Petit rappel historique
Les premières restrictions à la libre circulation des personnes originaires des anciennes colonies sont apparues sous le gouvernement Giscard en 1974. A cette époque, la chose est passée totalement inaperçue et les organisations les plus révolutionnaires n’ont pas été les dernières à faire la sourde oreille. Curieusement, et par un effet de peur, l’annonce de la fermeture des frontières a plutôt attiré que découragé les candidats. Les Maliens, les Sénégalais, qui allaient et repartaient sans difficulté jusque-là, se sont alors précipités, de crainte de ne plus pouvoir passer.
Ensuite, c’est une longue succession de lois qui vont s’empiler. Leur incohérence, jointe à leur manque d’efficacité quant aux buts recherchés, vient de se faire épingler par la Cour des Comptes. Sous le gouvernement Balladur, la situation s’aggrave et ce n’est pas la gauche et son ministre de l’intérieur J.-P. Chevènement qui vont clarifier les procédures.
Le résultat ? Des situations ubuesques. Des préfectures qui appliquent de la loi ce qu’elles en retiennent. Il suffit parfois de franchir sans ticket un tripode de la RATP pour se retrouver interpellé et mis en rétention. Des organisations débordées par les problèmes juridiques, des militants obligés de s’improviser juristes et qui dépensent une énergie folle en montages de dossiers de régularisation.
Une des constantes du discours dominant, c’est l’opacité et la non-publicité, voire la publicité mensongère. On va « réguler les flux migratoires » ! Explicite ou implicite, le discours n’est malheureusement pas seulement l’apanage du gouvernement ou de ses laudateurs mais court en filigrane chez toute une intelligentsia dite de gauche. On va protéger la forteresse Europe « fief de liberté, de démocratie, et de bien-être » des hordes de sauvages analphabètes, islamisés ou pauvres couillonnés de l’Histoire qui lorgnent d’un œil avide notre gâteau. Sus à vos assiettes les gars ! Y’en a pas pour tout le monde !
La réalité est quelque peu différente, même si elle est amère.
Les lois dites Pasqua-Chevènement créent des situations juridiques inextricables, elles créent du sans-papier comme si c’était leur but secret, jamais avoué.
A propos du regroupement familial
Les regroupements familiaux sont niés ; insuffisance de ressources ou exiguïté du logement suffisent à refuser la venue de la famille mais, dans les villes, les offices HLM ne mettent de grands logements à disposition (quand ils le font) que si les enfants sont déjà présents. Et que penser de ces refus de regroupement pour insuffisance de revenus quand le mari et père, séparé des siens, est payé au salaire minimum ? (Cela vient de se passer pour un ouvrier agricole marocain qui en avait assez de sa vie de maribataire .) En bonne logique révolutionnaire, cela signifie, mais on le savait déjà, que le salaire minimum se révèle insuffisant à faire vivre une famille dans des conditions décentes.
En logique administrative, cela se comprend comme : « Fais venir tes enfants clandestinement, ils ne seront jamais régularisés et devront travailler au noir, donc comme des bêtes, pour encore moins cher que toi. » Et c’est ce qui se passe : les hommes, las des démarches administratives stériles, font venir les leurs clandestinement et tentent la régularisation après… Et les enfants de payer les pots cassés des logements insalubres, des expulsions et des déménagements successifs, les épouses de souffrir de l’insécurité qui les empêche de s’investir dans la vie sociale, les enseignants de s’impuissanter et les militants de soupirer. La fin du droit du sol Un des aspects les plus pervers de la loi dite Pasqua est la négation du droit du sol. Personne ne sait que, dans ce pays ce droit inaliénable, héritage de notre grande et glorieuse Révolution , a été balayé d’un coup de plume sous le dernier gouvernement Balladur. Avant 1993, puisqu’il y a un avant, la loi était simple : tout enfant né sur le sol français était de nationalité française de droit. S’il ne le voulait pas, il pouvait toujours déposer une demande de refus, mais cette citoyenneté-là lui était octroyée de façon automatique. La réforme du Code de la nationalité inverse le processus et les enfants issus de l’immigration, mais nés sur cette terre, doivent faire la demande de nationalité entre seize et dix huit ans. « D’un seul coup, la citoyenneté ne vient plus reconnaître un fait mais devient l’aboutissement d’une démarche (...). La loi indique aux enfants, mais aussi à leurs parents, qu’ils ne sont pas encore français, qu’ils doivent le devenir, demander à le devenir, le mériter . » La loi disait, sereine : « Petit, tu es chez toi. » Maintenant elle se lèche les babines et susurre : « Approche un peu pour voir. »
Le droit sanctionnait alors une vérité de vie ; ceux qui étaient nés là se retrouvaient français mais le gouvernement de 1993 a entendu les sirènes nauséabondes « Etre français ça s’hérite... ou ça se mérite. » Chevènement s’est bien entendu totalement abstenu de revenir sur cette disposition inique… fidèle en cela à Michel Rocard qui disait en son temps : « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde ! »
De plus, les préfectures agissant de manière incohérente et apparemment non coordonnées, sans qu’on comprenne bien quels éléments rentrent en jeu, font généralement répondre qu’il faut attendre d’avoir dix-huit ans… Mais, dès le lendemain de leur anniversaire, l’expulsion est possible.
Les organisations Les organisations traditionnelles ont peiné et peinent encore à mettre la question de l’immigration au cœur de leur réflexion et de leurs préoccupations, même si le dévouement individuel de certains militants ne fait pas l’ombre d’un doute. Il est curieux de constater que les militants actifs le sont presque toujours au nom d’un syndicat, voire quelquefois de leur simple section syndicale professionnelle jamais de leur organisation politique, et sans que cela entraîne d’ailleurs des débats ou un investissement particulier de ladite section .Au-delà des déclarations d’intention, des jolis mots des programmes, dont on sait qu’ils ne seront jamais appliqués, l’extrême gauche brille par son manque d’élaboration politique et par son absence quantitative dans ce qu’il est convenu d’appeler « les luttes ». Un zeste d’alter-mondialisme, une petite piqûre de dénonciation des rapports Nord/Sud,expression plus à la mode que colonialisme, même qualifié de néo ou post, et c’est à peine si un petit cortège de la LCR ou de LO accompagne les manifestations de sans-papiers même si le dévouement individuel de certains militants ne fait pas l’ombre d’un doute.
Les anarchistes, libertaires ou non, se font remarquer par leur absence ou leur présence toute symbolique. Sorti des slogans creux de l’internationalisme béat, peu de travail d’approfondissement ou d’élaboration, peu « d’ordre du jour » des tâches, pas de Que faire ? relatif à la question de l’immigration. Et pourtant, l’irruption des sans-papiers sur la scène politique sera, dès 1980, le fait de travailleurs turcs dont on peut se demander pourquoi ils sont aujourd’hui si absents des collectifs. C’est une vraie question, surtout si on la met en relation avec le degré de politisation plutôt remarquable de la population turque immigrée. Le candidat Mitterrand leur promettra beaucoup… On connaît la suite.
Des « Saint-Bernard » médiatisés et vilipendés, aux collectifs actuels, nombreux mais éclatés et parfois même concurrents, de plus en plus ethniques en tout cas, le chemin a été harassant et en a laminé plus d’un. Des sans-papiers eux-mêmes qui, épuisés, découragés, quittent les collectifs, aux « soutiens » fatigués de n’être cantonnés qu’aux rôles de pourvoyeurs de fonds, de gardes du corps ou cautions des partis défaillants qu’on dit de gauche. Ces militants « soutiens » se sont trouvés fort dépourvus, fort frustrés et fort marris….
Et c’est à un moment où les manifestations de sans-papiers s’étiolent lamentablement, où pas une idée neuve, pas un souffle d’air frais, ne semble vouloir éclairer le paysage, que le gouvernement attaque et commet une erreur grave. Il décide d’appliquer dans toute sa rigueur les lois Pasqua et décide de s’en prendre aux enfants. Pour tous ceux qui commençaient à s’apitoyer sur l’état du monde en « pâtissant », pour reprendre une expression chère à Miguel Benassayag, en se laissant aller au vent de la désespérance, en pensant qu’on ne peut décidément rien faire, ainsi que pour un certain nombre d’enseignants, la coupe est pleine. De la provocation va naître RESF .
Les préfectures passent à l’attaque !
L’attaque est terrible, et quand l’Etat ne respecte même plus ses propres lois, les préfectures, tant de banlieue que de province, expérimentent… Il ne s’agit pas, comme on a pu le croire, de bavures non ; on essaie et on voit si ça passe et pour l’instant ça ne passe pas !
Quelques exemples : En septembre, à Rennes, l’inspection d’académie envoie un courrier aux directeurs des écoles pour retrouver la présence d’un élève . Le courrier ne mentionne pas le motif de la recherche. Un directeur répond. C’est ainsi que Randy, 6 ans, élève de l’école Georges-Clémenceau où il venait de faire son entrée au cours préparatoire, se retrouve en centre de rétention avec sa mère, déboutée du droit d’asile et expulsable.
En octobre, à Metz, deux enfants de trois et six ans sont emmenés avec leurs parents au centre de rétention de Lyon. La police avait demandé aux enseignants de les retenir à l’école après l’heure de la sortie pour pouvoir venir les enlever sans provoquer trop d’émoi.
A Nantes, à cette même période, des gendarmes sont passés dans plusieurs écoles, sans avoir préalablement averti les directrices. Ils étaient à la recherche d’enfants étrangers. L’inspecteur d’académie envoie des courriers dans les écoles publiques et privées pour rechercher des élèves, tous étrangers. Depuis ce sont des listes entières qui sont transmises aux écoles, tous les noms sont à consonances étrangères. Face à l’opposition qui s’organise, les services de l’inspection d’académie ont rappelé les enseignants récalcitrants à leur devoir d’obéissance de fonctionnaire. Cela n’est pas sans rappeler la circulaire du 31 janvier 1942 du gouvernement de Vichy qui demandait de signaler aux autorités compétentes tous les élèves aux noms à « consonance hébraïque ». Vous allez me dire : « Ce n’est pas la même chose, ils ne risquent pas la mort eux ! » Ah bon ! Vous êtes sûrs ?
Dans le Rhône : témoignage « Le Collectif RESF 69, a vraiment démarré en avril dernier (2004) quand l’un d’entre nous a lancé l’alerte après avoir vu passer le car de police venant du centre de rétention avec à son bord deux jeunes enfants africains (...). Renseignements pris au tribunal, nous apprenons qu’il s’agit de deux enfants de 4 et 8 ans, nés en France de parents sénégalais, avec un père en possession d’une carte de 10 ans, et une mère sans-papiers. Ils ont été arrêtés à Bourg-en-Bresse avec leur mère, à l’heure de partir à l’école, puis conduits au centre de rétention. Après avoir contacté Mme Keita, puis les associations africaines, nous contactons le directeur de l’école qui a déjà informé la mairie de Bourg et la CIMADE, et se déclare prêt à agir, mais se demande comment "car plus rien n’est possible juridiquement" (...)… Tous conscients que nous ne saurions en rester aux limites imposées par les lois, la Ligue des droits de l’homme aidant, avec sa section de Bourg présente sur le terrain et ses militants dans notre collectif, le collectif des associations africaines, le directeur, les instituteurs et parents d’élèves aidant, nous arrivons à faire signer largement une pétition pour la libération des enfants et de leur maman, et à organiser deux rassemblements à Bourg avec délégations à la préfecture, et un petit rassemblement devant la préfecture de Lyon qui refuse de nous recevoir. Il faut dire que la mobilisation de l’école a été absolument remarquable : les élèves réclamant "On veut Lassana !" pendant les récrés, ce qui s’entendait de la rue, les classes faisant des dessins ensuite portés au centre de rétention par les instituteurs toujours très actifs. »
Mineurs /majeurs
Par rapport aux adultes, les mineurs sont (encore) un peu protégés. La loi dit très clairement qu’un mineur étranger isolé doit être considéré comme mineur en danger ; qu’à cela ne tienne, pour « faire du chiffre » on en fera des majeurs.
En décembre dernier, c’est au vu d’une prétendue expertise osseuse que la police étayait ses déclarations au mépris de toute rigueur scientifique. S. J., jeune réfugié du Ghana, né en 1988, pris en charge dans un foyer d’accueil pour mineurs par décision du juge des enfants, est scolarisé au collège Jeanne-d’Albret à Pau. Le 17 novembre, il participe avec sa classe à une manifestation de solidarité en faveur de l’Afrique. Le 18 novembre à 9h45, la police des frontières vient l’interpeller dans sa classe, sous les yeux de ses camarades et de ses professeurs anéantis, pour l’envoyer en centre de rétention administrative en vue de sa reconduction au Ghana ! Le réseau Éducation sans Frontières fait diligence pour lui permettre d’intenter un recours judiciaire : en effet, la loi ne permet pas l’expulsion des mineurs.
Qu’à cela ne tienne : pour l’État, sa majorité sera prouvée ! Une radio du poignet indiquerait un âge osseux supérieur à 18 ans ! S. doit repartir ! Il n’existe pas un médecin digne de ce nom qui pourrait prétendre deviner l’âge d’un gamin au vu d’une radio du poignet ! A quand les lignes de la main ?
En ce début janvier 2005, un jeune Nigérian est retenu en zone d’attente et vient de subir sa quatrième tentative de rapatriement par la force, pourtant il est mineur, mais la police, malgré un certificat de naissance incontestable, prétend contre toute logique que ce jeune est majeur.
Jusqu’ici la mobilisation aidée par le réseau a permis de gagner presque à tous les coups sur les collèges et les lycées, les préfectures se révélant peu friandes d’embrasement.
Mais les choses risquent encore de s’aggraver. Le protocole d’accord signé à Dreux le 4 octobre dernier entre François Fillon et Dominique de Villepin (respectivement ministre de l’Education nationale et ministre de l’Intérieur) « contre les violences scolaires » permet maintenant d’effectuer des contrôles d’identité aux abords des établissements scolaires dits « sensibles ». Le premier a eu lieu en janvier et a donné lieu à protestations. Mais il y en aura d’autres. On imagine les suites.
Des enfants dans les centres de rétention ?
Au centre de rétention de Lyon, le nombre d’enfants enfermés a été multiplié par deux entre 2002 et 2003, passant de 36 à 74. La Ligue des droits de l’homme signale que « soixante à quatre-vingts enfants sont passés depuis le début de l’année dans le centre de rétention de Saint-Exupéry » (près de Bourg-en-Bresse). A Nantes, ce sont des enfants roms qui sont logés dans ces camps où rien n’est prévu pour les accueillir et ne parlons pas de les éduquer. Ils y végètent dans des conditions indignes.
A quoi sert RESF ?
A problème complexe, réponses multiples. RESF n’est pas la réponse à la question des sans-papiers ; c’est juste une réponse possible parmi d’autres tout aussi indispensables. RESF, il faut le préciser, n’est pas une nouvelle organisation ni même l’embryon d’une nouvelle organisation. Il s’agit juste de gens qui se réunissent en vue d’un objectif précis. C’est peut-être une nouvelle façon d’organiser et d’agréger tous ceux qui ne se reconnaissent pas ou plus dans les formes d’organisation pérenne.
RESF c’est aujourd’hui le moyen qu’ont trouvé les enseignants de renouer les fils de la solidarité. L’école est un formidable élément de socialisation. Dans certains quartiers, c’est le seul. La situation des sans-papiers est terrifiante à vivre. On rase les murs. On travaille pour des clopinettes, sans jamais avoir l’assurance d’être payé. Logement, santé, relations affectives et sociales : tout est marqué du sceau de l’incertain et du provisoire. Si l’exil lacère les vies, la clandestinité enfonce le couteau et fouaille dans la blessure.
Pour les femmes, la pression sexuelle surajoute à l’aliénation. Or les femmes sans-papiers se mobilisent peu. Elles se savent plus vulnérables. Pour elles le retour au pays s’avère des plus problématique. Passer par les enfants est aussi un moyen de les contacter et de les réassurer.
Globalisation ou recentrage sur les revendications de base ?
S’emparer de la question des sans-papiers sous l’angle unique des scolarisés sans papiers présente des avantages et des inconvénients.
Dans un premier temps, il faut bien avouer que cela n’est pas toujours bien reçu dans les collectifs existants qui sont à 99% masculins. Mais dès qu’on aborde la question scolaire, la discussion perd de sa sécheresse et tout-à-coup c’est la vie qui rentre. Ils ne sont plus des clandestins réduits à leur seul état de sans-papiers, ils redeviennent des maris, des pères, bref des hommes. Par le biais des enfants, ils redeviennent des humains aussi dans la tête de monsieur tout le monde. Si Mamadou qui prend son métro à cinq heures du matin n’émeut pas grand-monde, quand il est embarqué, menotté, dans l’avion pour Bamako, Mamadou, trois ans, le copain de classe de mon fils emmené hors de la classe et placé en camp de rétention, ça c’est insupportable !
Une des grandes faiblesses de la lutte des sans-papiers est de ne pas avoir su ou pu lier les problèmes, de s’être cantonnée aux papiers : « Des papiers ! des papiers ! des papiers pour tous ! » Le mot d’ordre est d’une justesse basique mais il n’est pas suffisant. Isolé du contexte social, ce travail relève du tonneau des Danaïdes. Ceux de la MDE, la Maison des ensembles, collectif de sans-papiers parisiens qui vivaient ensemble et qui dura de 1998 à 2004, avaient un peu commencé à aborder le problème. Un de leurs meilleurs tracts restera celui qui s’intitulait : « Qui sommes-nous ? » Mais les pressions diverses, policières y compris, ajoutées à l’isolement ont eu raison de cet élan.
La criminalisation des étrangers ne date pas d’hier, bien entendu. « Exproprié de son identité réelle, privé dans l’imaginaire collectif de toute utilité alors qu’il est en réalité toujours plus utilisé comme force de travail que l’on jette après usage, l’étranger devient une sorte de fantasme dont se nourrit l’imaginaire xénophobe et raciste. Cet imaginaire tend à réduire les individus à des figures » : le clandestin, le sans-papiers, l’islamiste, voire le voleur de poules.
Travailleur immigré sous ta couleur et sans tes papiers es-tu toujours un travailleur ? Ou « Comment apprendre à vivre ensemble ? »
Poser la question des sans-papiers c’est toujours travailler sur le « comment vivre ensemble », comment se dépêtrer de l’héritage de l’Histoire et ses mensonges. La xénophobie ne fait pas seulement partie de l’histoire du mouvement ouvrier, elle en est une des composantes. La xénophobie est une des formes que prend le conflit social durant tout le XIXe siècle et une partie du XXe. Je sais que je ne vais pas me faire que des amis en écrivant cela mais, tout de même, entre 1819 et 1914, c’est plus de 230 « incidents » à caractère xénophobe qui sont officiellement répertoriés . Par « incidents » il faut entendre, émeutes, saccages, massacres, etc.
La France « terre d’accueil » est un mensonge éhonté ; hier les Belges, les Italiens, les Polonais, aujourd’hui les Maliens, les Chinois ou les Tamouls, tous ont vécu et vivent encore des moments terribles d’exclusion, d’humiliation, de négation, cette aliénation extrême, cet exil dont Breyten Breytenbach disait qu’il « était la seule preuve que la mort ne tue pas ». Tous ces hommes morts, sur les os desquels nous jouissons de notre confort, sont la honte des démocraties occidentales. L’Europe après avoir fait la guerre au monde et, de l’Afrique à l’Asie, l’avoir gagnée, l’Europe repue, l’Europe et ses musées qui témoignent du pillage sans limite de la planète, l’Europe des droits de l’homme pratique le double jeu et rétablit des formes de discrimination qui s’apparentent à l’esclavage.
La résolution de la question des sans-papiers dépend du degré de mobilisation : isolés, les sans-papiers restent impuissants. Pris dans les liens de la solidarité, ils cessent d’être des statistiques et redeviennent des humains. Mais cette solidarité ne sera pérenne et efficace, elle ne pourra s’étendre que si nous faisons nos comptes avec notre histoire et l’origine de notre opulence. L’étranger, le clandestin nous tend un miroir ; que décidons-nous d’y voir ?
Marie-Cécile Plà (janvier 2005)
Document 1 : Naissance de RESF :
Paris, le 26 juin 2004 : (extraits : Le texte complet est disponible sur le site ) Déclaration de création du réseau : (extraits) Ces derniers mois, les personnels, les parents et les élèves d’établissements scolaires ont obtenu (…) la régularisation d’élèves et de parents d’élèves sans papiers, des élèves que rien n’aurait distingué de leurs camarades (…). Pourtant, pour quelques cas résolus, des milliers d’autres enfants, étudiants, subissent, eux aussi, le drame de la privation du droit à une existence décente, l’obsession de l’interpellation, la peur d’une expulsion pratiquée dans des conditions souvent honteuses (…), l’angoisse (…) d’être condamnés au dénuement et aux conditions de vie indignes auxquels sont réduits les sans-papiers.
Il est inconcevable d’imaginer nos élèves, les copains de nos enfants, menottés, entravés, bâillonnés et scotchés à leurs sièges d’avion pendant que leurs camarades étudieraient paisiblement Eluard (« J’écris ton nom, Liberté ») ou Du Bellay (« France, mère des arts, des armes et des lois ») ; et que, sans trembler, on effacerait des listes les noms et prénoms des bannis. Il est du devoir (…) d’agir pour tirer ces jeunes de la situation qui pourrit leur vie (…) pour les élèves concernés, déjà souvent malmenés par des existences chaotiques : exilés, ayant parfois traversé nombre d’épreuves (…) ne pas ajouter aux tragédies que sont les biographies de certains d’entre eux (…). Agir aussi pour faire la démonstration, aux yeux de nos élèves et de nos enfants, que les discours sur les « valeurs » ne sont pas des mots creux. Il est du devoir de tous ceux qui ont une mission éducative, (…) de montrer à la jeune génération qu’on dit sans repères, que la justice, l’altruisme, la solidarité, le dévouement à une cause commune ne sont pas des mots vides de sens. Et que certains adultes savent faire ce qu’il faut quand des jeunes sont victimes d’injustice ou plongés dans des situations intolérables. Nous appelons au développement d’un réseau de solidarité avec les jeunes sans papiers scolarisés, à l’échelle nationale (voire à l’échelle européenne)…. **************************************************************************
Un guide pratique et juridique, réalisé en octobre 2004 par des militants et associations du réseau Education sans frontières est disponible : Jeunes scolarisés sans papiers : Régularisation mode d’emploi. Nous pouvons vous l’obtenir en version papier, vous le trouverez ainsi que d’autres informations sur notre site www.educationsansfrontières.org
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Document 2 :
Extrait du bulletin de novembre 04
Le Réseau Education Sans Frontières, à travers toute la France !
6 mois d’existence et déjà une liste impressionnante de villes où le réseau est actif et se bat avec des jeunes pour obtenir leur régularisation : Beauvais, Châtenay-Malabry, Choisy-le-Roi, Evreux, Illats (près de Bordeaux), Ivry, Lyon, Massy, Mulhouse, Nantes, Paris, Rennes, Rouen, Sceaux, Vitry… Un premier stage de formation s’est tenu le samedi 6 novembre 2004 à Paris, assuré gratuitement par des juristes de la CIMADE, du GISTI, du MRAP et de la LDH et d’autres membres du réseau ayant l’expérience de ces situations.
EXTRAITS DE TRACT DE RESF DISTRIBUÉ DANS LE 93
Jeunes étrangers, scolarisés et sans papiers : agissons ensemble pour la régularisation ! Notre département est depuis longtemps un bel exemple de multiculturalité. Nous vivons, travaillons ou étudions ensemble. Mais le droit d’être ici ne va pas de soi : la loi met de plus en plus d’obstacles au droit au séjour sur le territoire français. En Seine-Saint-Denis comme ailleurs, de nombreuses personnes se sont retrouvées sans papiers à un moment de leur parcours. Beaucoup le sont autour de nous, sans que ce soit forcément visible. Ils risquent de se retrouver dans des situations difficiles (impossibilité de s’inscrire pour des études supérieures, arrestation lors d’un contrôle d’identité, mise en centre de rétention et expulsion du territoire français). Quand on est étranger et que l’on se présente seul(e) à une préfecture pour demander des papiers, voici le genre de réponses décourageantes que l’on risque d’entendre : « Il faut faire la queue à partir de 4 heures du matin pour espérer être reçu… » « Revenez quand vous aurez 18 ans ! » « Retournez dans votre pays et faites-y une demande d’asile ! » « Vous n’avez qu’à vous marier et avoir un enfant ! »
Pourtant il ne sert à rien de se taire et d’attendre sans rien faire : il est toujours possible d’agir et de trouver une solution, avec le soutien de ceux qui nous entourent. Pour nous, lorsque l’on se trouve dans cette situation, on est en attente de papiers (et non clandestin). Donc, majeur ou mineur, il est important que chacun connaisse précisément sa propre situation et s’apprête à être solidaire avec ses camarades. Chacun se doit d’apprendre à connaître ses droits. Si besoin, d’entamer ou de reprendre sans attendre des démarches auprès de la préfecture pour obtenir un titre de séjour. Effectuer cette démarche n’est pas si simple. C’est pourquoi, dans plusieurs lycées, des collectifs existent depuis des années pour répondre à des situations d’urgence. Au printemps 2004, nous avons décidé de nous rassembler au niveau départemental et même national pour être plus forts et avoir encore plus de chance d’obtenir des régularisations : c’est la création du Réseau Education Sans Frontières (RESF) Déjà 26 jeunes scolarisés dans 7 établissements différents ont eu le courage de rompre le silence en s’adressant à un professeur, une assistante sociale ou une autre personne membre du réseau Education Sans Frontières (RESF), et déjà des démarches ont abouti (…).
Réseau Education Sans Frontières 93 RESF 93 Collectif départemental des militants, groupes et collectif d’établissements pour l’information et le soutien aux jeunes scolarisés étrangers sans papiers Contact / email : RESF93@chello.fr et www.educationsansfrontières.org Bulletin d’information de décembre 2004 Ce bulletin est distribué dans plusieurs établissements scolaires du RESF 93, à Aubervilliers, à Noisy-le-Grand, à Rosny-sous-Bois, à Saint-Denis, à Stains, à Villemomble
Document 3 : UNE SALE AVENTURE QUI SE TERMINE BIEN
Les risques qu’encourt tout sans-papiers « Victor » a 19 ans, il est élève de bac pro dans un lycée professionnel de Paris. Lundi 22 novembre, à l’occasion d’un banal contrôle d’identité, il est embarqué au poste de police et transféré dans un « centre de rétention ». Qu’a-t-il fait pour ça ? Quel délit a-t-il commis ? Aucun ! Simplement, venu - comme beaucoup - en France entre 13 et 18 ans pour y vivre avec sa famille, il s’est retrouvé - comme beaucoup - sans titre de séjour le jour anniversaire de ses 18 ans ! Qu’est-ce qui l’attendait alors ? Comme tous les étrangers mis en centre de rétention, Victor devait passer devant un juge puis très probablement - comme beaucoup - être expulsé de France, dans la discrétion et l’indifférence.
La solidarité sauve les copains ! Heureusement pour lui, des copains ont réagi, ont contacté le Réseau Education Sans Frontières, ont mobilisé des profs de leur lycée et tous sont allés le soutenir lors de son passage devant le juge, ont menacé de se mettre en grève… Le juge a repoussé le jugement au lendemain, et sans la soirée… Victor a été relâché du centre de rétention !!! Il a eu très chaud, mais pour ce coup-ci, la solidarité l’a sorti de cette mauvaise passe. Qu’en retenir ? Ne pas rester isolé, ne pas avoir peur d’informer des proches de sa situation, ne pas attendre pour entamer des démarches avec le soutien d’un collectif. Et être solidaire !… ça marche. (D’après un article paru dans Cinquième Zone.)
Document 4
A Evreux : tract (extrait) octobre 2004
Collège Henri-Dunant : Au revoir les enfants
Eduquer les mineurs étrangers pour mieux les renvoyer ?
Veni, vidi, ....partis ? En quelques mois, Ming, trouvé sur un quai de gare et ne parlant pas un mot de français, a tout reçu d’une République fraternelle et chaleureuse : un foyer, des cours de français langue étrangère, un encadrement attentif. En septembre, après avoir réussi l’exploit de rattraper le niveau de troisième, Ming peut espérer un avenir différent : une filière professionnelle, un métier de cuisinier, une intégration réussie. Las, Ming vient d’avoir 18 ans. Et la République, qui l’a si bien accueilli en son sein, va du jour au lendemain le reconduire fraternellement à la frontière. Car comme au Monopoly, entre le statut de mineur et celui de demandeur d’asile, on ne passe pas par la case départ, on monte directement dans l’avion. Alors à quoi riment tous ces dispositifs éducatifs, et les budgets associés, si les mineurs étrangers méritants n’ont même pas une chance ? Ainsi l’accueil de la France est pour eux comme ces rasoirs à double lame : la première lame redresse le poil de l’espérance, et la seconde lame le tranche net à la racine. Messieurs les ministres, mettez-vous d’accord : ou bien on met les jeunes étrangers en garderie en attendant l’avion, ou bien, si on prend la peine de les enseigner et de les guider vers un possible avenir sur notre territoire, on prend au moins la peine de délibérer avant de les expulser. Pour que Ming et ses camarades puissent reprendre leur scolarité en toute légalité, afin que les mineurs qui attendent leur majorité avant la fin de cette année ne se retrouvent pas dans la même situation que ce dernier, enfin pour que l’Education nationale garde ses valeurs républicaines qui font sa fierté : le droit au savoir et à la connaissance ouvert à tous sans exception, signez ce texte en ajoutant la photocopie des deux faces de votre carte d’identité. Adresser les pétitions au Collectif des professeurs, Collège Henri-Dunant, rue Henri-Dunant, 27000 Evreux