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Théo van Gogh : La balle est venue de la droite

lundi 13 décembre 2004

De Fabel van de illegaal n° 68, janvier-février 2005

Eric Krebbers

Le meurtre du réalisateur Theo van Gogh a été utilisé par les hommes politiques et les journalistes néerlandais pour criminaliser et dénoncer encore davantage les musulmans et les immigrés. Cet événement a permis aux nationalistes de répandre leur idéologie du « Nous contre eux ».

Depuis le 2 novembre 2004, les hommes politiques et les leaders d’opinion, survoltés, occupent les médias pour diffuser en permanence leurs raisonnements nationalistes classiques et unilatéraux. La plupart de ces hommes et femmes se présentent comme de courageux champions de la libre expression. Bien sûr, affirment-ils, van Gogh avait le droit d’appeler constamment un million de musulmans des « baiseurs de chèvres ». Mais par contre, selon eux, ces mêmes musulmans n’avaient pas le droit de se mettre en colère contre ces insultes, ni de dire qu’ils ne s’étonnent pas que quelqu’un n’ait pas supporté d’entendre ce type de propos. Et si certains journalistes critiquent depuis des années, et avec raison, l’antisémitisme des intégristes musulmans, ils ont tous décidé de passer sous silence l’antisémitisme de Theo van Gogh, en appelant au respect de la liberté d’expression. Ils n’ont pas admis que l’imam Abdul-Jabbar van de Ven souhaite que le député d’extrême droite Wilders attrape le cancer, mais ils n’ont rien dit lorsque Theo van Gogh a exprimé le même souhait à propos de Rosenmöller, l’ex-dirigeant du parti écologiste Groenlinks, et qu’il a appelé les gens à pisser sur la tombe de ce dernier après sa mort.

Mai 1940 ?

Après le meurtre du dirigeant populiste de droite Pim Fortuyn, en 2002, les journalistes ont répété pendant des mois : « La balle est venue de la gauche. ». Aujourd’hui, aucun d’entre eux ne veut reconnaître que, cette fois, la balle est venue de la droite, d’un authentique fasciste religieux. Après la mort de Fortuyn, ils ont tous prétendu que les critiques féroces émises par ses adversaires avaient poussé quelqu’un à l’ « entarter », puis un autre à lui loger une balle dans la tête. Mais quand les mosquées et les écoles islamiques ont été incendiées ou ont fait l’objet d’attentats à la bombe, personne n’a accusé les politiciens de droite d’avoir préparé le terrain à ces actions violentes ; personne n’a mis en cause Zalm, le député du parti conservateur (VVD) qui a déclaré la guerre aux fondamentalistes musulmans ; ni Van Aartsen, le dirigeant du VVD qui a comparé le meurtre de Van Gogh à l’invasion de l’armée allemande en mai 1940 ; ni Donner, le ministre chrétien-démocrate qui veut contrôler plus sévèrement le fonctionnement des mosquées.

Les parlementaires n’arrêtent pas de réclamer des mesures radicales contre les extrémistes. Mais ils ne pensent qu’au fondamentalisme musulman et ignorent l’extrême droite « néerlandaise » qui attaque les mosquées. Ils « oublient » les extrémistes de droite comme le député Wilders qui menace les musulmans et veut les priver de leurs droits civiques. Les leaders d’opinion répétent sans cesse que l’extrémisme serait le produit de la « culture musulmane », mais ils n’ont rien à dire sur la « culture néerlandaise » qui, selon le même raisonnement nationaliste, devrait être tenue responsable des attentats à la bombe contre les écoles, actes commis par des fascistes « autochtones ». Ces raisonnements unilatéraux reflètent, chez les leaders d’opinion et les hommes politiques, une « incapacité à se livrer à l’introspection »- défaut qu’ils attribuent souvent aux musulmans...

On a pu aussi reconnaître cette politique du deux poids deux mesures dans la façon dont ont été traités les 15 000 messages racistes reçus par les trois principaux sites de condoléances créés après la mort de Theo van Gogh. On y lisait de nombreuses menaces du type « Tous les Marocains méritent une balle dans la nuque ». Les webmestres n’ont pourtant pas porté plainte pour incitation à la haine raciale ou pour menaces. En revanche, le responsable de Condoleance.nl s’est empressé de communiquer à la police un email qui menaçait la députée du VVD Ayaan Hirsi Ali.

Ecoutes téléphoniques

Toute cette agitation nationaliste a porté ses fruits, comme l’a montré une enquête de l’institut de sondanges Motivaction une semaine et demie après le meurtre. Environ 80 % des personnes interrogées désirent une politique plus sévère en matière d’intégration ; 90 % souhaitent que l’on accorde plus de pouvoirs à la police et aux services secrets ; 60 % sont partisans de permettre aux flics d’enfreindre les lois pour lutter plus efficacement contre le terrorisme et 40 % espèrent que les musulmans commenceront à se sentir moins « chez eux » aux Pays-Bas. Le gouvernement s’est rendu compte que la situation lui était favorable et il a commencé immédiatement à faire passer de nouvelles mesures répressives. L’AIVD (les services secrets) a reçu l’autorisation de poser des écoutes, d’infiltrer les bases de données d’organisations privées et de les comparer afin de trouver des schémas suspects. Et la police a obtenu encore plus de droits de fouiller les individus et les voitures.

Le ministre de la Justice a aussi proposé de commencer à contrôler plus sévèrement les terroristes étrangers, mais aussi de retirer leur nationalité néerlandaise aux terroristes ayant une double nationalité et de les expulser. Une telle politique conduirait à instaurer une citoyenneté de seconde classe. Dans une perspective nationaliste, ces mesures sont parfaitement logiques. Mais, les dangers les plus graves proviennent-ils toujours de l’étranger, de l’extérieur de « notre propre nation » ? En réalité, dans toutes les sociétés, les tendances politiques de droite peuvent mener au terrorisme, y compris aux Pays-Bas. L’intégriste musulman qui a tué van Gogh était un Hollandais et il n’est pas le seul. On ne peut lutter contre le terrorisme et l’extrême droite en fermant simplement les frontières. De plus, expulser des terroristes et des militants d’extrême droite vers un autre pays ou les empêcher d’entrer aux Pays-Bas est un acte anti-social, car dans ce cas on ne fait que transférer le mal à un autre peuple.

Des imbéciles dépourvus de morale ?

Les journalistes, les hommes politiques et même certains militants de gauche s’attendaient à ce que tous les musulmans et tous les immigrés condamnent immédiatement l’assassinat de Theo van Gogh. Exiger d’eux un tel geste revient à les considérer à priori tous comme des suspects. Demander tout spécialement à des musulmans et à des immigrés de condamner ce meurtre suggère qu’une telle réprobation ne serait pas évidente pour eux. Le fait que Bolkestein, dirigeant du parti conservateur VVD, ait demandé au roi du Maroc de condamner publiquement le meurtre suggère aussi que les immigrés marocains sont des crétins dépourvus de la moindre morale et qu’ils auraient besoin d’un roi pour leur expliquer que le meurtre est un acte répréhensible.

Certains musulmans ont refusé par principe de prendre leurs distances avec l’assassinat de Theo van Gogh et ont répondu avec raison : « Quel est le rapport entre ce type, ce meurtrier, et moi ? » Un étudiant d’origine marocaine a déclaré : « Est-ce que nous accusons tous les Blancs d’être des fascistes quand des écoles islamiques sont incendiées ? » De plus l’assassin de van Gogh n’est pas seulement un musulman, mais aussi un homme, un type de droite, un Néerlandais, pour ne citer que quelques identités possibles. C’est un choix nationaliste de demander spécialement aux musulmans et aux immigrés de prendre leurs distances avec ce meurtre et de ne rien exiger de tous les gens de droite ou même de tous les hommes.

Des laquais des juifs ?

De nombreux, hommes politiques, journalistes et idéologues analysent aujourd’hui les conflits en termes de « cultures » et de religions. Selon eux, une « guerre mondiale des civilisations » se déroulerait entre « nous » et « l’Islam ». Cette conception nationaliste a de nombreuses conséquences. Les immigrés sont de plus en plus considérés comme des musulmans par le gouvernement et les médias ; dans un certain sens, on peut dire qu’ils « fabriquent » des musulmans. Dans une situation politiquement tendue, le gouvernement ne s’adresse presque plus aux organisations d’immigrés, il préfère discuter avec le Contactorgaan Moslims Overheid (comité de liaison avec les organisations musulmanes qui aspire à se transformer en une sorte de Conseil néerlandais du culte musulman, NdT) qui a été fondé et financé par l’Etat et est étroitement contrôlé par lui. De cette façon, le gouvernement est censé rester en contact avec cette « communauté », comme si tous les immigrés étaient des musulmans, ou voulaient être représentés par des musulmans. Les intégristes musulmans fabriquent, eux aussi, des identités culturelles et religieuses pour les imposer aux autres. Ainsi, dans sa « Lettre ouverte à Hirsi Ali », le meurtrier de Theo van Gogh affirme que le député conservateur Van Aartsen est juif - ce qui n’est pas le cas. Selon l’assassin de van Gogh, la politique néerlandaise serait complètement dominée par les juifs. Aux yeux de ce genre de fascistes religieux, tous leurs opposants sont des juifs ou des « laquais des juifs ». Et, comme la plupart des journalistes et des hommes politiques, ils promeuvent l’idée d’une « guerre des civilisations » et s’opposent aux luttes menées par la gauche et les féministes.

Des deux côtés on utilise cette prétendue « guerre des civilisations » pour séduire, mobiliser et contrôler la population. Les médias veulent que nous choisissions entre la démocratie et la terreur, ou bien, en utilisant un vocabulaire plus « à gauche », entre le capitalisme et le féodalisme. Ici, dans le riche Occident qui bénéficie d’un nombre important de libertés civiques, le choix semble assez évident. Mais la gauche révolutionnaire ne devrait pas se laisser imposer une alternative dont les deux termes sont aussi réactionnaires l’un que l’autre. En effet, notre objectif reste celui de construire un monde socialiste et féministe.

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