LE RÔLE DECLINANT DES INTERÊTS FRANCAIS
Celui de la filière cacaoyère constitue un exemple emblématique du recul de l’influence de l’ancienne puissance colonisatrice sur l’économie de la Côte d’Ivoire. La culture du cacao, dont ce pays d’Afrique occidentale est, de loin, le principal producteur mondial, mobilise des énergies considérables. Quelque 600 000 agriculteurs, dont l’écrasante majorité détenteurs de toutes petites exploitations (620 000, d’une taille moyenne de six hectares), assurent une production qui fait vivre, directement ou indirectement, environ quatre millions d’individus. Appartenant très majoritairement à l’ethnie des Baoulé (sous-groupe des Akan ; plus de 40 % de la population totale du pays), les planteurs de cacao cultivent cette fève dans la zone centrale/méridionale de la Côte d’Ivoire, territoire en forme de croissant aux bouts relevés qui s’étend de l’est à l’ouest, tout au long du pays. Les fèves récoltées sont ensuite acheminées vers les dépôts des grands négociants internationaux à proximité des deux ports ivoiriens d’Abidjan et de San Pedro par des petits transporteurs de brousse. Ces derniers sont quasi exclusivement ’étrangers’, avec des proportions importantes de Libanais et de Maliens (installés dans le pays depuis très longtemps). Les lieux de stockage des ports sont à leur tour proche d’unités de première transformation des fèves (séchage, sélection et ensachage). Ces unités de production, au nombre d’une dizaine équitablement réparties sur les deux ports, emploient, chacune, entre 400 et 600 travailleurs et appartiennent aux négociants internationaux. Enfin, les fèves sont transportées par mer vers leurs destinations finales par des flottes de navires étrangers. " Les activités de transport et de manutention portuaire sont dominées par le groupe Bolloré, qui contrôle plus de la moitié du transport maritime de fèves au travers de sa filiale Delmas et quelque 95 % de la manutention des ports de San Pedro et d’Abidjan par ses sociétés SDV et Saga " (Les Échos du 17 novembre 2004).
Les acheteurs internationaux occupent une place prépondérante dans la filière du cacao. " La commercialisation du cacao est aux mains de huit grands groupes internationaux dont l’encadrement est essentiellement composé de Français ", résument les Échos (du 17 novembre 2004). Toujours d’après cet article, " l’essentiel des intérêts économiques de la filière est solidement entre les mains de négociants et transformateurs européens parmi lesquels les Français occupent encore une place de tout premier ordre. Aujourd’hui, 8 sociétés étrangères, dont 5 négociants et 3 transformateurs, assurent la commercialisation d’environ 80 % de la récolte ivoirienne de cacao (1,45 million de tonnes produites et exportées, soit quelque 40 % de l’offre mondiale). L’Europe absorbe 70 % des exportations ivoiriennes. Au sein des 8 grands acteurs, la plupart du personnel d’encadrement est français ". Langue oblige.
Les grands acteurs étrangers de la filière
En milliers de tonnes de fèves exportées
Sociétés Activité Volume d’achat
Cargill (États-Unis) Négociant et transformateur local (semi-produits) 210
Touton (France) Négociant 150
ADM (Etats-Unis) Négociant et transformateur local 150
EDF&Man (Royaume-Uni) Négociant 110
Cacao Barry (Suisse) Transformateur local 90
Continat (Pays-Bas) Négociant 80
Olam (Inde) Négociant 75
Cemoi-Cantalou (France) Chocolatier 65
Noble (Suisse à capitaux de Hong Kong) Négociant 50
Armajoro Royaume-Uni) Négociant 50
Ce tableau montre clairement que les entreprises françaises font face à une concurrence grandissante de la part de concurrents anglo-saxons et hollandais. Les géants américains du négoce de matières premières agricoles, Cargill et ADM, en 2003, ont exporté pour 360.000 tonnes de fèves, plus du double de Touton, le seul grand négociant hexagonal resté implanté dans le pays. Même les négociants anglais ED&F Man et Armajaro (160.000 tonnes ensemble) font mieux que Touton. Quant aux destinations finales du cacao ivoirien, " les Pays-Bas absorbent à eux seuls 43 % des exportations de cacao en fèves ", éclaire la Mission économique de l’Ambassade de France. Parmi les autres grands consommateurs du produit tropical de ce pays africain, on trouve également la Suisse avec ses géants de l’industrie chocolatière mondiale.
Dans ce contexte, l’État ivoirien n’intervient que pour piller les paysans pauvres, véritable sangsue de l’agriculture du pays. " Sur le cacao, le paysan ivoirien gagne la moitié de son homologue camerounais ou ghanéen ", révèle un négociant (les Échos du 17 novembre 2004). " La spoliation des paysans par le régime ne fait aucun doute. La Bourse du café et du cacao, dont l’un des rôles essentiels est de prélever les taxes sur la production, extorquerait aux producteurs près de 320 francs CFA le kilo alors qu’ils ne recevraient, pour chaque kilo de fèves vendues, que 300 francs CFA en moyenne, raconte un familier de la filière ", lit-on dans les colonnes du journal du patronat français. " L’ethnie de Laurent Gbagbo, les Bété, qui constituent 12 % de la population ivoirienne, contrôle l’ensemble de l’appareil fiscal ", confirme un professionnel de la filière au même quotidien économique. Les producteurs ne peuvent s’en sortir qu’en contournant le circuit officiel pour échapper à cette imposition monstrueuse. C’est ainsi que par exemple le Ghana a pratiquement doublé ses exportations sans guère augmenter sa production.
" Les producteurs de café et de cacao ne sont pas du tout contents. Ils grognent contre le ’mauvais prix’ fixé, au bord champ surtout, pour l’achat du cacao. Dans une déclaration publiée dans un quotidien de la place, un groupe de producteurs explique que la filière café/cacao souffre des ’fausses promesses’ du Président Laurent Gbagbo. Ce dernier avait promis que lorsqu’il parviendrait à la magistrature suprême, le cacao serait acheté à 3000 francs CFA le kilogramme, au bord champ. Après plus de quatre ans de pouvoir, cette promesse demeure lettre morte. Les producteurs s’en prennent également au président de la Bourse café cacao (BCC), Tapé Do Lucien. Pour eux, ce dernier est complice des acheteurs qui viennent proposer des prix dérisoires compris entre 300 [0,46 euro] et 350 francs CFA [0,53 euro] pour le kilo de cacao. Alors que le ’prix indicatif’ fixé par la BCC est de 390 francs CFA. " (Le Patriote du 7 janvier 2005)
Le 4 janvier 2005, la BCC a fait un geste symbolique à l’encontre des agriculteurs en portant son prix indicatif de 385 à 390 francs CFA, soit 0,6 euro. Sur le New York Board of Trade (NYBOT), place de négociation américaine qui définit le cours mondial, le kilo de cacao pour livraison en mars 2005 se traite autour de 1,5 dollar, correspondant à environ 1,2 euro au taux de change actuel établi entre ces deux devises (1 _ = 1,3 $). Le plus souvent, ce prix est trois fois supérieur au prix réel consenti aux agriculteurs ivoiriens.
LES FEVES DE LA COLERE
En 1960, après l’indépendance, on parle de " miracle ivoirien ". De 1970 à 1979, le PIB du pays enregistre une croissance moyenne de 6,7 %. Dès l’indépendance, afin de développer l’agriculture de plantation qui nécessite une main d’œuvre importante, Félix Houphouët-Boigny, homme lige de la France et premier président de la Côte d’Ivoire ’libérée’, ouvre le pays à l’immigration étrangère. En 1970, alors que les autochtones se plaignent déjà de ’l’occupation de leurs terres par des étrangers’, le Président déclare que " la terre appartient à celui qui la cultive " et en décrète la redistribution. Cette politique va accroître les tensions entre autochtones et allogènes, qui dégénéreront ici et là en confrontations violentes. Pour éviter des désordres intérieurs plus graves, le gouvernement crée, en 1978, un ministère du Travail et de l’Ivoirisation qui permettra la création de postes réservés aux seuls Ivoiriens d’origine (de ’sang’), en particulier au sein de la fonction publique.
La crise mondiale du début des années 80 frappe rudement la Côte d’Ivoire. Le gouvernement de Félix Houphouët-Boigny, avec l’assentiment français, compense la baisse de la rente cacaoyère par des emprunts au FMI et à la Banque mondiale. Cela permettra au régime de surmonter les difficultés, au moyen aussi d’une politique bienveillante de l’ancienne puissance colonisatrice. Néanmoins, un certain équilibre retrouvé ne durera pas. Dix ans après, la nouvelle grave crise mondiale entraînera de lourdes conséquences sur la fragile économie ivoirienne. En ce début des années 90, nombre d’autochtones, montés dans les villes car ayant bénéficié du programme gouvernemental de 1978, dit d’Ivoirisation de la fonction publique, sont forcés de revenir dans leurs villages d’origine suite à la suppression de nombreux emplois administratifs. Ils se retrouvent ainsi en concurrence directe avec les ’étrangers’, immigrés ou Ivoiriens du nord, dans l’exploitation des ressources naturelles. Ils commencent alors à réclamer un droit de priorité pour accéder à ce qu’ils considèrent être leur propre terre. Le décès de Félix Houphouët-Boigny, le 7 décembre 1993, sera suivi, courant janvier 1994, par la dévaluation de moitié du franc CFA décidée à Paris par le gouvernement d’Édouard Balladur. Cette seule mesure suffira à la relance de la production ivoirienne car ses marchandises, redevenues attrayantes en termes de prix à l’exportation, se vendront beaucoup plus facilement en Europe et, en particulier, en France. De 1995 à 1998, le PIB ivoirien croit, en moyenne, d’environ 6 % par an. En revanche, les importations, surtout de produits alimentaires, deviendront, pour la même raison monétaire, nettement plus chères. Emblématique le cas du secteur rizicole, où la dépendance ivoirienne envers l’extérieur n’a pas cessé de croître depuis. Selon la Mission économique de l’Ambassade de France, la Côte d’Ivoire importe 50 % de ses besoins en riz, et les projections Jumbo faites en avril 2004 prévoient un accroissement exponentiel du volume d’importation pour les années à venir. La crise économique dépassée, les affaires reprennent et l’État se jette à nouveau sur la rente issue de l’exploitation des ressources naturelles.
LES VAUTOURS RODENT AUTOUR DES DEPOUILLES DE FELIX HOUPHOUET-BOIGNY
La corruption étatique, déjà bien développée sous le règne de Félix Houphouët-Boigny, monte d’un cran après sa disparition. Et avec la corruption, les conflits entre coteries politiques. Après la mort du premier Président ivoirien, début décembre 1993, le Président du Parlement, Henri Konan Bédié, peu connu mais bénéficiant d’un plus grand appui au sein du PDCI (Parti démocratique de la Côte d’Ivoire, parti de Félix Houphouët-Boigny), se déclare lui-même Président de la République en pleine conformité avec la Constitution du pays. Le nouveau maître doit cependant faire face à un adversaire que nombreux, à l’intérieur et à l’extérieur de la Côte d’Ivoire, considéraient comme le digne héritier et successeur de Félix Houphouët-Boigny : le musulman Alassane Dramane Ouattara, originaire du Nord du pays et ancien Premier ministre du Président décédé.. Ce dernier perd la partie avec Henri Konan Bédié (qui, lors de l’élection présidentielle de 1995, est plébiscité avec 95,25 % des suffrages exprimés), démissionne du poste de Premier ministre et s’en va au Fonds monétaire international (FMI) où il est nommé Directeur général délégué. Alassane Dramane Ouattara avait occupé la fonction de Premier ministre dès 1990, lors de la transformation du régime à parti unique en multipartisme à la suite de la grogne des Ivoiriens du sud. A cette occasion, Félix Houphouët-Boigny accorde le droit de vote aux étrangers afin de contrebalancer l’influence politique croissante du FPI (Front populaire ivoirien, ancienne formation maoïste puis devenue membre de l’Internationale socialiste) de Laurent Gbagbo, actuel occupant de la première charge de l’État. Prônant la défense des seuls ’Ivoiriens d’origine’, le FPI dénonce alors immédiatement cette mesure comme étant une manœuvre du Président pour créer un " bétail électoral " à lui acquis.
Le FPI ne sera pas seul à exploiter ce thème raciste. Adopté aussi par Henri Konan Bédié, qui revient sur la décision de son prédécesseur d’ouvrir les consultations électorales aux étrangers, ce discours lui permettra d’évincer, par la force d’une nouvelle loi , Alassane Dramane Ouattara, désormais considéré comme non Ivoirien pur, des élections politiques de 1995. Son parti, le Rassemblement des républicains (RDR) fondé à la mi-1994 en son absence par des anciens cadres du parti de Félix Houphouët-Boigny, réunissait en majorité des musulmans du Nord du pays, des intellectuels démocratiques de la capitale et des jeunes issus des professions libérales. Après sa victoire, Henri Konan Bédié charge des intellectuels réunis au sein du Curdiphe (Cellule universitaire de recherche et diffusion des idées et actions politiques du Président Henri Konan Bédié) de fournir un fondement idéologique solide à ce qu’il a nommé ’ivoirité’. Cette demande se fait sur un fond de reprise des tensions ethniques et du besoin du nouvel exécutif de consolider sa base électorale la plus fidèle au sein de la population de nationalité ivoirienne maintenue.
LA SANCTION DES PAYS CAPITALISTES FORTS
Tant bien que mal, le nouveau régime ivoirien parvient à dépasser la crise politique conséquente à la mort du ’Père de la Patrie’.. Mais en 1998, les pays capitalistes les plus forts sanctionnent sévèrement le pays africain au travers de la congélation des aides financières. La décision est prise en raison de la multiplication de cas de corruption au sein de l’État de la Côte d’Ivoire. Les démocraties impérialistes tolèrent de moins en moins des gestions étatiques douteuses dans des pays périphériques du monde capitaliste à l’intérêt stratégique et économique relatif. Trop cher et pas assez rentable, au plan politique et au plan de l’accumulation du capital. La chute des cours des matières premières plonge encore la Côte d’Ivoire dans une crise économique dont elle ne se reprendra pas avant 2002. Au début de cette année-là, on assiste à une légère reprise, obtenue grâce au règlement des créditeurs et, surtout, au dégel de l’aide financière internationale. A Noël de l’an suivant, en 1999, l’immanquable général saisit l’exécutif à l’aide d’un coup d’État préparé, le 23 décembre, par une mutinerie de l’armée. Robert Guei (général et chef de l’état major de l’armée jusqu’en 1998) promet d’assainir la situation et s’engage à restituer les millions de dollars soustraits au bilan de l’État par le clan d’Henri Konan Bédié. Une nouvelle constitution est adoptée par référendum, avec 86 % des suffrages exprimés. Après une purge au sein de l’armée des éléments favorables au RDR d’Alassane Dramane Ouattara, les 16 et 17 septembre 2000, des élections présidentielles sont organisées.
Alors que les partisans d’Alassane Dramane Ouattara prônent le boycott de la consultation électorale, le général exclut de l’élection tous les anciens opposants du régime (sur 19 candidats, 14 sont refusés), à l’exception de Laurent Gbagbo. Ce dernier, qui avait passé un accord secret avec le général qui prévoyait sa nomination à Président du Parlement en cas de victoire de Robert Guei, parvient à lui ravir l’élection ’à la loyale’. Le 26 octobre, Laurent Désiré Gbagbo, à la tête du FPI, est élu avec 59,36 % des voix (et une abstention de 62,58 %). Le général tente une nouvelle fois le coup de force en se proclamant vainqueur, mais Laurent Gbagbo mobilise des dizaines de milliers de ses partisans et militants du FPI qui marchent sur le Palais présidentiel et s’affrontent à la Gendarmerie et aux militaires fidèles à Robert Guei. Le lendemain, d’autres manifestations, organisées par des partis exclus du scrutin dégénèrent en affrontements violents. On dénombre 300 morts et 1 000 disparus.
Finalement, Laurent Gbagbo l’emporte. En décembre, Alassane Dramane Ouattara est à nouveau empêché de se présenter comme candidat Premier ministre à l’élection des députés du Parlement. Son parti, le RDR, appelle toujours au boycott de la tournée électorale. Le RDR présentera en revanche des candidats aux élections municipales et de districts de mars de l’an suivant, obtenant un discret succès. En janvier 2001, échoue un nouveau coup d’État. Un calme relatif revient dans le pays, dont l’économie se redresse quelque peu jusqu’en 2002. Le régime Gbagbo utilise avec profit cette courte période d’accalmie pour occuper avec ses hommes tous les rouages de l’État
L’IVOIRITE AU POUVOIR
La seule véritable ressource de domination (hormis la répression pure et simple) et l’unique élément de continuité des successeurs de Félix Houphouët-Boigny est le racisme qui, dans le contexte de ce pays africain, prend le nom d’’ivoirité’. Sous Félix Houphouët-Boigny, seules les ethnies du groupe Akan étaient réellement privilégiées par le système clientéliste de l’État central, mais les étrangers disposaient encore d’un certain nombre de droits. En 1995, l’ivoirité est élaborée comme le nouveau principe fondateur de la République ivoirienne. La nouvelle idée dominante introduit une séparation nette entre des ethnies reconnues comme réellement ivoiriennes, et les autres :
" Pour construire un ’Nous’, il faut le distinguer d’un ’Eux’. Il faut parvenir à établir la discrimination ’Nous/Eux’ d’une manière qu’il soit compatible avec le pluralisme des nationalités. " " L’ivoirité apparaît comme un système dont la cohérence même suppose la fermeture. Oui, fermeture… Fermeture et contrôle de nos frontières : veiller à l’intégrité de son territoire n’est pas de la xénophobie. L’identification de soit suppose naturellement la différenciation de l’autre et la démarcation postule, qu’on le veuille ou non, la discrimination. Il n’est pas possible d’être à la fois soit et l’autre. " (Ivoirité, ou l’esprit du contrat social nouveau selon Henri Konan Bédié, Curdiphe, 1996)
Dans un premier temps, en l’absence d’une unité nationale véritablement trempée dans l’histoire et renforcée par l’existence d’un marché intérieur unifié et aux bases capitalistes solides, l’ivoirité ne sert, après la disparition de Félix Houphouët-Boigny, qu’à légitimer le pouvoir du gouvernement d’Henri Konan Bédié, ainsi que l’exclusion d’Alassane Dramane Ouattara. Henri Konan Bédié, se retrouvant face à un pays politiquement divisé en deux et devant faire face à une difficile gestion de la crise économique du début des années ’90, recourt au traditionnel épouvantail de l’ennemi intérieur : les immigrés.
Laurent Gbagbo ne fait que relever à son tour le flambeau de l’ivoirité. Le nouveau maître d’Abidjan apporte sa pierre à l’édifice raciste. Alors qu’avant lui, l’ivoirité n’excluait que les étrangers, le régime du FPI sort du périmètre de l’ivoirité les ethnies du nord musulman, regroupées sous la dénomination traditionnelle de Dioula, en les assimilant purement et simplement aux étrangers. Ainsi les Ivoiriens ne seraient, selon la doctrine Gbagbo, que les ethnies du sud du pays, majoritairement chrétiennes.
La base matérielle du succès auprès de secteurs importants de la population du sud de l’idéologie ivoiriste est, naturellement, à rechercher dans les conséquences de la fin du dit miracle ivoirien successif à la déclaration de l’indépendance en 1960. Des crises cycliques de plus en plus dévastatrices du tissu social du pays, aux effets démultipliés par des gouvernements ineptes, corrompus jusqu’à la moelle, et de la non apparition d’une classe capitaliste moderne, capable d’établir une dynamique soutenue de l’accumulation de capital, ont déchiré sur une base non classiste mais raciale la société civile de la Côte d’Ivoire.
Les poussées racistes ne sont pas récentes, ni du simple fait d’une régie de l’exécutif ivoirien. Durant le Noël 1998, dans un contexte marqué par une nouvelle crise économique, des affrontements violents éclatent dans la ville de Sassandra. Ils trouvent leur origine dans les tensions nées du partage des zones de pèche sur le fleuve du même nom. Ils se soldent par au moins 7 morts et 21 blessés parmi les Fanti (pêcheurs ghanéens). Un demi-millier d’entre eux sur 4 000 est forcé de regagner le Ghana (Le Jour du 29 Décembre 1998). Un an plus tard, en 1999, quelque 5 000 Burkinabés sont chassés de la sous-préfecture de Tabou, quelques jours avant le coup d’État réussi d’Henri Konan Bédié (d’après un document publié sur www.grip.org).
Suite et fin dans la troisième partie