Islamophobie : thème mis en avant par les 57 Etats de l’Organisation de la conférence islamique, par la Commission des droits de l’homme de l’ONU mais aussi par de nombreux gauchistes, voire libertaires, qui confondent racisme anti-Arabes, critique virulente de l’islam et blasphème. Ce terme insinue qu’on ne peut s’opposer à l’islam qu’à partir de la peur, sentiment irrationnel et donc discrédité dès le départ. Ce qui revient à conclure qu’aucune opposition valable ne peut exister face à cette religion. On sait moins que le groupe fasciste Nouvelle Résistance publia un tract au titre évocateur « Le tchador j’adore » et affichait fréquemment dans sa presse le slogan « Halte au racisme antimusulman ! ».
Soyons clairs, dénoncer la haine et le racisme contre les Arabes, les discriminations contre les musulmans (1), est une excellente chose. Mais la dénonciation générale de « l’islamophobie » (nous préférons utiliser les termes plus clairs de racisme anti-Arabes et de discriminations contre les musulmans) ne constitue en aucun cas un solide critère de différenciation avec l’extrême droite raciste, avec les obscurantistes religieux (musulmans ou pas d’ailleurs), avec les partisans de l’islam politique ou les démocrates bourgeois de l’ONU. Il faut en effet dénoncer tous les racismes, y compris l’antisémitisme, et sur des bases de classe, pas simplement humanistes ou humanitaires.
P.S. Les lecteurs qui lisent l’anglais pourront se reporter à l’article d’un universitaire britannique qui s’est penché sur les origines du mot dans le monde anglosaxon (www.insted.co.uk/anti-muslim...). Il ressort de cette étude que Edward Said a utilisé le mot en anglais pour la première fois en 1984.
Un internaute français a effectué le même travail et a trouvé des occurrences de ce mot beaucoup plus anciennes (http://www. vieuxsinge.fr/ article-islamophobie-dans-la-langue-fran-aise-des-1910-64056408.html) qui contredisent les affirmations de Caroline Fourest selon lesquelles ce mot serait une invention des mollahs iraniens à la fin des années 1970. (« Le mot “islamophobie” a une histoire, qu’il vaut mieux connaître avant de l’utiliser à la légère. Il a pour la première fois été utilisé en 1979, par les mollahs iraniens qui souhaitaient faire passer les femmes qui refusaient de porter le voile pour de “mauvaises musulmanes” en les accusant d’être “islamophobes”. Il a été réactivé au lendemain de l’affaire Rushdie, par des associations islamistes londoniennes comme Al Muhajiroun ou la Islamic Human Rights Commission dont les statuts prévoient de “recueillir les informations sur les abus des droits de Dieu” », affirmèrent Fiammetta Venner et Caroline Fourest dans un article paru dans Libération le lundi 17 novembre 2003).
En effet, « Alain Quellien l’utilise dès 1910 dans son ouvrage La politique musulmane dans l’Afrique occidentale française ; on le retrouve quelques fois dans la Revue du monde musulman en 1912 et 1918, la Revue du Mercure de France en 1912, Haut-Sénégal-Niger de Maurice Delafosse en 1912 et dans le Journal of Theological Studies en 1924. L’année suivante (en 1925), Etienne Dinet et Slimane Ben Brahim, employaient ce terme dans leur ouvrage L’Orient vu par L’Occident. »
Mais le fait d’avoir retrouvé des usages bien antérieurs ne nous donne aucune information sur le moment à partir duquel ce concept a connu une diffusion massive dans les médias et chez les gauchistes, et surtout des raisons pour lesquelles ce terme spécifique est employé, car la « haine » (ou phobie) de l’islam ne date pas du XXe siècle.
Ces découvertes sont utiles aux linguistes (comme l’écrit un internaute sur le site http://www.passion-histoire « Plusieurs questions méritent d’être posées et d’obtenir une réponse avant de trépigner : Est ce que dans les deux cas avant et après Khomeiny le terme est utilisé avec le même sens et dans les mêmes situations ? Khomeiny pense-t-il à ces écrits du début des années 20 ? Si oui les pense-t-il de la même façon ? A partir de quand l’utilisation de ce mot se développe-t-elle ? Combien d’occurrences de ce mot avec son acception moderne dans les discours tant en Iran, qu’en Europe sur les 30 dernières années ? »). Si j’en crois les souvenirs d’une camarade iranienne militant dans ce pays à l’époque, le régime n’utilisait pas ce terme dans les années 80. Mais il faudrait mener une enquête minutieuse à ce sujet pour pouvoir trancher.
Quoi qu’il en soit, ces remarques montrent que Fourest et Venner n’ont pas vraiment enquêté sur les origines du mot, ni sur son utilisation en persan et qu’il faut donc toujours vérifier ce que ces deux journalistes affirment. Cette précaution élémentaire s’applique d’ailleurs à tous les essayistes, historiens et journalistes, pas uniquement à Fourest et Venner. C’est tout aussi valable pour Chomsky, Gresh, Vidal, etc. !
Mais ces critiques apparemment fondées ne changent rien au sens politique erroné de ce concept et à l’utilisation manipulatrice qui est faite par les Etats de l’OCI et la Commission des droits de l’homme de l’ONU.
On trouve une discussion sur ce thème ici : http://blogs.mediapart.fr/blog/elif-kayi/261208/quelques-reflexions-sur-le-concept-d-islamophobie http://reflets-mag.blogspot.com/2009/01/qui-parle-dislamophobie.html Certains avancent aussi que la haine de l’islam se serait diffusée en Europe et aux Etats-Unis à partir de la crise du pétrole de 1973 (donc plusieurs années avant la révolution iranienne), et que les années 1980-1990 auraient vu l’apparition massive d’une propagande contre l’islam pour mieux justifier des interventions occidentales au Proche et au Moyen-Orient en vue de contrôler les régimes locaux et donc les puits de pétrole situés dans cette région.
Y.C.
1. Le risque d’être confondu avec la gauche et la droite laïco-xénophobes (cf. notre numéro précédent, 33-34-35 sur Le mythe de l’identité nationale) dans les pays occidentaux de tradition « chrétienne » est tout aussi grave que celui d’être confondu avec les quelques gauchistes opportunistes et ignorants qui prétendent que l’islam serait la « religion des pauvres », ou même avec les partisans ultraminoritaires de l’islam politique en Occident. La dénonciation des discriminations antireligieuses fait partie de la défense des droits et libertés démocratiques.