Organisation de la lutte et durcissement
La dynamique de la grève permettra aux prolétaires de la CBA de dépasser les pressions subies le week-end. Les rapports avec la famille sont parfois tendus, particulièrement quand des proches - frères, parents, amis ou voisins - sont des agriculteurs. Ils ont appris à organiser une grève. Sur ce terrain, ils ne cessent de progresser tout au long de l’agitation.
Le mouvement a eu lieu en pleine haute saison des artichauts, dans des jours de forte chaleur. Si les légumes n’étaient pas conditionnés rapidement, ils étaient perdus. Au départ de la grève, l’usine continue de tourner avec 30 personnes qui parviennent à conditionner des produits. Toutefois, une partie importante est perdue. Bien sûr, la direction ne communique pas sur le sujet. Les salariés ont conscience qu’ils sont dans la meilleure période pour faire grève. Un élu faisait un point régulier sur l’état de la production.
Le rapport de force établi par les travailleurs en mouvement a été véritablement efficace seulement lorsqu’ils ont été à même de bloquer complètement l’usine de production d’artichauts et de l’occuper. Les négociations avec la direction connaîtront alors une brusque accélération. Le président de la SICA s’est rendu immédiatement sur le site pour s’entretenir avec les grévistes.
L’organisation du travail à l’usine se reproduit dans le mode d’organisation du mouvement. Les repas sont particulièrement parlants. Ainsi, lors du premier repas, les femmes sont d’un côté les hommes de l’autre. Les groupes d’actions (distributions de tracts, gestion et dépôt des caisses de soutien…) sont constitués la plupart du temps par groupe de sexe mais progressivement, ils vont un peu se mélanger. Il en a été de même entre les adhérents syndicaux, plus particulièrement entre les deux femmes leaders FO et ex CFDT qui vont progressivement se rapprocher dans la lutte.
Dans la première semaine du conflit, conformément aux indications des syndicats CFDT et FO - puis seulement de FO car la CFDT se discréditera assez vite -, les grévistes ont essayé de faire pression sur le président de la CBA en imposant une rencontre dans sa mairie. Ils ont également eu un entretien avec le sous-préfet. Le 4 juillet, ils abordent Mme Lebranchu, députée socialiste du Finistère et le maire de Cléder. Par la suite, les travailleurs ont cherché le soutien des maires d’autres communes où ils habitent.
Même si tout au long de la grève, les salariés continuent d’espérer une avancée du côté des représentants politiques locaux de l’Etat, ils ont développé, au fil du temps, des moyens d’actions plus percutants. Les échanges avec les militants révolutionnaires extérieurs à l’entreprise et l’absence de réponse à leurs démarches les ont amené à cela. Leur conscience évolue dans l’élaboration de leur lutte. Ils apprennent à se tourner vers d’autres prolétaires pour populariser leur grève. Ils organisent une caisse puis des banquets tous les midis. Ce processus renforce leur cohésion et débouche sur l’écriture collective d’un tract. Ce tract collectif et les discussions pour sa réalisation, ainsi que les échanges entre grévistes, les ont conduit à décider de revenir en force à l’intérieur de l’usine.
L’action autonome des prolétaires a sensiblement progressé quand le combat a été recentré sur leur usine. Au cours de la troisième semaine de grève, l’idée du blocage de la production a té souvent évoquée et a fait son chemin. Pourtant, cette proposition n’a jamais véritablement été faite sienne par le syndicat FO. Le leader départemental de cette confédération ne l’a reprise qu’en fin de la troisième semaine, sous l’impulsion des grévistes. Le non-respect des accords de la part de la direction de la SICA a conduit les ouvriers au blocage total effectif de la production. Les mécaniciens ont joué un rôle central dans cette action.
Le désaveu par la CFDT des positions soutenues par ses adhérents de la boîte a renforcé la capacité de ces derniers à prendre en main leur lutte. Certains grévistes ont aussi perçu clairement le rôle d’accompagnateur passif de FO. Cependant, aucun leader ouvrier réellement exprimé par le mouvement n’est parvenu à s’affirmer de façon stable et durable. Les assemblées ont été systématiquement ouvertes et clôturées par le délégué départemental de FO et l’un de ses exécutants sur place. Le premier a gardé, tout au long du mouvement, le rôle de leader explicite et de référent pour la direction.
En revanche, dans toutes les discussions transversales, les quelques élus en rupture avec les organisations syndicales ont défendu les idées de l’occupation, du blocage de la production, de l’expression souveraine de l’assemblée des grévistes. Ces travailleurs ont défendu l’importance de développer la lutte au sein de l’entreprise et vers l’extérieur. Ils se sont opposés à la différenciation du traitement de fin de conflit et ont cherché à élargir le front de lutte en s’adressant sans cesse aux non-grévistes pour les convaincre de rejoindre le combat.
Le CE est resté l’organe de négociation. Lors des rencontres officielles avec la direction, les salariés n’ont jamais été consultés. Les délégués élaborent entre eux les stratégies de négociation et maintiennent bien haut le statut officiel du CE d’interlocuteur unique de la direction. Cette fonction institutionnelle sera renforcée par la menace d’employer des moyens juridiques pour parvenir à ses fins. C’est seulement le vendredi de la troisième semaine, lors du blocage total de la production, qu’une discussion s’est tenue entre salariés et direction de la SICA et de la CBA. Les grévistes rejettent leur proposition de 5 000 € de prime de départ. Le lundi suivant, des grévistes essayent de s’imposer dans les tractations officielles. Ils sont rejetés par le syndicat. Bien que les ouvriers de la CBA n’aient pas pris directement part aux négociations, ils se sont exprimés au jour le jour sur les propositions de la direction par le vote en assemblées générales.
Malgré toutes les difficultés liées au manque d’expérience et de tradition de lutte autonome, les grévistes ont vécu collectivement un processus dynamique de lutte de classe indépendante. Ils ont avancé, tout au long de la grève, vers l’autonomie ouvrière. Ils ont constitué le véritable moteur du mouvement. En dépit des différentes stratégies syndicales pour canaliser le conflit, les grévistes ont gardé leur indépendance dans les décisions finales.
A la fin de la grève, des sentiments de fierté et de victoire sont exprimés par les participants actifs au mouvement. Soulagés que le conflit s’arrête enfin, ils sont néanmoins conscients d’avoir résisté, tenu le coup, de s’être organisés et de s’être battus pour la défense de leur condition de vie et de travail. Un grand nombre d’entre eux en retirent une expérience importante. Certains le ressentent de façon lucide. Ils partagent ce constat : « On aurait dû bloquer la production plus tôt et on aurait obtenu beaucoup plus ».
Deux stratégies syndicales pour assurer leur fonction de régulation de la grève
Les deux syndicats présents, la CFDT et FO, ont appliqué des stratégies radicalement différentes.
La CFDT
La CFDT s’est rapidement discréditée en appelant à la reprise alors que la grève était en plein essor. Leur affirmation mensongère et provocatrice sur les avancées obtenues (les emplois prétendument sauvés se soldaient en fait par 40 CDI intermittents de 900 heures par mois) a déterminé son rejet par les salariés. Ces contrats ne permettent pas de vivre. Et, de toute façon, ils seront proposés par la CBA quand ils auront besoins de main-d’œuvre. C’est dans l’action que le véritable visage de la CFDT s’est dévoilée : le visage du défaitisme et de l’acceptation du dictat patronal, le visage du sabotage de la grève.
FO
FO a fait tout son possible pour rester le seul interlocuteur pour le patron. Si, à plusieurs reprises, ce syndicat a encouragé et impulsé la lutte, à d’autres moments, quand son rôle de syndicat institutionnel risquait d’être remis en discussion, il a repoussé toutes les tentatives des grévistes de gérer seuls leur mouvement. Au vendredi de la troisième semaine, FO s’est opposée à la demande de convoquer une assemblée afin de déterminer précisément la revendication d’une prime. Son délégué départemental a tenté à plusieurs reprises de semer l’idée, erronée, que les grévistes étaient fatigués, qu’ils ne voulaient plus lutter. Il a été systématiquement contredit par les faits, par les votes et les actions massives des grévistes.
Si les grévistes n’avaient pas été le véritable moteur du mouvement, FO aurait décidé la fin de la grève bien plus tôt. C’est-à-dire dès le début de la deuxième semaine (lundi ou mardi). En réaction à la première entrée dans l’usine, FO a essayé de négocier la reprise le jeudi matin. En ce moment particulièrement délicat, son rôle a été encore plus nocif pour la grève que celui joué par la CFDT auparavant. Tout en accompagnant la grève, le syndicat a baladé les ouvriers. Il n’a rien entrepris pour développer et élargir l’action, ni pour encourager les prises de conscience.
Force Ouvrière a joué son rôle d’organe syndical : gérer et contenir la grève, mener seul les négociations et enfin terminer en beauté en signant l’accord de fin de conflit avec le patronat. Partenaire incontournable du patron, FO a été un boulet permanent aux pieds des travailleurs.
Les salariés de la CBA dans la lutte de classes
Dans cette période où la lutte de classes est de faible intensité, peu de salariés défendent leurs intérêts comme l’ont fait ceux de la CBA. Ces derniers ont eu la capacité de construire un véritable rapport de force qui leur a été relativement favorable. Isolés, ils n’ont cependant pas reculé face à la rude tâche d’organiser leur grève de façon autonome. Petit à petit, ils ont été amenés à déceler les meilleurs moyens pour atteindre leurs objectifs, neutraliser les freins syndicaux. Ici et là, ils sont parvenus à prendre les décisions importantes pour la progression de leur lutte. Cela nous permet d’en tirer des enseignements précieux en vue de mouvements futurs.
Contrairement à de nombreuses grèves déclenchées à l’annonce de plans de licenciement, les travailleurs de la CBA ne se sont pas accrochés à l’illusion du reclassement. Ils se sont immédiatement battus pour obtenir le maximum d’argent avant de partir. Ils n’ont pas non plus cédé à l’illusion de la défense de l’entreprise qui les virait, de l’outil de travail, c’est-à-dire de l’exploitation.
Les modes d’organisation de l’action collective ont été dès le départ l’objet de leur plus grande attention. La construction de leur assemblée s’est faite à partir des grévistes eux-mêmes. Malheureusement, le CE est resté l’organe institutionnel de décision. L’assemblée a été trop souvent animée par une partie de ses membres, dont la place de maîtres d’œuvre n’a pas été suffisamment contestée par les grévistes. Malgré plusieurs critiques informelles sur l’organisation de la grève ou envers ces Messieurs des syndicats, il n’y a pas eu de remise en cause du CE. Cette faiblesse majeure n’a pas permis aux travailleurs en lutte de pousser leur expression d’autonomie jusqu’à prendre en main directement les négociations avec l’adversaire de classe. Par contre, par des nombreux votes à main levée, ils ont tenté de conditionner les discussions entre partenaires syndicaux et patronaux. Les grévistes ont également réussi à déjouer les différentes tactiques syndicales visant à leur faire reprendre le travail. Leur détermination à continuer la lutte a obligé FO à les accompagner en les bordant jusqu’au bout. C’est le dernier vendredi, lorsque les ouvriers ont bloqué la production et imposé des tractations à l’intérieur de l’usine que leur organisation autonome est ressortie réellement renforcée.
Un dernier élément important concerne la séparation de certains élus membres des deux syndicats représentés à la CBA de leurs organisations confédérales respectives. Ces travailleurs ont choisi sans hésiter le camp de leur classe en aidant à déjouer les manœuvres bureaucratiques des syndicats. Ils ont aussi participé activement à la détermination d’une ligne de conduite indépendante des grévistes fondée sur le combat intransigeant contre le patron et sur la perspective de l’arrêt total effectif de la production. La relation que ces ouvriers ont entretenue avec les militants révolutionnaires extérieurs a été de tout premier ordre. La confiance réciproque a été un facteur crucial dans leurs échanges continus.
L’élément fondamental qui restera dans l’esprit de la majorité des grévistes, c’est qu’en bloquant la production on établit un rapport de force favorable aux travailleurs.
La fin du mouvement des salariés de la CBA ne s’est certes pas soldée par un grand gain d’argent pour les travailleurs. Mais il serait profondément erroné de juger de la qualité et des potentialités de cette lutte à l’aune des objectifs matériels remportés. Ce qui va compter bien davantage en perspective, est que les combattants ouvriers sont sortis la tête haute et ensemble d’un conflit qu’ils ont progressivement arraché aux mains des syndicats de cogestion. Le mouvement de grève de la CBA est une lutte de prolétaires qui défendent leurs intérêts matériels dans le cadre du système capitaliste. C’est dans ces moments que le prolétariat se construit et apprend à mener les batailles futures qui seront, nous en sommes sûrs, bien plus ambitieuses et décisives pour leur libération complète et définitive de l’esclavage du salariat.
LES ATELIERS DE PRODUCTION DE LA CBA
La CBA dispose de deux sites de production sur les communes de Saint-Pol-de-Léon et de Plouénan :
Le site de Plouénan qui comprend :
2 surgélateur de 7 tonnes/ heure
1 chaîne d’étrognage de choux-fleurs
1 chaîne haricot vert
1 atelier purée/soupe
1 atelier de mélange de légume
1 stockage de 20 000 m3 en froid négatif
conditionnement de sachets
conditionnement sacs/cartons
Le site de Saint-Pol-de-Léon qui comprend :
3 surgélateurs de 6 tonnes/heure,
1 chaîne d’étrognage de choux-fleurs,
1 chaîne d’artichaut,
1 stockage de 50 000m3 en froid négatif,
conditionnement de sachets,
conditionnement étuis.
Communiqué du 29 juin 2005
Les salariés de la CBA, adhérents de la CFDT, affirment que le délégué CFDT ne les représente en rien.
Les adhérents n’ont été consultés sur aucune des positions défendues par le délégué CFDT lors des dernières réunions et déclarations à la presse. Les adhérents de la CFDT sont solidaires de la grève avec FO et les non syndiqués. Ils continuent le mouvement pour des indemnités de départ à la hauteur de leur exigence. Les salariés estiment que les reclassements sont illusoires car il n’y a aucun document écrit. Le délégué CFDT a été contacté au téléphone ce matin par ses adhérents et n’a pas voulu se déplacer. Pour les adhérents de la CFDT, le délégué qui n’est plus l’expression de leur revendication n’a plus de légitimité pour les représenter lors des réunions.
Les adhérents CFDT en grève Communiqué du 1er juillet 2005
Dans le cadre du conflit des salariés de la CBA avec leur direction, les salariés CFDT en grève se sont réunis :
Au cours de cette réunion, les salariés CFDT de la CBA en grève ont exprimé leur indignation et l’absence de soutien de leur délégué syndical CFDT concernant leur revendication (à savoir entre autre une prime de licenciement à la hauteur de leur exigence : 10 000 €)
« Rappelons que le combat que nous menons est autonome et se veut en dehors de tout conflit inter-syndical et que chaque décision est prise par voix de vote à la majorité par l’ensemble des salariés en grève, qu’ils soient syndiqués CFDT, FO ou non syndiqués »
Parmi les membres présent à cette réunion tous (sauf un) ont décidé d’annuler leur adhésion à la CFDT.
Plouénan, le 1er juillet 2005
Les salariés CFDT de la CBA en grève Plouénan, le 5 juillet 2005
13ème jour de grève
Pourquoi la grève s’éternise ?
190 salariés Ÿ 135 licenciés
È Parce qu’à l’heure actuelle, la demande des salariés licenciés afin d’obtenir une prime de licenciement à la hauteur de ce qu’ils méritent, n’a pas encore été satisfaite par la CBA et la SICA, son actionnaire principal (à 99,70 %) ;
È Parce que la perspective de retrouver un emploi en CDI dans le bassin de Morlaix est plus qu’aléatoire ;
È Parce que depuis le mois de novembre 2004, ils ont subi de nombreuses semaines de chômage partiel, entraînant des pertes de salaire allant jusqu’à 200 € mensuel ;
È Parce qu’ils pensent que cette prime n’est pas un cadeau, mais un dû.
Dans ce conflit, qui a le plus à perdre ? Qui risque de mettre en péril la CBA ?
L’entêtement orgueilleux des dirigeants de la SICA à ne pas vouloir négocier cette prime risque d’engendrer d’importantes pertes de production pour la CBA, avec pour conséquence la fermeture définitive de l’entreprise.
Les grévistes ont toujours en tête les 1,3 millions d’euros de perte suite à une production de bocaux n’ayant pas tenu compte du cahier des charges imposé par le client. D’ailleurs, les responsables sont toujours en place et leur licenciement à eux n’est pas prévu…
Les grévistes souhaitent que le personnel non-gréviste travaillant dans l’entreprise ait un geste de solidarité, car, comme eux, ils profiteront des avancées du plan social.
Les grévistes remercient les camarades du comité de chômeurs de Morlaix (MNCP) pour leur soutien actif, ainsi que l’Union Départementale FORCE OUVRIERE du Finistère.