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Classes sociales et « catégories socio-professionnelles » en France : un casse-tête

samedi 19 février 2011

La France est un pays de 64 millions d’habitants (tous les chiffres de cet article datent de septembre 2009, aujourd’hui la France compte 65,4 millions d’habitants). Parmi ces 64 millions de personnes, environ 27,8 millions sont considérées comme « actives » par les statisticiens. Cette main-d’oeuvre comprend :

- 23,7 millions de salariés (soit 90% de la population active divisée en 70% travaillant pour le secteur privé et 20% pour l’Etat),

2,3 millions de non-salariés.

83% des salariés ont un emploi à temps plein et 17% un emploi à temps partiel avec des contrats à durée déterminée pour des agences d’intérim ou des entreprises normales.

1,3 millions de personnes vivent avec moins de 645 euros par mois.

3,2 millions souffrent de conditions de logement difficiles et parmi eux il faut distinguer les plus précaires : 100 000 « vivent » dans la rue, 100 000 en campings et dans des mobil homes, 50 000 dans les hôtels, 41 000 dans les « logements » qui sont en fait des simili bidonvilles.

Ainsi, en 2008, avec ses 23,7 millions de salariés, ses énormes différences sociales en termes de salaires, de patrimoine, de niveau scolaire, etc, la France est bien une société de classes, où les relations sociales sont organisées autour de Capital et du Travail, sans aucune ambiguité.

Si l’on considère les deux classes fondamentales de la société capitaliste moderne, la classe ouvrière et la bourgeoisie, nous avons, selon les statistiques officielles de l’Etat,

- 7,3 millions d’employés : les fonctionnaires, les employés administratifs du privé, les employés du commerce, et les personnes travaillant dans le secteur des services à la personne. (Il y a plus de 1,1 million d’employés chômeurs)

- 6 millions d’ouvriers, non qualifiés ou qualifiés, de travailleurs agricoles, et de salariés travaillant pour des artisans. (On compte plus de 1,1 million d’ouvriers chômeurs). Les ouvriers qui travaillent pour l’industrie représentent 35,6% des personnes ayant un emploi, 13,9% travaillent dans l’industrie du bâtiment et des travaux publics, et 46% dans le secteur tertiaire. Fondamentalement, les ouvriers produisent moins de marchandises qu’ils ne réparent, entretiennent, livrent et font circuler des marchandises.

- et 876 000 de « techniciens ».

Donc, au moins la moitié de la population active peut être rangée sans hésitation dans la classe ouvrière. Bien entendu, ces chiffres ne donnent qu’une estimation très approximative puisque les statisticiens raisonnent en termes de « catégories socioprofessionnelles », un concept qui ne coïncide pas avec celui des classes sociales.

Il est bien évident que quelqu’un considéré comme un ouvrier ou un ouvrier par les statisticiens ne sera jamais un capitaliste « caché », par contre on peut affirmer qu’une partie des membres de la classe capitaliste se cachent sous l’étiquette des « cadres ».

Et je n’entrerai pas ici dans une discussion théorique sur le travail productif et improductif, selon le rôle joué dans la production de plus-value, etc. D’abord, parce que je ne suis pas un expert en marxisme, et ensuite parce que je crois que les classes sociales sont des réalités mouvantes et non des réalités statiques, figées.

En d’autres termes, un travailleur manuel peut très bien être un producteur de plus-value, refuser de s’identifier à la classe ouvrière, s’identifier avec son gouvernement et son État et considérer qu’il fait partie ou fera bientôt partie de la « classe moyens ». Donc, notre problème n’est pas tant d’ordre statistique (qui peut être étiqueté comme prolétaire et qui ne peut pas l’être ? et sur combien de millions de prolétaires peut-on compter pour le Grand Soir ?), que d’analyser correctement la signification politique des grèves, des mouvements sociaux, des soulèvements sociaux ou des « révolutions » qui ont régulièrement lieu sur cette planète.

Par opposition à cette majorité statistique de prolétaires ou de membres de la classe ouvrière, les capitalistes, gestionnaires et propriétaires des grands moyens de production, ne représentent qu’une petite minorité de la population française.

Évidemment les statisticiens ne comptent pas, même de façon approximative, les membres de la bourgeoisie, mais nous savons qu’environ 150 000 patrons français emploient plus de 10 salariés. A ces chiffres, nous pouvons ajouter les gestionnaires, les cadres dirigeants et une fraction des cadres du secteur public et privé, qui reçoivent un salaire et ne sont possèdent pas les usines, les banques, les supermarchés ou les grandes propriétés agricoles. On peut deviner la taille de la bourgeoisie salariée (de façon très approximativement) en partant du fait que 40 000 personnes reçoivent des stock-options en France. Alors disons, pour simplifier, que le noyau de la classe capitaliste ne représente sans doute pas plus de 190 000 personnes.

Ensuite, il faut y ajouter une petite minorité des 642 000 agriculteurs (propriétaires fonciers) qui représentent une très petite partie de la population française, mais jouent un rôle vital dans l’économie. En effet, les exportations agricoles françaises représentent les 2/3 des exportations agricoles américaines. La France est le premier producteur agricole européen et le deuxième exportateur de produits agricoles dans le monde.

Les commerçants (692 000), les artisans (665 000) et les professions libérales (avocats, notaires, architectes, médecins libéraux, etc, soit 345 000 personnes) représentent en tout 1,7 millions de personnes.

J’ai gardé pour la fin ce que les sociologues appellent la ou les « classes moyennes » et ce que je préfère appeler la « nouvelle petite bourgeoisie » ou la « petite bourgeoisie » salariée.

Une bonne partie de ces personnes travaillent dans le secteur de la production immatérielle (les salariés du secteur artistique, de l’information, de l’éducation et de l’industrie du divertissement) ou bien ils ont une position et une fonction de commandement dans l’industrie : les contremaîtres, les agents d’encadrement, les ingénieurs et les cadres. Au total, ils représentent 9,4 millions de personnes, soit 34% de la population active.

Selon les statisticiens, les « cadres et professions intellectuelles supérieures » regroupent les ingénieurs, les cadres, les journalistes, les salariés des secteurs artistiques, de l’information, de l’industrie du divertissement, les professeurs de l’enseignement secondaire et les professeurs d’université.

Les « professions intermédiaires » regroupent, quant à elles, les techniciens, les contremaîtres, les agents d’encadrement, les enseignants du primaire, la moitié des infirmières et toutes sortes d’emplois comme les travailleurs sociaux et une partie des emplois administratifs dans les secteur public et privé. Il est donc assez difficile, en s’appuyant sur les catégories socioprofessionnelles, d’opérer des différenciations de classe claires et rapides entre ces 9,4 millions de personnes !

Un bon indicateur de l’écart entre la classe ouvrière et ces prétendues « classes moyennes » est fourni par le montant du patrimoine de chaque « catégorie socioprofessionnelle ». Ce patrimoine est une ceinture de sécurité, très souvent, il correspond à la propriété d’un appartement ou d’une maison. Et, de ce point de vue, il est intéressant de noter que le patrimoine des cadres supérieurs (les salariés qui ont des responsabilités importantes) est 20 fois plus grand (200 500 euros, le prix d’un appartement de 70 m2 dans une banlieue parisienne ou une petite ville) que le patrimoine des travailleurs non qualifiés (9 600 euros).

Néanmoins, nous pouvons, sans grand risque de nous tromper, considérer qu’un bon tiers d’entre eux sont partisans du statu quo capitaliste, soit :

- les cadres de la fonction publique (373 000)

- les cadres administratifs et commerciaux du secteur privé (749 000)

- les ingénieurs et cadres techniques du secteur privé (698 000)

- les contremaîtres et agents d’encadrement (541 000)

- et les flics et les militaires (486 000)

On arrive donc à un minimum de 2,8 millions de personnes dont la position et la fonction de commandement dans le secteur privé ou public, ou le rôle dans les forces de répression, les placent dans une position potentiellement anti-ouvrière.

Il vous reste à décider dans quelle classe (classe ouvrière ou petite bourgeoisie salariée ?) vous souhaitez placer les enseignants (1,5 millions), les salariés travaillant dans le secteur de l’information, des arts et du divertissement (203 000), les « professions intermédiaires » de la santé et du travail social (964 000) ou les « professions intermédiaires » de la fonction publique (437 000) et « professions intermédiaires » du secteur privé du secteur administratif et commercial (1,6 millions).

Sans oublier, bien sûr, les prêtres, les pasteurs, les rabbins et les imams (20 000) !

Un tel classement peut être l’objet de débats sans fin qui se résolvent facilement quand éclatent des grèves, des émeutes et des révoltes et que ces catégories prennent le choix de soutenir ces mouvements, de s’abstenir prudemment ou de les combattre violemment...

Y.C., septembre 2009

P.S. : Cet article fait partie d’une série de matériaux consacrés aux classes sociales en France et qui ont servi à animer un groupe de discussion qui s’est réuni à Paris, en 2007-2008, à partir de questionnaires rédigés avant chaque réunion.

- Le retour des classes sociales, ouvrage collectif, La Dispute, 2004

- Ouvriers, ouvrières : un continent morcelé et silencieux, Autrement, 1992, ouvrage collectif

- Sociologie de la bourgeoisie, Monique et Michel Pinson Charlot, Repères, La découverte, 2000

- Les classes sociales en France, un débat inachevé (1789-1989), Larry Portis, Spartacus, 1985

- Les ouvriers dans la société française, Gérard Noiriel, Seuil, 1986

- Travail et usure mentale, Bayard, Christophe Dejours, 1993 et 2000

- Les gens de rien, une histoire de la grande pauvreté dans la France du XXe siècle, André Gueslin, Fayard, 2004

- Volontaires pour l’usine, Virginie Linhart, Seuil, 1994

- Paroles de prolétaires, Arlette Laguiller, Lutte ouvrière (recueil de témoignages), 1999

- La France et ses paysans : Une histoire du monde rural au XXe siècle, Pierre Miquel, 2004,

- Les paysans français contre l’agrarisme, Philippe Gratton (recueil d’articles), Maspero, 1971

- Les cadres, Bouffartigue et Gadea, collection Repères, La découverte

- La petite-bourgeoisie, Baudelot et Establet, Maspero

- La dignité des travailleurs, Michèle Lamont, FNSP

- Le creuset français, G. Noiriel, Seuil, 1988

Cette liste n’est évidemment pas exhaustive ni limitative car il existe d’innombrables ouvrages sur les classes sociales.

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