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2. Religion et politique (2) : L’offensive des théologiens, ecclésiastiques, dirigeants de communautés religieuses, etc.

vendredi 16 août 2013

Pour illustrer cette offensive religieuse tous azimuts, il peut être utile de rappeler quelques faits récents qui montrent à quel point politique et religion s’entremêlent, et pas simplement dans le monde dit « arabo-musulman », comme tentent de nous le faire croire les médias. C’est pourquoi la plupart des exemples présentés dans ce texte concerneront la religion chrétienne, non par peur d’offenser les croyances des musulmans, mais parce que ces interventions intempestives des religieux chrétiens sont très peu discutées.

Cette offensive prend évidemment des formes multiples et contradictoires, au sein d’une même religion ou d’une même Église. Si on veut la ranger par thème on pourrait distinguer par exemple :

* Le soutien à des régimes politiques considérés comme progressistes : c’est le cas des partisans de la théologie de la libération qui ont soutenu le Parti des travailleurs et ensuite le président Lula au Brésil (rappelons que Frei Beto, l’un des principaux théologiens de la libération était l’un des conseillers du président Lula). Les partisans de la théologie de la libération ont d’ailleurs soutenu aussi le colonel Chavez au Venezuela, militaire qui ne cessait de citer l’Évangile et de mettre en avant ses convictions religieuses, quitte à contredire le pape ou à réécrire les Évangiles à sa sauce. Ce type de soutien religieux à un régime politique aboutit généralement à une division, voire à une fracture profonde, au sein des Églises, comme c’est le cas au Venezuela et au Brésil où toute une partie de la hiérarchie catholique s’est opposée à Lula et à Chavez.

* L’opposition à une dictature : cela a été le cas d’une partie de l’Église catholique polonaise quand elle a soutenu le syndicat Solidarité. Ou le cas d’une fraction de l’Église anglicane sud-africaine dans la lutte contre l’apartheid.

* Le soutien à une dictature

Le national-catholicisme franquiste : En octobre 2007 « 498 martyrs des persécutions religieuses » pendant la guerre civile espagnole (1936-1939) ont été béatifiés à Rome. Cette béatification s’est déroulée deux jours avant le vote par le Parlement espagnol de la loi de réhabilitation des victimes du franquisme, loi qui a été combattue par la droite mais aussi par l’Église. Parmi ces martyrs canonisés ne figuraient ni les prêtres républicains fusillés par les franquistes au Pays Basque, ni les catholiques loyaux à la République fusillés par les « nationalistes » de Franco. On se trouve donc face à une tendance lourde du catholicisme espagnol qui a des conséquences très actuelles dans les luttes politiques. La conférence épiscopale espagnole n’a jamais condamné le franquisme ni le rôle de l’Église dans cette période sombre pour ce pays.

Cela n’a rien d’étonnant si l’on se souvient que l’Église catholique romaine a cherché systématiquement, pendant les années 1920 et 1930 à signer des concordats avec les régimes fascistes. Elle ratifia les accords du Latran avec Mussolini en 1929 et un concordat avec l’Allemagne en juillet 1933, quatre mois après que Hitler eut conquis les pleins pouvoirs et le droit de gouverner par décret. Et le concordat signé avec l’Espagne en 1953 légitima le national-catholicisme franquiste. En ce qui concerne l’Église catholique européenne, plus de 60 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, il n’y a pas encore eu de rupture radicale, de condamnation radicale de son passé collaborationniste avec les dictatures européennes.

L’apartheid sud-africain offre un autre exemple de soutien à une dictature abjecte : si elle a été mise en place officiellement en 1948 et abolie en 1991, cette mesure, prise au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, ne faisait que légaliser la ségrégation raciale qui avait été instaurée au XVIIe siècle en Afrique du Sud par des… protestants européens, y compris des huguenots français !

Puisque nous parlons des rapports entre politique et religion, rappelons qu’il a fallu attendre 1982 pour que l’Alliance réformée mondiale (qui regroupe les Églises protestantes de tous les pays) condamne l’apartheid comme une hérésie et suspende l’Église réformée néerlandaise sud-africaine de ses instances ; et il a fallu attendre1986 pour que l’Église catholique sud-africaine dénonce l’apartheid et ses fondements théologiques. Respectivement 5 ans et 9 ans seulement avant la fin de l’apartheid. Une prise de conscience beaucoup trop tardive…

L’apartheid avait en effet un fondement religieux, biblique, très clair, comme l’explique (avec réticence) Ariane Bozon dans un article publié par la revue Présence africaine en 1992. Elle cite une déclaration du Parti national, proche des groupes pronazis et antisémites avant la Seconde Guerre mondiale, et principal parti afrikaner. Et bien sûr ce parti en appelait à Dieu pour légitimer le système de « développement séparé » (en clair, l’apartheid) qu’il allait mettre en place en 1948 : « Dans l’obéissance à Dieu tout-puissant, et à Sa Parole, le peuple afrikaner reconnaît sa vocation nationale, manifestée dans l’histoire des Voortrekkers qui est de développer l’Afrique du Sud dans un sens chrétien ». « En apparence (écrit Ariane Bozon), l’idée qui anime alors les fondateurs de l’apartheid s’inscrivait dans la droite ligne de la “mission tutélaire” que se serait vue confier la race blanche élue par Dieu. » Cette prétendue « apparence » de fondement religieux au racisme a été utilisée par les catholiques et les protestants, en Amérique du Sud comme en Amérique du Nord, pendant plusieurs siècles, et n’a donc rien de spécifiquement sud-africain.

L’Église réformée néerlandaise sud-africaine et l’Église internationale pentecôtiste (dont faisait partie la femme de Frederik De Klerk, président du Parti national et dernier président blanc de l’Afrique du Sud) soutinrent le régime raciste jusqu’au bout.

Quant aux protestants français, leurs représentants officiels, notamment la Fédération protestante de France, furent très timorés et ne s’engagèrent dans une campagne contre les livraisons d’armes ou le boycott de l’Afrique du Sud qu’au milieu des années 1980 !

* L’encouragement au développement d’un nouveau nationalisme. C’est le cas de l’Église gréco-catholique ukrainienne qui organise chaque année une marche jusqu’à la cathédrale Notre-Dame-de-Paris, puis une messe accompagnée de témoignages, pour faire reconnaître le génocide (Holodomor) organisé par le régime stalinien en 1933. En effet, à l’époque, devant la résistance des paysans ukrainiens contre la collectivisation des terres, le pouvoir soviétique opéra des réquisitions de masse qui provoquèrent une famine qui tua entre 4 et 10 millions de personnes, selon les estimations. Non seulement l’Église gréco-catholique ukrainienne se mobilise régulièrement sur ce thème du génocide en l’instrumentalisant à des fins nationalistes, mais elle célèbre chaque année la résistance de Simon Petlioura en Ukraine contre les bolcheviks en 1919. Ce même Petlioura qui ferma les yeux devant les pogromes antisémites organisés par ses troupes, pogromes qui firent aux alentours de 20 000 victimes. Les gréco-catholiques ukrainiens organisèrent même une cérémonie devant la flamme du Soldat Inconnu sur les Champs-Elysées en novembre 2003.

La religion gréco-catholique sert ici de ciment national au patriotisme ukrainien, et tente de donner quelques couleurs à ce cadavre idéologique qu’est le nationalisme…

* La justification d’opérations coloniales ; il y a quelques années, en Israël, un débat a eu lieu à la Knesset, au Parlement, pour savoir si on n’allait pas redonner aux Palestiniens une partie des terres en fonction d’une vieille loi religieuse. Mais en même temps les colons d’extrême droite invoquent d’autres textes hébraïques pour exproprier totalement les Palestiniens de leurs terres.

* La tentative de recréer une union nationale difficile à réaliser dans des pays déchirés par des conflits confessionnels et politiques. Pour l’illustrer, on peut citer deux exemples pris au Liban :

– Au Liban, lors des élections présidentielles de 2007, les partis politiques, suite à une proposition de la France, ont fait appel au cardinal Sfeir, le patriarche (chrétien) maronite, pour dresser une liste de candidats et obliger les différentes forces à se mettre d’accord sur un ensemble de noms.

– Au Liban encore, a été instauré un culte de la Vierge de Bechouate, village de la plaine de la Bekaa, culte organisé par les chrétiens maronites, mais soutenu par les musulmans. Apparu dans un petit village chrétien entièrement contrôlé politiquement par l’extrême droite chrétienne (les Forces libanaises soutenues financièrement par Israël pendant la guerre civile de 1975 à 1990, et dirigées notamment par Samir Geagea) ce culte a été pris en main par un évêque. Celui-ci s’est démené pour que ce pèlerinage attire un million de chrétiens et de musulmans entre août 2004 et janvier 2006 et devienne à la fois un modèle du dialogue islamo-chrétien prôné par Jean-Paul II et surtout un outil du culte pour l’unité nationale, rassemblant toutes les communautés du Liban, autour du drapeau national.

* L’utilisation de l’antijudaïsme musulman dans un sens antisémite et nationaliste.

En Algérie, en novembre 2007, quand le ministre algérien Mohamed Chérif Abbès a tenu des propos antisémites contre Sarkozy, il a été approuvé par le Conseil des oulémas, structure censée regrouper les plus savants interprètes du Coran. « Vous connaissez les origines du président français et les parties qui l’ont amené au pouvoir, a déclaré ce ministre. Saviez-vous que les autorités israéliennes avaient mis en circulation un timbre à l’effigie de Nicolas Sarkozy, en pleine campagne électorale ? Le gouvernement d’ouverture que dirige M. Sarkozy, qui a vu plusieurs personnalités de gauche rejoindre un gouvernement de droite soulève plusieurs interrogations comme pourquoi Bernard Kouchner a décidé de sauter le pas, cela ne s’est pas fait pour des croyances personnelles. Ceci était le résultat d’un mouvement qui reflète l’avis des véritables architectes de l’arrivée de Sarkozy au pouvoir, le lobby juif qui a le monopole de l’industrie en France. » Quand le Conseil des oulémas, haute autorité religieuse, soutient les propos antisémites d’un ministre, on se trouve face à un parfait exemple de mariage incestueux entre le politique et le religieux, au service du nationalisme, et en plus de l’antisémitisme.

* La tentative de se blanchir après un long silence vis-à-vis du crime organisé, en récupérant un mouvement en faveur des victimes assassinées par la Mafia.

L’attitude de l’Église catholique face à Cosa Nostra en Sicile est à cet égard exemplaire. Comme l’explique John Dickie, dans Cosa Nostra, l’histoire de la Mafia Sicilienne (Buchet-Chastel, 2007), les prêtres ont sous-estimé l’influence de Cosa Nostra parce qu’elle défendait les mêmes valeurs que l’Église : la déférence, l’humilité, la tradition et la famille. Ils ont accepté les donations des mafieux pour financer leurs processions et leurs œuvres de charité. Ils ont accepté que des responsables du crime organisé administrent des œuvres de bienfaisance, etc.

L’Église catholique italienne a opéré un tournant spectaculaire quand des juges antimafia, dont la plupart étaient de fervents catholiques, ont été assassinés en 1992 et 1993 : Falcone, Morvello, Borselino, Livatino, etc. En effet, ces meurtres et attentats comme celui, spectaculaire, contre le juge Falcone et sa femme, elle aussi magistrate, ont incité de nombreux catholiques à s’engager politiquement à la fois contre la Démocratie chrétienne, soutien de Cosa Nostra en Sicile, et contre les assassins eux-mêmes. Un véritable culte populaire est né autour d’un arbre planté en face de la résidence du juge Falcone. Des milliers de petits messages, des fruits, des bijoux, furent déposés et continuent à être déposés au pied de cet arbre. Le pape se décida alors à se rendre en Sicile en mai 1993 et à dénoncer enfin plus explicitement la Mafia : « Dieu a dit : ne tue pas ! L’homme, n’importe quelle association humanitaire ou la mafia ne peuvent pas piétiner ce droit sacré de Dieu. Au nom de ce Christ ressuscité et resurgi, de ce Christ qui est la vie, je m’adresse aux responsables : convertissez-vous. Pour l’amour de Dieu, mafieux, convertissez-vous. Un jour viendra le Jugement divin, et vous devrez rendre compte de vos méfaits. »

La machine de propagande de l’Église catholique, « jusque-là tiède si ce n’est complice envers la mafia » (Deborah Puccio-Den, Terrain n° 51) se mit alors en marche. « Prêtres, évêques et cardinaux affirment désormais (c’est moi qui souligne, Y.C.) l’incompatibilité absolue entre l’Évangile et l’association mafieuse, déjà définie comme une “structure du péché” par le pape lors de son pèlerinage à la Verna, manière de répondre aussi aux intellectuels catholiques qui, dans une lettre au Giornale di Sicilia (7 mai 1993), avaient dénoncé publiquement “le scandaleux entrelacs entre représentants de l’Église catholique et émissaires du pouvoir mafieux, à travers l’inquiétante médiation des politiciens”. Dès lors, la lutte contre la mafia peut devenir “un véritable lieu théologique où l’Église se reconnaît et réalise sa mission” » (D. Puccio-Den, idem). Les procès en béatification de plusieurs prêtres ou juges assassinés commencèrent ; on mobilisa même les arguments des théologiens de la libération (qui ne sont pas habituellement en odeur de sainteté au Vatican) pour justifier de telles démarches. Et bien sûr l’Église chercha à contacter les assassins de ces juges en prison, pour en faire des repentis vertueux, et prouver le pouvoir de la foi et l’efficacité de l’Église....

* Le refus de respecter la séparation entre l’Église et l’État au nom de la tradition et de la culture : rappelons qu’en Italie l’Église catholique a mené pendant des années une campagne pour le maintien des crucifix dans les églises et les tribunaux, combat qui s’est traduit par deux décisions contradictoires de la Cour européenne des droits de l’homme. Malheureusement la CEDH a fini par céder et entériner la position de l’Église catholique. Dans son inimitable langue de bois, elle a tranché en faveur du Vatican, et déclaré : « en décidant de maintenir les crucifix dans les salles de classes (…), les autorités ont agi dans les limites de la latitude dont dispose l’Italie dans le cadre de son obligation de respecter le droit des parents d’assurer cette instruction conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques ». Derrière ce charabia, on voit bien ce qui est en jeu : l’imposition de signes religieux à des enfants dans les écoles publiques, la légitimation de l’obscurantisme religieux au nom de la « liberté des convictions » et le refus de la neutralité de l’enseignement.

Rappelons que le dernier accord concordataire signé en 1984 entre l’Italie et le Vatican s’il ne reconnaît plus le catholicisme comme religion d’État, « établit que la République continuera à assurer l’enseignement de la religion catholique dans les écoles publiques (…) enseignement donné par des professeurs reconnus aptes par l’autorité ecclésiastique (…) et que les principes du catholicisme font partie du patrimoine historique du peuple italien ». Que diable d’autre le Pape peut-il demander ?

La situation n’est guère meilleure en Grèce où « l’État grec assure l’éducation religieuse dans l’enseignement primaire et secondaire ; il prend en charge la formation et la rémunération des cadres de l’Église orthodoxe (...) et contrôle la nomination des prélats (…) les cours d’enseignement religieux sont inscrits au programme de l’ensemble des écoles » (J. Palard, in Pôle Sud, n° 17, p, 32)

* La volonté poussée jusqu’au ridicule de contrôler le moindre détail de la vie scolaire.

Inculpée pour « atteinte à l’islam et sédition », Gillian Gibbons, une institutrice, a été arrêtée à Khartoum, au Soudan, en novembre 2007. Elle risquait quarante coups de fouet, six mois à un an de prison et une amende. Quel crime avait-elle commis ? Cette institutrice britannique avait baptisé une peluche, un nounours, « Muhammad », ou laissé ses élèves âgés de 6 à 7 ans baptiser la peluche du nom du prophète de l’islam, l’affaire n’est pas claire. Toujours est-il qu’elle fut d’abord condamnée à quinze jours de prison puis, après une campagne internationale en sa faveur, finalement graciée par le président Omar El Béchir. À son retour du Soudan, elle déclara : « J’ai un grand respect pour la religion musulmane et je n’aurais jamais offensé quiconque en connaissance de cause. » Où l’on voit que le ridicule ne tue… ni le président El Béchir ni Mme Gibbons, et qu’en plus les victimes de l’intolérance religieuse se sentent coupables ! C’est dire le pouvoir d’influence néfaste des religions sur la faculté de raisonner de leurs victimes.

* La volonté de réglementer les mœurs de tous, croyants ou non-croyants

– En France, en février 2007, dans un texte commun intitulé « Le mariage, c’est l’union d’un homme et d’une femme », les représentants des cultes catholique, musulman, juif, orthodoxe, protestant et arménien de la région lyonnaise ont appelé à ne pas « brouiller ce repère fondateur de l’humanité » qu’est le mariage. Ils voulaient ainsi prendre position contre le mariage homosexuel et ils ont affirmé : « Il ne s’agit pas là d’un simple débat de société mais d’un choix majeur, sans précédent dans l’histoire de l’humanité. Ce n’est pas un cadeau à faire aux générations futures (…). Une institution aussi essentielle [que le mariage] ne peut pas être soumise aux fluctuations des courants de pensée. Elle se situe bien au-delà des différences religieuses et des clivages idéologiques (….) il y a mensonge a prétendre qu’il est indifférent pour un enfant de grandir ou non avec un père et une mère ».

Ce type d’initiative illustre bien l’offensive concertée des religions pour envahir l’espace public, exercer des pressions sur les électeurs et les partis politiques, et se poser abusivement en autorités morales. Toutes les manifestations et prises de positions en 2013, en France, contre le mariage des homosexuels n’ont fait que renforcer cette situation.

Pour ce qui concerne l’Église catholique, vu le nombre impressionnant de prêtres compromis dans des affaires de pédophilie, on a du mal à comprendre comment cette institution peut encore oser donner des leçons de morale.

* L’investissement du terrain de la lutte écologique

Le documentaire d’Al Gore qui a connu une diffusion mondiale est exemplaire à cet égard. À ma connaissance, dans les milieux « de gauche » ou altermondialistes, personne n’a souligné que Al Gore non seulement est un protestant militant mais qu’il a particulièrement réfléchi aux techniques de propagande religieuse. La presse dite de gauche a chanté les louanges de son film en « oubliant » son contenu religieux. Comme l’explique Susan Harding dans la revue Terrain n° 51, p. 37, même si ce film est un « exemple de l’apocalyptisme environnemental laïque, il n’en possède pas moins une forme et un ton nettement évangéliques. (…) Al Gore, pratiquant depuis toujours, ayant étudié dans une école de théologie, prêche une “jérémiade américaine”, un sermon politique protestant qui déplore qu’un “peuple soit tombé dans les chemins du péché et coure à sa ruine à moins qu’il ne se réforme rapidement” (Morone, 2003). L’apocalypse est imminente, mais pas inévitable. Elle peut être prévenue par l’action de l’homme, à condition d’agir rapidement. Une jérémiade consiste toujours en un message que les gens ne veulent pas entendre, aussi la vie de prêcheur-prophète est-elle rude. (…) Al Gore est le premier à s’opposer efficacement à ces jérémiades de la droite religieuse, le premier à ne pas se contenter de les critiquer, et de les contredire ».

* La lutte contre le féminisme

En juillet 2004, dans une « Lettre aux évêques de l’Église catholique sur la collaboration des hommes et des femmes dans l’Église et dans le monde, le Vatican a dénoncé le féminisme, la guerre des sexes et l’homosexualité. Devinez qui avait rédigé ce document de 37 pages ? Le cardinal Joseph Ratzinger, le futur Benoît XVI, pape de 2005 à 2013 ! Cette lettre fut à l’époque approuvée par le pape Jean-Paul II. Voici ce qu’elle disait :

« Ces dernières années, on a vu s’affirmer des tendances nouvelles pour affronter la question de la femme. Une première tendance souligne fortement la condition de subordination de la femme, dans le but de susciter une attitude de contestation. La femme, pour être elle-même, s’érige en rival de l’homme. Aux abus de pouvoir, elle répond par une stratégie de recherche du pouvoir. Ce processus conduit à une rivalité entre les sexes, dans laquelle l’identité et le rôle de l’un se réalisent aux dépens de l’autre, avec pour résultat d’introduire dans l’anthropologie une confusion délétère, dont les conséquences les plus immédiates et les plus néfastes se retrouvent dans la structure de la famille. »

Le fait que de plus en plus de femmes contestent la domination masculine, refusent d’occuper les postes subalternes et les moins qualifiés, ne veulent plus être ni les potiches ni les boniches des mâles, est assimilé à une simple rivalité, une jalousie par rapport au pouvoir. Plus grave, l’égalité que réclament les femmes ruinerait… la famille. Mais continuons cette lecture édifiante :

« Une deuxième tendance apparaît dans le sillage de la première. Pour éviter toute suprématie de l’un ou l’autre sexe, on tend à gommer leurs différences, considérées comme de simples effets d’un conditionnement historique et culturel. Dans ce nivelage, la différence corporelle, appelée sexe, est minimisée, tandis que la dimension purement culturelle, appelée genre, est soulignée au maximum et considérée comme primordiale. L’occultation de la différence ou de la dualité des sexes a des conséquences énormes à divers niveaux. Une telle anthropologie, qui entendait favoriser des visées égalitaires pour la femme en la libérant de tout déterminisme biologique, a inspiré en réalité des idéologies qui promeuvent par exemple la mise en question de la famille, de par nature biparentale, c’est-à-dire composée d’un père et d’une mère, ainsi que la mise sur le même plan de l’homosexualité et de l’hétérosexualité, un modèle nouveau de sexualité polymorphe. »

Conscient que sa charge contre les aspirations égalitaires des femmes n’est guère convaincante, Ratzinger et ses potes s’attaquent à la remise en cause des rôles sociaux qu’occupent les hommes et les femmes. Certes, toutes les réflexions théoriques nouvelles qu’ont pu produire les féministes ne sont pas du même intérêt. Mais, dans ce texte, pour en nier l’importance, le futur pape, comme tout bon réactionnaire s’appuie sur le bon sens (biologiquement un homme n’est pas une femme), ce même bon sens qui a permis aux hommes pendant des siècles d’affirmer qu’il était « naturel » que les femmes s’occupent de toutes les tâches domestiques, y compris l’éducation des enfants. Et pour compléter le tableau, Ratzinger s’attaque aux couples homosexuels qui veulent éduquer des enfants.

« [Cette deuxième tendance] renforce tout d’abord l’idée que la libération de la femme implique une critique des Saintes Écritures, qui véhiculeraient une conception patriarcale de Dieu, entretenue par une culture essentiellement machiste. En deuxième lieu, cette tendance considérerait comme sans importance et sans influence le fait que le Fils de Dieu ait assumé la nature humaine dans sa forme masculine. »

Cette lettre fut rédigée en 2004 par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, dirigée par le cardinal Joseph Ratzinger de 1981 à 2005, et héritière de la Sacrée congrégation de l’Inquisition romaine et universelle fondée par le pape en1542, pour lutter contre les hérésies. La fonction de cette institution est de condamner toute idée ou toute théorie qui ne respecte pas les conceptions réactionnaires du Vatican (en langue de bois : « promouvoir et protéger la doctrine et les mœurs conformes à la foi dans tout le monde catholique »).

Les critiques exprimées par cette Inquisition new look ont au moins une utilité : elles montrent que l’Église catholique est sur la défensive, que finalement le pape et ses cardinaux sont bien conscients de la justesse des critiques féministes. Et, comme tous les religieux et tous les réactionnaires, ils ne peuvent se défendre qu’en rappelant avec des trémolos dans la voix « le rôle irremplaçable de la femme à tous les niveaux de la vie familiale et sociale », et « le génie féminin ».

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Les hypothèses fécondes d’Olivier Todd et Youssef Courbage dans Le rendez-vous des civilisations (Seuil, 2007)

Dans cet ouvrage, les auteurs essaient d’apporter un regard dépassionné sur la question du « retour du religieux » dans le monde, notamment dans les pays « musulmans ».

Prenant de la distance vis-à-vis des simplifications médiatiques, ils avancent une série d’hypothèses passionnantes liant, d’un côté, alphabétisation des hommes et des femmes, baisse de la fécondité, progression de la contraception, remise en cause des structures familiales (notamment de l’endogamie et des mariages entre cousins ; mais aussi de la polygamie et de l’infanticide des filles), et, de l’autre, déclin du religieux et ce qu’ils appellent des « crises de transition ».

On peut bien sûr trouver ce lien entre fécondité, alphabétisation et religion un peu mécanique et signaler de nombreuses exceptions, qu’évoquent d’ailleurs les auteurs. Par exemple, les États-Unis combinent ferveur religieuse, alphabétisation de masse et fécondité modérée (2 enfants par femme, soit 50% de plus qu’en Europe ou au Japon). Il en est de même dans le Kerala (en Inde), État fortement alphabétisé et à majorité hindoue et catholique, où la fécondité moyenne a atteint moins de deux enfants par femme sans que diminue l’influence de la religion.

Pour résumer à grands traits leurs hypothèses en ce qui concerne les sociétés dites « musulmanes », Todd et Courbage considèrent qu’elles traversent une profonde crise de transition ; l’islamisme ne serait qu’un phénomène passager (ce moment « passager » pouvant quand même se mesurer en quelques dizaines d’années…) et la « désislamisation » est, selon eux, tout aussi inéluctable que la « déchristianisation » et la « débouddhisation » qu’ont connues l’Europe et l’Asie.

La force de ces hypothèses est qu’elles ne cantonnent pas l’islam, et les sociétés ou les peuples fortement imprégnés par son influence, dans une seule zone d’inintelligibilité. Selon nos démographes, il n’y a pas d’exception musulmane, à l’échelle historique s’entend, même si les structures familiales des pays dits « musulmans » sont différentes de celles des pays européens, notamment de la France.

On peut cependant éprouver un certain scepticisme devant leur tableau idyllique de la famille arabo-musulmane, qu’ils qualifient de « protectrice », « aimante », etc., où le père n’aurait qu’un « pouvoir symbolique ». Ses qualités pourraient s’appliquer à n’importe quelle famille religieuse ou athée, dans n’importe quel pays. Todd et Courbage n’intègrent visiblement pas dans leur théorie les luttes et les analyses des féministes égyptiennes ou iraniennes depuis des décennies, ni celles plus récentes des femmes en Jordanie, en Palestine ou au Pakistan. Les auteurs vont même jusqu’à expliquer que les conditions draconiennes du code civil iranien ne sont pas appliquées, ce que démentent de nombreuses autres sources !

Néanmoins leurs hypothèses ont le grand avantage de nous faire considérer l’humanité dans son ensemble, et de ne pas la segmenter en « civilisations » ou en « cultures » totalement imperméables les unes aux autres et surtout incapables de coexister sans que l’une domine, assimile ou détruise complètement les autres.

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Ce texte en cinq parties

1. Religion et politique les quatre cavaliers de l’obscurantisme : introduction http://www.mondialisme.org/spip.php...

2. L’offensive tous azimuts des théologiens, ecclésiastiques.

3. L’offensive des États.

4. L’offensive des intellectuels théocompatibles.

5. L’offensive des humanitaires

développe et précise le contenu de deux interventions : l’une à la librairie La Gryffe de Lyon le 8 décembre 2007 lors d’un débat animé par Daniel Colson ; l’autre devant les étudiantes et les étudiants de l’École ouvrière supérieure (une école de travailleurs sociaux, kinésithérapeutes, infirmières, etc.) à Bruxelles le 30 avril 2011.

Y.C., Ni patrie ni frontières

A suivre...

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