La France est secouée par une vague d‚émeutes déclenchées par la mort de deux jeunes le 27 octobre dernier à Clichy sous bois (93). A ce jour, plusieurs milliers de voitures ont été brûlées, des dizaines de bus incendiés, des centaines d‚édifices de toute sorte (magasins, écoles, commissariats de police, divers services publics) ont été détruits ou incendiés, il y a eu des dizaines de blessés, des centaines d‚arrestations. Finalement, le conseil des ministres du 8 novembre décrète l‚état d‚urgence, en ressortant une loi datant de 1955, rédigée pour faire face à la guerre en Algérie.
Au départ, l‚affrontement entre les jeunes d‚un quartier, d‚une ville et la police à la suite de la mort dans des circonstances non encore élucidées des 2 jeunes, semble relever de la banalité.Banalité du mépris quotidien de la police envers les jeunes des cités, souvent immigrés, banalité de la haine et de la rage nourries des humiliations et des vexations ressenties par des centaines de milliers de jeunes. Confrontés à un No Future certain, ils sont plongés dans la misère sociale immédiate : logements insalubres ou trop étroits, quartiers sans équipements publics, parents au chomage, école vécue comme excluante. En 11 jours, on a assisté non seulement à l‚extension des troubles en région parisienne mais aussi et surtout partout en France, dans les quartiers pauvres, là où sont relégués les plus pauvres, les chomeurs, les immigrés.
Ce qui n‚est pas banal, c‚est le contexte politique. Quelques jours auparavant, de façon délibérée, le ministre de l‚Intérieur Nicolas Sarkozy avait qualifié les jeunes de banlieue de « racaille » et affirmé vouloir « nettoyer au karcher » « la racaille ». Il est probable que l‚incident de Clichy ait fait partie d‚une volonté délibérée de provoquer des heurts pour justifier une reprise en main musclée. Ce que Sarkozy n‚avait pas prévu, c‚est l‚embrasement de toute une couche de la jeunesse, la plus opprimée, la plus pauvre, celle à qui l‚école apporte le moins. Cet embrasement a été largement spontané : les jeunes concernés sont ceux qui sont les moins organisés de toutes les couches sociales du pays. > >Pas de groupes anarchistes, pas de « black-bloc » pour appeler à l‚émeute. La presse réactionnaire joue avec les fantasmes de groupes islamistes clandestins ou de maffieux voulant interdire à la police de pénétrer dans certains quartiers pour développer ses activités illicites. Les islamistes, en tout cas tout ce que la France compte de clergé musulman, du recteur de la mosquée de Paris à l‚UOIF, jouent la carte des intermédiaires respectueux de la loi et seuls capables de rétablir la>paix dans les quartiers. Sarkozy a proclamé vouloir remettre en cause la loi de 1905, établissant la séparation de l‚Eglise et de l‚Etat, pour permettre le financement public de certains cultes - en fait principalement le culte musulman, dans le but stratégique de développer un contrôle communautaire des populations à travers le relais des clergés.
Tout ce que la France compte d‚islamique ou d‚islamiste aime Sarkozy, le ministre anti-laïque, anti-loi de 1905 ! Les maffieux, eux, aiment le calme pour la prospérité de leurs trafics en tous genres (Cf. les émeutes de Birmingham et le commentaire de Jim Denham dans le dernier numéro de Solidarity.
Alors que reste-t-il comme explication ? Il reste les effets de 25 ans de crise sociale, accumulant le désespoir, génération après génération. On peut estimer qu‚actuellement, 3 générations ayant souffert des effets de la crise économique depuis 1975 et des politiques anti-sociales depuis le tournant « vers la rigueur « de la gauche en 1983 cohabitent dans la misère et la promiscuité des HLM des quartiers déshérités. Il y a l‚énergie pure de la haine sociale accumulée>qui s‚exprime de la façon la plus incontrolée, souvent aveugle, sauvage, voir criminelle ou anti-sociale. Cette explosion est le produit du racisme, du chomage, de la précarité, de la misère, du désespoir. Cependant les choses pourraient changer si le mouvement ouvrier prenait l‚initiative d‚organiser une grande manifestation contre le gouvernement, contre les mesures anti-sociales, contre le couvre-feu pour sortir des affrontements de petites bandes inorganisées et sporadiques et passer à l‚organisation systématique de la confrontation sociale et politique avec le gouvernement et les patrons. Les responsabilités du mouvement ouvrier sont immenses. >En gérant les affaires de la bourgeoisie à plusieurs reprises depuis 1981, en ne changeant pas les choses, en n‚organisant pas ces couches de la population les plus exploitées pour le combat collectif quotidien, pour la défense sociale la plus immédiate, les directions de la gauche et du mouvement syndical ont créé le cadre de ce désespoir.
Plus immédiatement, en refusant de combattre sérieusement les gouvernements de Chirac depuis le 5 mai 2002, elles ont refusé d‚offrir un débouché, une perspective à ces couches de la jeunesse.
Le gouvernement et les patrons sont plus impopulaires que jamais :
dans les grèves de mai-juin 2003, ils ont réussi à faire passer leurs mesures anti-sociales mais ils n‚ont pas fait plier les millions de grévistes et de manifestants ;
- dans les urnes aux régionales en mars 2004, aux européennes en juin 2004, au référendum du 29 mai, ils ont été rejetés de façon nette et claire !
dans les conflits sociaux de cette rentrée (SNCM, RTM-Traminots de Marseille, dans les jours à venir à EDF et à la SNCF), la stratégie des directions syndicales est la seule source de succès du gouvernement. La >combativité des salariés est bien au rendez-vous.
L‚objectif du gouvernement et du patronat est d‚infliger - enfin avec 20 ans de retard ! - une défaite historique aux salariés de France, comparable à celle de Thatcher contre les mineurs. Il est fort possible que la volonté d‚affrontement actuel découle directement de cet objectif. La seule solution réaliste pour le mouvement ouvrier est, non pas de chasser Sarkozy, mais bien de chasser Chirac et tout le gouvernement maintenant, sans attendre 2007 (les élections présidentielles) pour empêcher une défaite historique des travailleurs en France. Ce n‚est pas la perspective du PS et du PCF - chose classique et traditionnelle depuis des décennies - malheureusement ce n‚est pas non plus celle de l‚extrême gauche (LO, LCR, PT *).
Les travailleurs doivent simultanément s‚engager dans le combat pour>défaire le gouvernement et ses plans anti-sociaux et construire une nouvelle représentation politique des travailleurs.
Le 8 novembre 2005. Olivier Delbeke Membre du comité de rédaction de la Lettre de Liaisons
* LO, comme à son habitude, renvoie toute perspective semblable aux calendes grecques, le PT demande au gouvernement Chirac d‚être « plus national face à Bruxelles », et la LCR se prépare à voter Fabius au deuxième tour en 2007 après avoir élaboré une savante candidature « radicale » au premier tour avec ou le PCF ou les Verts ou José Bové.