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Espagne

Plan d’ajustement pour crise rampante

La grève générale du 29 septembre 2010

lundi 6 décembre 2010

Cet article est paru dans Echanges n° 134.

GRÈVE GÉNÉRALE ET RÉFORME DU TRAVAIL

Le 29 septembre 2010, les appareils de représentation syndicale [espagnols] ont subi avec succès l’épreuve de la grève générale à laquelle ils avaient été obligés d’appeler pour la forme, face à une réforme du travail qu’ils considèrent « nécessaire » pour l’essentiel, mais qu’ils ne pouvaient laisser passer sans faire un geste au risque d’accentuer leur discrédit croissant (1). Il leur fallait sauver la face et laisser, pour cette fois, le gouvernement courir seul tous les risques. La journée de grève s’est passée relativement normalement, mis à part une agression par balles contre un piquet de grève à Getafe, trois grévistes renversés par une voiture et une centaine d’arrestations dans toute l’Espagne, dont 43 à Barcelone. Les arrêts de travail ont été massifs dans les grands centres industriels, où les principaux syndicats, Commissions ouvrières (CCOO) et Union générale des travailleurs (UGT), continuent à être largement présents, mais beaucoup moins importants dans les commerces et petites entreprises de services où la pression des gérants, dans les supermarchés, l’hôtellerie, la restauration, le commerce de détail, etc., peut s’exercer plus fortement qu’en usine ou que dans les centres administratifs.

A signaler à Barcelone la participation de jeunes agglutinés autour de l’Assemblea (2), qui ont occupé l’ancien siège du Banco de Crédito, place de Catalogne, objet d’opérations de spéculation immobilière successives du fait de son emplacement privilégié. L’édifice, investi au cours d’une action spectaculaire pendant les fêtes de la municipalité, l’est resté jusque dans l’après-midi du 29 septembre, quand il fut brutalement évacué par la police catalane. Le matin de ce même jour, un piquet de quelque 3 000 personnes s’était rassemblé à proximité de la banque occupée, et pas seulement des jeunes « antisystème », comme le crétinisme médiatique se plaît à qualifier la jeunesse prolétarisée qui ne se résigne pas au consumérisme et à l’apolitisme dont on l’affuble généralement. Dans un premier temps, la police parvint à bloquer la marche en direction du centre-ville jusqu’à ce qu’elle fût débordée ; puis, après l’arrivée de renforts, la manifestation s’est dispersée par toute la ville. Il convient de souligner que c’est autour de cette Asemblea de Barcelone que se sont exprimés pratiques et idées allant au-delà des bornes étroites de l’imaginaire syndical (3).

Evidemment, gouvernement et syndicats se sont félicités du bon déroulement de ce jour de fête. Il est donc inutile de s’attarder sur les déclarations des uns et des autres à propos du nombre des participants. La grève générale a avant tout servi de test dans certaines communautés autonomes, à Madrid en particulier, gouvernées par le Parti populaire (PP), dans le cadre de la lutte politique qui oppose ce parti au Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) afin de préparer le terrain pour les prochaines élections générales. L’action des syndicats a alors consisté à détourner l’attention en affrontant directement les gouvernements autonomes de droite ; non sans que les syndicats majoritaires n’aient aussi avancé leurs propres cartes dans le jeu des conflits internes au PSOE, de l’affaiblissement de l’actuel chef du gouvernement et d’un éventuel remaniement à la tête du parti. Bien entendu, l’UGT, courroie de transmission du PSOE, et les CCOO étant gestionnaires d’une part de la base électorale dudit parti, il ne fut pas question d’exacerber les tensions contre celui-ci.

IMPLICATIONS DE LA RÉFORME

Selon un aveu du chef du gouvernement fait à la Radio nationale espagnole le 1er octobre, la loi de réforme du travail, adoptée par le Parlement à une courte majorité, a pour principal objet d’éviter qu’une crise à venir ne provoque une augmentation brutale des chiffres du chômage comme lors de la crise actuelle et, en second lieu, de stimuler la création d’emplois. A cette occasion, il a exprimé son intention d’attirer des investisseurs étrangers et d’améliorer l’octroi de crédits en « assainissant » banques et caisses d’épargne qui ont reçu des milliards d’euros ces derniers mois. Concrètement, la réforme envisage, entre autres mesures, la mise en place d’incitations aux entreprises afin de soutenir l’embauche en contrats à durée indéterminée (CDI) et réduire le nombre élevé de contrats temporaires (4), de simplifier les formalités administratives réglementant l’emploi et l’horaire de travail tout en accordant des ristournes sur la part patronale de cotisation à la Sécurité sociale, une réduction substancielle des indemnités de licenciement par une contribution du Fonds de garantie salariale à leur paiement (ce qui veut dire moins à débourser pour l’entreprise), et la création d’agences de placement qui consacrent le prêt de main-d’œuvre.

Par ailleurs, et c’est un point sensible pour les syndicats, la loi laisse la porte ouverte aux entreprises qui voudraient s’affranchir individuellement des conventions collectives, leur abolition étant une des revendications du patronat espagnol et la raison pour laquelle il a refusé de soutenir formellement la réforme. Pour les syndicats, les conventions collectives sont l’instrument de reconnaissance pratique de leur rôle de médiateurs par rapport à la force de travail et, surtout, elles leur ouvrent l’accès à certains fonds administratifs, les fonds de formation entre autres, une source de financement non négligeable. Sans compter un droit de négociation sur les nouvelles embauches arraché au patronat qui, grâce à ces conventions collectives, étend leurs relations clientélistes au sein des entreprises.

La réforme marque une progression du processus de dérégulation du marché du travail entamé depuis plus d’une vingtaine d’années entre renoncements successifs et abandons des droits des travailleurs, au nom de la création d’emplois, qui n’a servi qu’à accroître l’accumulation du capital sans profiter aux secteurs dits « productifs » ; au cours de ces dernières années, la création d’emplois s’étant principalement effectuée dans les services faiblement qualifiés, qui dépendent étroitement de la conjoncture internationale et des crédits faciles, tels que le tourisme et l’immobilier.

Aucune perspective de redressement n’est en vue, ainsi que le confirme le budget prévisionnel ordinaire de l’Etat pour 2011. Considérant les coupes qui devraient concerner plusieurs postes, on peut dire que c’est un budget de maintien de paix sociale avec injection d’argent dans les infrastructures, qui prolongent le plan E d’investissement public mis en œuvre pour faire face au premier impact de la crise, et dans le financement social au sujet duquel le chef du gouvernement affiche ostensiblement son volontarisme (58 % du budget total pour 2011). De toutes façons, il ne s’agit pas de dépenses susceptibles de dynamiser l’économie mais de simples mesures de circonstance, dans une période d’expectative où l’on invoque le vague espoir d’une amélioration de la situation économique.

C’est pourquoi, envisagée du point de vue d’une éventuelle hausse de l’accumulation du capital, cette réforme du travail n’est qu’un palliatif aux effets très limités. Il se peut qu’elle contribue à escamoter le chômage par une redistribution des postes de travail disponibles entre un plus grand nombre de travailleurs, mais il est plus que douteux que ces postes suffisent à occuper les quatre millions de chômeurs actuels. Une hypothèse fondée sur le fait que, concrètement, les conditions des nouveaux contrats fixes se rapprochent de celles des contrats temporaires grâce à des dispositions importantes, prévues par la nouvelle loi, qui touchent à la réglementation du travail et des licenciements et qui contredisent la rhétorique officielle accompagnant la réforme et ses prétentions à favoriser l’emploi en contrats à durée indéterminée.

D’autre part, la marge d’intervention sur les salaires est de plus en plus réduite si l’on ne veut pas accélérer la chute de la consommation qui, comme on le sait, est une des composantes fondamentales de l’activité économique. Il ne faut pas oublier que la frénésie de consommation de ces dernières années n’était pas tant due aux salaires qu’aux facilités de crédit et d’endettement. Le salaire minimum interprofessionnel était en 2007 de 633,30 euros par mois (451,20 euros en 2003), selon les derniers chiffres officiels disponibles de l’Institut national de la statistique. Cette année-là, le revenu annuel d’un foyer s’élevait à 26 010 euros et celui d’une personne seule à 9 560 euros ; mais les conséquences de l’extension de la crise depuis le milieu de l’année 2008 a fait reculer ces chiffres, et dans le même temps, le nombre des « milleuristes » (actuellement, un peu plus de 50 % des salariés ne perçoivent pas plus de 1 000 euros par mois) s’est accru.

FAIBLESSE STRUCTURELLE

L’éclatement de la bulle immobilière a mis en évidence, entre autres, la faiblesse structurelle du capitalisme espagnol et l’inconscience du développement de ces dernières années fondé sur l’endettement à tout va des consommateurs. Le fait est que la situation en Espagne se révèle être celle d’un pays à mi-chemin entre économies capitalistes avancées et économies des pays émergents, avec un enkystement prévisible du chômage à 20 % de la population active, touchant particulièrement les jeunes et les femmes. Rien ne prouve que les incitations à l’emploi de ces jeunes et de ces femmes promises dans l’actuelle loi de réforme du travail aient des effets plus positifs sur le chômage que les mesures allant dans le même sens adoptées dans les pactes antérieurs. Nous savons quels résultats s’en sont suivis de la rengaine que l’on nous sert à chaque fois pour justifier les pactes pour l’emploi, de compétitivité, etc. signés par le gouvernement, le patronat et les syndicats. Dans le contexte actuel de crise systémique mondiale, les potentialités de relance d’une économie dépendante comme l’est celle de l’Espagne sont peu convaincantes.

Le changement structurel en faveur des secteurs productifs préconisé par le gouvernement est un simple vœu pieux, une promesse peu crédible si l’on cherche à savoir quels sont ces secteurs et quelle est leur capacité à créer des emplois de masse. Des questions auxquelles, évidemment, personne ne peut répondre. Les quelques secteurs productifs espagnols jouissant d’un certain niveau de compétitivité : la fabrication de matériel ferroviaire, l’industrie pharmaceutique, la bioingénierie, l’outillage, l’alimentation, l’automobile, etc., sont soit fortement affectés par la concurrence asiatique, soit des secteurs à capital intensif. De surcroît, cette absence chronique de compétitivité de l’économie espagnole inspire, en général, méfiance au capital financier. C’est ainsi que les hiérarques de la banque hispanique viennent d’annoncer une hausse prévisible des types d’intérêt et un strict contrôle de l’octroi de crédits.

Les mesures de compensation mises en œuvre pour contrebalancer l’agression que la nouvelle réforme représente pour les salariés, bien qu’insignifiantes parce que quantitativement misérables, afin de ne pas aggraver le déficit, contribuent toutefois à atténuer le malaise social. Elles expliquent, en bonne partie, la faible réponse sociale au plan d’ajustement appliqué par le gouvernement conformément aux ordres des hautes sphères de la finance internationale, sous prétexte de faire face aux intérêts de la dette espagnole. D’autre part, les mesures adoptées s’inscrivent dans le cadre général d’une stratégie d’expropriation des salariés qui consiste à faire appel au patrimoine accumulé par les familles de travailleurs pour compenser l’insuffisance des dépenses sociales de l’Etat. Le chef du gouvernement espagnol en personne loue l’« effort des familles », comme le président de la Catalogne avant lui en décembre 2009. Il ne faut pas oublier que l’entretien d’une part considérable de la jeunesse prolétarisée dépend des ressources de leurs familles, totalement ou en complément des maigres revenus provenant des aides à la formation, des contrats temporaires, des débrouilles, des bourses, etc.

Qui plus est, le lancement d’une récente campagne médiatique incite les chômeurs à devenir entrepreneurs. On pourrait en rire si ce n’était pas grotesque. Il s’agit, finalement, d’ajouter un outil à la stratégie d’expropriation, ou de pure dilapidation, des biens familiaux accumulés qui fait son chemin dans certains esprits vulnérables aux messages de publicitaires stipendiés par l’administration. Le but en est clairement de promouvoir l’auto-entreprenariat comme moyen de masquer le chômage. Les quelques cas qui parviennent à s’en sortir ne peuvent cacher l’énorme rotation affectant les petits commerces que l’on peut constater tout simplement en se promenant dans n’importe quelle ville ; une rotation qui annonce, généralement, la perte des économies familiales ou des indemnités de licenciement investies dans le négoce sur lequel on a jeté son dévolu. La prolifération de bars, restaurants, magasins de mode, salons de coiffure, centres d’esthétique, écoles de danse, services de dessins graphiques, etc. atteint un tel niveau de saturation qu’il ne peut conduire qu’à prolonger sa propre exploitation ou à la faillite.

Le fait même de recourir à l’idéologie de l’entreprenariat et à l’initative individuelle, alors que l’accès au crédit est extrêmement restreint et que l’investissement nécessaire pour la bonne marche de n’importe quelle activité a atteint un niveau disproportionné par rapport aux ressources des aspirants entrepreneurs, dénote le peu de confiance que les gouvernants entretiennent vis-à-vis de leurs mesures de création d’emplois.

Pendant ce temps, les restaurants de bienfaisance ne désemplissent pas et les queues dans les paroisses et les banques alimentaires sont de plus en plus longues. Il est clair, pour le moment au moins, qu’il n’y a là aucun risque important d’instabilité sociale. Bien qu’elle ne concède pas grand-chose, la politique d’endiguement social se révèle efficace à court terme en ce qu’elle maintient le processus de dégradation générale des conditions de vie de la population laborieuse à l’intérieur de limites acceptables. La baisse même du traitement des fonctionnaires n’a entraîné aucune réaction notable de la part des personnels concernés. D’une certaine façon, l’idée s’est imposée parmi ceux qui ont un poste de travail « assuré » qu’ils font partie de ces privilégiés qui peuvent aller jusqu’à la fin du mois sans trop de heurts. La prolongation de diverses aides, l’augmentation du budget affecté aux bourses, l’extension de l’indemnisation du chômage (80 % des chômeurs), tout ce que le gouvernement qualifie de politiques sociales, sont des palliatifs dont les effets sont destinés à s’épuiser peu à peu, confinés dans des bornes de plus en plus étroites ; en l’absence de mobilisations importantes, ces politiques ne sont inspirées que par la pression latente exercée par la masse croissante de ceux qui voient leurs conditions de vie empirer inéluctablement.

MAINTENANT LES RETRAITES

C’est en plein milieu de cette incertitude grandissante que le gouvernement a ouvert un nouveau front offensif contre les retraites. Au lendemain de la grève générale, les syndicats ont été invités à négocier la réforme du système des retraites en vue d’un allongement de deux ans de l’âge de la retraite, de 65 à 67 ans, ou de la période de cotisation donnant droit à 100 % du régime de base, qui passerait de 35 années actuellement à 40.

L’objectif du gouvernement est d’étendre la durée de cotisation selon une stratégie à moyen terme visant à freiner l’inévitable appauvrissement de cette partie de la population, les retraités, dont le nombre ne cesse de croître. Le chef du gouvernement fait fréquemment allusion à cette amélioration des retraites comme étant l’un des aspects marquants de sa gestion. Mais le fait est qu’en 2008, la pension médiane était de 719,68 euros par mois pour un peu plus de 8 390 800 retraités, et qu’un pourcentage non négligeable d’entre eux (15 %) percevaient moins de 500 euros mensuels. Il est vrai que la stratégie social-démocrate s’est orientée ces dernières années vers une augmentation des retraites les plus basses ; une mesure logique du point de vue comptable de l’Etat, puisqu’il est tout simplement impossible de survivre avec 336,25 euros par mois (le minimum perçu par 432 000 retraités en 2008) sans recevoir d’autres aides sociales, qui grèvent les dépenses publiques, sans recourir aux organismes de bienfaisance ou sans prélever sur les économies accumulées au cours de sa vie active, ou bien encore sans demander de l’aide à ses enfants.

A moins d’être propriétaire ou de disposer d’économies susceptibles de compléter ses rentrées d’argent, personne ne peut vivre autrement que dans la précarité avec une retraite médiane. C’est le taux élevé du régime de propriété en Espagne (80 %) et l’accès à des ressources d’appoint qui expliquent que la misère des retraités actuels ne soit pas alarmante, sauf pour ceux qui se trouvent au plus bas de l’échelle. Toutefois, cet état de chose empire à toute vitesse à cause de l’érosion des ressources familiales consacrées à assister des enfants sans emploi ou dont les revenus ne leur permettent pas de boucler les fins de mois.

De toutes façons, l’allongement de la durée de cotisation pour obtenir une retraite à taux plein, légitime du point de vue comptable de l’Etat, entre en contradiction flagrante avec la politique suivie jusqu’alors, consistant à favoriser ou subventionner les préretraites ou les contrats subrogatoires dans l’espoir de libérer des postes de travail pour les jeunes. Une contradiction de plus, parmi d’autres, que les gestionnaires du capital, constamment pris en tenailles par la crise structurelle rampante, ne peuvent dissimuler, quelle que soit leur couleur partisane.

ALLIANCE GÉNÉRATIONNELLE DANS UNE SOCIÉTÉ PROLÉTARISÉE ?

Au boulet économique et social que représente le nombre croissant de retraités pour le rétablissement du taux d’accumulation du capital et à l’interventionnisme de l’Etat en vue de maintenir leur paupérisation dans des limites tolérables, s’ajoute la réalité d’une jeunesse prolétarisée dont les perspectives d’épanouissement ne cessent de se rétrécir dans l’hypermarché capitaliste. Les données officielles elles-mêmes ne peuvent occulter cette réalité qui s’impose comme qu’elle est un symptôme de plus de la décomposition larvée de la société capitaliste.

La loi de réforme du travail, votée en juin, et les mesures annoncées en faveur du régime des retraites mettent en évidence que les deux fractions de la population prolétarisée sur lesquelles reposent les conséquences immédiates d’une supposée sortie de crise sont les jeunes, par la voie de leur surexploitation ou de leur exclusion douce (bourses et aides à la formation qui repoussent leur entrée sur le marché du travail) ou dure (chômage, économie souterraine, prison), et les retraités.

Cette situation objective, concrète et immédiate, de victimes de la crise rampante du capitalisme peut-elle déboucher pratiquement sur une forme d’intervention politique contre la classe dominante ? Cela dépendra, en bonne partie, de la marge de manœuvre laissée à la classe gestionnaire du capital pour appliquer des mesures de contention sociale ; ce qui, étant donné les caractéristiques de la crise actuelle, ne semble pas une tâche facile, pas seulement en Espagne. Du reste, l’expérience de la précarisation par la jeune génération prolétarisée fait germer l’idée, au moins chez une fraction d’entre elle, qu’elle n’a rien de bon à espérer de l’évolution de cette société.

Ce qui est intéressant, et à un certain point nouveau, dans cette situation, c’est que l’on n’assiste pas à une remise en cause du capitalisme s’épuisant dans l’idéologie pure ; au contraire, précisément parce que cette remise en cause participe elle-même aux contradictions de la société capitaliste à son niveau actuel de développement, elle s’exprime en idées, en principes, en valeurs, en désirs, etc. et surtout en actes qui ne trouvent pas place, qui ne peuvent finalement pas se déployer, à l’intérieur des coordonnées de la société dominante.

Pour le moins, cette constellation de subjectivités que le crétinisme rémunéré de l’appareil médiatique qualifie d’« antisystème » (néoruraux, okupas [squatters (NdT)], précaires des deux sexes et de tous âges, etc.) pose d’emblée des questions auxquelles il est impérieux de répondre, car elles concernent l’existence réelle, matérielle, concrète des gens, contrairement au syndicalisme empêtré dans de vaines négociations à la remorque du capital. On touche là à une réalité vécue de jeunes exclus qui se juxtapose à la réalité quotidienne de millions de retraités également indésirables parce qu’improductifs. Pour peu probable que puisse paraître une convergence de fait entre ces deux réalités, on ne peut toutefois s’empêcher de la considérer comme possible, objectivement possible, parce que, précisément, il ne s’agit pas d’une convergence idéologique ou esthétique, mais d’une nécessité découlant directement des conditions matérielles de vie des jeunes prolétarisés et des vieux improductifs.

Cette possibilité qui – pourquoi pas ? –, pourrait être aussi celle d’une convergence éventuelle entre la vieille militance ouvrière et les pratiques de la nouvelle génération prolétarisée ne résulte pas d’une intuition intellectuelle ou doctrinaire, encore moins d’une énième illusion du discours révolutionnaire, mais du constat qu’une réalité est apparue au cours de la crise capitaliste, qui a à voir avec les conditions de vie matérielles de la fraction la plus pénalisée de la société prolétarisée.

Corsino Vela,

5 octobre 2010

(traduit de l’espagnol)