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Le Parti des travailleurs et l’Europe

samedi 13 juillet 2013

Ce texte de Karim fut écrit pour la revue Ni patrie ni frontières et à l’occasion d’une réunion internationale de discussion entre des militants polonais, anglais et français, le 18 juin 2005, à laquelle il participa une semaine avant sa mort. Il visait à expliquer les positions du PT à des camarades qui ne les connaissaient pas forcément plus qu’à les critiquer , et fait partie d’un livre De l’OCI au Parti des travailleurs qui sera réédité par NPNF au mois de juillet 2013. (Y.C.).

Le Parti des travailleurs et l’Europe

« Celui qui ne sait pas défendre de vieilles conquêtes n’en fera jamais de nouvelles. La formule de Trotsky s’applique à chacune des conquêtes arrachées par la classe ouvrière. Au-delà, elle vaut pour la question, plus générale, de la démocratie. La classe ouvrière défend intégralement et sans réserve la démocratie et toutes les conquêtes qui s’y rattachent. L’objectif de la lutte des classes est, rappelons-le, d’arracher la propriété privée des moyens de production des mains du petit groupe de spéculateurs, profiteurs, exploiteurs et capitalistes qui la monopolisent. [...] La classe ouvrière ne peut réaliser cette tâche si elle renonce aux garanties et conquêtes arrachées par les étapes précédentes de la lutte de classe, au premier rang desquelles : la démocratie » (Daniel Gluckstein, Itinéraires, p. 197).

1/ L’Europe, c’est la déréglementation

Les XIXe et XXe siècles ont vu la classe ouvrière conquérir un certain nombre de droits politiques et sociaux. Or, ceux-ci sont de plus en plus contestés : remise en cause des conventions collectives, diminution des services publics et privatisations, rentabilisation de la Sécurité sociale et de la santé, remises en cause de la laïcité et de l’égalité des citoyens. Pour le Parti des travailleurs (PT), la situation actuelle de la France s’inscrit dans la continuité depuis le « tournant de la rigueur » de 1983.

« Tout salarié, en France, bénéficie de droits collectifs. Inscrits dans le Code du travail, les statuts, les conventions collectives, les accords de branche, et régis par le principe de faveur, ces droits résultent des rapports de force établis par la lutte collective des travailleurs [...] depuis un quart de siècle, tous ces droits sont sapés et remis en cause par les gouvernements successifs appliquant les politiques du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale, relayées par l’Union européenne » (Informations Ouvrières, éditorial du n° 669, 2 décembre 2004).

Ce qui caractériserait, en effet, la politique de ces vingt, vingt-cinq dernières années, depuis 1983 en passant par le tournant de Maastricht en 1992, c’est le rôle déterminant du contexte européen. « En parfaite continuité, tous les gouvernements, depuis 1983, ont appliqué la même politique imposée par la Banque centrale européenne et la Commission européenne » (Angelo Geddo, « Serrez-vous la ceinture », Informations Ouvrières, n° 675, 20 janvier 2005, p. 10). En effet, écrit Roger Sandri en 1999 : « actuellement, 70% des textes et règlements nationaux procèdent des directives imposées par les institutions de l’Union européenne et, en premier lieu, de la Commission des communautés européennes. Ainsi, les Parlements nationaux sont désormais conduits à voter, près de trois fois sur quatre, des textes qu’ils n’ont ni proposés, ni élaborés, ni discutés » (Roger Sandri, « Face au néo-totalitarisme », Entente internationale des travailleurs et des peuples, 1999, p. 41).

Et c’est ainsi qu’Informations Ouvrières, le journal du Parti des travailleurs, peut conclure : « Vingt-deux ans d’alternance, c’est-à-dire d’application continue des politiques destructrices décidées à Bruxelles » (Informations Ouvrières, éditorial du n° 694, 2 juin 2005). On peut dès lors comprendre pourquoi, pour le Parti des travailleurs, politique nationale et politique européenne ne requièrent pas deux niveaux d’analyse et d’action. A propos de l’« euroloi » Fillon, qui, selon le parti, sacrifierait des disciplines entières, réduirait massivement les heures d’enseignement, viderait de leur substance les diplômes nationaux, en particulier le baccalauréat, et livrerait la jeunesse à l’exploitation patronale, le Parti des travailleurs écrit : « Qu’il « réforme » les retraites, le Code du travail ou l’Ecole, le ministre Fillon obéit au même donneur d’ordres : l’Union européenne, ses directives et son projet de traité constitutionnel » (Hubert Raguin, « Comment sauver l’Ecole publique du démantèlement programmé par l’« euroloi » du ministre Fillon ? », Informations Ouvrières, n° 675, 20 janvier 2005, p. 8).

Il peut dire encore : « Ils annoncent 8000 suppressions d’emplois à France Télécom, 3900 à la SNCF. Responsable : l’Union européenne. Qui peut dire le contraire ? » (Informations Ouvrières, n° 677, 3 février 2005, page de couverture.) Certes, il ne s’ensuivrait pas que les dirigeants nationaux n’auraient aucune responsabilité à assumer, car « aucune mesure de l’Union européenne n’aurait pu être élaborée sans la participation des dirigeants » (Rapport introductif de D. Gluckstein au XIIIe congrès du Parti des travailleurs – 28, 29 et 30 janvier 2005 –, Informations Ouvrières, n° 677, 3 février 2005, p. 7) mais il s’agirait de comprendre que l’Union européenne représente la mise en place d’un nouvel ordre politique fondamentalement anti-démocratique, même si, il faut le signaler, l’Europe, pour les lambertistes, « a constitué et constitue un instrument de l’impérialisme nord-américain ». Pour eux, en effet, « on peut désigner l’OTAN, d’une part, l’euro, d’autre part, comme les deux instruments de l’ordre impérialiste mondial, dominé par le capital financier des Etats-Unis » (« Rapport sur la situation mondiale et les tâches de la Quatrième Internationale », in La Vérité, n° 630, mai 1999, p. 43).

2/ L’Europe, c’est le néo-totalitarisme

Parallèlement, pour le Parti des travailleurs comme pour quelques organisations qui lui sont proches, et notamment la Libre Pensée, la construction européenne représente en effet la mise en place d’un ordre néo-totalitaire, inspiré de la doctrine sociale de l’Eglise, dont la caractéristique, qui le rapprocherait du fascisme, serait son essence corporatiste. « Ce néo-totalitarisme est l’antithèse de la démocratie politique et représentative, au sens où il exige la récupération et l’intégration des forces économiques et sociales composantes de la société civile dans les structures politiques, vers un organicisme total et global, effaçant toute séparation entre l’individu et le citoyen fondus en une seule et même personne dans le communautarisme d’un Etat total » (Roger Sandri, op. cit., p. 142).

A l’instar de la Charte du travail pétainiste, et suivant le principe de subsidiarité, inspirateur de l’Italie fasciste et du Portugal salazarien, l’intégration des organisations professionnelles via la Confédération Européenne des Syndicats (CES) représenterait un enjeu particulièrement important.

La question de la démocratie est à l’ordre du jour depuis longtemps : « A l’époque de l’impérialisme décomposé, toutes les formes de la démocratie sont remises en cause, notamment : la liberté d’expression, de réunion, d’information indépendante, la liberté absolue de conscience, par la stricte séparation de l’Eglise et de l’Etat, l’existence même des syndicats ouvriers indépendants indissociable de la démocratie. (…) C’est pourquoi la IVe Internationale, loin de repousser les revendications démocratiques, les inscrit dans l’action d’ensemble d’émancipation de la classe ouvrière (…). La démocratie est le cadre le plus favorable à l’organisation indépendante de la classe ouvrière » (Manifeste du IVe congrès mondial de la Quatrième Internationale, 27 mars – 2 avril 1999, in La Vérité, n° 24, mai 1999, p. 25).

Indissociable de celle des acquis sociaux, et au centre de la réflexion européenne du Parti des travailleurs, la démocratie, pour ce dernier, s’incarne dans le cadre républicain, lié à la grande Révolution de 1789. « Le suffrage universel ne contient pas à lui seul toute la démocratie. Pour répondre aux exigences qui sont celles de millions, et qui seront contenues dans le vote non, nous le savons, il va falloir se battre. Il va falloir se battre pour reconquérir tout ce qui a été perdu. Il va falloir se battre pour reconquérir les droits remis en cause. Nous voulons, nous, que ce 29 mai ouvre une étape nouvelle de la reconquête de la démocratie et des droits. Et la démocratie, outre le suffrage universel, c’est la liberté de s’organiser. C’est la liberté de s’organiser au plan syndical. Et c’est la liberté de s’organiser en parti politique » (Informations Ouvrières, éditorial du n° 693, 26 mai 2005). Dès lors, tout en défendant l’indépendance syndicale et politique, il s’agirait de lutter contre la remise en cause de toutes les conquêtes de la révolution que sont la démocratie communale, dont le Parti des travailleurs fait l’éloge et qui est incarnée dans l’existence des 36 000 communes françaises, mise en péril par l’intercommunalité forcée ; de défendre également l’existence des départements face à « l’Europe des régions », qui représenterait un retour aux pagi de l’Ancien Régime.

Pour le Parti des travailleurs, la construction européenne, c’est bien la révolution française à l’envers. « La République est en danger. La République une et indivisible, celle que nous a léguée la Révolution de 1789, celle qui a érigé l’égalité des citoyens en principe de gouvernement où que ses citoyens se trouvent sur le territoire national, celle qui s’incarne dans l’existence de la démocratie communale et dans l’existence de syndicats indépendants et de partis politiques, notre République est menacée » (Serment de la place de la République, Comité national pour le non, adopté le 22 janvier 2005.) Or, il semble que pour le Parti des travailleurs, cette révolution ait deux significations contradictoires : d’une part, selon la position marxiste traditionnelle, il s’agit d’une transition historique, positive et fondamentale, entre deux modes de production, d’une transition également porteuse de conquêtes politiques ; mais d’autre part il semblerait que la Révolution française soit également perçue comme un événement fondateur d’un régime politique, la République, qui acquiert de plus en plus dans l’idéologie du Parti des travailleurs une valeur en soi. Ce dernier tente le difficile exercice de continuer à dénoncer la Cinquième République, celle du « coup d’Etat permanent », tout en défendant le caractère démocratique de ses institutions : Assemblée nationale, cantons, communes, etc.

3/ République, nation : des mots d’ordre plus qu’ambigus

En réalité, il semble de plus en plus que, pour le Parti des travailleurs, la lutte des classes et les perspectives socialistes, pour peu qu’elles soient présentes, s’inscrivent dans le cadre d’un combat manichéen entre le bien et le mal, entre la République et l’Europe. Cela se traduit notamment par un certain nombre d’ambiguïtés autour des notions de république et de nation, dont on peut se demander si elles sont des revendications transitoires ou définitives.

A la manifestation du 22 janvier 2005, Daniel Gluckstein déclare : « Aujourd’hui, en manifestant pour la victoire du vote non à la “Constitution”, nous voulons permettre qu’à nouveau triomphe la République » (Discours de Daniel Gluckstein à la manifestation du 22 janvier, Informations Ouvrières, n° 676, 27 janvier 2005, p. 5.) Il semblerait dès lors qu’il existe une confusion entre des acquis sociaux et le système politique dans lequel – mais aussi contre lequel – ils ont été conquis : « Le triomphe de la République, c’est le retour à la laïcité de l’Ecole et de l’Etat [...], c’est l’abrogation de la réforme de l’Etat, l’abrogation de la régionalisation, [...] le retour au statut de la fonction publique d’Etat [...], c’est l’abrogation de l’intercommunalité forcée, c’est le retour aux libertés des 36 000 communes, c’est le retour à l’EDF-GDF de 1945, la renationalisation de l’électricité, du gaz, des chemins de fer ; le retour de la Poste au service public ; la réouverture des services fermés dans les hôpitaux, les maternités. Le triomphe de la République, cela veut dire le retour au Code du travail, aux conventions collectives, aux statuts. Cela veut dire le respect de l’indépendance des syndicats, qui, en toute indépendance, ont la liberté de négocier les augmentations de salaires, et pas d’être les exécutants des ordres du gouvernement et de l’Union européenne. Le triomphe de la République, c’est l’interdiction des plans de licenciements et de délocalisations, l’arrêt de la mise en jachère des terres, [...] c’est l’abrogation de toutes les lois de déréglementation dictées par l’Europe, les lois de droite et de “gauche”. C’est le retrait du projet de loi Borloo, c’est l’abrogation de la loi Aubry ! » (Discours de Daniel Gluckstein à la manifestation du 22 janvier, Informations Ouvrières, n° 676, 27 janvier 2005, p. 5).

En effet, si cette République doit être une république sociale – et le Parti des travailleurs ne se prive pas de comparaisons avec la Commune – il semble que l’insistance du parti sur la souveraineté nationale traduise un véritable repli national, et l’on peut se poser la question de la signification de la notion de « démocratie politique », sur laquelle le Parti des travailleurs insiste beaucoup. Pour lui, par exemple, « La victoire du vote NON est porteuse du rétablissement de la démocratie politique » (intervention de D. Gluckstein au rassemblement du 21 mai 2005 au mur des Fédérés). S’agit-il de la démocratie authentique, que les marxistes qualifient de prolétarienne, ou de la démocratie bourgeoise ? Dans ce dernier cas, est-ce vraiment une revendication tactique, donc transitoire ? N’y a-t-il pas également une orientation chauvine ?

Le Parti des travailleurs, il est vrai, parle bien plus des peuples que du peuple ; à propos de la victoire du non au référendum, notamment, ce sont ceux-ci qui sont donnés comme vainqueurs : « Le 29 mai, il y a, dans notre pays, des vainqueurs et des vaincus. [...] Vainqueurs également, tous les peuples d’Europe, qui partagent avec le peuple français la même aspiration à la souveraineté, à la défense des droits, des garanties, des conquêtes démocratiques, et les mêmes inquiétudes sur la machine à détruire toutes les conquêtes de civilisation humaine que représentent l’Union européenne et sa “Constitution” » (déclaration du Bureau national du Parti des travailleurs, 29 mai 2005).

Et qui plus est, la nation tend à se présenter comme le cadre exclusif d’exercice de la démocratie : « Lisons la Constitution du 3 septembre 1791, héritière de la Révolution française. La souveraineté est une, indivisible, inaliénable et imprescriptible, elle appartient à la nation, aucune section du peuple, ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. La nation, de qui seule émane tous les pouvoirs, ne peut les exercer que par délégation. » (Informations Ouvrières, éditorial du n° 691, 12 mai 2005.) Enfin, le « front unique » défendu par le Parti des travailleurs s’étend, au-delà du Parti socialiste et du Parti communiste, et depuis le Comité pour l’abrogation du Traité de Maastricht, aux militants du Mouvement des Citoyens (MDC), parti chauvin, ou encore, à des gens comme Georges Gastaud, du Pôle de Renaissance communiste en France (PRCF), qui font référence « à la fois au patriotisme populaire et à l’internationalisme prolétarien » (« Un meeting attentif et résolu adopte le serment de la place de la République », Informations Ouvrières, n° 676, 27 janvier 2005, p. 4.).

4/ Des enjeux particuliers du TCE

« Ne vous abstenez pas ! » (Informations Ouvrières, éditorial du n° 676, 27 janvier 2005) tel est le mot d’ordre lancé en janvier par Daniel Gluckstein. Pour le Parti des travailleurs, il est impossible de combattre indépendamment de la Constitution européenne : être contre les privatisations, pour les services publics, prôner une démarche « lutte des classes », cela implique nécessairement de lutter pour la victoire du « non ». « C’est clair : il n’y a pas de défense possible des services publics, des communes, des statuts et acquis sociaux de la démocratie et de la République si on ne dit pas : Non à la Constitution européenne ! » (Comité national pour le non à la constitution européenne, Appel à la manifestation du 22 janvier 2005). Ou encore : « Le combat pour le vote non et celui pour l’abolition des mesures anti-ouvrières constituent pour le Parti des travailleurs un tout indissociable » (XIIIe congrès du Parti des travailleurs, Informations Ouvrières, n° 677, 3 février 2005, p. 9).

Mais en quoi consiste la stratégie du Parti des travailleurs ? Quels sont sa place et son poids ? Le Parti des travailleurs défend en général une ligne de front unique, mais à la condition que celui-ci se réalise sous sa houlette, ce qui, vu son peu de poids électoral et sa marginalité médiatique, le condamne souvent à l’isolement. Pourtant, le 16 octobre 2004, à Ivry, le Parti des travailleurs a mis sur pied un « Comité national pour la victoire du vote non », qui semble avoir obtenu certains succès. A son meeting du 16 avril 2005 sont en effet présents Maurice Dehousse, ex-vice-président du groupe socialiste au Parlement européen et ancien député de Belgique, ainsi que Marc Dolez, député socialiste du Nord.

« Un spectre hante l’Europe : celui de la victoire du vote non à la “Constitution” européenne en France » (Informations Ouvrières, éditorial du n° 668, 25 novembre décembre 2004) affirme Daniel Gluckstein. Mais quels sont les enjeux de la victoire ? Le Parti des travailleurs répond souvent à cette question de façon aussi abstraite qu’affirmative. « Que le non l’emporte, et c’est un coup d’arrêt à cette politique. Que le non l’emporte, et c’est la porte ouverte enfin à un véritable changement de politique, fondé sur la satisfaction des revendications » (Informations Ouvrières, éditorial du n° 686, 7 avril 2005). « Est-ce seulement un vote, un référendum ? Non, messieurs les « grands responsables », c’est une révolte sociale » (Informations Ouvrières, éditorial du n° 694, 2 juin 2005).

Pourtant, il semble qu’il garde certaines réserves : « La victoire du vote non a pour enjeu que des questions seront posées, qui, bien sûr, ne trouveront pas réponse le 29 mai. Mais posées avec force le 29 mai au soir, elles appelleront des réponses auxquelles personne ne pourra déroger » (Informations Ouvrières, éditorial du n° 694, 2 juin 2005).

Evgueni Bakounine (Karim Landais)

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