Rapide historique du premier mouvement lycéen du XXIe siècle
Une genèse difficile rapidement brisée :
Près de deux ans après le dernier grand mouvement de grève de l’Education nationale, les lycéens se mobilisent contre la loi d’orientation sur l’avenir de l’Ecole dite loi Fillon, appelée à remplacer la loi Jospin de 1989. Avec un peu de retard (comme nous en 2003 : Cf mon interview dans Ni patrie ni frontières n°6/7) sur le restant de la France, les lycéens tourangeaux se mobilisent et organisent des manifestations afin de faire connaître leurs revendications, globalement identiques au reste de la France. En effet, l’UNEF (tenue à Tours par des staliniens totalement absents du mouvement lycéen) mais plus encore l’UNL (en fait des étudiants du MJS qui cherchent à monter une UNL locale) oriente le mouvement lycéen sans pouvoir pour autant le contrôler. Le « plus grand lycée de France » Grandmont (Tours sud) est à l’origine des premières manifestations et est ainsi marqué par une certaine tentative d’auto-organisation. Mais première faiblesse, ressemblant en cela à beaucoup de mouvements, il s’agit d’un mouvement affinitaire à fonctionnement semi-pyramidal : les plus charismatiques terminent « automatiquement » délégués mais avec un mandat minimal et le fonctionnement courant se fait à la confiance, ce qui ne va pas tarder à poser quelques problèmes…
Pour l’instant les manifestations (journées nationales d’action) rassemblent quelques centaines de lycéens dans une ambiance bon enfant et une fragile coordination inter-bahuts se met en place. Mais rapidement le mouvement est habilement maîtrisé par un travail policier bien mené : la Brigade d’Intervention sur la Voie Publique (BIVP : « rattachée » aux RG) met la pression pour que tout soit cadré. Manifestations encadrées par un service d’ordre tatillon sur un parcours précis (avec briefing policier avant et après), pressions diverses sur les lycéens les plus impliqués (avec invitation personnelle au commissariat de police). Ce travail nuisible a été un peu moins efficace concernant le mouvement des sans papiers et demandeurs d’asile (Cf. l’article suivant) mais dénote probablement une certaine crispation politique ou du moins une réorientation opérationnelle de la police nationale : c’est la première fois en dix ans qu’ils ont été si visibles (voire si présents et si actifs). Cette fragile coordination tourangelle n’a guère les moyens de sortir de l’agglomération pour aller à la rencontre des gros lycées de campagne (Amboise, Loches, Chinon) pourtant mobilisés.
Et l’absence de liaison avec la coordination nationale lycéenne (« un nouveau syndicat », « tenu (sic) par des anarchistes » (comprendre influencée par la CNT Vignoles et Alternative Libertaire) a-t-on entendu de la bouche des responsables locaux du MJS) a fortement pesé sur la mobilisation qui n’a eu de cesse de chercher une orientation politique propre mais sans jamais y arriver totalement. Les difficultés internes de ce mouvement lycéen s’expliquent par une structuration interne trop faible (une liste de diffusion puis un simple forum et quelques rares flyers A6 pour les infos par exemple) et trop tardive donc, mais aussi par la faiblesse du mouvement dans chaque lycée et la répression à peine voilée des équipes de direction… et de la fraction étudiante réactionnaire de la bourgeoisie : l’Union Nationale Inter-universitaire (UNI : pseudo syndicat étudiant mais en fait lieu d’expression politique de la droite « radicale »). Ainsi dans les lycées les tentatives d’AG échouent souvent par un certain désintérêt des lycéens à quelques mois du bac mais surtout par l’absence de moyens matériels : salles pour se réunir, soutien des salariés de l’Education nationale, etc.
Et ce n’est pas le coup de main appréciable mais limité de Sud Solidaires 37 notamment par l’intermédiaire de Sud Etudiant (adhérent statutaire de Sud Education) qui va permettre quoique ce soit : les personnels de l’Education nationale présents aux manifestations ne dépassent jamais 10 personnes, les étudiants sont au maxi 15-20. D’ailleurs aucune organisation ne diffuse massivement l’information dans son secteur d’implantation ni ne prend d’initiatives : L.O. par exemple se contente de distribuer des autocollants lors d’une manif… et aucune organisation syndicale de l’Education nationale ne permet d’être bien informé sur ce mouvement, pire, personne n’en parle lors des Heures Mensuelles d’Infos syndicales (puisqu’aucune AG n’est organisée en dehors de ce créneau) de mon établissement, à part moi… Aucun lycéen ne sera jamais invité à y expliquer revendications et organisation du mouvement tourangeau…
Isolement initial, radicalisation et répression mettent fin au mouvement lycéen :
Une fois passée la spontanéité, la gestion du quotidien plombe sérieusement le mouvement, d’autant que, corollaire du spontanéisme, le découragement pointe le bout de son nez. Cela encourage une certaine radicalisation du mouvement lycéen qui regagne un peu d’autonomie au moment où il perd environ les deux tiers de ses effectifs. En effet la plupart des lycéens sont soit lassés pour une minorité d’entre eux soit n’ont plus envie de sécher les cours pour une majorité d’entre eux alors même que le bac se rapproche.
Profitant d’une énième journée (10 mars : bien suivie) nationale de grève public-privé, ils bloquent la circulation place Jean-Jaurès durant environ 1h30. Délogés manu militari par la Police nationale (en particulier les B.A.C. très présentes cette année), les lycéens ne tardent pas à se radicaliser sous l’impulsion des occupations des lycées qui se développent partout en France (particulièrement en banlieue parisienne, à Clermont-Ferrand, Toulouse, etc.). Aucune occupation en Touraine mais des blocages plus ou moins réussis dans 3 bahuts : Balzac, Descartes, Vaucanson + Paul-Louis Courrier (touché par un mouvement autour d’un manque de moyens, déclenché par le transfert d’un CPE de ce lycée à Jacques de Vaucanson : déshabiller Paul pour habiller Jacques en quelque sorte). Paul-Louis Courrier est ainsi resté en partie en dehors de la mobilisation, c’est un des dangers largement sous-estimé qui guettent la Fonction publique en cours de décentralisation.
Le(s) blocage(s) des lycées Vaucanson - Descartes - Balzac :
A Vaucanson (où j’étais en poste cette année) deux blocages ont eu lieu : un blocage avorté et un blocage réalisé après avoir averti la direction du lycée. Lancé par les rugbymen sortant de l’internat, le blocage a duré jusqu’à 15h, au moment où le proviseur a réquisitionné 2 techniciens et appelé la Police nationale pour faire sauter la barricade principale pendant… une heure mensuelle d’info syndicale … des Techniciens et Ouvriers de Service (TOS) : les premiers décentralisés de l’Education nationale !!! Plus tôt dans la journée, il y a fallu s’y reprendre à deux fois pour faire sortir 5 militants syndicaux SNES-FSU & SNLC-FO (dont certains étaient étonnés d’avoir leur(s) élève(s) parmi les organisateurs !) pour rencontrer les lycéens. Les autres enseignants ont continué à corriger leurs copies et à discuter entre eux de tout et n’importe quoi… Pendant qu’une petite majorité de lycéens écoutaient de la musique, avalaient des bières devant le bahut bloqué ! En effet, par manque d’expérience, la journée n’avait pas été structurée : pas d’AG vers 9 heures au plus fort de l’affluence (faut dire qu’en plein air, c’est pas évident), la rencontre avec les enseignants n’a jamais été discutée, il a suffi que je le propose pour que je m’en trouve chargé ! etc. Au moins l’attitude de la direction de l’établissement est apparue au grand jour au moment même où le SNPDEN-UNSA (unique syndicat des chefs d’établissement) appelait à l’aide le ministre et les recteurs face au mouvement lycéen !!! Mais de toute façon, un blocage un vendredi laissait peu de chance de pouvoir le poursuivre au-delà du week-end.
C’est à Descartes (établissement phare du département) que le blocage a été le plus politique et le plus tendu jusqu’à l’arrivée tout en force de la Police nationale qui a l’avantage d’avoir juste une unique rue en partant du commissariat pour arriver au lycée (soit environ 150 mètres !). Faut dire qu’un lycée à prépas avec une direction (CPE inclus) ultra réac’ ne laissait rien présager de bon, d’autant que le mouvement n’a jamais été très suivi dans ce lycée (ni ailleurs d’ailleurs). A Balzac (l’autre lycée de la (petite) bourgeoisie locale, seul lycée du département à avoir connu des « affaires de hijab »), le blocage est plus festif donc plus suivi : faut dire qu’avec la débauche d’éléments hétéroclites (matelas, fauteuils etc.) mais efficace, la construction du rapport de force a été tout de suite en faveur des lycéens qui avaient déjà tiré un bilan des semaines précédentes et avaient efficacement relayé leurs camarades de Grandmont. Ce blocage de Balzac a pu ainsi se continuer quelques jours…
Il n’y a pas eu d’interpellations de lycéens eu égard à son caractère bon enfant alors même qu’Angers virait à l’émeute urbaine. Pas plus qu’il n’y a eu de soutiens autres qu’individuels aux inculpés de Paris, Pau, Le Mans notamment, étant donné la fin rapide et brutale du mouvement, même si les lycéens faisaient partie de la manif lors du fameux lundi de Pentecôte. Reste à voir comment va se dérouler la rentrée… Par ailleurs l’UNI a essayé de créer des contre-feux assez inefficaces dans le 37 : pétition en faveur de la loi, création de « sections » UNI Lycée en réaction à la création de sections Sud lycée (pas de cas en Indre & Loire) et à l’agitation lycéenne qui a même touché certains lycées privés, journal où des lycéens ont pu être jetés en pâture à la direction de l’établissement et des autres lycéens (cas arrivé dans un lycée privé tourangeau) ou encore provocations lors des manifestations lycéennes (rapidement éjectés par les RG après un mouvement de foule vers les trois de l’UNI qui agitaient un drapeau tricolore tout en prenant des photos)…
Bilan : quelques brefs enseignements pour le futur :
Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que la « jeunesse » n’est pas dépolitisée, sinon les organisations d’extrême gauche connaîtraient une baisse croissante d’effectifs et une augmentation de leur moyenne d’âge, il n’en est rien évidemment. Par ailleurs, quoique jamais majoritaire, le mouvement lycéen a toujours eu l’assentiment d’une très large fraction du monde éducatif et de « l’opinion publique ». En cela le mouvement lycéen à Tours ressemble à tous les mouvements depuis novembre- décembre 1995 (censé être le premier mouvement par procuration). Faible car trop souvent mal organisé, il aura cependant fallu l’action conjointe des réformistes rêvant de carrières, de la police et des directions des établissements pour canaliser puis casser le mouvement qui aurait pu sinon durer plus longtemps en étant plus massif et mieux soutenu : il faut aussi rappeler que les lycées ne sont plus un lieu de propagande régulier depuis quelques années pour la plupart des organisations d’ « extrême gauche »…
Néanmoins une tentative d’auto-organisation et un mûrissement politique réel ont eu lieu grâce à ce mouvement… Et de toute façon, les lycéens ont rencontré les mêmes limites et commis globalement les mêmes erreurs que leurs aînés. Enfin la répression massive et de surcroît accrue (le CTC de Bègles par exemple) oblige à un effort de rigueur organisationnelle et de « convergence des luttes » à défaut d’interprofessionalisme et sans pour autant céder au substitutisme. Nicolas (nico37@no-log.org)
Pour compléter voir l’article écrit par Tommy pour Sudversif 37 été 2005 : www.sud-etudiant.org