Le mouvement des sans papiers et demandeurs d’asile à Tours (2004 - 2005) : l’occupation de l’Université
Le collectif de soutien aux demandeurs d’asile et sans papiers (CSDASP) est né courant septembre 2004. Quelques manifestations ont été organisées à la préfecture et deux numéros du journal Demandeurs d’asile sont sortis. Composé d’individus et soutenus par quelques organisations, le collectif a pour but de mettre sur la place publique la situation des demandeurs d’asile et sans papiers. En effet, la situation est difficile compte tenu de l’arrivée comme préfet de l’ex directeur de cabinet de Sarkozy à l’Intérieur et du sous-dimensionnement des capacités d’accueil (quasiment aussi importante que le Loir-et-Cher, pourtant plus petit et moins peuplé !). La saturation des dispositifs d’accueil touche tout le monde : SDF, expulsés locatifs et demandeurs d’asile et sans papiers. Des centaines de places manquent pour accueillir les individus et familles dans tout le 37. Ni la préfecture ni les collectivités locales n’ont cru bon de réquisitionner comme le permet un certain nombre de lois plus ou moins récentes et surtout comme la situation l’exige.
Du village Péron et ses mobile-homes aux chambres d’hôtels sordides sont transvasés les sans papiers et demandeurs d’asile comme des têtes de bétail malgré les tentatives d’humaniser la situation. En effet, tenter d’améliorer la situation veut dire automatiquement mettre la main à la poche, car inutile de dire que les « autorités » n’ont pas les crédits : faut pas créer un appel d’air, sait-on jamais. Malgré une mobilisation appréciable, la situation passée l’hiver est de plus en plus critique car la trêve hivernale avait gelé la situation. Une fois terminées, les expulsions reprennent et les crédits fondent comme neige au soleil mais pas les loyers du foyer Sonacotra de Joué-les-Tours qui flambent depuis toujours, hiver ou pas. C’est ainsi que faute de solutions et à l’invitation d’un collectif d’étudiants en fin de mobilisation sur la Loi d’Orientation et de Programmation sur la Recherche et l’Innovation (LOPRI). Le collectif édite une fois l’Université occupée sept numéros de COQP et un numéro de CTOQP (après l’expulsion) daté du 15/07 et tiré à 1 000 exemplaires dont est tiré ce rapide historique non illustré.
I L’historique de l’occupation :
Episode I, ou Sur la nature et les causes de l’occupation des Tanneurs : Au 15 mars, date de la fin de la trêve hivernale, 9 familles de demandeurs d’asile hébergées en foyer ont été mises à la rue. Face à cette situation inacceptable et au refus de la préfecture d’appliquer la convention de Genève en fournissant un logement à ces familles, le Collectif de Soutien aux Demandeurs d’Asile et aux Sans Papiers (C.S.D.A.S.P.) et l’association Chrétiens Migrants se sont mobilisés. Le Collectif a organisé plusieurs manifestations afin d’alerter la population et de mettre les pouvoirs publics devant leurs responsabilités, tandis que l’association prenait sur elle de payer des nuits d’hôtel aux familles expulsées. Au 30 mars, Chrétiens Migrants se retrouvant à court d’argent et le Collectif toujours confronté à la surdité préfectorale, il a fallu trouver une autre solution. Celle-ci est venue d’un collectif d’étudiants en lutte contre les réformes universitaires, qui avait déjà occupé l’université de nuit une semaine auparavant, bien décidé à retenter l’expérience, et tout à fait disposé à faire converger sa lutte avec celle des demandeurs d’asile…
Episode II, ou Université, terre d’asile :
Les deux collectifs étaient en contact depuis quelques jours déjà. Le 30 au soir, après une énième manifestation de soutien, alors que les demandeurs d’asile se trouvaient devant la préfecture, les étudiants, Chrétiens Migrants et le C.S.D.A.S.P. faisaient entrer en catimini sommiers et matelas dans l’université, et les entreposaient dans une salle dite polyvalente, qui allait bientôt mériter plus que jamais son nom. Les demandeurs d’asile accompagnés par des militants ne tardèrent pas à nous rejoindre, des banderoles proclamant haut et fort l’université comme terre d’asile fleurirent sur le fronton du grand hall Thélème, et des appels de soutien à la population furent lancés à la radio. La nuit d’occupation qui suivit ne fut pas de tout repos pour les militants présents, tout occupés qu’ils étaient à organiser les choses du mieux possible dans un contexte d’intervention policière possible à tout moment, mais elle se déroula malgré tout dans une ambiance festive. Ce n’est que le lendemain matin, après une nuit de sommeil trop courte, que nous eûmes la joie de voir débarquer dans notre hall toute l’équipe administrative de l’université, vaillamment menée par notre cher et fringant président, le grand humaniste et social-libéral Michel Lussault. Celui-ci nous autorisa un délai jusqu’à la rencontre prévue avec la préfecture le lendemain. La délégation envoyée à cette entrevue ne revint qu’avec la délirante proposition préfectorale de placer les enfants à l’Aide Sociale à l’Enfance et de laisser les parents à la rue.
Les deux entrevues qui eurent lieu dans les deux mois qui suivirent n’aboutirent à aucune proposition plus acceptable de la part des pouvoirs publics. Les négociations avortées, le président, soutenu en cela par le Conseil d’Administration de la fac « chambre d’enregistrement de tous les mauvais coups contre les étudiants, les enseignants et le service public » (dixit Franck La Brasca, professeur d’italien à Tours), fit à nouveau peser sur nos têtes la menace d’une expulsion par les forces de l’ordre, mais ses ardeurs répressives furent quelque peu refroidies par l’érection de barricades devant chaque entrée de l’université, par la pétition des professeurs contre l’intervention policière et par le soutien manifeste d’un bon nombre d’étudiants. L’influence que peut avoir sur l’image d’un homme se présentant comme humaniste, affilié au Parti Socialiste et affichant des ambitions politiques importantes un ordre d’expulsion de demandeurs d’asile (avec enfants en bas âge) d’une université par quelques bataillons de C.R.S. a dû également faire réfléchir ce spécialiste de la communication, si bien qu’il préféra se donner un rôle de négociateur dans l’affaire opposant la préfecture au Collectif.
La menace d’intervention pour un temps écartée, l’occupation de la fac put réellement se mettre en place selon des principes d’autogestion, d’auto-organisation et de démocratie directe, garantis par le vote de chaque décision en Assemblée Générale souveraine, quotidienne et ouverte à tous. Durant les 84 jours que dura l’occupation, le Collectif mena nombre d’actions d’interpellations en direction des pouvoirs publics et des populations. Les dons et soutiens affluèrent de toute part, mais la préfecture n’assuma pas pour autant ses responsabilités, toute contente qu’elle était que le Collectif le fasse à sa place. Quatre familles obtinrent cependant des places en Centre d’Accueil Demandeurs d’Asile (C.A.D.A.), certainement en partie grâce à notre action. Mais dans le même temps, quatre nouvelles familles furent expulsées de leur foyer et donc accueillies à la fac. La situation s’enlisa rapidement, le nombre de militants diminua au fil du temps, les poursuites judiciaires pour raisons aberrantes contre les membres du Collectif commencèrent, et les actions se raréfièrent. 4 autres familles eurent malgré tout droit à des places C.A.D.A., mais dans d’autres départements, et donc pas du fait de la préfecture d’Indre-et-Loire, tandis que d’autres obtenaient des placements dans des foyers à droite à gauche.
La situation se dégrada brusquement quand six nouvelles familles fraîchement arrivées en France (et particulièrement à Tours), sans solutions d’hébergement, furent accueillies à leur tour à la fac. Des membres du Collectif - lequel, bloqué dans ce lieu de moins en moins moyen de pression et de plus en plus centre d’accueil, était contraint à la gestion des familles au quotidien - tentèrent de réquisitionner un bâtiment vide de l’agglomération tourangelle, à savoir l’hôtel du Musée, place François-Sicard. Cette réquisition se solda par un échec quand la police expulsa, au bout de deux jours, les familles et les militants présents. Le retour de toutes les familles à la fac fut très mal accepté par l’administration universitaire. Jusque-là, le président Lussault, autoproclamé négociateur (mais n’ayant jamais joué le moindre rôle positif dans une quelconque négociation), s’était contenté de menacer occasionnellement de faire appel à la police, tout en formulant, afin de nous amadouer, quelques propositions de logement absolument inacceptables de par leur caractère précaire et ultra-temporaires. Mais plus pour longtemps…
Episode III, ou Quand le bleu marine investit l’université :
Dès l’expulsion de l’hôtel (jeudi 16/06) et le retour à l’université, le climat change de manière radicale. Le jour même, M. Blonsard, bras droit armé du président Lussault arrive dans le hall. Il amène une demandeuse d’asile enceinte dans son bureau, ferme la porte derrière lui. L’université lui paiera l’hôtel quelques nuits s’il le faut, mais les familles doivent quitter la fac au plus vite. Le personnel de la fac débarque à son tour pour fermer les portes. La réaction est immédiate : les portes sont gardées par les militants qui dressent aussitôt des barricades. L’équipe administrative redescend, les négociations s’engagent. Lussault accepte que nous restions jusqu’au lendemain, jour même où il signera l’autorisation d’expulsion. L’intervention des forces de l’ordre est attendue pour le samedi matin : 8 cars de gardes mobiles sont stationnés à Joué-lès-Tours, des affiches dans la zone « libre » de l’université annoncent la cessation de toute activité sur le site pour samedi…
En face, on s’organise : les barricades sont renforcées, une diffusion massive de tracts est organisée en centre-ville, toutes les personnes en relation de près ou de loin avec le collectif sont contactées. Cette nuit-là, ce sont plus de 60 personnes qui, barricadées dans le hall Thélème, se préparent à l’arrivée des forces de l’ordre sur le coup de 6 heures du matin. L’intervention n’aura finalement pas lieu. La préfecture, voulant éviter trop de casse, préfère attendre un moment plus propice où la mobilisation serait moindre. Ce moment se présentera finalement dans la nuit du mercredi 22/06 au jeudi 23/06, à 3 heures du matin. Les familles et les treize militants présents sur les lieux sont sortis manu militari par les forces de l’ordre et amenées au commissariat pour un contrôle d’identité. L’intervention d’environ 75 C.R.S., totalement disproportionnée vis-à-vis des forces en présence, met fin à une occupation de 84 jours.
Episode IV, ou Quand la préfecture point ne réagit, c’est le bidonville qui partout fleurit
Le soir même, les sept familles délogées de l’université, de nouveau sans toit, se sont installées dans des conditions ultra-précaires (ni eau, ni électricité, ni sanitaires) sous un porche, entre deux immeubles de la place Anatole-France, où elles ont dressé un camp de fortune. Le C.S.D.A.S.P. et Chrétiens Migrants, à nouveau obligés de faire face à l’irresponsabilité des pouvoirs publics, ont décidé, en accord avec les familles, de chercher des solutions individuelles, afin d’éviter que ne s’installe dans la durée une situation intenable pour des raisons évidentes d’hygiène et de sécurité. Nous avons donc levé le camp. Au jour d’aujourd’hui, si deux de ces familles ont obtenu des places C.A.D.A., les autres sont hébergées au mieux chez des militants, au pire sur un terrain vague de Tours nord sur lequel vivent déjà 9 autres familles dans des conditions sanitaires inquiétantes (une seule arrivée d’eau, un seul W.C.). La question de l’accueil des demandeurs d’asile en Indre-et-Loire est donc plus que jamais d’actualité, et il va de soi que la fin de l’occupation des Tanneurs ne met pas un terme à la lutte menée par le Collectif depuis sa création.
II Bref bilan critique :
Cette occupation extrêmement longue (dont j’ai loupé les quinze premiers jours) de 84 jours a duré beaucoup plus longtemps que prévu (les plus optimistes pariaient sur trois jours), dans des conditions de plus en plus difficiles bien décrites dans l’historique précédent.
Misère de la gestion, gestion de la misère : vie et mort de l’autogestion
Le principal défaut de la lutte est en effet l’ambiguïté de départ de cette lutte compte tenu de l’élargissement des participants (très majoritairement étudiants) et surtout de leur inexpérience. Le danger principal réside dans les liens créés inévitablement alors que la lutte est nécessairement politique. Cette contradiction apparente croît avec le désinvestissement militant : les liens se créent ou se renforcent d’autant plus. Les parrainages (républicains ou non) sont l’aboutissement final de cette dérive que chacun peut constater au quotidien surtout si la lutte présente quelques signes de faiblesse. Sur le site Tanneurs de l’Université F. Rabelais (et son nouveau logo à plus de 10.000€) cela s’est traduit par un assistanat renforcé par l’inexpérience d’une part, par des conditions matérielles difficiles d’autre part. Logées au début dans la salle polyvalente, vouée à la destruction fin juin 2005, les familles sont (très) à l’étroit. Ce qui induit des tensions et une certaine apathie donc une absence d’investissement réel et d’initiatives, vite comblée par des étudiants volontaires qui passent un temps très important sur place (certains dormant sur place). Cette expérience humaine où toute la journée est occupée crée un microcosme avec ses rituels dont la traditionnelle AG à 18 heures (amphi C SVP).
L’occupation de la salle polyvalente intègre en effet quelques amphis faisant partie du « bloc Thélème » ce qui permet d’envisager quelques activités : soirées vidéos pour les enfants et adultes, débats et formation pour les militants, etc. Il ne fait d’ailleurs aucun doute que la barrière de la langue a accru les difficultés. Mais améliorer le quotidien et animer l’occupation (concerts, etc.) a fini par prendre plus de temps que de lutter afin que notamment les places en Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile (C.A.D.A.) se dégagent… Ce quotidien lourd à gérer (ne serait-ce que l’alimentaire) est le propre de toute occupation et de toute lutte prolongée (et l’autogestion - (auto)proclamée ou non - ne résiste guère aux impératifs de la société capitaliste). Mais quand la préfecture et la mairie de Tours en profitent pour se décharger totalement de la situation, cela peut occasionner des dégâts collatéraux non négligeables pour un mouvement. Cela conduit un certain nombre de militants (souvent à leur insu) à se transformer en travailleurs sociaux (allant même jusqu’à héberger des familles cet été) tant il y a à faire, surtout quand une directrice d’école affirme être dans l’incapacité de scolariser des enfants en l’âge de l’être (les places pour les primo-arrivants n’étant pas légion) etc. Cette spécialisation des tâches contamine le mouvement dans son ensemble… Enfin la vie militante de la fac et même au-delà a été gelée au plus grand plaisir du président de l’université et potentiel futur maire Lussault.
Pornographie tribunitienne ?
Cette spécialisation est présente dès le départ du fait même que l’accès à l’information est pour le moins aléatoire et de plus en plus. Les AG sont le meilleur moyen au début pour s’informer, COQP qui sort régulièrement en A4 recto-verso permet de fixer l’information. Mais la présence quotidienne permet d’en savoir plus, beaucoup plus quand COQP sort de plus en plus irrégulièrement et que la transmission de l’info est défaillante. En effet, comme pour le mouvement lycéen, le fonctionnement est au moins partiellement affinitaire et semi pyramidal ce qui conduit peu de personnes à prendre beaucoup la parole tant il est vrai qu’il est difficile d’être tout le temps là, d’être au point juridiquement etc. D’où des AG particulièrement linéaires encourageant la passivité et une vie militante se développant en dehors des AG, souvent de façon affinitaire : il devient de plus en plus difficile de s’intégrer au mouvement et les AG sont de plus en plus ternes. Les postes « clés » tel que les médias sont monopolisés mais il n’y a personne pour exercer la rotation des tâches. Le poids pris par ces individus plus ou moins mandatés suivant les AG est important, ce n’est donc pas l’effet le plus visible du mouvement sauf dans certaines AG. Résultat : des incompréhensions et des tensions doublées de tensions affectives parfois très importantes… Et ce n’est pas la brève occupation de l’(ex)hôtel du Musée qui a permis de (re)prendre des bonnes habitudes de fonctionnement.
Trop de naïveté tue la naïveté :
L’espoir suscité par cette lutte est à la mesure des souffrances endurées par les réfugiés. Cet espoir d’aboutir et une naïveté par trop marquée ont été vite démenties par les événements. Les coups de matraques et les gardes à vue ont eu au moins l’effet de déniaiser les plus réformistes. La désormais célèbre Ballade Tourangelle est la traduction de la désillusion issue de négociations boiteuses. S’il paraît inévitable de négocier, il est inutile de le faire avant d’établir un rapport de force important.
En cela le parasitage par le président de l’Université a nui aux négociations. L’espoir à peine voilé de certains de pouvoir compter sur certaines composantes de l’ex-gauche plurielle n’a été que partiellement démenti, ce qui a eu pour effet de fortement retarder notamment la mise en place du rapport de force avec les collectivités locales. Combien de fois ai-je entendu : « il y aurait fallu le faire plus tôt » quand il y avait à peine les effectifs militants pour « le faire ». Le spontanéisme a parfois fait échouer des actions, plombé certaines ou encore mis « en danger » certains militants. De même la complaisance envers le quotidien régional (la Nouvelle République) n’a pas aidé à l’autonomie de la lutte alors que la couverture de FR3 Centre, France Bleue était satisfaisante… Et l’absence de bilan critique élaboré et collectif ne permet pas d’en tirer un modus operandi transmissible pour les luttes futures, défaut majeur de beaucoup de luttes.
Pour compléter lire l’article de Karim et Marc André pour Sudversif 37 été 2005 : www.sud-etudiant.org
Pour plus d’information : http://perso.wanadoo.fr/csdasp (les COQP et les articles de la NR sont en ligne) Nicolas (nico37@no-log.org)