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Lettre d’Emma Goldman à la revue Mujeres Libres (1936)

vendredi 22 avril 2022, par Yves

[Ce texte est paru dans Mujeres Libres, « 21e semaine de la révolution », probablement en décembre 1936. Il est tiré de « The Emma Goldman Papers », collection de microfilms disponibles à l’Institut d’histoire sociale d’Amsterdam. Les (...) correspondent aux passages illisibles sur le microfilm. Y.C., Ni patrie ni frontières.]

La situation sociale de la femme par Emma Goldman (1936)

Le progrès humain est très lent. On dit que pour chacun de ses pas en avant, l’humanité a fait deux pas en arrière vers l’esclavage. Ce n’est qu’au terme de nombreux siècles qu’elle a commencé à se libérer de son attitude d’adoration et de soumission face à l’Église, au droit divin des rois et au pouvoir de la classe dominante. En réalité, cette trinité calamiteuse règne encore sur des millions et des millions d’êtres humains dans tous les pays du monde, mais elle ne peut désormais plus régner d’une main de fer et exiger une obéissance aveugle que dans les pays fascistes. Bien que le fascisme n’ait pas d’existence historique, qu’il ne soit qu’un phénomène éphémère, on peut sentir, sous sa puanteur insupportable, que la tempête approche et que la colère grandit. C’est en Espagne que le fascisme trouvera son Waterloo, alors que, partout dans le monde, s’amplifie la protestation contre les institutions capitalistes.

Mais, en général, les hommes, toujours prêts à lutter héroïquement pour leur émancipation, sont loin de penser la même chose à l’égard du sexe opposé.

Il ne fait aucun doute que, dans de nombreux pays, les femmes ont réalisé une véritable révolution pour obtenir leurs droits sociaux, politiques et éthiques. Elles y sont parvenues au prix de nombreuses années de luttes et d’innombrables défaites, mais elles ont remporté la victoire ! (...) . Plus leur développement moral et physique sera parfait, plus la race humaine sera parfaite. Cela suffirait à prouver l’importance des femmes dans la société et dans la lutte sociale ; mais il existe d’autres raisons. La plus importante de toutes est celle-ci : la femme a pris conscience qu’elle a parfaitement droit à avoir sa personnalité propre et que ses besoins et ses aspirations sont d’une importance aussi vitale que ceux de l’homme.

Ceux qui prétendent encore tenir la femme sous leur coupe diront sûrement que « Oui, tout cela c’est très joli, mais les besoins et les aspirations des femmes sont différentes, parce qu’elles sont inférieures. » Ce type d’affirmation ne fait que prouver les limites des hommes, leur orgueil et leur arrogance. Ils devraient savoir que ce qui différencie les deux sexes tend à enrichir la vie, tant du point de vue social qu’individuel.

D’un autre côté, les réalisations extraordinaires des femmes à travers l’Histoire annulent la légende de leur infériorité. Si certains insistent [sur cette prétendue infériorité, NdT] c’est parce qu’ils ne peuvent tolérer que leur autorité soit remise en cause.

Cette attitude est caractéristique de tout autoritarisme, que ce soit celui du maître sur ses esclaves ou de l’homme sur la femme. Néanmoins, partout, les femmes cherchent à lutter pour leur libération ; elles avancent, elles progressent, librement ; elles prennent leur place dans la lutte pour la transformation économique, sociale et éthique. Et les femmes espagnoles ne tarderont pas à s’engager sur la voie de l’émancipation. Le problème de l’émancipation féminine est analogue à celui de l’émancipation prolétarienne : ceux qui veulent être libres doivent faire le premier pas.

Les ouvriers de Catalogne et de toute l’Espagne ont déjà fait ce premier pas : ils se sont libérés eux-mêmes et versent leur sang pour assurer cette liberté. Désormais, il vous appartient à vous, femmes espagnoles, de rompre vos chaînes. Votre tour est venu : défendez votre dignité et votre personnalité, exigez avec fermeté vos droits en tant que femmes, individualités libres, membres de la société et camarades dans la lutte contre le fascisme et pour la révolution sociale.

C’est uniquement quand vous vous serez libérées de la superstition religieuse, des préjugés de la morale courante et de l’obéissance servile à un passé mort, que vous arriverez à être une force invincible dans la lutte antifasciste et que vous serez une garantie de la Révolution sociale. C’est uniquement à ce moment-là que vous serez dignes de collaborer à la création de la nouvelle Société dans laquelle tous les êtres humains seront véritablement libres.

Emma Goldman, décembre 1936

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