Publié en hébreu sur le site du Daam le 30 juillet 2014, donc avant que le Hamas ait capturé un soldat israélien, cet article de Yacov Ben Efrat intitulé « L’Opération “ Bordure protectrice ” et la belle amitié de la gauche [israélienne] avec Netanyahou » nous a semblé intéressant. Nous en avons extrait et traduit un passage dans lequel l’auteur analyse le jeu géopolitique américain de manière un peu plus subtile que le traditionnel Israël-tête-de-pont-de-l’impérialisme, d’un côté, et le Hamas-valeureux-mouvement-de-résistance-du-peuple-palestinien, de l’autre. L’article entier se trouve en anglais ici : http://en.daam.org.il/?p=554 NPNF
(...) En utilisant le prétexte des tunnels, Netanyahou a réussi à unir toute la nation derrière sa guerre, des colons ultranationalistes au parti libéral de gauche Meretz. L’incursion des troupes dans la bande de Gaza a créé un consensus israélien autour de l’idée que cette agression serait la guerre la plus justifiée d’Israël depuis de nombreuses années. Les sirènes de Tel-Aviv ont fait pénétrer le Hamas jusque dans chaque foyer israélien, et les Israéliens sont soudainement attirés par le prétendu « raisonnement équilibré » de Netanyahou. Le fait que le dispositif « Dome de fer » intercepte les roquettes du Hamas qui volent au-dessus des villes permet aux Israéliens d’oublier que c’est Netanyahou qui a lancé le premier la balle sanglante qui ne cesse de rouler, et que même les personnes les plus sages dans le monde ont du mal à arrêter sa course létale. Le Meretz est tombé amoureux de la proposition égyptienne et de la possibilité de ressusciter « l’axe modéré », qui comprend Abu Mazen, les monarques jordanien et saoudien de la dynastie des Abdullah, et bien sûr le général al-Sisi.
Cette farce aurait pu continuer si deux facteurs importants n’avaient pas surgi. Tout d’abord, contrairement à la précédente incursion à Gaza (l’opération « Plomb durci »), au cours de laquelle 10 soldats israéliens sont morts, la guerre actuelle a jusqu’ici coûté la vie à 53 soldats israéliens. Deuxièmement, la communauté internationale n’est pas disposée à accepter les images de mort et de dévastation à Gaza. Deux jours après le début de l’incursion terrestre d’Israël, l’ampleur de la destruction est apparue avec la destruction du quartier de Shijaiyah. La réaction de Kerry (« C’est une opération ponctuelle digne de l’enfer ») a exprimé le dégoût ressenti partout dans le monde. Pour la première fois de son histoire, Israël a découvert que les États-Unis ne le soutiennent pas toujours de façon automatique.
Non seulement l’administration américaine est dégoûtée par les images en provenance de Gaza, mais elle a également rejeté la proposition égyptienne pour mettre fin à la guerre. Lorsque le Hamas a présenté la proposition élaborée par le Qatar et la Turquie, qui conditionnait la signature d’un cessez-le-feu à la levée du blocus de Gaza, les États-Unis ont adopté une position intermédiaire. Pour cela, ils ont été vilipendés par l’ensemble des partis politiques en Israël, y compris les forces de gauche, qui avaient toujours pris le parti de l’administration américaine contre le gouvernement de Netanyahou. C’est une situation étrange ; après tout, les éléments de cette alliance – l’Egypte, Abu Mazen, l’Arabie Saoudite, le Qatar, la Turquie, et bien sûr Israël – sont tous des alliés des États-Unis. Il s’agit d’un « différend familial », d’une dispute interne et il n’y a pas d’axe du mal contre lequel s’unir. Mais en fait, la position de l’administration Obama est cohérente. La gauche israélienne est tombé amoureuse du camp arabe « modéré », et lui donne l’accolade dans sa lutte contre l’extrême droite israélienne qui refuse tout accord politique ; toutefois, les États-Unis considèrent le camp des modérés comme problématique et surtout incapable d’apporter la stabilité dans la région. Les États-Unis estiment que le régime saoudien est une base de soutien pour le fondamentalisme islamique qui a nourri Ben Laden, alors que le régime égyptien est une caricature du régime de Moubarak, qui est arrivé au pouvoir suite à un coup d’Etat militaire et a abouti à une dictature féroce.
En revanche, les Etats-Unis voient les Frères musulmans comme une source d’influence modératrice sur l’extrémisme fondamentaliste musulman (représenté par la République islamique d’Iran et l’Etat islamique en Irak et au Levant, EEIL). Les États-Unis estiment que les Frères musulmans ont des racines profondes et une influence notable dans les sociétés arabes. Ils considèrent que, dans des circonstances normales, les Frères musulmans seraient prêts à jouer le jeu démocratique, comme les partis islamiques en Turquie et en Tunisie. Les Etats-Unis pensent que la politique du général al-Sisi et de son partenaire saoudien mène seulement à une impasse – à une instabilité politique permanente ; à la corruption et à l’oppression – et que le président égyptien ne parviendra pas à résoudre les problèmes économiques que connaît son pays.
La politique américaine est fondée sur la coopération avec les Frères musulmans. C’est ce qui explique le soutien américain au gouvernement palestinien d’union nationale, gouvernement contre lequel Netanyahou a lancé une bataille tous azimuts. Mais Netanyahou n’a pas de solution alternative face au Hamas ou à un gouvernement palestinien d’union nationale. Il craint un effondrement total du Hamas, parce que l’EEIL, soutenu par la maison des Saoud, est susceptible de combler le vide ; il cherche donc une issue qui ne le forcerait pas à faire des concessions de grande envergure.
Ainsi, ceux qui veulent renforcer Abou Mazen au détriment du Hamas, en soutenant l’initiative égyptienne, se retrouvent dans le même camp que Netanyahou. Seul le peuple palestinien peut renforcer Abou Mazen, mais plus Israël et la gauche sioniste le serrent dans leurs bras, plus le peuple palestinien le rejette. Dans le même temps, tous ceux qui veulent renforcer al-Sisi au détriment des Frères musulmans, comme le font de nombreux libéraux laïques en Egypte, apportent leur appui à un dictateur sanguinaire. Actuellement, l’Egypte négocie un accord intérimaire, connu sous le nom d’« initiative égyptienne modifiée ». Les Etats-Unis tentent de rassembler leurs partenaires querelleurs et de trouver un compromis entre l’Egypte et le Qatar. L’accord concocté pourrait ressembler à ceci : Abu Mazen obtiendrait le contrôle du passage de Rafah ; Hamas obtiendrait que le blocus soit partiellement levé ; al-Sisi gagnerait une certaine légitimité ; et Israël obtiendrait le calme désiré. En attendant, les habitants de la bande de Gaza souffrent la mort et la dévastation pour la troisième fois depuis que le Hamas a pris le contrôle du territoire. (...)