mondialisme.org
Accueil du site > Ni patrie ni frontières > Documents utiles > Bref témoignage à propos des discussions sur "Charlie Hebdo" au (...)

Bref témoignage à propos des discussions sur "Charlie Hebdo" au boulot

mardi 3 février 2015

Tous les commentateurs se sont polarisés sur les discussions sur les places publiques ou les grandes interprétations sociologiques, philosophiques, géopolitiques, etc. Peu de militants, à ma connaissance, ont publié leurs témoignages personnels sur les discussions entre collègues, au bureau, à la cantine ou à l’atelier, et sur les clivages, ou les rapprochements, que les discussions autour des 17 exécutions djihadistes ont pu susciter entre travailleurs. Voici un témoignage. Si vous en connaissez d’autres, n’hésitez pas à les envoyer pour publication.

Y.C., Ni patrie ni frontières, 3/02/2015

Peux-tu me dire quelles ont été les réactions de tes collègues après les meurtres des 7, 8 et 9 janvier 2015 dans les locaux de Charlie Hebdo et du supermarché casher ?

– Cela s’est passé en trois temps, et j’ai observé trois attitudes successives entre le 7 et le 11 janvier.

* Le lendemain des meurtres à Charlie Hebdo, ce sont les collègues « blancs » plutôt habitués aux sorties racistes qui ont libéré leur parole, à travers des remarques clairement anti-maghrébines plus qu’anti musulmanes. Mes collègues musulmans d’Afrique noire m’ont confirmé n’avoir pas entendu quoi que ce soit, alors que mes collègues maghrébins, qu’ils soient croyants et pratiquants, à peine croyants, fermés ou ouverts, ont tous eu le droit à des remarques.

* Le deuxième jour, ces expressions se sont tues, et les collègues qui parlaient étaient plus en recherche de compréhension, il s’agissait des échanges les plus intéressants que j’ai pu avoir : condamnation sans limite des meurtres et dans le même temps analyse critique de la récupération de l’Etat, de l’armement délirant de la police, etc.

* Enfin, les jours suivants, certains collègues d’origine étrangère et de religion différente (chrétiens et musulmans) ont commencé à dire que, de toute façon, il ne fallait pas toucher à la religion.

Depuis la dernière fois qu’on s’est rencontrés, j’ai assisté à un échange pendant la pause d’une petite équipe où les gens mangeaient donc ensemble sans distinction. Trois collègues musulmans critiquaient très clairement la présence, dans la grosse manifestation du dimanche, de représentants de pays arabes où on inflige des condamnations à recevoir des coups de fouet, etc., celle du Premier ministre israélien, etc, montrant par là-même que cette manifestation de chefs d’Etat au nom de la « défense de la liberté d’expression » était une vaste escroquerie. Une dizaine de collègues écoutaient mais ne participaient pas à la conversation.

Je sentais un certain malaise, mes trois collègues musulmans, après une semaine de dérives et d’amalgames, semblaient une fois encore chercher à discuter et à « prouver » qu’ils n’étaient pas comme les « terroristes »... J’ai jeté un petit pavé dans l’échange, en vrac, en relevant que personne n’avait demandé aux chrétiens de se désolidariser du massacre perpétré par Anders Breivik au nom de la défense de la civilisation chrétienne, qu’ils avaient bien raison sur la récupération de la marche par les plus grands terroristes de la planète. En passant, j’ai glissé que les Juifs de France, comme n’importe qui d’autre, étaient chez eux là où ils vivent et qu’ils n’avaient pas à rejoindre Israël (léger murmure dubitatif quand il s’est agi des Juifs...) ; j’ai dit que cette façon de vouloir enfermer les gens dans des Etats qui se revendiquent d’une religion était un véritable problème, quelle que soit la religion dont cet Etat se revendique. En fin de compte, j’ai été vigoureusement félicité par mes collègues africains et arabes sous le regard ébahi de mes collègues « français ».

Il y a un vrai fossé de compréhension que je vérifie régulièrement... Même si à d’autres moments des solidarités s’expriment.

SPIP | squelette | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0