a) La révolution russe
En février 1917, le régime tsariste s’effondre en Russie. Les conseils d’ouvriers et de soldats (soviets) se développent dans tout le pays et instituent leur propre pouvoir, qui fonctionne en parallèle avec l’administration officielle, puis s’y substitue de plus en plus : c’est une situation de « double pouvoir ». Les soviets sont constitués de délégués d’usines, de régiments ou de villages. Nombre de ces délégués sont des membres de partis socialistes. En octobre 1917, une fraction social-démocrate, les Bolcheviks, dirige une insurrection et renverse le gouvernement « socialiste » de Kerenski. Ils dirigent le pays en s’appuyant sur les soviets, dont les attributions sont progressivement limitées, tandis que s’affirme le rôle dirigeant du parti. Rapidement, les partenaires des Bolcheviks (socialistes-révolutionnaires de gauche et anarchistes) sont interdits et pourchassés par la nouvelle police politique, la Tchéka. En 1921, les dernières armées blanches (tsaristes) sont vaincues, mais également les insurrections ouvrières et paysannes à caractère socialiste. Les grèves de Pétrograd sont réprimées par le pouvoir Bolchevik.
Les bolcheviks sont confrontés à trois problèmes imprévus : la famine, la chute de la production industrielle, et la bureaucratisation.
La guerre contre l’Allemagne, puis la guerre civile, en ponctionnant énormément d’hommes et d’animaux de trait, avait affaibli la petite paysannerie. De plus, plusieurs années de mauvaises récoltes se succèdent. Pour alimenter les soldats rouges au front et le prolétariat urbain, et lutter contre le marché noir, les bolcheviks organisent des réquisitions de produits agricoles. A partir de 1921, ils rétablissent un système fiscal et une économie de marché limitée, qui vont alléger le sort des paysans pauvre, mais permettre l’enrichissement des propriétaires terriens.
Le manque d’ouvriers qualifiés, la désorganisation liée à l’éviction des cadres et ingénieurs bourgeois, et surtout le peu d’envie des ouvriers de trimer autant qu’avant la révolution - bien qu’une partie d’entre eux n’aient pas hésité à travailler plus pour soutenir la lutte contre les blancs - ont fait chuter drastiquement la production industrielle. Pour y remédier, Lénine précipite l’introduction du travail à la chaîne (taylorisme), tandis que Trotski propose la « militarisation du travail » et l’intégration des syndicats à l’état. Les syndicats cessent d’être des organes autonomes de défense des travailleurs, pour devenir des organismes liés à l’état. Enfin, les « spécialistes » bourgeois sont invités à collaborer à la réorganisation industrielle. C’est ce que Lénine appelle le « capitalisme d’état », qu’il considère comme supérieur au capitalisme privé.
La parti et l’état génèrent une bureaucratie galopante, dont le contrôle sur toutes les opérations économiques est omniprésent. L’intégration des spécialistes bourgeois renforce cette bureaucratie qui, malgré ses origines souvent ouvrières, tend à se transformer en couche privilégiée et à adopter des mœurs « bourgeoises », dénoncées en vain par les leaders bolchevicks. Le secrétariat général du parti, dirigé par Joseph Staline, va progressivement devenir l’organe central de cette bureaucratie, même s’il ne l’a pas entièrement générée.
La révolution russe se referme donc, dès 1921 par la défaite du prolétariat. Ses organes de lutte (syndicats, soviets) sont intégrés à l’état, la vieille génération est brisée par la guerre civile (où beaucoup d’entre eux sont morts en luttant contre les blancs) et la réorganisation industrielle (capitalisme d’état) va provoquer la mise en place d’une nouvelle composition technique et sociale du capital. De plus, dans le reste de l’Europe et surtout en Allemagne, la révolution est rapidement vaincue, amenant un isolement de la Russie. L’échec des luttes ouvrières de 1917-1921 se termine par la mise en place d’une restructuration capitaliste. Les structures féodales ont été abolies et le capitalisme, jusqu’alors en gestation en Russie, va pouvoir se développer selon un modèle inédit, en l’absence de bourgeoise privée et sous la direction d’un état qui se proclame ouvrier.
b) L’URSS sous Staline
Lors de la mort de Lénine, en 1924, le comité central du Parti communiste (bolchevick) décide de garder secret son testament, qui recommandait d’écarter Staline et de lui préférer Trotski, malgré ses tendances bureaucratiques. Les débats entre les différentes factions du parti vont aboutir au renforcement de ce dernier. Parmi les divergences entre l’opposition et le « centre » (la fraction de Staline) se trouve la question du développement industriel de la Russie. Trotski et la « gauche » sont favorables à une industrialisation rapide. Boukharine et la « droite » s’y opposent, car ils savent que celle-ci sera défavorable aux paysans, qui forment toujours la majorité de la population. Ils préfèrent un développement lent et progressif, d’autant plus que le recul de la vague révolutionnaire en Europe les condamne à réaliser le « socialisme dans un seul pays ». Staline appuie la droite et réprime sévèrement la gauche. Trotski est progressivement écarté du pouvoir, puis exilé. Paradoxalement, à partir des années trente, Staline va reprendre la politique d’industrialisation jadis prônée par Trotski. Il mène une politique « d’accumulation primitive », dans laquelle il n’hésite pas à utiliser la famine comme arme contre la paysannerie (des millions de morts en Ukraine).
Cela permet d’accroître le prolétariat urbain, donc de disposer de la main d’œuvre nécessaire à l’industrie. La déportation en camp de travail, pour faute politique (tout devenant une faute politique) fournit également une main d’œuvre inépuisable pour la construction de grands aménagements (barrages hydro-éléctriques sur les fleuves sibériens) ou pour les mines. Enfin, le travail est exalté comme une vertu socialiste. Médailles et avantages sont offerts aux « héros du travail » dont le symbole est le mineur Stakhanov, dont les records sont artificiellement augmentés afin de servir d’émulation pour les autres travailleurs. Le résultat est un succès relatif. L’industrie se développe effectivement, mais la lourdeur bureaucratique, les fréquents revirements liés aux purges politiques constituent une entrave à son développement. Ils sont toutefois suffisamment positifs pour intéresser les autres pays, y compris aux Etats-Unis d’Amérique où certains tiennent l’économie planifiée façon soviétique comme un modèle de développement. Le système stalinien est donc un relatif succès du point de vue capitaliste.
Enfin, la seconde guerre mondiale va permettre au système stalinien d’étendre son influence. Malgré un pacte de non-agression signé avec l’Allemagne nazie, l’URSS est envahie par l’armée allemande en 1941. L’armée rouge résiste, au prix de millions d’hommes, puis enfonce le front et envahit la moitié de l’Europe, jusque Berlin. Cette position militaire va être entérinée par les alliés anglo-américains.
Rapidement, le parti communiste prend la pouvoir dans les « pays de l’Est », tandis que l’armée populaire de libération est victorieuse en Chine (1949). La guerre a profondément changé le système stalinien, qui a du faire appel au nationalisme le plus poussé et s’associer à l’église orthodoxe pour conserver une cohésion nationale suffisante pour repousser les troupes allemandes. Fidèles reflets du parti russe, les partis communistes du monde entier adoptent des lignes patriotiques et ouvertes au dialogue avec les autorités religieuses
Après la mort de Staline, son successeur Kroutchev va tenter une certaine libéralisation du régime politique, une « déstalinisation ». Elle vise le culte de la personnalité, mais surtout les fréquentes purges qui déstabilisaient périodiquement le système et faisaient vivre dans la terreur les bureaucrates eux-même. En outre, Kroutchev introduit des réformes économiques qui rétablissent des éléments d’économie de marché au sein du système planifié et renforce l’autonomie des directeurs d’usine. Ce « libéralisme » ne l’empèche pas d’intervenir militairement contre l’insurrection ouvrières en Hongrie en 1956. Finalement, Kroutchev est lui-même écarté du pouvoir quand sa tâche est réalisée.