Sous prétexte de la mondialisation et de la crise (mais y-a-t-il vraiment une crise si grave pour les patrons ?), les capitalistes accélèrent les restructurations au prix de licenciements en cascade. Presque toujours, à l’image des salariés en Bretagne, les travailleurs réagissent avec hargne et détermination à ces coups frappés par la classe dominante. Mais leurs luttes n’aboutissent pas. Les licenciements passent avec quelques menus aménagements du genre promesses vaseuses de reclassements, de formations à n’en plus finir et, si ça va bien, un peu d’argent en plus pour solde de tout compte. La principale raison de ces échecs est simple à comprendre : les patrons frappent unis, de concert avec leur État, tandis que les travailleurs ripostent isolés. Divisés usine par usine, bureau par bureau, entrepôt par entrepôt, ils finissent par subir la curée.
Pendant ce temps, l’État, les organisations patronales et les syndicats entonnent en choeur les chants des lamentations tour à tour contre la désertification industrielle, la concurrence déloyale de l’étranger et la mondialisation. Tous, dans le camp des classes dominantes, en appellent à l’État tantôt pour qu’il fasse passer la pilule aux ouvriers touchés, tantôt pour qu’il se substitue aux entrepreneurs défaillants, tantôt pour qu’il fasse barrage par la loi aux vils assauts de l’étranger. Tous, sans distinction, s’acharnent à défendre les entreprises nationales et régionales, l’outil de production si cher aux syndicats et aux partis bourgeois de gauche, d’extrême-gauche comme de droite et d’extrême-droite.
Le plus souvent, les travailleurs licenciés tombent dans le panneau en s’accrochant aux machines et aux locaux à l’origine de leur défaite. Des machines et des locaux dont le capital ne veut plus. Pourtant, l’outil de travail, le moyen de l’exploitation d’antan, devient aux yeux des travailleurs touchés un bien précieux qu’il faut défendre à tout prix. Mais cette résistance s’avère dérisoire car, exactement comme eux, l’outil et le lieu de travail, deviennent surnuméraires, inutiles à la valorisation du capital. C’est pour cette raison et seulement pour cette raison que le capital s’en débarrasse pour miser sur des activités, des productions plus rentables. Et tant pis pour les ravages que cela provoque dans le tissu social. Défendre l’outil et le lieu de travail démantelés, tenter de retenir le capital qui s’envole ailleurs, revient à défendre un système qui licencie et jette dans la misère
Les travailleurs expulsés de l’agro-alimentaire breton ont été les derniers en date à tomber dans le piège mortel de l’unité des salariés licenciés avec ceux qui les ont virés. Les quatre cas les plus emblématiques le démontrent.
DOUX FAIT ÉCOLE DANS LA DÉFAITE Un signal avait été donné, en juin 2012, lors de l’annonce de la fermeture de plusieurs sites du volailler Doux suite à la cessation de payement. Pour relancer l’entreprise, le patron a abandonné le pôle « produits frais » (1 400 suppressions d’emploi) pour conserver le pôle « congélation » tout en accroissant la pression sur les producteurs (baisse drastique des prix d’achat). Jamais au cours de la lutte n’a été posée la question de mener des actions qui fassent mal au patron, comme bloquer notamment les sites qui ne fermaient pas. Les nombreuses manifestations traîne-savates (Châteaulin, Vannes, Plaucadeuc, Quimper), l’appel à l’État pour obtenir des financements, les discussions alternatives sur le choix des repreneurs (une grande spécialité syndicale qui ne marche jamais) se sont soldées par une défaite et une profonde démoralisation jusqu’au dernier projet de reprise par des capitaux saoudiens. Les syndicats ont obtenu un peu plus pour les licenciés, un point c’est tout. Pour les salariés expulsés de Pleucadeuc, dont la moyenne d’âge est de 53 ans, il va falloir cravacher pour retrouver un boulot.
TILLY SABCO : SOUTENIR LE PATRON ?
Basé à Guerlesquin dans le Finistère, comme Doux, ce groupe est spécialisé dans le poulet congelé spécialisé dans l’exportation au Moyen-Orient. La crise aviaire de 2006 l’entraîne dans le dépôt de bilan. Il est progressivement repris par l’un de ses cadres, Daniel Sauvaget. Mais, suite à l’arrêt des subventions européennes, en 2013, l’activité plonge de 40 %. Tilly-Sabco, c’est 335 salariés et 150 à 200 éleveurs qui fournissent l’abattoir. Le lundi 4 novembre, les ouvriers et les éleveurs se retrouvent devant l’usine de Guerlesquin pour une opération escargot jusqu’à la sous-préfecture de Morlaix. Le Sous-préfet accepte volontiers de recevoir une délégation de salariés menée par le PDG et les représentants syndicaux. Restés dehors, 200 ouvriers et éleveurs détruisent le portail à l’aide d’un tracteur et s’engouffrent dans la cour. L’action est dirigée par l’un des cadres de la boîte. Le 8 novembre, le ministre Le Foll annonce une aide d’urgence de 4 millions d’euros, principalement destinée à sauver le cheptel reproducteur. Le 22 novembre, la commission de Bruxelles annonce des aides pour la filière française exportatrice de poulets. L’entreprise est donc « sauvée » pour l’instant (la fermeture était prévue pour janvier 2014). Quel est le bilan côté ouvrier ? Le sursis obtenu est des plus précaires même si syndicats, patron et État se réjouissent de la « victoire ». Se plaçant d’emblée sur le terrain de l’unité entre exploités et exploiteurs, la lutte a surtout agi en soutien au nouveau patron face à l’État. Faut-il que la seule option que les ouvriers s’accordent dans ces cas soit celle de se ranger derrière tel ou tel patron ?
GAD : LE POISON DE LA GUERRE ENTRE TRAVAILLEURS
Le groupe GAD à Lampaul-Guimiliau (Finistère) est un spécialiste de l’abattage, de la découpe et de la transformation de viande de porc. Le site de Lampaul-Guimiliau intègre une unité de production de graisses alimentaires pour la fabrication de saindoux, de graisses d’os, de protéines animales transformées à destination des industries agro-alimentaires et d’alimentation pour animaux domestiques sur les marchés français et européen. Cette usine, qui emploie 850 salariés, est menacée de fermeture.
La grève avec occupation démarre le 11 octobre. Le blocage du site n’a eu aucun impact. Le patron s’en fout car il veut fermer boutique. Impuissants face à la décision de l’entreprise de se séparer d’eux, certains ouvriers de Lampaul-Guimiliau trouvent un bouc-émissaire facile à leurs malheurs sous la forme d’une centaine de Roumains (employés dans la grosse découpe) qui sont accusés d’accepter un salaire de 600 € par mois. Rumeur complètement fausse car ces derniers sont payés au SMIC. Le syndicat FO dirige le mouvement du début jusqu’à sa fin, le 31 octobre.
Prenant conscience de l’inefficacité du seul blocage de Lampaul-Guimiliau, le 22 octobre, les travailleurs en grève tentent d’étendre le mouvement à l’abattoir GAD de Josselin, dans le Morbihan. Sans préparation, entre les deux sites, par des initiatives adaptées de sensibilisation, l’action se solde par un nouvel échec marqué par des affrontements entre salariés des deux sites.
La tentative ratée de blocage de l’usine de Josselin montre que l’unité de combat entre ouvriers de différentes usines, y compris au sein de la même entreprise, n’est guère garantie d’emblée. Elle doit être préparée soigneusement et, même quand c’est le cas, ne peut se constituer sans frictions au sein même du camp des travailleurs. Les incidents de Josselin fourniront le prétexte au patron et aux syndicats pour clore la partie au plus vite. L’accord signé prévoit le doublement des primes de licenciement (400 euros par année d’ancienneté, plafonné à 25 ans), des primes de 2 000 euros jusqu’à trois ans d’ancienneté et de 2 200 euros ensuite (montant qui, malgré cela, reste dérisoire). Les journées de grève seront payées aussi. L’assemblée des salariés de Lampaul-Guimiliau approuve sans broncher le protocole d’accord. Cerise sur le maigre gâteau : 320 salariés sur les près de 900 visés échappent au licenciement … mais seulement pendant un an grâce aux financements publics.
MARINE-HARVEST : UNE « VICTOIRE » DE PLUS ?
L’usine Marine-Harvest de Poullaouen (près de Carhaix) est une unité de traitement du saumon. Après dix jours (du 4 au 13 novembre) de grève avec occupation dirigée par la CGT, les 287 salariés obtiennent 80 reclassements au lieu des 64 prévus initialement.
En revanche, les ateliers de production s’arrêteront comme prévu en mai 2014 tandis que l’activité logistique d’expédition cessera en décembre 2015. En échange de quelques concessions, le patron norvégien a obtenu une rapide reprise de travail nécessaire pour faire face à la grosse vague de commandes de la période de Noël. De son côté, la CGT, majoritaire dans l’usine, était pressée de conclure avant d’éventuels débordements. Encore une brillante victoire syndicale ? Pas vraiment. Nombreux dans les périodes de pic de production comme l’actuel, les intérimaires ont participé activement à la lutte mais ont été exclus des accords. Les concessions apparaissent attrayantes : prime de mobilité de 15 000 € ; prise en charge des frais de déménagement et de déplacement pour les salariés reclassés à Landivisiau ; indemnité supplémentaire (qui s’ajoute à l’indemnité conventionnelle) allant de 20 000€ à 94 000€ suivant l’ancienneté des licenciés.
Si ces montants servent à faire passer mieux la pilule, ils ne sont véritablement intéressants que pour les travailleurs proches de la retraite qui perdent ainsi leur emploi. Les autres touchent un joli pactole, certes, mais ils ont une vie de travail devant eux. Le travail ne court pas les rues aujourd’hui tandis que les crédits courent toujours et les charges de famille restent. Et les reclassés vont devoir faire face à des complications liées au déplacement géographique de leur nouveau lieu de travail, sis à près de 50 km de l’ancien. Ceci explique peut-être pourquoi environ une quarantaine d’ouvriers se sont ravisés et ont accusé la CGT de trahison. Ils ont rejoint le « Comité pour le maintien de l’emploi en Centre-Bretagne » qui revendique de « vivre, travailler et décider au pays ».
LES BONNETS ROUGES : LE FAUX-NEZ DES PATRONS ET DES AUTONOMISTES
Ce Comité dont les objectifs politiques rejoignent ceux des autonomistes/indépendantistes bretons, se propose de réunir les Bretons en tant que tels, toutes classes confondues contre le centralisme parisien. L’idée qu’il faille vivre, travailler et, surtout, décider au pays sous-tend qu’aux classes dominantes « étrangères » devraient se substituer celles du cru, censées être plus sensibles aux revendications des salariés. Les patrons d’ici seraient-ils différents de ceux d’ailleurs ? Mais d’où sont-ils originaires les Doux, les Pinault, les Bolloré et autres Leclerc ? Créé à Carhaix le 18 octobre 2013, à l’issue d’une assemblée de 600 personnes, le Comité pour le maintien de l’emploi en Centre Bretagne est la principale source inspiratrice des dits Bonnets rouges. Comme dans le Comité, chez les Bonnets, on retrouve des représentants du MEDEF local, de l’UDB, de Breizistance (extrême-gauche autonomiste) et de la FNSEA.
Les forces sociales qui se sont coagulées sous ces pittoresques couvre-chefs largement distribués gratuitement par la société Armorlux lors de la manifestation du 2 novembre à Quimper (le véritable lancement du mouvement), vont des petits patrons aux paysans de toutes extractions (les gros comme les petits), les artisans, les transporteurs, des secteurs ouvriers et autres usagers de la route. Leur premier objectif commun est la lutte contre l’écotaxe, décrite comme un péage imposé à la Bretagne par l’État jacobin centralisateur. Toute la panoplie de légendes bretonnantes a été ressortie pour l’occasion afin de donner de l’emphase à la protestation. Mais dès que l’écotaxe a été suspendue par le gouvernement, les trois principales organisations patronales ont quitté les Bonnets rouges, à savoir, le MEDEF local, le syndicat des transporteurs et « Produits de Bretagne ». Les travailleurs qui se raccrochent à ce char branlant se trouvent une nouvelle fois séparés de leurs autres frères de classe et manipulés par ces exploiteurs locaux et politiciens en mal de réélection.
LES SYNDICATS COURENT APRÈS LES BONNETS, SANS LES RATTRAPER
FO est le seul syndicat de salariés à avoir appelé à la manifestation des Bonnets Rouges à Quimper, le 2 novembre. Les autres centrales avaient appelé à se réunir le même jour à Carhaix. Ces dernières, toujours sans FO, arrimée aux Bonnets et au Comité, ont rempilé dans plusieurs villes bretonnes le 23 novembre. Objectif : opposer une alternative aux Bonnets et au Comité qui, le 30 novembre, veulent rééditer le succès de Quimper.
Mission ratée : le 2 novembre à Carhaix ils ne seront que 3 000 au plus sous les drapeaux de la CGT, de la FSU et de Solidaires ; le 23, ils ne seront que 5 000 à 7 000 à battre le pavé à l’appel de la CGT et de la CFDT.Les syndicats anti-Bonnets expliquent qu’ils ne veulent pas défiler avec les patrons. Explication qui ne trompe personne car ils sont toujours en première ligne quand il s’agit d’inciter les travailleurs à défendre les usines et les emplois, plutôt que leurs revenus y compris quand les patrons les licencient. Ce sont eux qui lient les revenus à l’emploi, qui font croire que, sans l’emploi, il n’y a pas de salut. Ce sont encore eux qui ont déclaré la mobilisation générale après avoir tenu isolé les dernières luttes contre les licenciements. Enfin, ce sont toujours eux qui appellent à se rassembler autour des usines en lutte au moment où les principaux conflits ont cessé.
POUR UNE ACTION OUVRIÈRE INDÉPENDANTE
Revenons au mot d’ordre de « vivre et travailler au pays » antichambre du régionalisme « vrai », voire de l’indépendance. Qui peut croire sérieusement, que le fait de décider au plus près changerait quoi que ce soit à la nature de ce petit État ou de cette région autonome ? Qui peut prétendre que les patrons bretons licencieraient moins que les autres ? Qui peut penser que les rapports capitalistes puissent disparaître miraculeusement une fois franchie la Vilaine ? Seuls peuvent y croire ceux qui aspirent à des bonnes places au chaud au sein de ce micro-État virtuel, pas les ouvriers qui sont licenciés par « leurs » patrons qu’ils soient bretons, français ou norvégiens.
Faut-il s’accrocher aux entreprises et défendre le vivre et travailler au pays ? Bien sûr, l’arrêt de l’usine, lieu de souffrance pour la plupart des travailleurs, c’est tout d’abord la perte de l’emploi et du revenu. Pourtant, c’est bien ce lien entre l’emploi et le revenu qu’il faut trancher par l’action collective et indépendante des salariés avec ou sans travail. Le véritable enjeu pour les prolétaires est de ne pas payer deux fois pour que le capital survive : la première par leur exploitation, la seconde par leur expulsion de la production et leur plongée dans la misère. Pour ce faire, il ne faut pas que les ouvriers en lutte contre les licenciements et les fermetures d’usines s’imaginent meilleurs gestionnaires que les patrons en proposant des alternatives sur le terrain du patron.
Il faut au contraire qu’ils affirment fièrement « C’est vous qui avez pris la décision, pas nous ; et donc nous n’avons pas à subir les conséquences de vos décisions. Que l’on ait un travail ou que vous l’ayez supprimé, nous exigeons notre paye, un point c’est tout. Jusqu’à quand ? C’est tout simple, jusqu’à la retraite. Et cela, on va vous l’imposer comme vous nous avez imposé un travail avant de le retirer. » Comment y parvenir ? Par une lutte d’ensemble de tous les prolétaires plongés dans la misère par le capital et son État. Une lutte capable de s’articuler dans les territoires pour prendre collectivement, par la force si nécessaire, ce qui sert pour vivre : ne plus payer les crédits aux banques ; ne plus payer transports, loyers, électricité, etc. ; aller se servir ensemble dans les supermarchés.
C’est la condition pour « vivre au pays » quand le travail s’en va. Il n’y a pas d’alternative réelle à ce type d’action collective et indépendante contre le capital et l’État. Les échecs des récents combats sont là pour le démontrer. Mais cela n’est possible que si le prolétariat est fort, capable d’imposer ses perspectives et son agenda comme aiment dire les patrons. Prouvant leur force et leur autonomie de toutes les autres classes de la société, les exploités en lutte deviendront une référence, un phare dans la nuit pour les travailleurs les plus isolés et les paysans pauvres, victimes à leur tour de l’exploitation capitaliste de la terre.
PRENDRE COLLECTIVEMENT CE QUI SERT POUR VIVRE
LUTTER POUR LE REVENU GARANTI
S’ORGANISER DE FACON INDÉPENDANTE POUR COMBATTRE LE CAPITAL ET L’ÉTAT
Mouvement Communiste/Kolektivně proti kapitálu, le 29 novembre 2013
Pour toute correspondance écrire, sans autre mention, à : BP 1666, Centre Monnaie 1000, Bruxelles 1, Belgique.
Consulter le site İnternet de Mouvement Communiste : www.mouvement-communiste.com