2.1 Des rapprochements importants se sont opérés entre les staliniens (les « communistes ») et les trotskystes ; entre les chrétiens engagés dans des organisations humanitaires et les tiers-mondistes marxisants ou marxistes tiers-mondistes (rappelons à ce propos que la « doctrine sociale de l’Église » est ancienne et qu’elle a été inaugurée par l’encyclique Rerum Novarum du pape Léon XIII en 1891) ;
2.2 Des organisations minoritaires dans le mouvement social (Confédération paysanne, CNJA, CEDETIM) ont utilisé leurs liens internationaux pour gagner une légitimité et une assise que leurs maigres forces nationales ne leur auraient pas permis d’acquérir. Mais aussi une expertise qu’ils ont pu monnayer de façon symbolique pour acquérir des positions de pouvoir au sein du mouvement altermondialiste quand celui-ci s’est développé après Seattle.
2.3 Les années 1980 et 1990 ont vu toute une série de militants gauchistes tiersmondistes devenir des consultants, des experts spécialisés dans le « développement » du tiers monde.
2.4 La disparition de l’URSS et des pays capitalistes d’État à partir de 1989 a entraîné une crise idéologique importante à gauche et à l’extrême gauche. De même que les fonctions d’experts ont été un outil de reconversion professionnelle pour de nombreux ex-maoïstes, ex-trotskystes et ex-staliniens ou ex-tiers-mondistes, l’altermondialisme a représenté une idéologie de remplacement, qui a consisté à « blanchir » sous une forme plus acceptable, citoyenniste, de nombreux thèmes mis en avant, pendant des décennies, par les marxistes et les tiers-mondistes, et aussi par l’Union soviétique et les États capitalistes-bureaucratiques.
2.5 La guerre froide opposait un Axe du Bien (l’URSS, la Chine et les démocraties populaires ; les pays non alignés comme l’Égypte, l’Inde ou l’Indonésie ; les États issus des luttes de libération nationale comme l’Algérie, le Vietnam, la Corée, le Mozambique et l’Angola) et un Axe du Mal (les États-Unis, les dictatures pro-américaines du tiers monde – les dictatures prosoviétiques étaient le plus souvent épargnées par la critique de gauche ou d’extrême gauche – ou d’Europe : Grèce, Portugal, Espagne ; et les multinationales).
Désormais l’axe du Bien est constitué par les pays du Sud qui prétendent s’opposer au néolibéralisme, de la Malaisie au Venezuela, et l’axe du Mal par l’axe « américano-sioniste », les multinationales « apatrides » (aujourd’hui on dit les entreprises transnationales, c’est plus chic) et les institutions internationales censées être « à leur botte » – Fonds monétaire international, Banque mondiale, Organisation mondiale du commerce – et les méchants spéculateurs financiers.
2.6 Aussi curieux que cela puisse paraître, la Banque mondiale (comme l’explique Gustave Massiah) a tenté d’ajuster son modèle dès 1987. Et, en 1992, la Banque mondiale décide de « faire de la lutte contre la pauvreté un axe stratégique prioritaire » en surveillant la « bonne gouvernance » et en s’appuyant pour cela sur… les associations. Ce changement de stratégie favorisa toutes sortes d’ONG qui joueront et jouent encore un rôle modérateur non négligeable dans le mouvement altermondialiste, notamment OXFAM mais aussi toutes sortes de think tanks (clubs de réflexion) et d’observatoires de la mondialisation.
Y.C.
Ce dossier se compose de 7 articles
1. Bilan provisoire des altermondialismes : Altermondialisme… ou altercapitalisme ?
2. Bilan provisoire des altermondialismes : Les précurseurs
3. Bilan provisoire des altermondialismes : Quelques points de repère sur les origines du mouvement
4. Bilan provisoire des altermondialismes : Le rôle d’ATTAC et du Monde diplomatique
5. Bilan provisoire des altermondialismes : Les axes idéologiques d’ATTAC et du mouvement
6. Bilan provisoire des altermondialismes : « Victoires » ou changements des rapports de forces interétatiques ?
7. Bilan provisoire des altermondialismes : Vers la notabilisation ou vers l’explosion ?