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Bilan provisoire des altermondialismes : Vers la notabilisation ou vers l’explosion ? (7/7)

mardi 10 avril 2012

Le mouvement altermondialiste :

un nœud de contradictions

qui finiront peut-être par exploser… ou pas

4.1. C’est à l’évidence un espace de reconversion des énergies de beaucoup de gens qui ont milité dans les organisations politiques ou syndicales traditionnelles. Cette reconversion peut être temporaire (liée aux calculs de militants dont l’organisation ne réussit pas à percer, ne dispose pas d’oxygène politique) ou plus durables, quand ces militants sont définitivement déçus par l’idéologie politique qui les animait, ou qu’ils acquièrent des positions de pouvoir et d’influence telles qu’il serait ridicule de les abandonner.

4.2. Ce mouvement donne à de petites organisations nationales les moyens, en se projetant à l’échelle internationale, d’acquérir une aura, un statut social, voire un écho médiatique qu’elles n’auraient pas pu atteindre autrement. C’est le cas par exemple de la Confédération paysanne qui est un petit regroupement (15 000 paysans) à côté de la FNSEA, par exemple et de ses 330 000 adhérents.

4.3. Il fournit à des individus placés dans les institutions nationales ou internationales, détenteurs d’un savoir économique, ou détenteurs d’informations importantes, le moyen de combattre des politiques qu’ils contribuent professionnellement à mettre en place. Ils jouent tantôt les « Gorge Profonde » (surnom de l’informateur du scandale du Watergate durant la présidence Nixon), tantôt les experts de la mondialisation, tantôt les conseillers du prince, les sherpas des dirigeants du Sud…

4.4. Il met en avant la « primauté des droits humains sur les droits des affaires », traduire des capitalistes. Donc droits à la démocratie, à la paix, droit des populations et de leurs États à définir leur politique alimentaire (leur « souveraineté alimentaire »), droits à l’alimentation, à la santé, au logement, au travail, droits environnementaux, droits sexuels et reproductifs. Ces droits minimaux sont à la base de campagnes contre la dette, contre la guerre, contre l’Organisation mondiale du commerce, etc., dont les résultats sont pour le moment fort maigres.

Mais à terme, si l’on ne veut ni prendre le pouvoir, ni gérer l’État, ces revendications de droits ne peuvent qu’aboutir à renforcer les pouvoirs des États-nations ou alors des grandes bureaucraties internationales. En effet, dans le modèle altermondialiste idéal, « les institutions supranationales démocratiques » deviendraient plus transparentes ; les institutions financières seraient subordonnées à l’Assemblée générale de l’ONU, à l’OIT, à la CNUCED (Conférence des nations unies pour le commerce et le développement), censées veiller au respect des droits. Les organisations dépendant de l’ONU garantiraient alors ces multiples droits, mis en musique dans toutes sortes de Conventions des Nations unies sur tous les thèmes chers aux altermondialistes : droits de l’enfant, droits à l’éducation, au logement, à la santé, à l’éducation, à l’égalité entre les sexes, etc.

4.5 Le mouvement altermondialiste défend la notion de « biens publics mondiaux » (la terre, l’eau, l’air, les ressources génétiques, la biodiversité, la forêt tropicale, les écosystèmes, le savoir, l’énergie, les cultures et les identités des peuples – ces deux dernières notions devant être précisément définies puisqu’elles sont utilisées depuis longtemps par la droite et l’extrême droite) ou de « biens communs » (logement, santé, éducation) qui devraient être « non marchands » et qui relèveraient d’un « patrimoine commun de l’humanité » sans vraiment se demander comment imposer cette transformation radicale des mentalités et des pratiques économiques.

Que ce soit la notion de droits ou celle de biens publics mondiaux, on ne voit pas bien l’intérêt que ces concepts deviennent un patrimoine commun aux altermondialistes et aux institutions internationales. Loin qu’il s’agisse d’une « victoire idéologique », ces convergences semblent plutôt signaler la récupération de ces concepts que constituer un pas en avant dans leur mise en application.

4.6. Certains groupes altermondialistes comme Oxfam défendent l’idée qu’un commerce équitable pourrait diminuer la pauvreté et augmenter la croissance économique des pays du Sud, ce qui les rapproche de la Banque mondiale et du PNUD, Programme des nations unies pour le développement.

4.7. Le mouvement altermondialiste est plutôt favorable au protectionnisme, quelles que soient ses tendances et même pour celles qui le critiquent en paroles, qu’il s’agisse

* des courants souverainistes de gauche (qui veulent réhabiliter la nation « espace de démocratie, de solidarité et de résistance à la loi des marchés », selon Bernard Cassen),

* des tiers-mondistes (qui veulent que les États du Sud adoptent « une stratégie de développement autocentrée ou endogène » fondée sur l’existence de 1,3 milliard d’agriculteurs, principalement dans les pays du Sud),

* ou des partisans des solutions alternatives locales (coopératives, entreprises autogérées, communautés rurales, etc.) qui ne pourraient s’imposer qu’à la marge et seulement dans un monde où certaines unités géographiques (régions) seraient de fait protectionnistes en réduisant les échanges internationaux entre pays distants « au strict nécessaire » (ATTAC) et qui seraient miraculeusement indépendantes des États et de la sphère marchande.

L’« autosuffisance » (joli mot pour l’autarcie) ou l’« indépendance » alimentaires de CHAQUE pays, considéré de façon isolée, est extrêmement difficile à atteindre dans les conditions actuelles d’organisation capitaliste de la production et du travail. Du moins si l’on exclut les solutions autoritaires – d’ailleurs même les régimes totalitaires qui ont essayé d’être autarciques ont connu des famines à cause notamment de la résistance farouche des paysans. En Europe, par exemple seuls quelques pays (France, Pologne, Allemagne) sont autosuffisants sur le plan alimentaire.

4.8. Les sommets altermondialistes constituent l’occasion pour de nombreux militants de base de se rencontrer, de nouer des amitiés, de partager des techniques de lutte et des savoirs militants, de renforcer mutuellement leurs luttes (ex des VAAG, etc.).

4.9 Le mouvement altermondialiste repose sur une idéologie citoyenniste, « anti-partis », produit du reflux des luttes qui a commencé à partir du milieu des années 70. Cette idéologie est à la fois hostile aux syndicats et partis de gauche classiques, tout en rêvant de faire pression sur eux ; elle est hostile à la mondialisation tout en rêvant de réguler les mécanismes financiers ; elle est hostile à l’exploitation tout en rêvant d’un monde peuplé de petites entreprises sympa et équitables, ou de coopératives – capitalistes – où tous les salariés auraient la même rémunération ; elle est spontanément hostile à la division entre travail manuel et travail intellectuel, tout en ayant une confiance aveugle dans des spécialistes, experts ou professeurs universitaires.

Ce qui explique le succès d’idées comme celles des décisions au consensus (1), des structures décentralisées, des accords minimaux sur des « objectifs concrets, limités, mais rassembleurs » (F. Polet), l’hostilité au dogmatisme (traduire au marxisme), l’éloge du pluralisme pour créer un mouvement le plus « rassembleur » possible. Ce mouvement met donc les questions idéologiques et stratégiques au second plan (ce qui fait qu’elles se discutent en très petit comité et non devant tout le monde, comme le montre le livre de Raphael Wintrebert sur ATTAC) au nom de l’action concrète (2) qui devrait primer sur le débat idéologique, et au nom de formes et de méthodes d’action qui semblent plus démocratiques, plus horizontales, moins sexistes, etc.

Le fait que ATTAC ne soit pas un parti, qu’il n’y ait pas de ligne politique officielle, que les Forums sociaux mondiaux n’adoptent de programme politique construit permet aux militants altermondialistes de base de ne pas sentir forcément engagés par les déclarations des experts, des dirigeants ou des intellectuels les plus souvent interviewés par les médias.

Cela génère, au nom de la richesse du foisonnement des différences qui coexistent au sein d’un même mouvement une certaine confusion (3) et un certain relativisme, bien dans l’air du temps. À part les idées néolibérales ou fascistes, finalement toutes les idées de gauche, d’extrême gauche ou libertaires ne se valent-elles pas ?

Dans ce genre de situation où l’unité prime sur la clarté et le tranchant des positions adoptées, les points de vue les plus modérés, donc les projets altercapitalistes critiqués dans ce texte, sont certainement ceux qui connaissent la plus grande diffusion médiatique et qui risquent d’influencer le plus les esprits. Face à la montée des idéologies protectionnistes, il n’est pas du tout sûr que l’altermondialisme soit capable de remporter la bataille contre les idées nationalistes, contre les partis et les discours populistes, d’extrême droite et fascistes qui prennent de l’ampleur. Tout un travail de définition politique devrait être entrepris et il est à craindre que la conception du néolibéralisme qui est la sienne ne l’en rende incapable.

Y.C., juin 2011

1. Comme le notent des militants d’ATTAC : « la culture du consensus ou de l’unanimité qui est périodiquement affirmée comme une force par les dirigeants de l’organisation, recouvre, de fait, des rapports de domination ». Une constatation que l’on pourrait faire aussi à propos d’un réseau comme RESF, sous une forme plus atténuée.

2. Ce primat de l’action concrète a des effets pervers puisqu’« une critique n’est considérée comme légitime que si elle répond aux besoins des militants pour leur action concrète ». Dans une organisation comme Lutte ouvrière par exemple cela donne (au mieux) : « C’est peut-être intéressant ta position, mais quelles sont les conséquences pratiques sur nos activités quotidiennes ? »

3. G. Wassermann, directeur de la revue Mouvements (créée en 1998) et qui passa presque toute sa vie militante au PCF avant de le quitter en 1987, critique les démarcations et affrontements politiques du mouvement ouvrier et socialiste, pour dresser un tableau idyllique du mouvement altermondialiste qui, d’après lui, se serait « d’emblée constitué par agrégation de cultures, de courants, de pratiques différents. Cette agrégation est même la condition sine qua non de son existence ». Cette « agrégation » tant vantée ne peut qu’entretenir la confusion et favoriser les positions les plus conciliatrices vis-à-vis de la domination du Capital et de son frère jumeau l’Etat.

Bibliographie

Eric Agrikoliansky, Olivier Fillieule, Nonna Mayer, L’altermondialisme en France. La longue histoire d’une nouvelle cause, Flammarion, 2005. La plupart des articles sont excellents et font preuve d’un regard critique sur les affirmations autocomplaisantes des altermondialistes. À la fois un ouvrage de sociologie des mouvements et d’analyse politique.

Eric Fougier, Dictionnaire analytique de l’altermondialisme, Ellipses, 2006. Bien informé. Très pratique à consulter. Seul inconvénient : il contient quelques répétitions, indispensables vu la nature de l’ouvrage mais un peu gênantes si on le lit de la première à la dernière page.

François Polet, Clés de lecture pour l’altermondialisme, CETRI, 2008. Un résumé bref, donc rapide à lire, mais portant surtout sur les idées, pas sur les mouvements.

Gustave Massiah, Une stratégie altermondialiste, La Découverte, 2011 – Jargonneux en diable et peu centré sur le récit d’expériences militantes concrètes.

Michel Wieworka (sous la direction de), Un autre monde, Balland, 2003. Beaucoup de discours généraux, peu d’exemples concrets

Ignacio Ramonet, Ramon Chao, Wozniak, Abécédaire partial et partiel de la mondialisation, Plon, 2003. Simple voire simpliste et acritique dans beaucoup d’entrées, mais assez représentatif du consensus mou souhaité par les idéologues du Monde diplomatique et d’ATTAC.

Raphaël Wintrebert, ATTAC, la politique autrement ? Enquête sur l’histoire et la crise d’une organisation militante, La Découverte, 2007. Autant l’enquête de cet observateur participant est intéressante, en tout cas pour quelqu’un d’extérieur à ATTAC qui souhaiterait en comprendre un peu le fonctionnement, autant la partie consacrée à la crise organisationnelle qui a vu le départ de Nikonoff, puis en 2008 la création par celui-ci du très chauvin M’PEP, Mouvement politique d’éducation populaire, est très décevante. L’auteur ne disposait pas à l’époque de suffisamment de recul après la scission et les enjeux sont pour le moins obscurs, tels qu’il les présente, ce qui nuit à l’intérêt de l’ouvrage.

ATTAC, Inégalités, crises, guerres : sortir de l’impasse, Mille et une nuits, 2003

Quelques sources Internet, parmi d’innombrables articles

– Critiques de l’altermondialisme sur Internet

http://www.danielmartin.eu/Politiqu...

– Numéro de L’Economie politique

http://www.leconomiepolitique.fr/l-...

– Site anticitoyennisme

http://web.tiscali.it/anticitoyenni...

– Altermondialisme et individualisme : une critique libertaire, Marco Silvestro, 25-26 mars 2006

www.crac-kebec.org/.../Alter...

– Les altermondialistes en Belgique, Geoffrey PLEYERS http://politique.eu.org/spip.php?ar...

Y.C.

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Ce dossier se compose de 7 articles

1. Bilan provisoire des altermondialismes : Altermondialisme… ou altercapitalisme ?

2. Bilan provisoire des altermondialismes : Les précurseurs

3. Bilan provisoire des altermondialismes : Quelques points de repère sur les origines du mouvement

4. Bilan provisoire des altermondialismes : Le rôle d’ATTAC et du Monde diplomatique

5. Bilan provisoire des altermondialismes : Les axes idéologiques d’ATTAC et du mouvement

6. Bilan provisoire des altermondialismes : « Victoires » ou changements des rapports de forces interétatiques ?

7. Bilan provisoire des altermondialismes : Vers la notabilisation ou vers l’explosion ?

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