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A propos des comités du 29 mai et de leur absence de perspectives

Les collectifs du 29 mai étouffés par la politique du « rassemblement populaire majoritaire » et des candidatures unitaires

dimanche 11 décembre 2005

Commentaire de Ni patrie ni frontières :

Nous ne partagions pas les illusions des camarades de la LCR sur les comités du 29 mai. C’est pourquoi cet article d’un des courants de la LCR nous a semblé intéressant, malgré nos désaccords. En particulier les auteurs de l’article démontent bien les ambiguités du prétendu "antilibéralisme". Mais à notre avis ce texte montre, bien involontairement ; que, en l’absence d’un rapport de forces qui leur serait favorable, les révolutionnaires ne sont que les porteurs d’eau ou les porteurs de valises, comme on voudra, des ambitions personnelles et des calculs électoraux minables des prétendus partis de gauche et de leur mouvance altermondialiste ou syndicale. Le regain de discussion politique démocratique qui a pu faire illusion au moment de la campagne du référendum a montré ses limites, limites conditionnées par les ambitions des appareils mais aussi et surtout par la retombée de la petite mobilisation qui s’était effectuée. (Ni patrie ni frontières)

débatmilitant Lettre éditée par des militants de la LCR ? N° 84 ? 8 décembre 2005 Contact-abonnement-désabonnement : debatmilitant@lcr-debatmilitant.org ? Site : www.lcr-debatmilitant.org Comité de coordination : Fabienne Autan, Charles Boulay, Serge Godard, Valérie Héas, Yvan Lemaitre, Galia Trépère, Gérard Villa

Les collectifs du 29 mai étouffés par la politique du « rassemblement populaire majoritaire » et des candidatures unitaires

Samedi 3 et dimanche 4 décembre se sont tenues à Paris les Rencontres nationales des collectifs du 29 mai, qui s’étaient constitués lors de la campagne pour le non au référendum sur le Traité constitutionnel européen. Ces Rencontres, organisées à l’initiative du Collectif national du 29 mai, ont réuni, d’après les organisateurs, quelques 280 personnes, un recul par rapport aux rencontres qui avaient eu lieu à Nanterre le 25 juin, juste après la victoire du non.

Au- delà du nombre, ce recul s’exprimait aussi à travers les compte rendus d’expérience faits par les divers participants. Certains collectifs, peu nombreux, regroupant militants associatifs, politiques et syndicaux, sont intervenus récemment dans les luttes sociales, comme à Marseille. Mais de nombreux intervenants ont dit leur difficulté à faire vivre leurs collectifs, réduits à une poignée d’irréductibles. Dans beaucoup de cas, les collectifs ont été vidés de leur contenu et participants pour devenir des lieux de rencontres entre dirigeants locaux de partis, instrument pour des manœuvres politiciennes.

Le collectif national coiffe maintenant le mouvement même s’il est simplement un cartel d’organisations qui procède par négociations sans retour avec les collectifs de base. Et ces collectifs attendent du collectif national des perspectives, des argumentaires, des campagnes nationales auxquelles se raccrocher pour tenter de prolonger la « dynamique du 29 mai », de trouver une occasion de « gagner » à nouveau contre le libéralisme... « sinon, disaient certains, le vote du 29 mai n’aura servi à rien, car la politique libérale se poursuit ». Au centre des préoccupations de bien des participants, il y avait la question des candidatures communes pour les prochaines échéances électorales. Elles leur apparaissaient comme la concrétisation, en quelque sorte allant de soi, de la nécessité de construire « une alternative au libéralisme », qui était annoncée comme un des objectifs principaux de ces rencontres.

Finalement, le « consensus » a fait que ces Rencontres n’ont pas pris position pour des candidatures unitaires antilibérales tout en en reconnaissant le prétendu besoin. Mais les travaux, loin d’apporter les réponses aux préoccupations politiques réelles qui se sont exprimées, ne sont pas sortis de la confusion à laquelle les condamne la référence à l’« antilibéralisme », associée aux préoccupations électorales. La déclaration finale qui a clôturé les Rencontres, (www.collectif29mai.org), en est le meilleur témoignage.

Derrière l’antilibéralisme le plus radical, le réformisme le plus ordinaire...

Un des raisonnements centraux des auteurs de la déclaration (auquel ont été intégrés, au cours des Rencontres, quelques amendements ayant fait « consensus ») est que le vote majoritaire pour le non aurait été l’expression de l’opposition d’une majorité d’électeurs à un « modèle » de société, la société libérale, représentée politiquement par les libéraux et les sociaux-libéraux. On peut y lire, par exemple, que « les libéraux n’ont pas réussi à susciter une adhésion à leur modèle de société », ou encore que « nos concitoyens et concitoyennes n’ont pas changé d’avis depuis le 29 mai. Les sondages attestent toujours de leur rejet majoritaire du libéralisme (et même du capitalisme et des actionnaires !) ».

Cette façon de poser le problème n’est ni naïve, ni anodine. Elle nous présente l’organisation de la société, les conditions de vie qui nous y sont faites, comme étant le fruit du choix des gouvernants entre plusieurs « modèles », selon leurs orientations politiques, et indépendamment de tout contexte socio-économique. La dégradation sociale est vue comme un des résultats de la politique libérale, et non comme le produit de la lutte des classes menée par les patrons, avec l’appui des gouvernements, pour assurer leurs taux de profits. Le capitalisme et les rapports de classe disparaissent du terrain politique. Les causes des reculs sociaux, des attaques incessantes que subissent les travailleurs et la population ne sont pas à chercher dans les rapports sociaux mais dans « l’idéologie » de ceux qui assument les fonctions du pouvoir de l’Etat.

A oublier les rapports sociaux et la division de la société en classes sociales, on en arrive à poser les problèmes à l’envers. On peut lire, par exemple, à propos des luttes qui ont eu lieu ces derniers mois, que « Ces luttes buttent sur l’offensive patronale et gouvernementale »... Comme si la véritable cause de ces luttes, ça n’était pas, justement, la riposte des travailleurs contre l’offensive patronale et gouvernementale. Comme si les échecs ou les succès de ces luttes dépendaient du caractère, plus ou moins libéral, du gouvernement, et non de la capacité du mouvement ouvrier à se donner les moyens de sa victoire, quel que soit le gouvernement ! Cette façon de placer la lutte des classes cul par-dessus tête n’est bien entendu pas fortuite et s’enchaîne tout naturellement sur l’idée que « ces luttes seront d’autant plus efficaces qu’elles pourront s’appuyer sur des propositions alternatives en rupture avec les politiques libérales et leur accompagnement social-libéral »...

L’ « alternative politique antilibérale » qui est sous-jacente à tout ce raisonnement est bien connue : un « bon » programme de gauche, voire « radicalement antilibéral », et les candidats qui vont avec...

Reste à convaincre les électeurs populaires qui se sont déplacés massivement pour voter non le 29 mai de le faire aussi pour voter pour cette « alternative politique », qui a quand même un petit air de revenez-y... Mais puisque la « la dynamique du 29 mai » a démontré « qu’un rassemblement populaire majoritaire était possible », en route, donc, pour ce rassemblement populaire majoritaire cher à Marie Georges Buffet ! Les collectifs auront l’occasion d’y contribuer à travers des « Forums unitaires pour l’alternative » qu’ils sont invités à organiser partout en France...

La lutte contre la directive Bolkestein, une perspective pour ranimer la « dynamique du 29 mai » et maintenir « l’espoir » ?

Une part des débats des Rencontres a été consacrée au problème de l’abrogation de la directive Bolkestein, perçue, à juste titre, comme une arme de guerre contre les travailleurs. Le vote au Parlement européen de cette directive doit avoir lieu en janvier ou février. Les animateurs du Collectif du 29 mai y voient l’occasion d’une mobilisation des collectifs, dans le prolongement de la campagne pour le non. Il serait, d’après eux, possible de « gagner », ce qui serait, toujours d’après eux, un atout considérable pour « maintenir l’espoir de changement » qui serait né de la victoire du 29 mai.

Deux actions sont prévues : une grande manifestation européenne à Strasbourg le samedi avant le vote et une campagne de pétitions, sous forme de cartes postales, en direction de Chirac afin qu’il s’oppose à l’abrogation de la directive. Mais, aux dires même des organisateurs, l’organisation de cette manifestation se heurte à bien des difficultés : d’une part, une manifestation sera vraisemblablement organisée pas la CES, et il n’est pas sûr qu’il sera possible de s’entendre avec elle sur le jour. D’autre part, comment faire pour que cette manifestation soit un succès capable d’en imposer au Parlement européen ? Quant à espérer transformer Chirac, en le noyant sous des cartes postales, en opposant au libéralisme, cela se passe de commentaires. Le collectif national et les collectifs « pour une autre Europe » sont très ambigus sur la directive Bolkestein parce que le débat sur la crise de la construction européenne s’est arrêté à Nanterre en juin et le point de vue dominant reste, de fait, l’adhésion aux institutions de Bruxelles. On oppose une « bonne » construction de l’Europe à une « mauvaise », ce qui empêche les collectifs de faire leur la revendication de l’abrogation des traités Européens.

Et ainsi, la lutte contre la directive Bolkestein devient le thème favori de cet antilibéralisme creux dont le radicalisme reste purement verbal et parlementaire.

Une ébauche de programme pour d’éventuelles candidatures unitaires antilibérales

De fait, sous le couvert du « consensus », la déclaration finale des Rencontres entretient le flou artistique le plus total et une belle hypocrisie sur les soi-disant candidatures unitaires. Car comment pourraient se concrétiser ces « propositions alternatives en rupture avec les politiques libérales et leur accompagnement social libéral », le tout s’appuyant sur « un rassemblement populaire majoritaire » dont parle la déclaration, autrement que dans des « candidatures unitaires antilibérales » ? La déclaration oublie même d’indiquer que ce processus devrait se faire sur la base d’une rupture politique et d’une mobilisation politique. De ce fait, il se situe sur un terrain complètement étranger non seulement au mouvement ouvrier mais aussi à l’expérience positive du 29 mai, l’intervention politique de couches importantes de la population. Il réduit la question « antilibérale » à un accord électoral purement opportuniste.

La déclaration ne dit pas non à l’appel aux candidatures unitaires, elle en prépare en fait le terrain par son contenu politique. Ces candidatures « unitaires » ouvrent la voie à toutes les adaptations, qui, dans cette période vont tourner autour de la synthèse du PS. Il faut se rappeler simplement, par exemple que José Bové est le candidat « unitaire » de quelqu’un comme Francine Bavay et que le dirigeant de la Confédération Paysanne a déjà annoncé son accord avec Fabius. Quand on parle de candidats, les noms et les procédures pour les choisir sont déterminants, parce que ce sont les questions à résoudre. La question de l’alignement derrière Fabius est tout à fait cohérent pour certains et un participant des Rencontres a pu interpeller Yves Salesse parce que, dans son rapport introductif, il gardait le silence sur la gauche gouvernementale et plus particulièrement sur le PS et sa nouvelle direction de synthèse, qui intègre une partie de la « gauche du non ».

Dans les Rencontres, le thème des candidatures a été introduit à partir de « l’Appel pour des candidatures Unitaires en 2007 et 2008 » sorti une dizaine de jours avant et distribué et commenté à profusion. L’Appel mérite une analyse par soi-même (nous y reviendrons dans le prochain numéro de Débat militant) car il est aujourd’hui la base de l’offensive « unitaire ».

Il est difficile, bien sûr, de prédire quelle forme prendront ces candidatures unitaires, ni d’ailleurs si elles se concrétiseront. Mais ce qui est certain, c’est que ces candidatures communes ne pourront se constituer qu’en tenant les militants à l’écart. Les congrès de la LCR et celui du PCF se tiendront avant les « assises » nationales que le collectif du 29 mai se propose d’organiser, mais pendant les « Forums unitaires pour l’alternative ». Les décisions seront prises dans ce cadre dans un jeu de débat intérieur aux organisations et aussi des pressions extérieures, à l’initiative des tendances les plus favorables à l’ « unité antilibérale ».

Rompre avec le réformisme pour faire vivre la démocratie militante nécessaire à la lutte des classes

Ces méthodes sont en contradiction avec l’activité et le fonctionnement des collectifs, dans ce qu’ils avaient de plus positif : un début de renouveau de démocratie au sein du mouvement ouvrier. Car là où ils fonctionnent, là où ils sont profondément impliqués dans les luttes contre les licenciements, contre les privatisations, les lois d’exception, les collectifs n’ont pu trouver leur force que dans les relations démocratiques entre militants, propre aux nécessités de la lutte contre l’adversaire de classe. Les collectifs n’ont de raison d’être que s’ils sont des organes d’unité pour les revendications des travailleurs et des classes populaires. Sinon, ils seront étouffés par les rivalités électoralistes, et cela d’autant plus qu’elles ne se discutent pas démocratiquement. C’est déjà le cas du « collectif national » et l’avertissement fait en séance plénière par la représentante de Solidaires est justifié. L’adoption d’une position électorale est un arrêt de mort pour ce qui reste de valable dans les collectifs.

Comme l’ont exprimé beaucoup de participants aux Rencontres, il y a un besoin impératif de « perspectives politiques » pour faire face à l’offensive du patronat et du gouvernement, des perspectives politiques pour les luttes. Raison de plus pour que les révolutionnaires disent clairement leurs idées, ne mettent pas leur drapeau dans la poche.

Il faut dire clairement que le problème aujourd’hui est d’affirmer l’existence d’une politique de lutte de classes, en opposition avec les alternatives antilibérales. En toute transparence, il s’agit de dissocier sans nécessairement les opposer le cadre de front unique autour des luttes et le cadre nécessaire à la défense et à la mise en œuvre d’une politique de classe visant à la transformation de la société en s’attaquant à la propriété privée.

Cela implique que pour les élections les révolutionnaires ne craignent pas de se battre sous leur propre drapeau, comme en 1995, en 2002 ou lors des élections de 2004. Et qu’ils soient aussi capables de s’unir pour affirmer un front anticapitaliste face au réformisme antilibéral. Les obstacles existent certes. La méthode et l’orientation du plan d’urgence devraient nous permettre de les surmonter. Sinon, la politique de front unique dans les collectifs sera noyée par les manœuvres électorales et les révolutionnaires pris dans la mélasse de l’antilibéralisme. La démocratie pour les luttes exige la clarté politique.

Eric Lemel, Marcelo N.

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