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Communisme ou barbarie (1) : les parias à l’assaut de la forteresse nord

mardi 28 octobre 2014

Paru dans Echanges n° 148.

Chaque jour, pres­que chaque heure, nous apporte son flot d’informations sur ces guerres classiques qui n’osent pas dire leur nom, entre Etats ou à l’intérieur d’un Etat, et qui continuent de coexister même si l’une chasse l’autre dans la diffusion médiatique au gré des exactions, des atrocités, de la menace des intérêts des grandes puissances ou des interventions directes ou indirectes de celles-ci. L’Ukraine prend le devant de la scène sur Gaza qui peut supplanter l’Irak et le Kurdistan qui camoufle ce qui se passe en Syrie et met un voile sur les interventions militaires en Centrafrique, et vice et versa. Mais ce n’est pas de ces conflits « ouverts » que nous voulons parler, bien qu’ils jouent un rôle dans une autre guerre, bien plus généralisée celle-ci, mais ignorée et seulement médiatisée d’une manière parcellaire, plus comme un fait divers que comme une guerre bien particulière. Ce qui est certain, c’est que de plus en plus les populations fuient ces zones de combat ou en sont expulsées pour des raisons ethniques ou religieuses.

De temps à autre, ces derniers conflits sont supplantés ponctuellement par les faits d’armes de ces guérillas ethniques, religieuses, nationalistes, défensives contre une assimilation ou un projet capitaliste grandiose qui détruit leur environnement. On trouve de ces guérillas de plus ou moins grande dimension et de durée variable dans presque toute l’Afrique, le Sud-Est asiatique ou en Amérique centrale ou du Sud. Hors ces percées médiatiques ponctuelles, elles tombent souvent dans les coulisses de l’oubli. Qui se soucie aujourd’hui, dans la montée chaotique des guerres « régulières », de l’esclavage sexuel forcé des 270 lycéennes enlevées par Boko Haram ? Qui se soucie aujourd’hui de l’activité des FARC en Colombie ou des nuisances des Maras en Amérique centrale ? Qui se soucie de la guérilla du Front Moro islamique de libération (MILF) aux Philippines ? Qui se soucie du combat des Ouïghours dans le Xinjiang chinois ? Pourtant, tout comme les guerres « régulières », ces guérillas alimentent par leur présence et par la répression des gouvernements « légaux » les troupes de cette guerre ignorée.

Surexploitation de la nature

Au-delà de ces guerres reconnues comme telles, même si elles ne tiennent pas la vedette médiatique du moment, d’autres facteurs que tous ces conflits contribuent à alimenter cette armée de l’ombre : plus que ces guerres, ces facteurs illustrent une situation mondiale chaotique qu’un capitalisme envahissant contribue à créer et dont les conséquences créent d’autres problèmes insolubles tout en renforçant ce chaos. Tout tourne finalement autour d’une surexploitation de la nature pour l’ensemble de ses productions, qui entraîne à la fois une dépossession directe des éléments de vie de toute une population, de l’autre une dégradation générale de cette nature dont les effets contribuent indirectement à d’autres dégradations et à d’autres dépossessions.

Concrètement, d’un côté l’extension intensive du capitalisme, dans des zones où il n’avait pénétré que relativement, fait que la concurrence capitaliste dans la production agricole et l’introduction de produits de large consommation réduisent les possibilités de vie des autochtones, alimentant cette armée des ombres réduite à chercher ailleurs de quoi survivre.

D’un autre côté, renforçant éventuellement cette dépossession par les dégradations qu’elle entraîne, l’utilisation intensive, irrépressible et incontrôlée des combustibles fossiles (liée à d’autres facteurs moins importants mais relevant aussi de ce développement fou du capitalisme) est la cause d’un dérèglement climatique à l’échelle mondiale. Les conséquences de ce dérèglement se révèlent multiformes, tant par des alternances de sécheresses catastrophiques et de pluviométrie intense que par la récurrence de phénomènes ponctuels désastreux (ouragans, typhons, tornades, etc.) ou la montée régulière irréversible des eaux marines envahissant les basses plaines côtières et renforçant le pouvoir destructeur des marées et des tempêtes. Des populations entières sont réduites à l’exode et doivent chercher d’autres territoires où survivre.

Ces populations sont ainsi poussées par différentes situations, réduites à tout quitter, parfois transitant dans des camps de personnes déplacées, parfois se lançant individuellement sur le chemin d’un exode pour tenter d’atteindre ce qu’ils croient, peut-être pas tant un eldorado mais au moins un endroit où la survie devient préférable à leur misère et à leur insécurité présentes. Ils sont ainsi des milliers, des millions à mener une autre forme de guerre, un assaut contre ce qu’ils pensent être des havres que sont les pays industrialisés, les bases du capital mondial, ceux-là mêmes qui sont la cause de leur migration forcée (mais qui pourtant subissent les contrecoups de leurs dérèglements qu’ils peuvent encore surmonter présentement).

Cette guerre inégale, ces combattants de l’ombre la mènent mains nues, sans autre arme que leur détermination prête à toute épreuve, même la plus dangereuse, en face d’un adversaire puissamment armé et protégé par des barrières supposées infranchissables. C’est une guerre sournoise, constante et si réelle mais qui se cache dans les replis d’une société dite « normale ».

Les petits soldats de cette guerre dont ils ont une faible conscience, ils la mènent dans l’exode, la misère, le mépris, la discrimination et parfois la mort. Ils viennent de partout où il y a, comme nous venons de le montrer, une misère imposée d’ailleurs et/ou l’insécurité et/ou un danger quelconque si menaçant qu’il leur faut quitter les lieux où ils ont vécu pour tenter d’entrer dans les pays où ils pensent trouver ce qu’ils n’ont plus, partir à l’assaut des forteresses que ces pays ont érigées pour se protéger de cette invasion persistante qui ne dit pas son nom.

Il y a bien deux camps, dont l’un ne se sait pas ennemi de l’autre, qui, lui, le sait : on parle du Sud partant à l’assaut du Nord, mais si c’est vrai en gros, il serait plus exact de parler du conflit entre ceux qui ont et ceux qui n’ont pas. Effectivement, cette armée des ombres monte souvent du Sud vers le Nord comme fascinée par une étoile qui les guiderait vers les paradis dont ils rêvent. Ils sont ainsi des millions, venus d’un réservoir humain inépuisable, rempli précisément par ceux-là même vers lesquels ils s’acheminent. La seule chose sur laquelle ils peuvent compter, outre leur farouche détermination, c’est la solidarité de leurs frères de misère et de combat. Ils sont prêts à accepter toutes les vexations, toutes les humiliations, la faim, la soif et les violences pour atteindre ce Nord qui tient tous les espoirs d’une autre vie.

La forteresse Nord est bien protégée, une protection sans cesse perfectionnée. Une protection qui à chaque instant prélève sa part de cadavres par milliers, dans le temps par centaines de milliers.

Ces protections sont « naturelles » : les mers sans fond ou les bras de mer où se noient ceux qui se lancent sur des esquifs fragiles ou pourris, surchargés de ces volontaires de la mort programmée, les fleuves où se noient les nageurs inexpérimentés, les déserts où les attendent la soif ou la morsure des serpents. Les rubriques « faits divers » relatent régulièrement les victimes de ces tentatives dangereuses, mais seulement lorsque leur nombre est suffisant pour émouvoir les chaumières. Chacun connaît maintenant pour ces drames récurrents les détroits, celui de Sicile ou de Gibraltar, l’île de Lampedusa, le Rio Grande, mais beaucoup moins ceux de l’Océan Indien ou du Pacifique qui sont trop loin pour des larmes de crocodile (qui se souvient aujourd’hui des « boat people vietnamiens et chinois ?).

Des grillages aux drones

Là où il n’y a pas de protections naturelles de la forteresse, un peu partout dans le monde, des barrières terrestres ont été édifiées avec un luxe de techniques sans cesse perfectionnée (voir ci-contre) avec des moyens inouïs de détection qui vont de murs réels aux hauts grillages électrifiés, des caméras aux ondes radars, des miradors aux drones. Tenter de franchir ces barrières terrestres emporte aussi son lot de victimes, électrocutées ou tuées par balle, mais individuellement, ce qui n’attire guère l’attention médiatique. Pour donner aux sceptiques une idée de la dimension de l’assaut contre la forteresse Nord, citons seulement le cas de la Grèce : en 2010, 30000migrants ont été interceptés sur les rives de l’Evros en Thrace, et on évalue à 128000 ceux qui sont passés cette année-là dans les mailles du filet. En 2009, il y aurait eu 2millions d’immigrants illégaux en Grèce en transit vers l’Europe. Même quand ils se heurtent mains nues à ces murailles naturelles ou humaines répandues à travers le monde, ces milliers, centaines de milliers, millions mêmes, ne savent pas qu’ils mènent une guerre contre un ennemi non identifié – sauf par sa peur d’être submergé par tous ces parias portés par leur nombre et leurs espoirs. Un espoir de vaincre porté par un désir de vivre plus fort que la mort. Si eux ne le savent pas qu’il mène une guerre sans merci, leur ennemi, lui, le sait.

Il le sait si bien que pour contenir les possibles petits soldats de cette persistante invasion, les « personnes déplacées » par différents méfaits du capital, sont parquées, non plus dans les « camps de rétention » trop connus sur les territoires nationaux, mais dans d’autres camps édifiés un peu partout dans le monde sous couvert humanitaires par ceux-là mêmes, les « grandes puissances » du capital, qui les ont poussés dans une telle situation. Ils sont ainsi plus de 50millions à pourrir littéralement derrière des barrières destinées également à les prévenir de venir grossir ceux qui sont déjà partis à l’assaut de la forteresse, une sorte d’armée de réserve difficilement contenue.

En face d’eux, menant cette guerre implacable se trouve un ennemi bien plus dangereux que la police et l’armée des Etats et leurs protections naturelles ou pas, ces répressions connues qu’ils craignent, connaissent et peuvent tenter de déjouer les pièges et de tourner les protections. C’est un ennemi inconnu, une sorte de figure mythologique aux cent bras et cinquante têtes – cent bras qui incarnent humiliations, vols, chantages, viols, esclavage temporaire, rançons, violences physiques, participation obligatoire à des trafics dangereux. La liste n’en est pas exhaustive, mais tous sont perpétrés par des hommes de hasard avides de gain profitant de leur faiblesse, souvent des marginaux comme eux. Et quand une partie d’entre eux ont réussi à échapper aux obstacles « légaux » et aux dangereuses tentacules et pensent avoir atteint la Terre Promise, de « bons citoyens » du pays où ils ont enfin pénétré peuvent les attendre sous forme de milice pour leur donner le baiser de mort (voir Etats-Unis : frontière perméable avec le Mexique).

Et s’ils en réchappent, la galère du sans-papier constamment aux abois, le bagne de l’usine ou l’esclavage agricole les attendent. Ou un internement dans une prison ou dans un de ces innombrables camps de rétention pour l’expulsion et un retour à la case départ.

H. S.

NOTES

* « Communisme » n’a rien à voir ici avec le capitalisme d’Etat style soviétique ou chinois ou les différentes moutures social-démocrates. Il postule une société où il n’y a pas d’exploitation de l’homme par l’homme et où chacun décidera par lui-même quelle sera son activité et comment il l’assumera. Les parias que sont les migrants de partout sont à l’extrême d’un monde communiste car dans leur destin, ils ne sont maîtres de rien, soumis d’un bout à l’autre de leur vie à toutes les contraintes d’un système auxquelles ils tentent d’échapper pour tomber dans d’autres contraintes.

(à suivre


Sur le thème des murs de protection, voir Murs virtuels ou murs réels, l’enfermement au nom de la protection.

Voir aussi Gaza : murs souterrains et barrières maritimes, « Les droits des immigrés sont les droits du travail », Immigration : les leçons de la grève de Hormel (1985-1986), Immigrés de partout, La grève des ouvrières du Sri-Lanka à l’île Maurice.


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