Dès le départ votre article intitulé « Racisme anti-Blancs » : qui sont les vraies victimes ? » que l’on peut lire sur ce site accompagné d’un autre de vos articles cf. Deux textes sur le prétendu "racisme anti-Blancs" déclare qu’il y aurait une « offensive culturelle fasciste ». Pourriez-vous préciser qui sont exactement ces « fascistes », les noms de leur groupes, leur taille, etc. ? Est-ce seulement le Bloc Identitaire ? Incluez-vous ou pas le Front national dans les « fascistes » et si oui pourquoi ? Si non, quelle différence faites-vous entre extrême droite et fascistes ?
Alors d’abord la réponse à la question la plus simple : oui nous incluons le Front national dans les fascistes, évidemment pourrait-on dire. Il n’y a aucune raison objective de se poser cette question maintenant, comme le font les médias et les politologues officiels. On a beaucoup glosé sur la soi-disant détermination de Marine Le Pen de rompre avec le passé, notamment en se fondant sur l’affrontement entre elle et la tendance qualifiée de « traditionnelle » incarnée par Bruno Golnisch et ses partisans.
Mais d’une part, Bruno Gollnisch et la majorité de ses partisans sont restés au Front national où ils ont remporté le tiers des voix exprimées lors du congrès, et d’autre part Marine Le Pen a proposé une vice-présidence à Gollnisch, ce qui relativise la prétendue rupture incarnée par cette femme.
En réalité, le Front national fonctionne comme une rupture permanente avec le passé, au sens où en son sein, se sont toujours affrontées des lignes divergentes en apparence : la période mégrétiste, les grandes lignes de fracture entre catholiques traditionalistes et racialistes plus ou moins païens, entre les partisans d’un capitalisme décomplexé et les tenants du nationalisme révolutionnaire, entre ceux qui pensent que la ligne révisionniste est un atout et ceux qui, au contraire veulent se réclamer de la Résistance.
A la finale, la direction du Front a toujours su réaliser une synthèse des « divergences » comme le fait Marine Le Pen aujourd’hui en intégrant en même temps l’offensive des partisans de la « guerre des civilisations » ; l’antisémitisme codé qui s’exprime dans la dénonciation du capitalisme « mondialisé » et du complot immigrationniste organisé d’en haut ; la dimension prétendument sociale inspirée par Alain Soral et consorts…
La question se pose souvent de la « mutation » des partis fascistes européens qui ont accédé à des responsabilités récemment, comme la Ligue du Nord ou le MSI en Italie. Mais ces questions apparemment cohérentes si l’on s’en tient au discours apparent des dirigeants, plus « soft », non pas sur le racisme ou le sexisme, mais sur le « système » auquel ils participent désormais comme ministres ou parlementaires de gouvernement de coalition avec la droite classique, ces questions trouvent vite une réponse lorsqu’on a une vision d’ensemble de la mouvance fasciste.
Les liens organiques et d’intérêt réciproques entre les fascistes new look et les fascistes classiques et revendiqués comme tels apparaissent immédiatement. En Italie, la prise de certaines mairies par La Ligue du Nord permet que des groupes fascistes violents et rupturistes aient des subventions municipales, par exemple. Le Front fonctionne aujourd’hui encore comme un sas d’entrée et de découverte de la mouvance fasciste plus confidentielle, plus « radicale », et inversement, ces groupes plus radicaux constituent souvent un lieu de formation idéologique et pratique pour les futurs cadres du Front ou du Bloc Identitaire.
Le fascisme organisé est comme une bête à plusieurs têtes : les têtes peuvent se mordre entre elles, paraître très dissemblables, et même en conflit, mais il y a bien un corps commun et à chaque fois qu’une des têtes se nourrit, elle alimente toute la bête et donc toujours un peu les autres têtes.
Sur ta deuxième question : non nous ne pouvons pas préciser le nombre de groupes, les noms, la taille…Ou alors il faudrait un numéro spécial de ton journal et encore… Et le temps de finir, tout aurait déjà changé, car le fascisme organisé est en pleine mutation, en pleine synthèse. L’importance numérique de tel ou tel groupe ne reflète pas forcément son rôle décisif ou pas dans l’élaboration de cette synthèse. Le meilleur exemple récent de ça est sans doute fdesouche : au départ fdesouche a réellement commencé comme le blog personnel d’un jeune militant, probablement cadre très supérieur dans la communication. Trois ans plus tard, c’est le lieu où s’élabore le discours frontiste, il suffit pour s’en convaincre de lire régulièrement, et d’écouter ensuite Marine Le Pen, les angles d’attaque comme les « anecdotes du réel » choisies dans ses interventions sont toujours celles de ce journal en ligne.
Nous parlons d’ « offensive culturelle », pour plusieurs raisons : le terme lui-même a été développé ces dernières années essentiellement par des groupes à dominante maoïste qui ont créé un réseau appelé Action Antifasciste. Bien que nous ne partagions pas toutes les analyses de ces groupes, loin s’en faut, leur perspective d’analyse est ce qui correspond le plus à la nôtre.
Nous avons créé ce blog Luftmenschen, non pas en réaction à l’avancée des groupes fascistes classiques organisés, mais en réaction à un autre phénomène : l’émergence à une vaste échelle à l’extrême gauche de thématiques racistes et/ou antisémites, doublée d’un soutien à des mouvements objectivement réactionnaires.
Dans la deuxième moitié des années 2000, nous avons perçu personnellement ces phénomènes que toi et quelques autres aviez repérés et analysés bien avant : sous couvert de « soutien » à la Palestine et de combat contre l’« antisionisme », revenaient par la grande porte à la fois les thèses du « complot juif » organisé à l’échelle mondiale, contrôlant notamment la politique américaine, mais également les médias capitalistes. Mais aussi le négationnisme rampant au travers de comparaisons incessantes de tout et n’importe quoi avec le génocide nazi.
Et puis petit à petit s’y est ajouté le racisme de plus en plus ouvert à travers les prises de position anti-voile de LO ou d’autres, mais aussi le déferlement de discours hallucinés comparant « les jeunes de banlieue » à des SA pendant le mouvement du CPE, une absence totale de recul face aux agressions qui s’étaient réellement déroulées mais méritaient une véritable analyse.
Ensuite, le reste a suivi : le discours de critique de l’industrie pharmaceutique qui devient un discours anti-scientifique et complotiste encore une fois, ce qu’on a très bien vu avec la grippe A, par exemple.
Au début, quand tout ceci a commencé à s’installer, on pensait à des infiltrations « fascistes », mais petit à petit tu te rends compte que ces idées ne choquent presque personne dans ton propre camp, que l’offensive se fait à partir de celui-ci, pas de l’extérieur, pas seulement en tout cas.
Faurisson n’est pas allé chercher Dieudonné, et le Bloc Identitaire n’est pas allé draguer Riposte Laïque à la base.
Pour notre part, nous étions plutôt de culture « anti-antifasciste » : pour nous l’antifascisme c’était surtout le prétexte de toutes les alliances avec la gauche, et de plus nous étions très influencés par la culture de l’« hypercritique » qui prévaut chez pas mal d’anarchistes et de gens d’ultragauche. Critique outrée du féminisme, de l’anti-racisme, situationnisme vulgarisé et mal digéré, qui t’amènent à toujours privilégier la critique des idéologies progressistes : critiques utiles mais si tu sais te souvenir que le progressisme, quand même, ce n’est pas la même chose que la réaction.
Donc notre antifascisme ne se confond pas avec l’antifascisme réactif qui connaît un regain de succès à l’extrême gauche : on ne va pas se plaindre que tel ou tel meeting, telle ou telle manifestation des fachos soit perturbée par une contre-manifestation, ni que des groupes analysent en détail la mouvance fasciste organisée.
Mais en même temps, cet activisme, caractéristique classique de l’extrême gauche française, a quelque chose d’absurde : aujourd’hui, tous les jours des initiatives fascistes ont lieu, et on sait tous que l’on n’empêchera rien, qu’on ne manifestera pas partout, et qu’en plus la répression sera pour nous et pas pour eux. L’autre constat, c’est que le mouvement ne s’étend pas beaucoup et qu’à côté de ça, le terrain culturel est totalement laissé au communautarisme en termes de production prétendument antiraciste, notamment.
Et ça c’est notre faute : si l’extrême gauche, par exemple avait su réagir correctement et dignement à l’assassinat d’Ilan Halimi au lieu de continuer à nier l’antisémitisme en France, et pire à le propager, notamment à propos de ce crime, la LDJ ne réunirait pas des centaines de jeunes qui se vivent désormais comme Juifs menacés par tous les autres prolétaires.
De la même manière, qui peut s’étonner de trouver des militants frontistes à la CGT quand le discours de sa bureaucratie mais aussi celui de la quasi-totalité des organisations du mouvement social à propos des délocalisations est un discours objectivement nationaliste, où l’ennemi désigné est « la mondialisation » comme si un capitalisme-maison était finalement mieux ? Pourquoi s’étonner du succès des Identitaires et de leur discours bidon sur le vilain fast-food et la menace qui pèse sur NOS saucisses et NOS fromages, quand l’icône de l’extrême gauche a été des années durant José Bové, et NOTRE roquefort menacé par les méchants Américains ?
Voilà le genre de messages que l’extrême gauche a propagé quand elle a eu son heure de popularité médiatique au début des années 2000. Alors qui a dédiabolisé le Front national ?
Nous sommes d’accord avec l’analyse selon laquelle le fascisme originel trouve bien une partie de ses racines à gauche : on ne peut pas considérer que des gens comme George Sorel sont des soldats perdus, en même temps faire du syndicalisme révolutionnaire sa doctrine d’action, et prétendre que ce type serait brusquement devenu cinglé le jour où il contacte l’Action Française.
On ne peut pas prétendre que les collusions avec les boulangistes, puis l’enthousiasme d’une partie du mouvement socialiste pour Drumont, puis l’histoire d’hommes politiques comme Doriot, puis celle de la Vieille Taupe dans les années 70, puis celle de gens comme Alain Soral et Dieudonné ne sont que des « accidents » sans rationalité. A un moment, il faut bien admettre qu’il y a en partie une matrice commune et en chercher les raisons : ensuite on peut le faire selon une analyse de classe pure en pointant le rôle de la petite bourgeoisie en période de crise ; on peut penser que le fascisme est l’évolution inéluctable du capitalisme et donc aussi de sa composante politique social-démocrate ; on peut faire une analyse « nationale » sur l’histoire spécifique de l’extrême gauche française, son rapport aux colonies, à la prétendue question juive…Là-dessus, les différents courants du mouvement ouvrier ont développé chacun leurs propres arguments.
Mais la nécessité antifasciste commune aujourd’hui, c’est de comprendre ce qui, dans notre camp, alimente le fascisme organisé, ce qui ne doit pas avoir sa place dans le discours et la pratique révolutionnaires.
Sinon, de toute façon, on se condamne à la défaite, on nourrit la bête tout en la combattant, c’est absurde : de fait aujourd’hui on parle beaucoup de la droite « décomplexée », mais assez peu de tout ce peuple de gauche « décomplexé » qui aimait bien José Bové, se vit comme résistant à l’ordre mondial et « vraiment » révolutionnaire tout en étant raciste,sexiste et antisémite.
Cette réflexion n’enlève rien à la nécessité de l’autodéfense car désormais tout le mouvement de classe est menacé et confronté aux actions violentes de l’extrême droite organisée : mais là c’est pareil, depuis des années, la majorité de l’extrême gauche a prétendu que les « vrais fascistes » étaient au pouvoir, et que le reste était des « groupuscules sans intérêt » et beaucoup moins dangereux que Brice Hortefeux.
Il ne s’agit pas, en réalité de dire que tel ou tel est plus ou moins dangereux : oui un commissaire de police de la République a plus de moyens qu’un « bonehead » chômeur. Maintenant il n’empêche que lorsque le bonehead est ami avec le commissaire lui-même au Front national, on est doublement dans la merde.
On peut se faire tabasser illégalement par des fachos ET en plus finir en garde à vue et se faire tabasser à peu près légalement, c’est ce que sont en train de découvrir un paquet de gens, et forcément quand on a crié au nazisme et banalisé le terme pour la droite réactionnaire, l’apparition de VRAIS nazis revendiqués ne crée plus d’indignation réelle.
Vous écrivez un truc un peu mystérieux et tarabiscoté à mon avis : « il ne peut y avoir aucun signe d¹égalité tracé entre les communautarismes minoritaires, même lorsqu’ils évoluent vers le fascisme, et l’oppression majoritaire fondée sur des critères racialistes ». Qui sont ces « mystérieux communautarismes minoritaires » qui « évoluent vers le fascisme » ? Et surtout à partir de quel degré « d’évolution » les considérez-vous comme similaires au fascisme ? Où placez-vous la barre ? Car sinon cela implique que vous considérez certains fascismes comme moins dangereux que d’autres, sous prétexte qu’ils seraient d’origine « communautaire ». Et dans ce cas le terme de fascisme n’a plus aucun sens, du moins pour moi.
Quand on parle de majorité et de minorité, on parle du pouvoir. La minorité n’a pas le même pouvoir que la majorité.
On peut être xénophobe que l’on soit majoritaire ou minoritaire. Mais si on considère que le racisme est la possibilité de mettre en œuvre ses sentiments xénophobes, il est évident que majoritaires et minoritaires ne sont pas égaux devant le racisme. De même que femmes et hommes ne sont pas égaux devant le sexisme, qu’un homosexuel hétérophobe aura beaucoup moins d’occasions d’exprimer sa haine qu’un hétérosexuel homophobe, et ainsi de suite...
Si tout le monde a la possibilité de détester l’autre, tout le monde n’a pas le pouvoir de s’en prendre à l’autre avec les mêmes armes. La tyrannie des minorités n’existe pas, c’est un non-sens, comme le racisme anti-Blancs, la tyrannie est nécessairement l’expression de la majorité, étant bien entendu que le terme « majorité » renvoie à une position sociale dominante et pas forcément au nombre d’individus qui la composent.
Il ne s’agit pas de nier, d’excuser ou de justifier des comportements fascisants chez les minorités, mais de rationaliser, et de ne pas surévaluer l’influence des minorités.
D’ailleurs on remarquera que les fascistes, dans leur entreprise de retournement victimaire aiment dire que le pouvoir est entre les mains tantôt des « juifs », tantôt des « pédés », tantôt des « gonzesses ».
Ce qui nous semble mystérieux et tarabiscoté, c’est bien la tendance actuelle chez des gens qui se disent progressistes à cautionner en permanence ce retournement victimaire : quand on a commencé à bosser sur ce texte sur le « racisme anti-Blancs », on a eu vraiment de nombreux doutes sur sa publication, au sens où tu te dis « Vraiment est-ce qu’on en est arrivés là ? Est-ce qu’il faut revenir sur des absurdités pareilles, expliquer qu’un concept forgé de toutes pièces par les fascistes est faux ? Est-ce qu’il faut vraiment repartir de zéro ? Est-ce qu’on en est, nous aussi, à l’analyse de la rubrique faits divers, est-ce que tout le monde a oublié que le principe de la rubrique faits divers, c’est de mettre en avant ceux qui arrangent les capitalistes et les fascistes, et que même si UN seul mec s’est fait traiter de “sale Blanc” dans ce pays, ça aura plus de retentissement que si quatre mille se sont fait traiter de sales bougnoules ou de sales youpins dans la même journée ? »
Et puis, oui, tu te rends compte qu’il faut, même pour les gens des minorités concernées. On écoutait une émission sur RMC avec Tarek Yildiz, un « sociologue » par ailleurs salarié pour un site de Plaines Communes, géré par un ex du PCF, Braouezec, qui fait son buzz avec un opuscule sur le « racisme anti-Blancs ». Et ce qui nous a marqué, c’est une auditrice d’origine maghrébine qui expose une expérience raciste : elle était dans un café avec son ami, celui-ci est agressé avec propos racistes par un Franco-Français, et c’est lui qui se retrouve au commissariat, notamment parce que tout le monde dans le bar a pris parti contre son ami. Et cette dame dit : « Maintenant, pour la première fois de ma vie, je me méfie des institutions françaises, je me méfie des Français, j’ai peur, je suis en colère, j’avoue je suis devenue “raciste anti-Blancs”. »…
Voilà, ce n’est qu’UN témoignage, mais il illustre un peu la tendance qui peut aussi expliquer certains discours tenus par des membres des minorités notamment les plus jeunes : on impose l’idée que l’antiracisme est un racisme anti-majorité et du coup, l’identification se fait aussi « à l’envers », des gens vont se penser eux mêmes comme communautaristes et racistes. On les pousse vers un certain choix, finalement, celui de la revendication d’une identité, qui au départ ne leur convenait pas du tout.
Vous écrivez : « Dans l’absolu, l’esclavage aurait pu être le fait d’hommes noirs sur des hommes blancs ». Sous-entendez-vous que seuls les Européens « blancs » auraient réduit des millions d’hommes en esclavage et justifié l’esclavage ? Quelles preuves historiques apportez-vous à cette thèse ? Il me semble que l’esclavage a été pratiqué pendant des siècles sur plusieurs continents, et que la traite orientale n’a rien à envier à la traite atlantique, et les justifications musulmanes (y compris chez le grand intellectuel Ibn Khaldoun) pas très différentes du Code noir, si j’en crois le livre de Malek Chebel à ce sujet, pour ne pas parler du pamphlet tendancieux mais troublant de Tidiane Ndiaye (Le génocide voilé).
On en revient au même sujet, le retournement victimaire imposé par le poids culturel fasciste. Objectivement et historiquement, tu as tout à fait raison.
Mais, nous, on écrit comme des habitants de la France du XXIe siècle à propos du « racisme anti-Blancs » ; c’est-à-dire par rapport aux évènements historiques dont le poids est encore socialement vivant aujourd’hui, de manière dominante. Le fait que la traite négrière, comme la colonisation ait encore une résonance énorme dans les politiques, dans les imaginaires sociaux relatifs aux minorités concernées.
Oui, on a pas pensé au fait que d’autres populations aient pratiqué l’esclavage sur les Noirs, et notamment les Arabes et les musulmans…Pourquoi ? Tout simplement, parce que depuis tous petits, ce qu’on vit entre Arabes, Noirs, Juifs, c’est une oppression commune, le racisme et l’antisémitisme, et que franchement, cette oppression commune nous rend bien lointaine ce qui a pu nous opposer ailleurs et avant.
C’est marrant, en France, tout le monde ou presque se moque de l’histoire précise des décolonisations d’Afrique noire et même de celle des pays d’Afrique du Nord. Mais cette affaire de l’esclavage pratiqué par les Arabes sur les Noirs a passionné médiatiquement et tu as là-dessus des articles super précis sur tous les sites racistes depuis quelques années.
Et naturellement, tout cela est utilisé pour contrer le discours d’autodéfense antiraciste : tu parles de la colonisation en Algérie, on te dit « Et alors, vous aussi, vous étiez des salauds et des conquérants »…
Après attention : il y a effectivement des gens issus de la minorité arabe qui font preuve de racisme envers ceux de la minorité noire, seulement si tu analyses objectivement leurs préjugés, ce sont les mêmes que ceux de la majorité dominante, qui présentent le Noir comme un être inférieur, et ça nous semble un peu tiré par les cheveux d’expliquer cela par le passé musulman, plutôt que par les préjugés ambiants et actuels contre les Noirs.
Donc cette phrase dans notre texte encore une fois, elle vise à dire l’absurdité de ce concept de « racisme anti-Blancs », ici et maintenant, dans un pays où un vieux parfumeur peut encore conter avec délices ses expériences de vieux colon, et blaguer sur les « nègres » au journal télévisé.
Votre texte est traversé par l’idée que le racisme anti-Blancs aurait été une idée inventée par l’extrême droite. Il me semble (mais il faudrait vérifier la chronologie et surtout l’impact médiatique) que ce sont surtout les intellectuels antiracistes ayant soutenu SOS Racisme (Alain Finkielkraut, Pascal Bruckner, Jacques Julliard, Bernard Kouchner, Pierre-André Taguieff et quelques autres sont par exemple les signataires d’une pétition à ce sujet en mai 2005) qui ont lancé ce truc bidon du racisme anti-Blancs dans les médias de gauche après la razzia opérée sur une manif de lycéens parisiens en mars 2005 par des groupes de jeunes en capuche venus des banlieues et étiquetés « noirs » ou « arabes ». Si c’est exact, cette thématique n’est pas tant d’extrême droite que beaucoup plus large, et surtout venant des antiracistes officiels de gauche...
L’impact médiatique de la reprise par les gens que tu cites d’un concept d’extrême droite traduit encore une fois le glissement raciste et sécuritaire de la classe politique dans son ensemble, mais pas l’origine du concept, pas plus que l’antisémitisme de Dieudonné, au départ lié aussi à la gauche « antiraciste » ne traduirait une quelconque originalité de ses thèses par rapport à ceux des fascistes.
Les sources contemporaines de cette notion sont à aller chercher principalement dans la mouvance regroupée autour de l’AGRIF (Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l’identité française et chrétienne), crée par Bernard Antony….en 1984. Tout le combat de cette association, qui regroupe catholiques intégristes et nostalgiques de l’Algérie française va justement être celui du retournement victimaire. La filiation historique est très claire, ce sont des gens qui, au départ, tentent de faire des colonisés des barbares obsédés par le massacre des colons, et qui vont ensuite tenter de faire des victimes du racisme , les « vrais » bourreaux, les « vrais » colonisateurs qui veulent détruire la civilisation blanche et chrétienne.
Au sein du Front, ce courant va en croiser d’autres et essaimer, notamment parce que sa méthode des combats juridiques pour que les lois antiracistes soient applicables au prétendu « racisme anti-Blancs » va beaucoup plaire.
Et puis ensuite, au fur et à mesure que la gauche au pouvoir reprend le discours et la pratique sécuritaire et raciste, elle en vient naturellement à adopter aussi cette dimension-là. En 2005, on est dans l’après avril 2002, dans l’obsession électoraliste partout partagée de récupérer les voix du Front national, donc cela explique la reprise du concept, et sa banalisation. Banalisation qui est possible aussi, encore une fois à cause de l’histoire de la gauche française, et de son rapport jamais réglé au racisme et au nationalisme.
Les Luftmenschen