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« La Commune », par « descommunards » (note de lecture)

dimanche 21 août 2011

La Commune de Paris

1870-1971

Descommunardsyahoo.fr

3euros

Un groupe de camarades qui signe « des communeux » (tout en donnant l’adresse de courriel descommunards@yahoo.com) consacre une brochure de 140 pages à un événement maintes fois narré et analysé, mais sous un éclairage nouveau, tranché et prolétarien. Au rebours de l’abondante historiographie de la Commune, ce groupe ne voit dans le gouvernement parisien élu à la suite du 18 mars qu’une des deux fractions bourgeoises soucieuses d’annihiler la force des prolétaires armés des faubourgs de la capitale.

La Commune ne fut pas « spontanée » ; l’insurrection connut une longue maturation, commencée déjà sous l’Empire de Badinguet. La fin des années 1860 a vu de nombreuses grèves, en Allemagne et dans d’autres pays comme en France. Elles furent ici parfois durement réprimées comme à La Ricamarie (Loire) –14 morts en juin 1869 – ou à Aubin (Aveyron) – 17 morts en octobre). Pourtant la bourgeoisie doit parfois céder des augmentations de salaires, le prolétariat gagne en force et en union, et les groupes radicaux s’éloignant du prodhonisme alors dominant élargissent leur audience. Il se crée en France en 1870 quatre sections de l’International (AIT, fondée en 1866) à Paris, Rouen, Marseille et Lyon.

La déclaration de guerre de juillet 1870 ne change pas la situation : « le prolétariat, écrivent “les communeux”, ne se laisse pas aller dans le bourbier du nationalisme. » Cela ne durera pas. C’est un des intérêts de ce texte de rappeler que les ennemis du prolétariat ne lui sont pas extérieurs : ce sont le nationalisme et, pour reprendre les mots de la brochure, le démocratisme et, alors, le communalisme.

Les militants ne sont pas les derniers à en être empoisonnés : Blanqui confond dans son journal La Patrie en danger lutte nationale et lutte sociale, et l’AIT salue la république bourgeoise, ignorant l’invasion de la Chambre des députés (palais Bourbon) le 4 septembre, après la défaite de Napoléon III à Sedan, par un mouvement insurrectionnel venu des quartiers ouvriers, et que Jules Favre saura détourner en imposant la proclamation de la république à l’Hôtel de Ville, sur le modèle de février 1848.

Passons sur les événements – nombreux – du 4 septembre au 28 janvier 1871, date de l’armistice : « Officiellement, on désarme. Dans les faits, le prolétariat reste sur le pied de guerre. On peut dire que les tensions entre le prolétariat et la bourgeoisie s’exacerbent. »

Là encore, cependant, la grande majorité des militants révolutionnaires se perdent dans le parlementarisme, participant aux élections du 8 février. Le prolétariat agira donc sans eux, pour son propre compte : en février et mars, la Garde nationale s’empare de canons et de fusils, de cartouches, de poudre, attaque la prison de Sainte-Pélagie, tandis qu’à plusieurs reprises l’armée fraternise avec elle. Lorsque le gouvernement supprime la solde des Gardes nationaux, ceux-ci décident de « se fédérer ». Mais ce mouvement d’autonomisation n’est pas assez fort et la création du Comité central de la Garde nationale canalise les énergies et rétablit la logique militaire, la discipline, la hiérarchie…

Le 18 mars, la réaction prolétarienne à la tentative gouvernementale de récupérer les canons de la garde nationale se fera en dehors du Comité central. Le mouvement de fraternisation est puissant. La brochure estime que la réussite du soulèvement parisien « est le résultat de la continuité donnée par des militants révolutionnaires » à l’activité organisatrice au sein des Comités de vigilance, clubs, bataillons rouges, Francs-Tireurs et autres associations prolétariennes.

Le texte balance tout au long entre les deux termes de cette contradiction que d’une part le prolétariat gagne en autonomie, s’insurge, mène l’insurrection, d’autre part qu’à un certain point son action est freinée, que des institutions, qu’il s’est données ou que la bourgeoisie a construites, l’encadrent et le canalisent, ou lui barrent la route.

Ainsi dès le 18 mars le Comité central temporise, laisse les troupes quitter Paris, n’arrête pas les ministres et ne poursuit pas Thiers et les députés jusqu’à Versailles., n’occupe pas le Mont-Valérien. Et s’organisent les élections du gouvernement de la Commune, décrit ici comme une « fraction bourgeoise » : « Le gouvernement Thiers vise l’écrasement du prolétariat insurgé avant toute réorganisation de l’Etat, tandis que le gouvernement de la Commune tente la concorde sociale par la mise en avant d’un programme de réformes à coloration socialiste, humaniste, pour endormir le prolétariat. Leurs fonctions sont complémentaires. »

On le voit : pour les communeux, la Commune est loin d’être « la forme enfin trouvée qui permettait de réaliser l’émancipation économique du travail. » Au contraire. La célèbre formule de Marx n’est même pas citée dans leur brochure. N’avoir pas pris la Banque de France n’est pas une « erreur », mais une attitude conforme au respect de la propriété privée et à la nature démocratique de ce gouvernement. Il en va de même des célèbres décrets de la Commune, généralement cités pour leur contenu révolutionnaire mais dont les limites sont le plus souvent occultées : les loyers ne sont pas annulés, mais seulement les trois derniers termes ; la réquisition des logements vacants resta inappliquée ; le Mont-de-Piété n’est pas aboli, et si après de longs atermoiements on décrète que les prêts inférieurs à 50 francs pourront être dégagés gratuitement, les actionnaires seront indemnisés ; le travail de nuit des boulangers est interdit, mais la suppression des placeurs (par lesquels devait passer tout ouvrier pour être embauché) est oubliée…

Face au gouvernement de la Commune, le prolétariat n’est pourtant pas inactif – il s’exprime dans les clubs ou dans certains journaux. Un texte exhumé par cette brochure, adressé à un membre du Comité central par « un vieil hébertiste », le rappelle : alors qu’à l’Hôtel de Ville on entend « des paroles surannées de respect, de droit, de probité, de décence ». « En ce moment, il n’y a qu’un droit, c’est celui du prolétaire contre le propriétaire et le capitaliste, du pauvre contre le riche et le bourgeois, du déshérité depuis des siècles contre l’aisé et le jouissant », mais il peine à imposer son point de vue et se débat dans cette contradiction : « Une certaine lucidité quant à la fonction de ce gouvernement et de l’autre une incapacité à rompre avec tout ce fatras légaliste et à s’organiser pour imposer ses besoins élémentaires. » L’impéritie militaire (illustrée par la malheureuse sortie du 3 avril, puis par les autres défaites qui s’ensuivirent) s’accentue et quand le 1er mai est institué un Comité de salut public, celui-ci, « en accaparant l’initiative de la solution à donner, renforce l’attitude passive du prolétariat ».

Ainsi le gouvernement de la Commune a-t-il mené une politique de désarmement des prolétaires, qui ne pouvait mener qu’à la défaite sanglante. Reste le fait, pourtant, que le prolétariat parisien a imposé un rapport de forces qui a menacé l’Etat ; que les soldats ont fraternisé, dans un premier temp.Quant aux soldats meurtriers de la Semaine sanglante, ils étaient soigneusement encadrés, empêchés dans leurs casernes de tout contact avec la population, apeurés car eux-mêmes menacés d’être abattus par leurs supérieurs.

Restent aussi les interrogations sur le rôle des militants – blanquistes et internationaux s’étant souvent trouvés du côté de la contre-révolution, par patriotisme, par légalisme…

La brochure des communeux consacre de nombreux paragraphes à l’idée de « parti » – qui, pour ses auteurs, n’est pas une organisation politique mais « se manifeste, en un lieu et une période donnés, par la présence dans la lutte d’un condensé des expériences de lutte du prolétariat, concrétisé en une force organisée visant à défaire l’ennemi de classe et à imposer la dictature des besoins humains ».

Et dans leur préface, les auteurs demandent : « Comment nous organiser contre l’Etat pour en finir une bonne fois pour toutes avec la guerre permanente de la bourgeoisie contre le prolétariat ? » L’étude de la Commune s’inscrit bien sûr dans cette interrogation. D’où l’importance pour eux d’affirmer qu’il n’y a pas de « spontanéité du prolétariat » que les militants, par leurs présence et activité, viendraient corrompre ou détourner de ses objectifs ». Leur solution, c’est qu’il n’y a pas d’extériorité par rapport au mouvement, que les militants sont aussi « une expression du mouvement ».

Si les militants sont des prolétaires, il n’y a en effet pas d’extériorité… Mais les organisations deviennent vite extérieures aux couches sociales qu’elles prétendent représenter. Le débat reste ouvert.

F. M

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