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Anticapitalisme

samedi 19 novembre 2011

L’anticapitalisme de l’extrême gauche ; des altermondialistes et plus récemment des "Indignés" n’est le plus souvent qu’une critique morale des excès du système : spéculation financière, subventions aux banques qui jouent avec l’argent des petits épargnants, avantages fiscaux accordés aux entreprises qui licencient, trusts qui ont un monopole jugé excessif, transnationales qui délocalisent, privilèges financiers des gros actionnaires, stock-options et salaires à 6 chiffres, etc.

Or, il est tout aussi absurde aujourd’hui de lutter pour un retour à des petites entreprises locales autarciques (modèle écolo, libertaire à la sauce proudhonienne ou nationaliste-souverainiste de gauche), que pour la création de règles instaurant un commerce international « équitable » ou « limitant le pouvoir » des entreprises transnationales (modèle altermondialiste), sans abattre le capitalisme à l’échelle de la planète.

L’anticapitalisme d’extrême droite est de même nature. Jamais il ne s’attaque à la notion même de salariat, aux fondements de la hiérarchie, à l’argent et à la monnaie comme principe de l’échange, et, bien entendu, pas non plus à la propriété privée des moyens de production. C’est ainsi que Le Pen dénonce « le capital anonyme et vagabond, le complot mondialiste (…) visant à détruire les nations et les structures de l’ordre naturel (…), la domination complète de toute la planète dans tous les domaines : financiers, économiques, juridiques, voire religieux ».

Depuis le judéocide, on a tendance à croire que l’antisémitisme nazi n’aurait été que d’ordre racial. On oublie qu’il était aussi d’ordre social et économique (il avait pour première fonction d’éliminer physiquement ou au moins d’emprisonner tous les militants de gauche et d’extrême gauche, ainsi que les syndicalistes, sous le prétexte fantaisiste que le mouvement ouvrier était sous « domination juive » – en réalité parce que la domination de la bourgeoisie allemande était menacée, ou en tout cas ingérable dans les années 1930, si l’on voulait maintenir un système démocratique-parlementaire).

C’est cet antisémitisme-là qui a connu la plus forte descendance à l’extrême droite : en effet, le ZOG (« Gouvernement occupé par les sionistes ») symbolise, aux yeux de l’extrême droite, non seulement le gouvernement américain mais aussi toutes les grandes institutions internationales (FMI, OMC, Banque mondiale, ONU, OTAN). Cette forme d’antisémitisme rejoint certaines formes d’antisionisme qui dénoncent l’omniprésence et l’omnipuissance du « lobby sioniste », du lobby « américano-sioniste », etc.

L’antisémitisme social (celui que l’on trouve sous la plume de nombreux socialistes ou anarchistes du XIXe ou du XXe siècle) s’est réveillé à gauche, avec la mise en avant du caractère exemplaire de l’escroquerie de Bernard Madoff, par exemple, ou les explications de certains altermondialistes sur les causes de la crise économique mondiale.

De l’anticapitalisme à l’antisémitisme

Comme l’expliquaient déjà les camarades du groupe néerlandais De Fabel van de illegaal en 1999 :

« Une fois que l’on réussit à séparer idéologiquement le “détestable capital international” du reste du capitalisme, on peut facilement relier ce capital international à “l’Ennemi”, par exemple un État étranger ou bien un groupe spécifique de personnes. En poursuivant ce type de raisonnement, la critique du système peut aboutir à une idée absurde : un petit groupe d’individus hostiles contrôlerait complètement notre vie. Historiquement, ce genre de perception mène généralement à l’antisémi-tisme.

Les antisémites, surtout en Europe, associent traditionnellement la dénonciation du “capital international” à celle des États-Unis et des “Juifs”. Selon ce mode de pensée, le “capital international” serait entre les mains de Juifs qui comploteraient pour contrôler le monde. Ce “capital juif” opérerait surtout à partir de New York. L’extrême droite et les tendances nationalistes recyclent depuis longtemps ce genre de clichés. Ils clament que “la patrie” ou “l’Europe” serait menacée par – au choix selon le public auquel ils s’adressent – “le capital international”, “les multinationales américaines” ou “les Juifs”. Du point de vue de l’idéologie qui se cache derrière, tous ces termes sont équivalents.

Enfin, critiquer le libre-échange ne conduit pas forcément à l’antisémitisme, mais ces deux éléments s’accouplent facilement. (…) Celui qui sépare idéologiquement le “capital international” du “capital local” n’est donc pas forcément antisémite, mais le raisonnement sous-jacent peut potentiellement l’être. L’histoire nous montre à quel point l’un engendre facilement l’autre. Ce genre d’antisémitisme se retrouve également dans la Nouvelle Droite. Il y a quelque temps, Ruter écrivait dans un article concernant la mondialisation : “celui qui fixe et contrôle les crédits dirige le développement économique”. Ce n’est certainement pas par hasard s’il cite, dans le même texte, Amschel Meyer Rothschild qui était juif et aurait dit : “Laissez-moi contrôler les cours des monnaies et peu m’importera qui fait les lois.”

« Au début de la campagne anti-AMI aux Pays-Bas, en automne 1997, l’accent fut fortement mis sur le fait qu’il s’agissait de négociations secrètes et l’intérêt se porta rapidement sur la personnalité de certains dirigeants. La campagne anti-AMI parla d’un “coup d’État multinatio-nal” et d’une “prise de pouvoir secrète”. Cette présentation des faits était un peu exagérée. (…) Les adeptes des théories du complot ont fréquemment assisté aux réunions de la campagne. En août 1998, durant la réunion de Globalize Resistance à Genève, une personne voulut lire les écrits de l’antisémite allemand Van Helsing. Le Néerlandais Kühles, “théoricien des complots”, s’est intéressé à peu près en même temps à la campagne anti-AMI aux Pays-Bas et eut l’occasion de cracher son venin antisémite dans des réunions du mouvement anarchiste à Leiden. »

L’antisémitisme s’exprime également chez de nombreux militants de gauche qui, dans des conversations privées, évoquent le pouvoir des « sionistes » dans les médias (sur ce thème, les Indigènes de la République avaient même mené campagne), ou les liens entre des hommes politiques français « juifs » et les milieux d’argent ou de pouvoir (cf. la librairie d’extrême gauche « Résistances » qui mit en vitrine le livre de P.-E. Blanrue).

L’extrême droite s’est en partie débarrassé de son antisémitisme racial, pour des raisons tactiques, afin d’éviter des poursuites judiciaires comme celles qui ont frappé Le Pen, mais aussi parce que l’antisémitisme social est aujourd’hui beaucoup plus payant politiquement que le vieil antisémitisme racial.

Extrait du n° 36/37 de Ni patrie ni frontières : "Extrême gauche, extrême droite : inventaire de la confusion"

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