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1995 - 6 : Un mouvement brisé ne reprend jamais immédiatement

mercredi 21 juillet 2004

Sommaire 1995 - 1 : Avant l’explosion : que faisait-on vivre au prolétariat ?

1995 - 2 : Des prolétaires parlent

1995 - 3 : L’embrayage des grèves : vers une généralisation ?

1995 - 4 : L’extension reste limitée

1995 - 5 : La déconnexion

1995 (7) - Annexes : Restaurer le taux de profit - Sur la défense du « service public » - Bibliographie - Sigles

UN MOUVEMENT BRISE

NE REPREND JAMAIS IMMEDIATEMENT

Pour significatives que soient les dernières luttes, elles se relient bien sûr à la grande grève mais plus aux conflits antérieurs, localisés et sur des revendications ponctuelles. Là où les syndicats se cassent les dents, les flics règlent le problème

* 26 décembre - Accord à Limoges dans les transports communaux : les bus roulent.

* 27 décembre - Finalement, c’est à Marseille que va se polariser localement une revendication qui aurait pu être le moteur du privé comme du public : bus et métro restent bloqués pour abolir un double statut anciens - entrants : 300 de ces derniers gagnent pour le même travail entre 600 et 1 000 F de moins par mois. Les travailleurs occupent les dépôts et bloquent le métro. Mêmes revendications à Caen pour la titularisation des contractuels : comme ils se retrouvent seuls et que les grandes manœuvre syndicales nationales ont été incapables de les faire céder, on leur envoie les flics après un jugement ordonnant leur expulsion du centre de tri occupé par la force. Ils y tiendront pourtant une assemblée le 28 .

* 28 décembre - Centre de tri de Sotteville-lès-Rouen : à 2h du matin, les CRS virent les piquets.

* 29 décembre - Les grévistes qui depuis 26 jours occupaient la centrale électrique de Martigues (près de Marseille) libèrent les locaux après accord pour l’embauche de 10 travailleurs et l’étalement des retenues pour grève ; ils continuent la grève jusqu’à la fin des pourparlers en cours.

* 2 janvier 1996 - des reprises locales ou menaces de grève un peu partout sur le règlement local des retenues sur salaires, au centre de tri de Limoges, sur la ligne B du RER, à la SNCF Strasbourg (préavis illimité sur des revendications catégorielles alors que le dépôt avait été le premier de la SNCF à reprendre le travail, les guichetiers SNCF de Rouen, à Mitry, Reims ; finalement la SNCF avec différentes acrobatie ne retiendra que deux semaines de salaires, échelonnés sur plusieurs mois. Reprise du travail au centre de tri de Caen après 32 jours de grève avec la transformation de 15 contrats précaires en contrats à temps partiel à durée indéterminée et une amélioration des conditions de travail. Le gouvernement se permet maintenant d’annoncer que les salaires des services publics ne pourront progresser en moyenne dans l’année 96 que de 3,4 %, ce qui en termes réels signifie une augmentation générale de 0,7 %.

* 4 janvier 1996 - Occupation pendant une journée du centre de tri postal de Limoges terminée avec un compromis sur le s retenues des jours de grève et de nouvelles négociations sur les conditions de travail. Les agents EDF de la Gironde ont décidé par un vote de pratiquer des coupures de courant de quatre heures « ciblées », bien que la grève ait été suspendue depuis le 21 décembre . Depuis 32 jours, les conducteurs des camions postaux en grève perturbent sérieusement la distribution du courrier bien que des services privés aient été mis en place ; les locaux étaient occupés depuis le 14 décembre et ont été évacués après la titularisation de 4 auxiliaires mais la grève se poursuit au sujet de la récupération des salaires de grève ;

* 5 janvier - Paris Sud-Est (SNCF) : un préavis de grève suffit à faire embaucher définitivement 15 contractuels du secteur. Les récalcitrants de Marseille qui ne peuvent être mis au pas par les voies de médiation se font expulser des dépôts occupés depuis 29 jours par les flics qui interviennent aussi dans le métro, suite à un jugement du tribunal et alors que 27 d’entre eux sont appelés devant le conseil de discipline. Ils ne cèdent pas pour autant et organisent des actions diverses dans la ville. La tentative de faire rouler bus et métro sous la protection policière ne brise pas la grève (au mieux une trentaine de bus sur 78 lignes) * 9 janvier -Un accord syndicat-direction prévoit l’harmonisation totale des conditions de travail et la suppression du double statut au 1/1/97 et une augmentation de salaire . Au prix d’acrobaties financières entre la ville et le conseil général.

* 12 janvier - Trois postiers du centre de tri postal de Marseille en grève de la faim pour protester contre des retenues sur salaires suite à la grève du printemps dernier. Ils devront être évacués la 14 janvier et la direction constatant alors un « flottement dans le personnel qui n’est pas en grève » ferme le centre du 14 au soir au lendemain matin en acceptant finalement des discussions ; lors de la réouverture, les 1 000 postiers du centre se mettent en grève et la direction a fermé le centre ; à deux reprises déjà le centre a vu des affrontements avec les flics.

Des grévistes au centre EDF de Marseille branchent tous les abonnés sur le tarif le plus bas pour obtenir la levée des sanctions contre 4 agents pour des coupures de courant pendant la grève le 20/12 et l’ouverture de négociations sur les effectifs et les qualifications ; les grévistes bloquent les accès à la mairie et enlèvent tous les téléphones dans les bureaux EDF

* 15 janvier - 5 agents EDF de Toulouse assignés devant le tribunal contraints de lever les piquets et de ne plus opérer de coupures de courant : en grève depuis le 30/11, 60 % des travailleurs du centre (750) se battent toujours pour le retrait du plan Sécu et la déréglementation-privatisation.

Une opinion sur le secteur privé : « .. Les entreprises privées considérées dans leur ensemble ont encore réalisé en 1995 des profits confortables...Les patrons pourraient donc, a priori continuer à compter sur »l’armée de réserve« des chômeurs qui exercera, cette année encore une pression très forte sur les salaires. Mais il prendraient ainsi le risque de provoquer des révoltes imprévisibles au sein de leurs entreprises... »

Le retour de flamme

Après un mouvement de cette ampleur, le rapport de forces sur les lieux de travail, particulièrement ceux qui se sont trouvé au cœur de la grève et ont, quand même obtenu ce qu’ils volaient, reste, pour un temps en faveur des travailleurs. En témoigne les accrochages avec les directions dans l’immédiat après grève notamment sur la retenue des journées de grève.

Il ne faut pas se bercer d’illusions. Ce rapport de forces, les directions vont essayer, et essaient déjà, de le réduire par tous moyens, comptant sur l’inévitable démobilisation du « retour à la normale » (non seulement dans les routines de la vie mais aussi dans celles du travail) et sur les circonstances. De plus ces attaques, qui prennent la forme de sanctions individuelles, restent enfermées dans les murs des entreprises mais elles sont de même nature que les rares que nous citons ci-après.

Dans les Postes, la direction cherche les moyens d’éviter le blocage total du courrier lors de l’arrêt de quelques services clés, les centres de tri et les transports. Actuellement, elle prospecte les propriétaires de locaux pouvant être disponibles immédiatement en cas de besoin pour y installer des centres de tri parallèles. Un projet de cession à la sous-traitance du service assuré par les « camions jaunes » qui disparaîtraient seulement peu à peu pour éviter des remous. Depuis des années, la Poste s’est forgée ainsi une image du coup par coup dans l’application des restructurations comme en témoignent les innombrables conflits locaux souvent très durs et très longs dans les années écoulées. Dans les grèves de novembre décembre, les centres de tri n’ont débrayé que partiellement parce qu’ils avaient été pris dans une période récente par de tels conflits dont la fin n’a jamais été une franche victoire et qui ont laissé des séquelles pas seulement financières.

Ce qui se passe à EDF-GDF relève aussi de cette pression pour rétablir le rapport de force. Les seules informations concernent le sud de la France et prennent la relève de ce qui a été mentionné lors de la fin de la grève. Trois agents EDF de la centrale atomique de Tricastin, sanctionnés de mises à pied et de mutations d’office pour « atteinte à la sûreté nucléaire » pour avoir le 4 décembre pénétré dans la salle de contrôle de la centrale et empêché les opérateurs de « piloter les installations dans les conditions de vigilance et d’attention requises pour garantir la sûreté nucléaire ». 150 agents manifestaient devant les Prud’hommes de Montélimar qui examinaient le recours contre ces sanctions.

Dans toute la région couverte par l’agence EDF d’Avignon qui couvre plusieurs départements, se déroule en février une petite guerre . La direction régionale a lancé des procédures disciplinaires contre 200 agents sur 850 suite à la grève de décembre. Une des réponses a été ce que la direction appelle un sabotage : le vol des cartes magnétiques servant à faire basculer les fournitures dans les différentes tranches de tarification et à brancher ou débrancher l’éclairage public des villes et villages, ce qui a contraint à reprendre manuellement les opérations complexes confiées alors à des robots.

LES SYNDICATS ONT-ILS DIRIGE LA GRÈVE

OU LA GRÈVE A-T-ELLE DIRIGE LES SYNDICATS ?

« Les accords du passé ne sont plus valables. Pour l’équilibre social, il faut trouver de nouveaux terrains d’entente » (Titre d’un article du Monde, 24 janvier 1996).

« ...des problèmes avec lesquels nous étions plus ou moins habitués à vivre étaient devenus littéralement insupportables... sur ces questions, le statu quo est impossible. Le paradoxe du conflit est qu’il a permis aux syndicats de faire un retour en force mais a, dans le même temps, souligné leurs faiblesses...Le secteur public regorge de bombes à retardement » (Le Monde, 13 février).

La grève a provoqué des remous importants parmi les centrales syndicales. Principalement dans les centrales les plus engagées ouvertement dans la régulation du marché du travail ; elles le sont toutes mais assumant plus ou moins ouvertement leur fonction essentielle. On est peu intéressé par le remue ménage fait autour des batailles internes, les scissions et reconstitutions qui ne sont certainement pas terminées. Par contre il est évident que l’usure des centrales traditionnelles empêtrées dans leurs positions reconnues qu’il leur faut à tout prix préserver, chacune jouant sur le registre qui lui paraît le mieux adapté à son passé dans la compétition sévère pour la place d’interlocuteur privilégié, leur laisse peu de choix dans des conflits de l’ampleur de celui de décembre .

D’où des contestations internes et des scissions qui, objectivement, signifient le développement, à la mesure de ce que nous avons dit de la désaffection des médiations traditionnelles, d’un renouveau syndical mieux adapté à la présente situation : cela remonte à plusieurs années déjà, comme un sous-produit des coordination de la fin des années 1980, d’exclusions pour refus de se plier à la politique des centrales, de scissions pour jouer d’une autre façon dans la « défense des acquis ».

Participer ou non

Le débat sur « être dans le syndicat ou en dehors » est une question secondaire sauf que ceux qui sont « en dehors » ont effectivement pour un temps les coudées plus franches pour traduire à leur niveau les revendications de base. Mais ils se trouvent devoir jouer le même jeu que les centrales auxquelles ils s’opposent : leur « crédibilité » dépendra non pas de la justesse de leurs position et de la vigueur à les défendre, mais de leur capacité de discussion avec les directions, donc de participer à l’aménagement du système, exactement ce qu’ils peuvent actuellement reprocher aux centrales traditionnelles. S’ils veulent garder - sans concessions - leur positions de « lutte de classe » acquise dans les conflits actuels, ils seront éliminés ou réduits à végéter, à plus ou moins brève échéance, car il n’y a pas de place sous le capitalisme autre que d’intermédiaire entre travail et capital pour la fixation du prix de la force de travail, dans un débat qui est toujours commandé par les impératifs présents du capital sur lesquels ils ne disposent d’aucun pouvoir.

Ainsi que nous l’avons souligné, les grandes centrales ont dû, menacés par des manifestations autonomes adopter des positions inhabituelles de « démocratie totale » et de contacts libres avec d’autres travailleurs, en grève ou non.

Il leur sera difficile de revenir sur ces positions et leur rôle d’autrefois d’organisations dictant au prolétariat la ligne à suivre s’en trouve complètement transformé. D’autre part, alors que leur fonction est essentiellement de médiation donc de discussion, ils ont dû suivre la position dure de la base de retrait total des mesures concernant les retraites et la SNCF : ils étaient réduits sur ce point (et quelles qu’aient pu être les manœuvres de coulisse sur les autres sujets - le Plan Juppé essentiellement - et sur la manière de « savoir terminer une grève ») à être tout simplement les facteurs (et encore le fax les court-circuitait) d’une réponse oui ou non, dans une sorte d’ultimatum totalement inhabituel dans leur fonction d’intermédiaires entre le travail et le capital. Le fait que cet ultimatum s’adresse au pouvoir politique (après des ultimatum semblables dans d’autres domaines, celui de l’école avec la loi Falloux ou celui du CIP) est symptomatique d’une désaffection totale vis à vis des médiations politiques et syndicales pour des affrontements directs dans la rue de mobilisations ponctuelles de masse (dont le nombre échappe pour une bonne part aux syndicats, partis ou groupuscules).

L’incapacité des organisations à répondre aux aspirations

Même si ces affrontements n’ont pas comporté pratiquement de violence et sont restés dans les « limites » imposées par les organismes d’encadrement, ils n’en restent pas moins des affrontements lourds de possibilités latentes dont personne ne peut mesurer l’ampleur pour le futur.

Un des signes évident de l’inadéquation des organisations et des idéologies qu’elles véhiculent est leur incapacité de répondre aux aspirations profondes qui se sont exprimées dans cette lutte. On ne peut qu’être frappé par l’espérance d’un autre futur à laquelle les « intervenants » politiques ou syndicaux essaient de répondre dans une langue de bois avec des concepts complètement obsolètes.

De même, ce qui perce par delà les revendications d’origine suit une voie totalement distincte de ce que le vague réformisme de proximité pouvait leur offrir. Il devient évident que seuls ceux qui ressentent d’autres nécessités et l’expriment souvent maladroitement avec leur propre et simple langage étaient réduits à inventer eux-mêmes ce futur et les moyens de le réaliser. Bien sûr, les appareils divers ont bien pris conscience de cette distance avec une réalité sociale qu’ils doivent absolument rejoindre s’ils veulent conserver leur place et fonction dans le système.

Ce n’est donc pas hasard si des remous profonds secouent les sphères syndicales et la réflexion citée sur la nécessité de « trouver de nouveaux terrains d’entente » correspond bien à cette situation. Cette évolution nécessaire touche l’ensemble des forces d’encadrement, notamment les partis et groupes politiques qui, eux aussi sont engagés dans un processus de décomposition-recomposition qui devrait donner le jour à des formes « modernisées » tant sur le plan idéologique que sur le plan organisationnel. Il est difficile de prévoir ni quels en seront les termes ni combien de temps cela prendra ; seules de nouvelles luttes pourraient le préciser et l’accélérer, mais personne ne peut dire on plus quelle dimension elles prendraient.

Suite 1995 (7) - Annexes : Restaurer le taux de profit - Sur la défense du « service public » - Bibliographie - Sigles

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