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Race, culture, peuple, racisme, civilisation : quelques définitions provisoires

samedi 28 avril 2012

Ce texte a été écrit en février 2012 pour engager une discussion avec les camarades du GARAP. Ce n’est qu’une ébauche qui demanderait à être considérablement améliorée et discutée. Il nous a semblé utile de le reproduire ici puisque les définitions proposées ont un rapport avec le « débat » avec Guy Fargette et le collectif Lieux Communs, débat suscité par «  [1]« Soulèvements arabes » : il est temps de dire « Bye, bye, Castoriadis ! » (1)..

Race : au départ, synonyme de peuple, sans caractère biologique affirmé. Au XVIIIe et surtout au XIXe siècle ce terme prend peu à peu un sens biologique, donc supposé scientifique et incontestable. Depuis la Seconde Guerre mondiale et l’usage de ce terme par les nazis, un consensus international s’est dessiné pour dénier toute valeur scientifique à ce terme. Du moins dans les grandes institutions internationales et chez les intellectuels humanistes, libéraux, démocrates, etc. De fait, l’enseignement de la théorie des races a continué (par exemple en France au moins jusqu’en 1968) et continue en Amérique latine. Peut-être sur d’autres continents, je l’ignore. En Amérique du Nord, le terme de race, s’il n’a plus de validité scientifique officielle, continue à être utilisé dans le vocabulaire juridique et politique : sur les passeports, dans les demandes de bourses, dans les formulaires d’emploi, dans les statistiques de toutes les administrations et entreprises. Il y a même une nomenclature de 8 races principales entre lesquelles on peut choisir, et on peut même en choisir deux à la fois si on le désire. Et dans tous les débats intellectuels ou politiques, quelles que soient les tendances, de l’extrême gauche à l’extrême droite on utilise le terme de race.

De plus, l’immense majorité des individus sur cette planète continue à utiliser dans leurs conversations courantes des termes se référant à une notion plus ou moins vague de la race : « les Blancs, les Noirs, les toubabs, les Juifs, les Arabes », etc., sont des expressions très communes. Très peu de personnes font abstraction de la couleur de la peau ou des caractéristiques physiques associées, à tort ou à raison, aux « races ». Et ceux qui prétendent (toujours des « Blancs ») en faire abstraction sont parfois d’une rare mauvaise foi…

Enfin, en Occident, les minorités ont elles-mêmes repris à leur compte le vocabulaire racial, par exemple les Noirs américains, qui s’appellent désormais Afro-Américains, dans la continuité du nationalisme noir de Marcus Garvey, de la Nation de l’islam, de Malcom X. Ces nationalistes noirs ont toujours tenu et tiennent encore à avoir bien sûr les mêmes droits que les « Blancs » mais surtout à avoir leurs propres entreprises, églises, écoles, universités, etc. Ils ont un point de vue profondément pessimiste sur les « Blancs » et les possibilités d’une égalité réelle avec eux ; de plus ils considèrent le métissage comme une tentative de destruction de leur culture par les « Blancs », voire un vestige du droit de cuissage des propriétaires d’esclaves.

Dans l’intelligentsia occidentale inspirée par les théories du postcolonialisme anglosaxon, ce terme de race a connu une nouvelle vogue. Très grossièrement résumée, l’idée du postcolonialisme est que les Hommes occidentaux blancs ont opprimé, exploité, pillé le reste de la planète depuis l’Antiquité grecque au moins et qu’il faudrait donc « déconstruire » (décortiquer, critiquer, démolir) les « récits » des Mâles Blancs Occidentaux sur l’histoire de l’Occident. Cette vision critique de l’Occident a des aspects partiellement progressistes, vu l’incapacité de la gauche et de l’extrême gauche occidentales à mobiliser les prolétaires occidentaux en solidarité avec les luttes des prolétaires du Sud. Mais elle aboutit aussi à dissimuler la nature réactionnaire, voire à soutenir ouvertement toutes sortes de mouvements ou de régimes réactionnaires du Sud, au nom de l’anti-impérialisme ou de l’anticolonialisme.

Jusqu’à maintenant, les théories dites postcoloniales ne sont pas un outil pour que les prolétaires des ex-colonies qui vivent dans les grandes métropoles impérialistes s’organisent entre eux, sur des bases de classe. Si elles servaient à organiser les prolétaires, elles auraient au moins cet intérêt.

Mais elles ne sont pour le moment qu’un outil destiné à favoriser l’ascension sociale et la lutte pour conquérir un espace plus large, dans les sphères politique, culturelle ou universitaire : un espace que veulent conquérir de petites élites (généralement des Bac +3 ou 4 au minimum) qui souhaitent briser le plafond de verre que les sociétés occidentales leur opposent.

Que ce soit la petite ou la moyenne bourgeoisie afro-américaines, la petite beurgeoisie française ou la petite bourgeoisie antillaise ou d’origine africaine en France ou en Grande-Bretagne, partout on voit se créer des lobbies (revues, associations, magazines, radios communautaires) qui vantent la fierté « noire », « arabe » ou « musulmane » (ce terme étant pris au sens de culturel et non de strictement religieux et permettant de brandir l’épouvantail de l’islamophobie).

Mais jusqu’à maintenant aucun de ces mouvements ou groupes de pression identitaires ne tente d’organiser les prolétaires ou les sous-prolétaires (la Nation de l’islam des années 60/70 étant une exception, puisque c’est en recrutant chez les petits délinquants dans les prisons ou dans les quartiers pauvres qu’elle était passée de quelques milliers à quelques dizaines de milliers de membres ; depuis, elle continue ses activités en direction des prisons mais est devenue elle aussi un mouvement de la petite bourgeoisie afro-américaine comme ces concurrentes beaucoup plus modérées de la NAACP ou de l’Urban League).

Le plus souvent au cours des 15 dernières années, en Occident, les mouvements qui se constitués (cf. en France, le CRAN, Indigènes de la République, Africagora – cette organisation qui prétend organiser les « décideurs, les cadres et les entrepreneurs des diasporais africaines et caribéennes » pour « renforcer l’unité nationale » !) sont des mouvements totalement légalistes, qui mêlent un langage identitaire citoyenniste à une dénonciation plus ou moins virulente du colonialisme passé – ils ne sont pas très bavards en France sur les interventions de l’armée française en Afrique, en Afghanistan ou en Irak, beaucoup plus diserts sur les massacres commis par l’armée israélienne en Palestine.

Pour ces courants intellectuels ou ces mouvements-lobbies identitaires, la race serait un terme purement sociologique (et non biologique) qui permettrait de nommer plus efficacement les mécanismes racistes et de désigner ceux qui en profitent : les « non-Blancs », toutes classes confondues (en clair, les ouvriers « blancs » profitent de l’exploitation et de l’oppression des travailleurs et ouvriers « non blancs »). C’est ce dernier aspect (l’idée que tous les « Blancs » ont les mêmes intérêts) qui fait douter de la capacité et de la volonté de ces mouvements identitaires, aussi radicaux soient-ils, de renverser l’ordre social capitaliste.

Ces courants sont partisans de l’introduction de statistiques ethniques… tout comme l’UMP d’ailleurs (la proposition de loi qui souhaitait introduire les contrôles ADN voulait aussi instaurer des statistiques ethniques).

Racisme :

Selon Albert Memmi : « Valorisation de différences réelles ou imaginaires au profit de l’accusateur et au détriment de sa victime afin de justifier ses privilèges ou son agression » ; idée « selon laquelle les groupes humains sont caractérisés par des traits physiques spécifiques et des traits moraux particuliers qui les distinguent radicalement entre eux et qui sont transmis les uns et les autres par voie d’hérédité somatique » ; « croyance qu’il existe entre les groupes humains ainsi définis une hiérarchie de valeurs : certains seraient supérieurs ou inférieurs aux autres ».

Il ne faut pas confondre racisme et discriminations.

On peut distinguer trois formes de manifestation du racisme :

- l’idéologie raciste : les théories, doctrines, visions du monde élaborées par des intellectuels et des partis politiques d’extrême droite, fascisants ou fascistes ;

- les préjugés racistes : les croyances, opinions, stéréotypes, qui peuvent être colportes non seulement par des militants d’organisations racistes mais par de « braves gens » qui ne se considèrent pas du tout racistes ;

- les pratiques racistes : les discriminations, la ségrégation, les violences, qui sont rarement « inconscientes ».

Il peut y avoir des discriminations racistes sans que les individus ou les institutions qui les pratiquent expriment des théories ou des préjugés racistes.

La tradition antiraciste de gauche a toujours défendu, à propos du racisme comme de l’influence des préjugés religieux, l’idée que le développement économique capitaliste, la destruction des structures féodales ou précapitalistes, la croissance numérique du prolétariat voire du salariat, l’extension de l’instruction obligatoire, aboutiraient à faire reculer voire disparaître les préjugés raciaux, donc le racisme.

Pour la gauche et l’extrême gauche, le racisme était donc, tout comme la religion, un vestige du passé précapitaliste. Ou alors une simple arme de division entre les prolétaires (cf. par exemple comment était organisé le travail à la chaîne dans l’industrie automobile).

Il n’y a qu’aux Etats-Unis, à ma connaissance, qu’un petit nombre de marxistes ont compris que le racisme était parfaitement cohérent avec le capitalisme (c’était d’autant plus évident pour eux qu’il n’y avait pas eu d’étape féodale aux Etats-Unis).

Cela dit, les mouvements de gauche et d’extrême gauche américains, en particulier les trotskystes, ont eu beaucoup de mal à s’implanter dans la classe ouvrière noire ou dans le sous-prolétariat afro-américain. À l’exception de CLR James dès les années 30, ils ont eu du mal à s’intéresser aux revendications du nationalisme noir sous toutes ses formes, et quand, dans les années 60, celui-ci s’est emparé de secteurs importants plusieurs organisations noires modérées (CORE, SNCC) et qu’il a pris un nouvel essor avec la Nation de l’Islam et Malcom X, elles n’ont su qu’avoir une attitude suiviste et acritique à leur égard.

Ces organisations n’ont pas su non plus tisser des liens avec La Ligue des ouvriers révolutionnaires noirs formée dans les usines de l’automobile de Detroit. Organisation totalement ignorée par tous ceux qui se gargarisent des écrits de Fanon et Malcom X dans les milieux gauchistes français.

Racisme institutionnel : l’un des premiers à en avoir exposé l’idée, c’est Stockely Carmichael, dirigeant à l’époque du SNCC, en voie de radicalisation. Ce terme a été ensuite totalement accepté dans le monde universitaire et politique anglosaxon, et se situe par exemple au centre de rapports détaillés sur le racisme dans la police britannique. Seule la France républicaine, universaliste, et « aveugle aux couleurs » (colour blind) ignore totalement ce concept. Et l’extrême gauche française, aussi, puisqu’elle réduit le racisme à un préjugé diffusé ou partagé par des gens ignorants, ou à une idéologie propagée par des groupes fascistes, ou à une simple tactique patronale pour diviser les travailleurs. La gauche et l’extrême gauche ne peuvent ni imaginer ni comprendre que le racisme peut se propager dans leurs propres organisations syndicales et politiques sans l’intervention ou l’infiltration de militants du FN.

Peuple  : terme fourre-tout, qui a toujours été utilisé pour diffuser une version interclassiste (d’alliance entre les classes) dans les luttes sociales ou nationales. On peut admettre, par commodité de langage, qu’il s’agit de l’ensemble des habitants d’un pays, d’une région, d’un Etat, mais cela ne nous avance guère. Derrière la notion de peuple, se cachent toujours d’autres notions plus dangereuses comme celles d’identité, de culture ou de civilisation.

Les marxistes ont eu souvent recours au terme de peuple, synonyme pour eux de l’ensemble des exploités, ou d’une alliance entre la classe ouvrière et la paysannerie. Les traductions politiques de ce concept « le Front populaire », « l’unité populaire », la « lutte du peuple », la « Résistance du peuple » ont le plus souvent abouti à des catastrophes politiques. À embrigader les prolétaires sous la bannière de la fraction dite progressiste de la bourgeoisie nationale, ou d’un appareil d’Etat en gestation (mouvements de libération nationale). À empêcher tout approfondissement d’un processus révolutionnaire, tout passage d’une lutte dite de libération nationale à une lutte de libération sociale.

Civilisation ou Culture (dans le monde anglosaxon on préfère le terme de culture à celui de civilisation)

Découpage arbitraire de l’humanité en groupes « culturels » ou en sociétés le plus souvent figés. S’il s’agit de décrire « la vie matérielle, intellectuelle, morale, politique et sociale » d’un peuple ou de plusieurs peuples déterminés, pas de problème. S’il s’agit d’établir une hiérarchie entre les cultures ou les civilisations, on voit bien que ces constructions intellectuelles (que ce soient les cultures ou les civilisations) visent à établir la supériorité de la civilisation occidentale, voire à justifier la colonisation et l’esclavage, les guerres (coloniales ou pas), hier, les interventions militaires dites humanitaires aujourd’hui.

Dans les médias, et chez beaucoup de gens, la culture est aujourd’hui « biologisée » de façon plus ou moins clandestine ou inconsciente. On qualifie une culture, puis on la rapporte à la race (inférieure) implicitement désignée.

Culture : « la » culture n’existe pas, il existe des cultures, elles-mêmes hétérogènes. Le problème de fond avec « la » culture c’est que « en tant qu’ensemble de traditions, voire de normes, [elle] échappe généralement à toute forme de rationalité, de jugement, et donc de justice. Son acceptation par les individus et les populations repose sur le conditionnement, puisque sa transmission lui fait également acquérir une proximité affective qui la rend légitime à leurs yeux sans aucune forme de critique » (Karim Landais).

La notion même de culture me semble suspecte dès lors que l’on veut enfermer les individus dans un comportement collectif précis, immuable, dont il leur serait impossible de se détacher. De la nourriture aux façons d’interagir en société, en passant les formes d’expression artistique, les usages vestimentaires, les relations entre les sexes, la conception de la mort, de la nature, de la place de l’homme dans l’univers, la plupart des individus (en tout cas la moitié de l’humanité qui vit dans les villes) portent plusieurs cultures en eux, qu’ils en soient conscients ou même qu’ils le rejettent. Aujourd’hui, le mot culture en est revenu à remplacer le mot « race », au sens scientiste du XIXe siècle : un facteur quasi génétique absolument déterminant de la pensée, du comportement, des individus et des groupes appartenant à une communauté, à un peuple ou à une nation donnés.

Les spécialistes des sciences sociales peuvent découper l’humanité en autant de « cultures » locales, sociales, politiques, ethniques, nationales qu’ils veulent. Cela nous est utile, d’un point de vue militant, si leur démarche aide à mieux comprendre les particularités de tel ou tel groupe étudié, et surtout à mener une lutte commune plus efficace des exploités de différentes origines, mais cela n’est vrai qu’à condition que les résultats de ces recherches ne soient pas utilisés, manipulés, dévoyés par des partis nationalistes.

Libération nationale : Les mouvements de libération nationale dans les pays du tiers monde ne peuvent être mis sur le même plan que les mouvements d’extrême droite dans les pays occidentaux. Ils ont contribué à liquider une forme de domination (la domination directe des grandes puissances européennes), même s’ils l’ont remplacée par une autre forme de domination, autochtone, celle-là, ou par une nouvelle forme de domination indirecte du Capital. En France, en tant qu’individus habitant sur le sol d’une puissance néocoloniale, nous ne pouvons être neutres. Nous devons soutenir le droit à l’indépendance des peuples dominés par les bourgeoisies et les Etats occidentaux, même si nous sommes en désaccord total avec les mouvements politiques qui les dirigent.

Quant aux mouvements indépendantistes minoritaires au sein des grands pays capitalistes, il s’agit encore d’une autre question. Ils essaient de comparer leur situation avec celle des pays de l’ex-tiers monde ou du Sud, mais elle n’a rien à voir sur le plan matériel et social. Qu’il existe des disparités régionales au sein des Etats les plus riches de l’Union européenne est une évidence. Par contre, on voit mal comment la multiplication d’Etats nationaux ou de régions indépendantes en Europe permettrait d’augmenter les droits démocratiques et sociaux des exploités. Il faudrait déjà réhabiliter la question de l’élargissement permanent des droits démocratiques et sociaux face à ces différents mouvements nationalistes, et montrer en quoi ces mouvements y sont concrètement opposés.

Discriminations

Les spécialistes des sciences sociales distinguent 3 formes de discriminations

- les discrimination directes : ce sont les plus faciles à repérer et dénoncer puisqu’elles reposent sur des actes concrets, où un groupe interdit un certain nombre de choses à un autre (les Etats-Unis jusqu’aux années 60 en offraient un exemple très cru avec l’interdiction des relations sexuelles entre Noirs et Blancs, les w.c. séparés, les équipes sportives séparées, les restaurants séparés, les écoles séparées, etc.) . Généralement les discriminations directes sont le fait d’individus, de groupes, d’Etats consciemment racistes. Elles se fondent sur toutes sortes de critères : le nom, le prénom, les phénotypes (couleur de peau, traits du visage, composition des cheveux), la religion, les coutumes, les comportements, etc.

- les discriminations indirectes : ces discriminations sont réelles mais ne sont pas le fruit d’une idéologie raciste consciemment affirmée par ceux qui les pratiquent. Ex. : le fait que sur les chaînes des usines, dans le bâtiment ou les cuisines des restaurants on trouve surtout des prolétaires étrangers n’est pas forcément le résultat d’une volonté raciste, même si le résultat final (la discrimination) semble le même.

- les discriminations systémiques (ou le racisme institutionnel) : elles reproduisent des inégalités sociales ou raciales ou sexuelles qui existe en dehors de l’institution, que ce soit un parti, un syndicat, une association. Elles ne sont pas le plus souvent le fait d’individus racistes ou sexistes, mais accordent, au sein de l’institution concernée, une place subalterne à celles et ceux qui en sont déjà victimes dans la société. Une femme tapera le compte rendu d’une réunion ou servira les boissons aux autres militants masculins, ou fera la vaisselle ; un militant d’origine africaine se verra affecter le boulot de nettoyer le local ou les chiottes, ou sera sollicité pour décharger un camion, etc. Les difficultés d’accès au logement, à l’emploi, à la formation pour les jeunes issus de l’immigration offrent de nombreux exemples de ces discriminations systémiques.

Y.C. février 2012

Notes

[1] Bye, bye Castoriadis »

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