Chaque fois qu’un employeur veut faire baisser le coût du travail, il brandit la menace de la fermeture et de la délocalisation de son entreprise. Les exemples se sont multipliés en France et en Europe, et semblent toujours insuffisants pour le patronat. Le journal financier La Tribune du 13 décembre 2010 dans un article titré « Le débat sur le coût du travail monte en puissance dans la zone euro » débute par cette question : « L’ajustement de l’ emploi pendant la crise ayant été insuffisant par rapport à la chute de l’ activité, un ajustement sur les salaires est-il envisageable en France et en Europe ? ». Ce propos dans ce journal n’ est pas neutre et il semble bien qu’au niveau de l’ UE, on tente par la chute du coût du travail, de faire diminuer la consommation des ménages en espérant ainsi reporter la crise sur d’ autres, comme par exemple la Chine. La chute du coût du travail à ce niveau n’ est qu’une mesure protectionniste du même ordre que les dévaluations compétitives. Reste maintenant à remettre la baisse du coût du travail à la place qu’elle occupe dans le prix des marchandises.
Chaque fois c’ est le même scénario, l’ entreprise doit fermer par manque de rentabilité. Des prolétaires, comme « les Contis »- les salariés du fabricant de pneus Continental-, tentent de lutter classe contre classe,pendant que d’ autres à Général Motor ( Strasbourg) acceptent baisse de salaire et diminution des jours de congé induits par la réduction du temps de travail ( RTT), pour finir par se battre pour le montant des indemnités de licenciement.
Les dernières victimes et otages.
Les 2500 salariés de l’ équipementier automobile allemand Continental ( midi Pyrénées) sont pris en otage par le patron qui tente de faire baisser le coût du travail pour « sauver l’ emploi » jusqu’ en 2015. Pour cela il faut que les salariés renoncent à deux jours de RTT. Selon l’ employeur le site obtiendrait ainsi un gain de 8% de coût salarial, et serait compétitif comme les sites allemands. En fait il ne s’ agit pas de concurrence et de compétitivité mais de profit, car la hausse ou la baisse des salaires n’ est qu’une question de répartition entre capital travail et ne va pas jouer sur le prix des marchandises.
Une étude, réalisée en 2010 par Mme Mathilde Lemoine, directrice des études économiques de la banque HSBC, et qui fut membre de cabinets ministériels est particulièrement intéressante sur le sujet, elle dit que : « Le coût du travail en France reste inférieur à celui du travail en Allemagne. En effet, si, en France, les cotisations patronales versées pour une heure de travail sont supérieures à ce qu’elles sont en Allemagne, le salaire y est inférieur. Au total, le coût d’une heure de travail est donc plus bas en France qu’en Allemagne, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et bien entendu au Danemark, en Suède ou au Luxembourg. »
Chez Continental ( midi Pyrénées)nous sommes en présence du même scénario utilisé par Général Motors à Strasbourg en juillet 2010, pour sauver les profits. La menace de fermeture du site a fait plier les salariés qui ont voté le plan contre l’ avis de la CGT et CFDT.
Après le référendum du 19 juillet,la direction de GM Strasbourg s’est félicitée de la "forte approbation" qu’ elle avait obtenue,flattant au passage les salariés qui ont bien compris que la direction voulait « sauver » les 1150 emplois en les plumant . Le « sauvetage » prévoit un gel des salaires sur deux ans, pas d’intéressement jusqu’en 2013 et une renonciation à plus d’un tiers des 16 jours de RTT actuels, soit une baisse de 10 % du coût de la main-d’œuvre. ».
A Continental, la presse locale vient elle aussi à la rescousse :
« Pour (certains) salariés, l’entêtement des deux syndicats à refuser les accords met en péril la survie même de l’entreprise. « Les syndicats Continental Automotive CGT et CFDT ont-ils bien compris que les investissements d’aujourd’hui, qui se décident au travers de ce plan et de la médiation sont la seule garantie de nos emplois de demain ? » » (La Dépêche du 10 novembre 2010.)
Plusieurs cadres se disant « indépendants »ont été jusqu’ à envoyer une lettre ouverte à Bernard Thibaut et François Chérèque dénonçant les délégués syndicaux CGT et CFDT ; ils font pression pour qu’ils acceptent le plan « de relèvement des profits » aux frais des salariés, car c’ est de cela qu’il s’ agit.
Mais les salariés commencent à se rendre compte que tout cela n’ est qu’un sursit qui finira par des licenciements comme récemment chez Ingersoll Rand (usine spécialisée dans les outils de levage).
Après deux semaines de grève et blocage de l’ usine, les 70 salariés de l’ usine, ont repris le travail le 13 décembre, acceptant une prime de licenciement supra-légale de 22 000 euros par salariés et 1925 euros par année de présence, agrémenté de formation de réinsertion. Les premier licenciements débuteront en mai 2011, pour une fermeture du site à la fin de l’ année.
Le coût du travail et la concurrence
Le problème actuel, ce n’ est pas la concurrence, avec un grand C mais celle que les prolétaires du monde acceptent de se faire entre eux en réduisant jour après jour leur moyens de vie et de survie ou en épousant une cause nationale, religieuse, d’ entreprise... A ce rythme la descente aux enfers pour le grand bien du capital est toute garantie, comme l’ indiquait déjà Marx en son temps.
« Le développement même de l’industrie moderne doit nécessairement faire pencher toujours davantage la balance en faveur du capitaliste contre l’ouvrier et que, par conséquent, la tendance générale de la production capitaliste n’est pas d’élever le niveau moyen des salaires, mais de l’abaisser, c’est-à-dire de ramener, plus ou moins, la valeur du travail à sa limite la plus basse. Mais, telle étant la tendance des choses dans ce régime, est-ce à dire que la classe ouvrière doive renoncer à sa résistance contre les atteintes du capital et abandonner ses efforts pour arracher dans les occasions qui se présentent tout ce qui peut apporter une amélioration temporaire à sa situation ? Si elle le faisait, elle se ravalerait à n’être plus qu’une masse informe, écrasée, d’êtres faméliques pour lesquels il n’y aurait plus de salut. Je pense avoir montré que ses luttes pour des salaires normaux sont des incidents inséparables du système du salariat dans son ensemble, que, dans 99 cas sur 100, ses efforts pour relever les salaires ne sont que des tentatives pour maintenir la valeur donnée au travail, et que la nécessité d’en disputer le prix avec le capitaliste est en connexion avec la condition qui l’oblige à se vendre elle-même comme une marchandise. Si la classe ouvrière lâchait pied dans son conflit quotidien avec le capital, elle se priverait certainement elle-même de la possibilité d’entreprendre tel ou tel mouvement de plus grande envergure. » ( Salaire,prix et profit)
C’est malheureusement ce qui de se passer en Italie à la Fiat de Mirafiori (Turin) ; l’ entreprise désormais sortie de la Confindustria, l’ association patronale, est en quelque sorte libérée de la loi et de la constitution - le rêve de toute multinationale. Fiat vient d’ obtenir par un référendum, la liquidation de nombreux droits.
Coût du travail et machinisme
Sachant que sous la domination du capital pleinement développé , le principal concurrent du prolétaire c’ est la machine. Aujourd’ hui ce sont de véritables complexes automatisés ne comprenant que très peu de main d’ œuvre qui sont à la pointe de la production. La part de temps de travail socialement nécessaire à la production, par exemple d’ une automobile ne cesse de baisser et n’ a que peu d’ incidence sur le prix final de la marchandise. Il en résulte que la baisse du coût du travail , devient un cache sexe à la crise ou pire le dernier atout d’ ajustement pour masquer une faillite imminente.
Michel Freyssenet, 2 dans son article « Renault aurait pu devenir le Honda de l’Europe », explique preuves à l’ appui que le coût du travail n’ a pas l’importance que l’on veut lui accorder. Son article est une véritable démystification sur le sujet, il considère que le coût du travail vient au mieux en second, quand ce n’est pas en troisième ou quatrième position dans la chaîne de détermination du profit. L’ auteur précise plus loin que « Contrairement à ce qu’il se dit, les salaires allemands restent supérieurs aux salaires français... l’écart est de 22,3% dans la filière automobile »
Dans un article d’ Echanges (n°125) 3 on pouvait lire ceci :
« La centrale des exportations est situé au pied de la colline, face à la prison de Mioveni. Les Logan déjà assemblées y sont redémontées (CKD, Completely Knocked Down), empaquetées et envoyées à d’autres chaînes d’assemblage en Russie, en Inde ou au Maroc. On évite de cette façon d’avoir à payer les fortes taxes douanières frappant les importations de véhicules finis. »
Nous voyons ici que le coût du travail n’ est qu’une entrave mineure, comparé aux taxes douanières, puisque les constructeurs peuvent se permettre de monter, démonter et remonter un véhicule et se faire ainsi plus de profit. Bien entendu si le coût du travail venait à augmenter de manière importante le système ne serait plus viable.
Le coût du travail dans le produit final, n’ est pas le même d’un secteur à un autre. Par exemple il est plus important dans le secteur de l’ habillement et à effectivement une incidence forte sur le prix de la marchandise. Par exemple, lorsque l’ entreprise britannique Dewhirst quitte le Maroc pour la Chine, 10 000 emplois sont touchés sur sept sites de production. Dewhirst s’ est implantée au Maroc en 1996, attirée par le faible coût de la main-d’ oeuvre et la proximité de l’ Europe ; seulement la concurrence chinoise , avec un salaire minimum légal plus faible et un temps de travail sans limite allait mettre un terme à l’ exploitation par la firme Dewhirst du gisement de main-d’œuvre féminine marocaine. Les trois facteurs principaux sont bien identifiés : Le dirham fort, l’envolée des coûts salariaux et énergétiques et la réforme tarifaire - même ici il n’ y a pas que le coût du travail. Il faut noter que le salaire minimum légal marocain est l’ un des plus élevés de la région : l’ équivalent de 180 euros contre 140 pour la Tunisie et 90 pour l’ Egypte. Le coût de l’ énergie en Kw heure est de 0,08 euros au Maroc contre 0,05 en Tunisie et 0,02 en Egypte.
Coût du travail et emploi
Si la chute du coût du travail devait avoir l’ incidence qu’ on lui attribue sur l’ emploi, depuis 30 ans que le capital s’ attaque victorieusement aux acquis sociaux, nous devrions actuellement être en situation de plein emploi, avec de nouveau des hausses de salaire. C’ est tout le contraire qui se produit : la pauvreté, consécutive au chômage et au travail précaire fait des ravages, dans toute l’ UE des 27 ( ils sont 116 millions) et ce n’ est pour nous pas une découverte mais la marche normale du système capitaliste. Celle ou la force de travail comme toute marchandise est soumise à la loi de l’ offre et de la demande. Avec cette caractéristique que la marchandise force de travail est la seule marchandise capable de faire fructifier le capital.
On dit généralement que la « mondialisation » a institué un nouvel esclavage en mettant en concurrence directe les salariés de tous les pays grâce à la suppression des barrières douanières et des restrictions à la circulation des capitaux. Ce n’ est pas la-dite mondialisation et son frère le libéralisme qui est en cause, mais bien le Capital dont il est dans ses gènes de conquérir et de se soumettre la planète entière (Thèses de base du Manifeste communiste).
Ce n’ est pas pour rien que Karl Marx souligne que, l’ esclave salarié , contrairement à l’ esclave tout court, n ’ appartient pas à un maitre mais à la classe capitaliste toute entière d’ ou le slogan « les prolétaires n’ ont pas de patrie ».
« Mais l’ ouvrier dont la seule ressource est la vente de sa force de travail ne peut quitter la classe tout entière des acheteurs, c’ est-à-dire la classe capitaliste, sans renoncer à l’ existence. Il n’ appartient pas à tel ou tel employeur, mais à la classe capitaliste, et c’ est à lui à y trouver son homme, c’ est-à-dire à trouver un acheteur dans cette classe bourgeoise. » (Travail salarié et capital (I))
Il en résulte que la « mondialisation » actuelle n’ a pas plus de valeur que la manipulation du terme impérialisme, visant à favoriser les luttes de libération nationales au détriment de la lutte de classe. 4
Machinisme, robotique et coût du travail
Lorsque nos réformistes mettent en avant l’ absence d’ investissement productif pour relancer la croissance, ils oublient en général de dire , que tout investissement productif se fera au détriment de l’ emploi dans la branche ou il va s’ effectuer, de même pour l’ exploitation d’ une nouvelle découverte...Et en période de crise, l’ ajustement productif par le coût du travail est plus rentable et surtout moins risqué ( du fait de sa grande flexibilité) qu’une rationalisation en capital fixe.
Marx explique bien dans le Capital cette relation entre le coût du travail et l’ introduction de machines et il fait cette remarque :
« considéré exclusivement comme moyen de rendre le produit meilleur marché , l’ emploi des machines rencontre une limite. Le travail dépensé dans leur production doit être moindre que le travail supplanté par leur usage. » (Le Capital T I p.376, ed. Moscou)
C ’est cette différence et d’ autres paramètres, qui déterminent l’ emploi des machines à la place des forces de travail
« Aussi, voit-on aujourd’hui des machines inventées en Angleterre qui ne trouvent leur emploi que dans l’ Amérique du Nord. Pour la même raison, l’ Allemagne , aux XVIe et XVII siècles inventait des machines dont la Hollande seule se servait ; et mainte invention française du XVIIIe siècle n’ était exploitée que par l’ Angleterre » (Le Capital T I p.377, ed. Moscou)
Il en résulte que plus le coût du prix de la force de travail est bas, même en dessous des possibilités de reconstituer la force de travail, plus l’ emploi du machinisme ou nouvelles technologies sera mis en échec. Ceci explique pourquoi, les usines délocalisées en Europe de l’ Est ou en Chine, ne sont que partiellement industrialisées, par exemple :
« La mécanisation de l’ industrie de la confection coûte beaucoup plus cher que celle de l’ industrie textile, mais elle ne se justifie que dans les pays où le coût de la main d’ oeuvre est le plus élevé. En fait, à différentes occasions, les producteurs des pays développés ont préféré délocaliser leur production dans les pays ou la production est la moins chère. »
(Diana Hochraich L’ Asie du miracle à la crise éd. Complexe , p.38).
En conclusion
Sans remettre en cause l’ importance du coût du travail , il me fallait en relativiser, selon les secteurs son poids dans le produit final qui sera mis sur le marché (vendu comme marchandise). Il était aussi nécessaire de récuser l’ argument des investissements productifs, pour relancer l’ emploi dans l’ UE au moment où il y a une surproduction capitaliste caractérisée, et alors que toute relance ne peut se faire que par une destruction massive de forces productives. Même cette solution classique pour résorber les crises ne semble plus opérante sur le long terme ; les forces productives sont si concentrées et centralisées au niveau international, que la bouffée d’ air qu’ apporterait une destruction massive de forces productives serait vite compensée, posant de nouveau le problème d’une nouvelle destruction de forces productives à une échelle supérieure. De convulsion en convulsion, il faudra bien qu’un bouleversement , une révolution sociale libère les forces productives matérielles et humaines.
Gérard Bad.
1 K. Marx explique tout cela dans Salaire prix et profit.
2-Sociologue et co-fondateur du Gerpisa (réseau de chercheurs de diverses disciplines qui travaillent sur l’industrie automobile).
3 « plus audible, plus consciente, plus audacieuse, la grève chez Dacia-Renault marque un tournant ».
4- « Abolissez l’ exploitation de l’ homme par l’ homme, et vous abolirez l’exploitation d’une nation par une autre. Du jour où tombe l’ antagonisme des classes à l’ intérieur de la nation, tombe également l’ hostilité des nations entre elles. » Le Manifeste communiste.