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Avec la Nouvelle Droite contre la mondialisation ?

mardi 6 janvier 2004

Ils se prétendent solidaires des Indiens d’Amérique et défendent la diversité culturelle. Ils veulent se débarrasser du capitalisme et de la mondialisation. Et ils ont lu les textes politiques classiques de la droite et de la gauche. L’avant-garde néerlandaise de l’extrême droite a entamé une discussion avec la revue de débats Studie, Opbouw en Strijd (Study, organize and struggle). Ils s’appellent la Nouvelle Droite, comme leurs camarades en France et en Belgique. Mais leurs idées sont-elles vraiment nouvelles ? Pour le savoir, nous analyserons ici deux articles écrits par leurs principaux idéologues Rüter et Veldman, publiés dans le numéro de SOS paru en été 1998.

Maintenant que la plupart des vieux partis d’extrême droite néerlandais se décomposent, SOS discute de la construction d’une nouvelle droite. Le think tank (club de réflexion) Voorpost et le Nederlandse Studenten Vereniging (l’Organisation nationaliste étudiante ou NLSV) participent aussi à cette discussion.

La Nouvelle Droite s’est tout particulièrement intéressée aux points faibles de ce qu’ils appellent « l’idéologie libérale de gauche ». Elle essaie de nouer des contacts avec toutes sortes de mouvements de gauche et d’infléchir les idées fondamentales de ces mouvements de gauche vers l’extrême droite.

Avec un plaisir sardonique, Rüter et Veldman citent fréquemment les propos douteux de certains leaders d’opinion « libéraux de gauche » auxquels ils tressent des lauriers pour renforcer leur idéologie nationaliste. C’est ainsi qu’ils utilisent Tom Lemaire, Hans Koning, Albert Stol, Umberto Eco et Stella Bram pour prouver que leurs propres idées réactionnaires sont justes. Rüter et Veldman présentent leur projet de renouvellement politique d’une façon très éloquente, avec audace et provocation, de façon à se débarrasser efficacement de leur vieille image raciste. Mais fondamentalement ils s’inspirent toujours de la vieille idéologie fasciste traditionnelle fondée sur le sang et le sol : Blut und Boden.

Une « révolution culturelle » ?

Rüter, le dirigeant de la Nouvelle Droite, apprécie beaucoup les idées de Gramsci, cet intellectuel communiste enterré vivant durant des années dans les prisons de Mussolini. Selon Gramsci, les révolutions ne peuvent réussir que lorsque la culture d’un pays connaît également un changement fondamental, lorsque « l’hégémonie culturelle » de l’élite est brisée. C’est pourquoi il faut d’abord que se produise une « révolution culturelle », et c’est précisément le souhait de Rüter. Il veut subvertir le « consensus entre la gauche et les libéraux », consensus maintenant à la mode. Selon Rüter, ce consensus nous est imposé par le « grand capital » et organisé par l’État. Rüter veut que notre organisation sociale et notre façon de pensée reposent désormais sur le nationalisme inspiré de la Nouvelle Droite.

Rüter désire mettre un terme à la « mondialisation » et sympathise avec la lutte contre l’AMI. Il conseille à ses lecteurs de se renseigner sur la campagne de la gauche contre l’AMI. Les étudiants nationalistes ont apparemment tellement apprécié cette campagne qu’ils ont décidé de créer un lien entre leur page d’accueil sur Internet et celle des anti-AMI.

Rüter cite Marx, pour qui la volonté de « mondialiser » l’économie était inhérente au Capital. Et selon notre idéologue, le capitalisme mondialisé a aussi transformé la culture en une marchandise.

Le Capital « colonise l’imagination », suscitant une « uniformisation (mondiale) des modes de vie » et le « déracinement des identités collectives et des cultures traditionnelles ». C’est pourquoi Rüter veut restreindre le pouvoir du « grand capital » et appelle à créer une « démocratie participative » ou « directe », exactement comme les militants anti-AMI.

Rüter et Veldman méprisent particulièrement ceux qui pensent en termes de progrès, et dont ils prétendent qu’ils sont hégémoniques dans le système capitaliste. Citons Veldman : « Aujourd’hui, les différences politiques les plus fondamentales ne passent plus entre la gauche et la droite mais entre, d’un côté, ceux qui veulent imposer une croissance économique sans entraves ainsi que le progrès, pour lesquels les êtres humains ne sont que des consommateurs et la terre un objet, et, de l’autre, ceux qui, selon Rüter, "veulent partager tout l’espace vital cosmique avec les animaux, les plantes et la matière, et transmettre cet espace intact aux prochaines générations" ». Veldman défend la solidarité avec les « peuples qui luttent pour sauver leur propre identité et avec tous ceux qui résistent à la destruction de la flore et de la faune, contre le pouvoir et l’influence illimités des sociétés multinationales et contre la société de consommation internationale ».

Le nationalisme indien

Veldman place les Indiens nord-américains tout en haut de la liste de ses peuples préférés. Dans un long article intitulé « A propos du nationalisme indien : la hache de guerre n’est pas encore enterrée », il décrit la destruction de la « culture et de l’identité » des « peuples premiers » de l’Amérique. Cette destruction a été provoquée par « l’immigration massive de gens qui ne se préoccupaient absolument pas de la culture et de la religion des peuples indigènes ». Selon Veldman, la culture chrétienne et l’idéologie du progrès sont responsables des injustices commises envers les Indiens. Il aime citer le fameux écrivain indien Vine Deloria Jr : celui-ci ne veut plus avoir aucun contact ni avec le christianisme, ni avec le capitalisme, ni avec la solidarité de la gauche. Tous ces éléments ne sont que des produits importés, aurait-il déclaré. « La plupart des Indiens sont nationalistes, ce qui signifie qu’ils pensent d’abord au développement et à la stabilité de leur propre tribu », a écrit Deloria.

Copiant les militants de gauche, Veldman soutient le combat pour la libération de Leonard Peltier, militant de l’American Indian Movement, emprisonné maintenant depuis vingt-quatre ans. Et il fait aussi l’éloge du magazine Nanai-notes, publié par le mouvement néerlandais de solidarité avec les Indiens. De cette façon Veldman et la Nouvelle Droite veulent profiter de la sympathie dont jouit cette cause. « Ce n’est pas logique que la politique explicitement identitaire de la plupart des minorités en voie d’extinction ou des minorités détruites, des mini-peuples "inoffensifs" soit portée au pinacle, alors que les mêmes valeurs sont immédiatement suspectées lorsqu’elles animent le nationalisme vigoureux de peuples un peu plus nombreux », déclare Veldman. Notre idéologue n’ « oublie » qu’un « détail » : tous les livres d’histoire abondent d’exemples de « minorités » massacrées par des « peuples un peu plus nombreux » animés par ce « nationalisme vigoureux ».

« Un génocide spirituel » ?

Veldman essaie aussi de nous vendre son « nationalisme vigoureux » en citant les propos de Trudell, le dirigeant indien le plus important des années 70. Trudell haïssait le christianisme qui, selon lui, avait commis un « génocide spirituel » en lavant le cerveau non seulement des Indiens mais aussi des Blancs. Tout avait commencé, selon Trudell, au Moyen Age, en Europe, avant même que le christianisme soit importé en Amérique. C’est à ce moment-là que l’identité originelle européenne aurait été écrasée. Ainsi, lorsque Veldman proclame « La lutte des Indiens est notre lutte », il se considère comme une sorte d’Indien néerlandais. Il pense que, tout comme les Indiens, les Néerlandais doivent redécouvrir leur propre identité et « d’abord devenir nationalistes ». Stella Braam est une militante de gauche connue depuis longtemps pour ses activités infatigables au sein du mouvement de solidarité néerlandais avec les Indiens. Dans son livre Les Voix de la Terre, elle écrit : « La terre est essentielle pour notre existence. Elle préserve les racines de notre culture et les lieux sacrés de nos ancêtres. »

Cette citation réjouit bien sûr Veldman. « Vu le nombre de gens bien intentionnés qui valorisent la culture et la vision du monde des peuples autochtones, je me pose quand même une question : pourquoi les Européens qui méprisent eux aussi le progrès et essaient également de retrouver leurs racines et leur identité culturelle sont-ils victimes d’une telle méfiance et d’une telle hostilité de la part de personnes qui prétendent partager les mêmes valeurs ? », se demande-t-il. Les traditions et les religions pré-chrétiennes sont au centre des discussions au sein de la Nouvelle Droite. Des chercheurs comme Koenrad Logghe compulsent minutieusement les textes médiévaux pour y retrouver les vestiges de cette prétendue identité originelle blanche originelle.

Logghe puise parfois ses arguments dans la revue SOS et le numéro de l’été 1998 contient une critique très élogieuse de son dernier livre : Le Saint-Graal entre les héritages païen et chrétien. De Fabel van de illegaal est intervenu avec succès pour qu’un éditeur néerlandais ne diffuse pas aux Pays-bas ce livre édité en Belgique.

En utilisant ce type de recherche, la Nouvelle Droite essaie aussi de tirer profit du mouvement du Nouvel Age (New Age) qui se spécialise dans les « vieilles traditions nordiques » et constitue une base potentielle pour la Nouvelle Droite.

Une idéologie féodale

Cette Nouvelle Droite, qu’a-t-elle de véritablement nouveau ? A première vue, elle semble s’être débarrassée de son vieux racisme primaire. Veldman exprime même sa solidarité avec les peuples autochtones… tant qu’ils restent là où ils sont. Il prétend même mépriser la « solidarité aveugle entre les peuples blancs de cette planète », et prend ses distances avec les traditions de l’extrême droite. Mais, en fait, rien n’a changé. La Nouvelle Droite défend encore avec nostalgie le mythe d’un passé pré-civilisationnel dans lequel chacun aurait eu sa « place naturelle ». Elle rêve d’un Age d’or féodal où les « peuples » auraient été encore « ethniquement purs ».

Selon Rüter, l’homme moderne a été « déraciné » et coupé de ses « origines naturelles » - sa « communauté biologique ». « Les peuples, où qu’ils vivent, sont liés à une parcelle de terrain, à un morceau de la Terre qu’ils considèrent comme leur propriété, et ils seront toujours prêts à lutter pour son indépendance et son intégrité. »

Rüter croit aussi « que la société naturelle, auquel appartient chaque être humain, à commencer par la famille, possède le droit et le devoir de se défendre elle-même. C’est ce qui la pousse à préserver la diversité ethnique et culturelle, à lutter contre l’uniformisation et les structures monolithiques. » C’est ainsi que le nationalisme de la Nouvelle Droite de Rüter retrouve le vieux racisme biologique :« en tant qu’êtres sociaux, les humains ont une tendance naturelle instinctive à s’identifier à ceux qui leur ressemblent ».

La popularité croissante des idées de la Nouvelle-Droite met à nu la vulnérabilité de l’idéologie de la gauche radicale qui devient de plus en plus vague. La Nouvelle Droite n’a même pas besoin de falsifier ou de tronquer les citations de la gauche si elle veut les utiliser à ses propres fins.

L’absence d’une solution alternative et d’une idéologie révolutionnaire claire et cohérente risque de donner à la Nouvelle Droite la possibilité d’attirer de nouvelles générations de militants. C’est pourquoi les militants de la gauche radicale doivent employer des arguments très précis, par exemple pour lutter contre la mondialisation. Et expliquer ce qu’ils entendent par la « diversité culturelle » qui, en principe, n’a rien à voir avec l’idéal prôné par la Nouvelle Droite : une société statique, dominée par le passé et par une vision rigide des lois naturelles ; un mode de pensée réactionnaire selon lequel celui dont les ancêtres ont vécu le plus longtemps dans un endroit possède le plus d’autorité en matière politique et culturelle.

Les militants de la gauche révolutionnaire luttent plutôt pour une société qui peut changer, et dans laquelle tous les nouveaux venus participeront à égalité avec les autres. Ils souhaitent développer des cultures de lutte internationalistes autonomes, comme Gramsci les avait envisagées. Et ils ne s’opposent certainement pas au progrès. Notre véritable combat concerne la direction dans laquelle nous allons progresser et surtout qui en décidera.

Eric Krebbers

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