antisioniste israélienne créée en 1962 qui comprenait notamment des anarchistes, des maoistes, des communistes dissidents, des trotskystes et n’existe plus depuis les années 80. Elle publiait une revue en hébreu et en arabe et avait des contacts avec le FDLP. On peut trouver quelques textes en anglais sur les sites http://www.matzpen.org/index.asp, http://libcom.org/library/matzpen et aussi en français notamment de Moishe Machover. http://agircontrelaguerre.free.fr/a... ou http://www.marxsite.com/AkivaOrrMos... qui a été publié en français dans la revue Socialisme international (Y.C.).
23. Bund : parti ouvrier socialiste juif en 1897 en Pologne, en Lituanie et en Russie. Opposé au sionisme, il se bat pour l’émancipation des travailleurs juifs dans le cadre d’un combat plus général pour le socialisme. Le Bund sut développer un véritable mouvement culturel autour de la langue yiddish. Ses militants participèrent à la guerre civile aux côtés des bolcheviks, malgré leurs désaccords. Une partie des militants bundistes se rallièrent au parti communiste. Les autres organisations bundistes furent interdites en Union soviétique dès la fin de la guerre civile, en 1921. Le Bund lutta contre l’oppression russe, polonaise et nazie. L’influence de cette tendance politique est aujourd’hui minuscule au sein des « communautés juives », les nazis ayant exterminé la plus grande partie des militants et sympathisants de ce Parti, tandis que Staline les emprisonnait ou les envoyait dans les camps. Après-guerre, le Bund dut se dissoudre en Pologne, et il ne resta plus que quelques noyaux isolés aux Etats-Unis, en Argentine ou en France. Voir le site Internet : www.geocities.com/bundistvoice (Y.C.).
ANNEXE de Ni patrie ni frontières.
James Petras :
Un gringo chauvin, antisioniste et antisémite
Professeur de sociologie, „auteur de 62 livres publiés dans 29 langues et de plus de 560 articles dans des revues professionnelles” (1), collaborateur de publications françaises comme Le Monde diplomatique ou Les Temps modernes, de revues marxisantes comme la célèbre New Left Review, et de la presse bourgeoise (New York Times, The Guardian, Christian Science Monitor, Foreign Policy, etc.), ce monsieur a aussi des références „militantes” puisque son éditeur nous apprend qu’il „collabore avec le mouvement des paysans sans terres au Brésil depuis onze ans”, et qu’il a „fait partie du tribunal Russel contre la répression en Amérique latine”.
Vive les dictateurs pseudo „anti-impérialistes” du Sud !
James Petras est l’auteur d’un article intitulé „Douze thèses sur la guerre et la paix au Moyen-Orient” écrit en juin 2006 où l’on retrouve tous les poncifs de la gauche et de l’extrême gauche favorables à la dictature des mollahs sur le prolétariat iranien. Comme eux, Petras soutient également la pseudo-„Résistance” irakienne dont la principale activité consiste à tuer des chiites, faire sauter des mosquées et assassiner des travailleurs irakiens ou étrangers. La „résistance islamique de masse” en Irak serait, selon Petras, un „mouvement de libération nationale”. Quant à l’Iran la „révolution islamique” y aurait „distribué des terres” (il ne précise bien sûr ni la quantité distribuée ni son importance par rapport à l’ensemble des terres exploitées dans le pays) ; elle aurait „introduit des élections pluralistes”...”dans des limites étroitement définies par la loi islamique”. On remarquera le jésuitisme et le cynisme de cette formule.
Conscient qu’il est sans doute allé trop loin (en tout cas pour un lectorat de „gauche”), Petras évoque ensuite „la répression des mouvements syndicaux” qui a „miné une bonne partie des réformes programmées par le régime islamique”. Qui a mené cette répression, si ce n’est le pouvoir que soutient Petras ? En bon faux-cul il conclut ainsi son article : „le nouveau président a promis de faire des efforts en matière de protection sociale”.
Si ce n’est déjà fait, nous suggérons au président Ahmahdinejad d’inviter de toute urgence James Petras une semaine, tous frais payés, dans une station balnéaire iranienne, pour le remercier de ses bons et loyaux services, ou - encore mieux - de le nommer directeur de la propagande à destination de l’étranger !
James Petras, qui est souvent publié dans Le Monde diplomatique en France, défend les mêmes thèses que ce journal „tiers-mondain” au service des dictateurs „anti-impérialistes” du Sud ou que certains trotskystes qui trouvent des aspects positifs au régime iranien des mollahs et à l’extrême droite irakienne (2). Pour couronner le tout, Petras écrit dans son article que les „classes moyennes et supérieures ont été abasourdies, dans le monde entier, par les pertes en vies humaines” causées par les attentats du 11 septembre, comme si ce massacre de 3000 personnes ne pouvait émouvoir et révolter que des privilégiés ou des réacs !
Pour une politique étrangère „éclairée” qui tienne compte des „intérêts nationaux” de l’impérialisme américain
Nous ignorons si James Petras partage les thèses délirantes de Thierry Meissan sur le 11 septembre (thèses accueillies favorablement dans les tous les forums sociaux de l’altermondialisme), mais ce qu’il y a de sûr c’est que son discours est digne d’un politicien américain chauvin, soucieux des intérêts bien compris de la bourgeoisie et de l’Etat américains.
Ses thèses rejoignent parfaitement celles de John Mearsheimer, de l’université de Chicago et Stephen Walt, de l’université de Harvard, auteurs d’une étude intitulée « Le lobby israélien et la politique étrangère américaine ». Ce texte avait circulé sur tous les Indymedias et autres sites radicaux, alternatifs, antisionistes, etc., de la planète, sans que personne ne remarque le point de vue réactionnaire qui le sous-tendait. En effet, les deux universitaires ne critiquaient pas le soutien du gouvernement américain à Israël du point des intérêts des prolétaires américains, israéliens ou palestiniens, mais uniquement du point de vue d’une meilleure défense des intérêts bien compris de leur mpérialisme. Tout comme les deux universitaires réactionnaires précités, James Petras, dans son dernier livre sur „La puissance d’Israël aux Etats-Unis” explique que „ce n’est pas le contrôle des ressources en pétrole qui pousse l’impérialisme américain à attaquer l’Irak et à menacer l’Iran et la Syrie”. Non, ce serait „la défense des intérêts d’Israël” ! En bon gringo chauvin, il s’indigne de l’ „espionnage israélien aux Etats-Unis” et voudrait que son pays récupère une „indépendance d’action fondée une défense éclairée de l’intérêt national et des principes progressistes”. Voilà de quoi faire trembler Wall Street et les multinationales !
De l’antisionisme à l’antisémitisme de gauche
Dans leur article sur « l’antisémitisme de gauche en Pologne » (Ni patrie ni frontières n° 18-19), Piotr Kendziorek et August Grabski font allusion à un autre texte de James Petras “Palestine : the final solution and Jose Saramago”, écrit le 2 avril 2002, et republié en polonais dans Lewa Noga n° 14.
Cet article commente les déclarations de l’écrivain portugais Jose Saramago en mars 2002 à Ramallah : « Ce qu’il faut faire, c’est sonner le tocsin, partout dans le monde, pour dire que ce qui arrive en Palestine est un crime que nous pouvons stopper. Nous pouvons le comparer à ce qui est arrivé à Auschwitz. (...) La répression israélienne est la forme la plus perverse de l’apartheid. »
James Petras défend bien sûr Saramago en affirmant :
que les „Israéliens conduisent un génocide contre un peuple entier”,
que „les desdendants de l’Holocauste réclament le monopole de l’usage d’un mot” (génocide),
que les „victimes peuvent devenir des bourreaux”,
et que les Juifs „sont les rentiers de l’Holocauste”. On remarquera ce recyclage d’un vieux poncif antisémite : la dénonciation du rapport des Juifs à l’argent, et sous sa forme la plus « immorale » et parasitaire : l’usure hier, la „rente” aujourd’hui. Décidément les judéophobes n’ont guère d’imagination...
Mais Petras ne s’arrête pas là : comme de nombreux radicaux antisionistes, il cite ce „fameux” officier qui aurait affirmé, à propos de Jénine, qu’il fallait s’inspirer des techniques de lutte des nazis contre les insurgés du ghetto de Varsovie. Cette affirmation est banale : il faut être particulièrement ignare et de mauvaise foi pour croire que dans les écoles militaires des pays impérialistes - comme dans les camps d’entraînement de toutes les guérillas d’extrême gauche - on n’étudierait jamais les méthodes de l’adversaire, aussi barbare et sanguinaire soit-il. Bien connaître les méthodes de l’ennemi, voire les retourner contre lui, est une question de survie militaire, pas un problème moral !
En fait, l’objectif de Petras est autre : il veut manipuler l’indignation du lecteur pour suggérer un amalgame entre Juifs (ou Israéliens) et nazis. Il ne fait ainsi que reprendre un procédé employé par les négationnistes depuis des années qui ont besoin d’affirmer l’identité entre Juifs et nazis (d’où des expressions comme « judéo-nazis », ou « nazi sionistes », que l’on retrouve aussi sur les sites Internet considérés comme « radicaux » tels que Indymedia) pour ensuite prétendre qu’en fait la Shoah n’a jamais eu lieu. A ce propos on remarquera - et ce n’est pas un hasard - qu’Israël Shamir recommande chaudement le dernier livre de James Petras („Le pouvoir d’Israël en Amérique”), comme en témoigne la citation présente sur le site de la maison d’édition de James Petras. Shamir qui déclare sur ce même site que « la puissance juive façonne la politique américaine dans le Moyen-Orient contre les intérêts des grands pétroliers » ! Bush hostile aux intérêts des grands pétroliers, fallait la trouver, celle-là ! Dans son article „Palestine : the final solution and Jose Saramago”, Petras écrit : „comme dans l’Allemagne nazie tous les mâles palestiniens de 16 à 60 ans sont encerclés, interrogés, menottés, torturés”. Comme si les nazis se contentaient de faire des rafles et n’avaient pas exterminé tous les Juifs ensuite ! L’ „habileté” de ce plumitif antisémite consiste à dissimuler ce qui se passait APRES ces rafles. Puis il ajoute : „Comme avec les nazis des centaines de Palestiniens blessés sont laissés sans soin et meurent”. Ce qui est parfaitement exact, ce qui est un crime de guerre, un crime contre l’humanité... mais pas un génocide.
Enfin Petras ne cache même plus son antisémitisme lorsqu’il écrit : „Personne n’a le pouvoir aux Etats-Unis de contrer l’argent et l’infulence du lobby israélien et de ses puissants alliés juifs.” Bref, les Juifs, domineraient l’Empire américain qui lui-même domine le monde : il ne manque plus qu’une référence au protocole des Sages de Sion et la boucle sera bouclée. Voilà le type d’auteur que publie un trotskyste polonais dans la presse dite „révolutionnaire” de son pays ! (Y.C.).
1. Citation extraite de la présentation sur Internet de son dernier livre The power of Israel in the United States (Le pouvoir d’Israël aux Etats-Unis) publié chez Clarity Press, « a human rights publisher », nous dit la pub. Heureusement que ces gens-là nous précisent qu’ils sont en faveur des droits de l’homme...
2. Cet amour pour les dictatures ne connaît pas de frontières puisque Claudio Moffa, universitaire marxiste italien, spécialiste de l’Afrique, publie sans commentaires une lettre de Saddam Hussein sur son site. On se s’étonnera pas que le même Moffa ait invité Israël Shamir à venir parler dans son université. Tout ce petit monde « antisioniste » fonctionne en réseaux assez transparents et partage les mêmes phobies politiques que l’extrême droite nationaliste-révolutionnaire (les héritiers des nationaux-bolcheviks des années 20) ou les partisans les plus extrémistes de l’islam politique.