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Grèce : La crise fiscale de l’Etat remet à l’ordre du jour la nécessité d’une politique ouvrière indépendante

samedi 29 mai 2010

Lettre n° 32 mai 2010 de Mouvement Communiste

Une fois n’est pas coutume, cette lettre n’est pas un texte unique mais la juxtaposition de plusieurs textes écrits à des moments différents. La Grèce a été au premier plan de l’actualité au moment des émeutes de décembre 2008, au moment de la crise de la dette de l’Etat en janvier 2010 et à partir de février 2010 lors des réactions face aux mesures d’austérité et d’attaque sur le salaire et encore dernièrement lors des journées de mai marquées par des affrontements violents.

Pour ce qui concerne les émeutes de décembre 2008, il existe déjà une brochure, en anglais, « Everyone to the streets. Texts and Communiques from the Greek Uprising » publiée par les camarades de TPTG et de Blaumachen, en octobre 2009, dont le récit des événements et la chronologie sont une bonne base de départ. Nous nous sommes concentrés sur quelques critiques à adresser au mouvement et à ses interprétations.

Aborder, la « crise de la dette » de l’Etat grec implique de comprendre les forces et faiblesses du développement capitaliste dans cette aire géographique et donc d’en dresser un bilan rapide. La Grèce est loin d’être un pays arriéré au bord du gouffre. L’histoire du développement capitaliste et des luttes ouvrières a, comme dans de nombreux autres pays du monde, donné un caractère particulier à la crise fiscale de l’Etat grec. Celui-ci affaibli au moment de renégocier des prêts bancaires a vu sa dette attaquée sur les marchés via les CDS (Credit Default Swap) dont nous expliquons les mécanismes plus loin

Enfin, lorsqu’il s’agit des réactions aux mesures gouvernementales, dont le phénomène le plus visible a été constitué par les manifestations qui ont traversé par plusieurs fois Athènes, Salonique et d’autres villes, il faut encore une fois ni verser dans l’enthousiasme béat, ni dans le mépris vis-à-vis des manifestations syndicales des salariés présumés « garantis », « intégrés » et auxquels il serait idiot d’opposer les émeutes de décembre 2008. Il faut comprendre à la fois la force des imposantes manifestations parfois violentes et la faiblesse du mouvement prolétarien actuel, incapable de générer des grèves et une organisation politique autonome. Il faut bien pondérer la présence toujours significative tant du PASOK (le parti socialiste) que du KKE (le parti stalinien) via aussi leurs puissants relais syndicaux, ainsi que les divisions au sein de la classe elle-même, dont celle, criante, entre « immigrés » et « grecs » ou encore celle, moins éclatante mais pesante, entre travailleurs du « public » et du « privé ».

On trouvera donc cinq contributions distinctes dans cette lettre :

· Tentatives insurrectionnelles minoritaires en Grèce (daté du 16/01/2010),

· Aperçu économique de la Grèce(daté du 17/04/2010),

· La crise fiscale grecque, une conséquence de la crise mondiale du crédit (daté du 20/02/2010),

· Réactions ouvrières contre le plan du gouvernement (daté du 29/04/2010),

· Les journées de mai (daté du 10/05/2010), L’ensemble a été finalisé le 20/05/2010.

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TENTATIVES INSURRECTIONNELLES MINORITAIRES EN GRECE

Il n’est pas dans la tradition de notre groupe de polémiquer avec d’autres groupes d’autant plus s’ils sont proches. Nous n’allons pas y céder. Aussi, dans ce qui suit, malgré les références directes à la brochure des camarades de TPTG et au-delà des critiques que nous leurs adressons, ce sont surtout les limites du mouvement de décembre 2008 que nous relevons ; la brochure représentant la meilleure expression écrite, jusqu’à maintenant, sur ce mouvement.

Le déclenchement

La longue saison de lutte des prolétaires scolarisés en Grèce a connu une accélération imprévisible avec l’exécution, le 6 décembre 2008, par les forces de police, d’un jeune de 15 ans, place Exarhia à Athènes, situé dans un quartier central très animé et fréquenté notamment par la jeunesse. Peu après dans la nuit, éclatent les premiers affrontements entre 10 000 manifestants rassemblés spontanément et les forces de répression accourues en nombre. L’occupation de la fameuse Université technique nationale et des Facultés d’Economie et de Droit s’en suit dans la foulée. Incidents répétés, destructions tentées ou réussies de sites pris pour symboles du capitalisme et de l’Etat, pillages et occupations - le tout souvent mené par des petits groupes – se poursuivent jusqu’à la grande manifestation du 18 décembre, point d’orgue du mouvement, qui coïncide avec une grève de 5 heures convoquée par les syndicats du secteur public, qui a compté 20 000 participants. Plusieurs autres villes grecques ont connu des agitations et émeutes analogues.

Aucune grève spontanée n’a été enregistrée sur les lieux de travail autres que ceux de l’Education nationale, de la Culture et d’une entreprise de presse qui licencie. Deux grèves plutôt suivies appelées par les syndicats ont eu lieu pendant cette période : la grève générale du 10 décembre, qui avait été décidée plus d’un mois auparavant et visait la politique budgétaire du gouvernement de droite ; l’autre de 5 heures, le 18 décembre, des travailleurs du secteur public. Une tentative d’occupation du siège central des syndicats échoue au bout de quelques heures en dépit d’une assemblée de 800 personnes à l’extérieur.

Des assemblées de quartier s’organisent à proximité de la zone d’Exarhia. Elles se délitent assez vite oscillant entre une solidarité générique aux émeutiers et la tentative de se doter d’un plan de lutte local. L’épisode probablement le plus riche en contenu de classe, celui de l’assemblée de travailleurs du nettoyage créée après la tentative de terroriser une syndicaliste de base, s’est certes nourri du climat de rébellion qui régnait fin décembre 2008 à Athènes mais ne doit pas être purement et simplement assimilé à celui-ci. Les bases de cette tentative d’organisation autonome des travailleurs du nettoyage avaient été jetées bien avant les combats de rue de décembre et se perpétuent dans la revendication de sortie de la précarité du contrat de travail. Ceci est, synthèse oblige, le résumé des événements.

Une réaction saine aux agressions policières

Quoi que l’on dise, la vague de réactions violentes, massives ou minoritaires, aux violences policières en Grèce est pleinement justifiée. Rien à voir avec les actions le plus souvent menées contre d’autres prolétaires dans les quartiers populaires français en novembre-décembre 2005, par exemple. Ici, les objectifs ont été bien ciblés et aucun ouvrier n’a souffert d’initiatives illégales prises par d’autres membres de sa classe. Si la limite de l’action violente s’en prenant aux symboles de richesse et de pouvoir est évidente car le capital est un rapport social de production et pas un amoncellement de lieux, de biens et d’hommes pour les protéger, celle-ci a eu l’indéniable mérite de briser le monopole étatique de l’exercice de la force. Quand la période est difficile, les prolétaires qui choisissent d’accepter l’affrontement doivent, en premier lieu, éviter que le message que leur action envoie soit contradictoire ou, pire, opposé aux objectifs choisis. La focalisation de l’offensive des émeutiers contre les forces de répression n’a pas laissé place au doute et a remporté, comme il se doit, la sympathie de secteurs amples du prolétariat.

A ce propos, la condamnation des actions conspiratrices individuelles qui ont suivi le mouvement insurrectionnel minoritaire est peu justifiée. Si elles n’ont, certes, pas renforcé la lutte, celle-ci avait déjà décliné d’elle-même avant ces attaques qui, au demeurant, ont montré une réelle continuité avec la trajectoire du mouvement. Néanmoins, dans un tel rapport de force, la question de terroriser la police aurait dû être discutée au sein du mouvement. Terroriser voulait dire cibler quelques policiers connus pour leur sympathie fasciste de façon à indiquer à l’ensemble des forces de répression que le mouvement même sur le déclin n’était pas prêt à se faire réduire en miettes. Mais discuter voulait dire aussi que le mouvement aurait parfaitement pu repousser cette proposition. Et c’est le fait de ne pas en discuter qui est critiquable. En revanche, c’est la dynamique et la raison d’être de la vague d’émeutes qui doit être soumise à la critique. Une critique sans concession des limites de l’insurrection tentée sans rien enlever à ses raisons profondes.

Une composition de classe à définir avec davantage de clarté

On convient généralement que la grande majorité des émeutiers était composée de prolétaires scolarisés dont une fraction conséquente de jeunes de la deuxième génération d’Albanais. Rien de plus et c’est trop léger. Y compris dans le cycle de l’enseignement, on a différentes stratifications. Entre l’étudiant qui fait un master d’économie et le lycéen des instituts techniques, il peut y avoir un monde... et de fortes différences de conditions de classe. Puis, il est probable qu’ici comme ailleurs ces prolétaires parqués à l’école ont un autre rôle social que celui d’étudiant, celui de travailleurs intermittents, précaires, dans les secteurs les plus marginaux de l’accumulation capitaliste. Aucune analyse de cet aspect, pourtant central, de la composition de classe des émeutiers n’est parue jusqu’ici. On a au contraire lu des considérations de sociologues sur les hooligans, les jeunes « Albanais », les junkies. Autant d’éléments intéressants en soi mais qui, s’ils ne sont appuyés sur une radiographie de la composition de classe effectuée du point de vue de la production sociale de valeur, risquent fort d’occulter la nature matérielle réelle du besoin de révolte collective qui s’est exprimé en décembre 2008.

La confusion sur ce point crucial a pesé lourd sur la conscience que les révoltés ont eue de leur propre action. En effet, les émeutiers n’ont pas pris soin de transposer la force acquise dans la rue sur leurs lieux de travail pour y desserrer le commandement du capital ou sur leurs lieux de vie. Les quartiers populaires dont regorge la capitale grecque, y compris au centre ville, ont été, au mieux, traversés par les combats de rue mais à aucun moment investis par la révolte. Pourtant, le coût des loyers, des transports, d’accès aux infrastructures, etc. sont des sujets qui méritaient la plus grande attention de la part des insurgés. Non pas pour revendiquer des loyers équitables, des tickets de transport à prix abordables, des factures d’électricité modérées… mais pour organiser, avec les autres prolétaires qui y habitent, des occupations de logements et des actions directes pour la gratuité des services. Le refus de tout « programme politique », et même de toute dimension politique en tant que telle, claironné par certaines composantes du mouvement a agi à contresens d’une éventuelle extension de celui-ci.

Il ne restait alors, selon eux, aux autres prolétaires que la voie de l’émeute pour y participer. Même si on ne leur proposait que ce choix, les autres prolétaires pouvaient faire autrement, et c’est d’ailleurs ce qu’ils ont fait. Or, un mouvement qui prend de l’ampleur ne doit jamais se réduire de lui-même à une seule dimension du combat global. Il en va avant tout de sa survie. Le même raisonnement vaut plus encore pour les lieux d’exploitation. S’il est vrai que l’élargissement et l’enracinement du mouvement ne dépendaient pas de la formulation d’une belle liste de revendications, syndicales de préférence, l’incapacité de déborder dans les usines et les bureaux ne doit pas uniquement être justifiée par l’hostilité des syndicats et des partis de gauche et de la majorité de l’extrême-gauche à toute forme d’illégalité collective. Le terreau social était favorable à ce débordement mais la focalisation obsessionnelle sur les combats de rue n’a pas permis de porter la parole de la révolte directement aux portes des lieux de travail. Les thèmes d’un processus d’unification ne manquaient pas. La paupérisation croissante de fractions entières de la classe ouvrière est un sujet que plusieurs composantes du mouvement ont bien à l’esprit.

Mais la volonté, implicite ou pas, de décrire le prolétariat comme divisé en deux segments, l’un « traditionnel » à l’emploi et au salaire globalement garanti, apanage naturel des syndicats et de la gauche, et l’autre, précaire, toujours insoumis et prêt à se rebeller, n’aide en rien à la recomposition politique antagonique de la classe. Pas plus que le rejet du « politique » et de l’émergence dans la lutte de revendications visant l’amélioration de la condition matérielle des prolétaires, assimilés, d’office, l’un et l’autre à la compromission et à la soumission. Ce n’est pas un hasard si, ici et là, on a pu lire des longs couplets sur l’incapacité de la classe ouvrière des usines et des bureaux à rompre avec la paix sociale alors que, malheureusement, les syndicats et les partis de gauche ont réussi à en mobiliser des secteurs relativement amples pour impulser la crise du gouvernement de droite et faciliter ensuite, non sans succès, la victoire électorale de la gauche. L’hégémonie des syndicats et de la gauche d’Etat au sein des travailleurs n’est pas synonyme de corruption de la classe mais d’une absence d’autonomie.

Un extrémisme qui risque vite de perdre ses contours prolétariens

Fertile en haine du flic, de l’Etat et de la richesse mais pauvre en conscience de classe, la rébellion a dissout, dans son devenir, les raisons sociales de son éruption. Pire, elle a fini par renforcer une sorte d’idéologie existentialiste ponctuée par l’affirmation d’un égalitarisme aussi générique qu’a-classiste. L’illusion de créer, au travers des affrontements violents avec les représentants de l’Etat, une sorte de communauté de lutte contre le capital a habité des nombreux textes issus de fractions organisées d’émeutiers. Pourtant, l’exercice collectif de la force de classe ne bâtit en rien des nouvelles relations sociales car elle est issue directement, quoique exprimée de façon antagonique, de la société divisée en classes opposées. De plus, quoique absolument nécessaire, le combat armé, de masse ou par petits détachements, est un terrain aride en soi, spéculaire de la domination du capital. Bien plus que la grève générale insurrectionnelle, la lutte armée n’est pas une panacée en soi. La croyance qu’il suffirait de « rébellions urbaines » pour dépasser l’atomisation et l’isolement en vivant ainsi « une vie commune contre les séparations et hors des lieux de production » dénote une profonde incompréhension de la faiblesse fondamentale de ces types d’actions de classe, incapables d’avoir une incidence durable sur les rapports capitalistes de production.

Dans le cas de celle de décembre 2008, ce constat est encore plus tranché car elle n’a eu que peu d’impact, y compris passager, sur les relations entre ouvriers et patrons en Grèce. L’extériorité, celle-ci réellement radicale, des émeutes eues égard à la lutte quotidienne de classe a été au contraire présentée comme un trait de modernité et, pire, comme une manifestation du refus du travail salarié par une minorité consciente de prolétaires. L’inversion du sujet - la lutte de l’ouvrier contre la machine et le commandement d’entreprise - et du prédicat - les éruptions insurrectionnelles dans la rue - est ici complète et irréversible. Il marque un point de non-retour théorique vers la vie concrète et conflictuelle de la classe exploitée. La richesse d’un mouvement ouvrier indépendant se mesure plutôt dans sa capacité de construire, nonobstant l’impérieux impératif de battre l’ennemi sur tous les plans, des rapports entre les prolétaires qui anticipent la libération du travail salarié et le dépassement de l’Etat.

La recherche acharnée de quelque chose de plus qu’une réaction rageuse et légitime à la violence policière dans la rébellion de décembre 2008 joue des tours aux camarades qui s’y sont attelés. Ils s’inventent avant tout que les combats de rue sont le produit mûr d’une crise « permanente » de la reproduction des relations capitalistes. Une crise qui couvrirait toute une époque de « suraccumulation de capital ». Pas moins. La méconnaissance des mécanismes de production sociale de la valeur est telle qu’elle empêche aux concepteurs de ces idées de les prouver par une série tant abstraite qu’arbitraire de postulats qui ne demandent pas à être vérifiés.

Il serait facile, un an après les révoltes, de rappeler que le rapport du capital et de l’Etat qui l’incarne sont encore là alors que l’insurrection a vécu. Il serait aisé aussi de renvoyer les idéologues de la crise perpétuelle du capitalisme aux chiffres de l’accumulation disponibles. La crise financière de ces deux dernières années est en passe d’être surmontée, y compris en Grèce, au prix, salé, d’une longue crise fiscale de l’Etat. Crise dont le fardeau sera entièrement porté et pour longtemps par les classes subalternes. Crise qui a servi aux capitalistes du monde entier pour comprimer le coût de la force de travail et faire reculer davantage le pouvoir des ouvriers d’agir sur, voire, dans certaines conditions, briser l’accumulation du capital. L’identification du motif profond des émeutes de décembre 2008 avec la crise présumée permanente de la reproduction des relations capitalistes et avec son attribut, la crise du système éducatif, sert en réalité à jeter indirectement l’opprobre sur les travailleurs qui n’ont su faire autre chose qu’exprimer leur « solidarité ».

La divergence de comportements exaltée et souvent caricaturée par certaines sections organisées d’émeutiers entre la passivité présumée des ouvriers « traditionnels », supposés mieux assurés dans la préservation de leurs postes de travail et soumis à la politique soporifique des syndicats et de la gauche d’Etat, et les actions offensives des jeunes enragés, jugés étrangers à l’emprise du travail salarié et qui ont tout compris du capital et de l’Etat, renforce objectivement la division au sein de la classe exploitée. De facto, le refus dédaigneux de toute revendication matérielle et - pourquoi pas ? - défensive a éloigné les deux ensembles décrits plus haut en les figeant dans des rôles improbables qui ne correspondent pas à la réalité de l’exploitation et de la lutte de classes par delà tel ou tel de ses innombrables épisodes. Parfois, la critique aux relents aristocratiques des initiatives collectives autonomes des prolétaires, qui modestement se battent pour un meilleur contrat de travail et à ceux d’entre eux qui tentent de pratiquer un syndicalisme de classe frise le grotesque.

En témoigne le mépris par lequel certains groupes organisés de rebelles ont traité la revendication de l’embauche par l’Etat des travailleurs du nettoyage aujourd’hui massivement employés par des sous-traitants. En opposant tout court « la question de l’abolition du travail salarié » à cet objectif taxé de social-démocrate, ils font preuve d’un mépris pour la défense de la condition ouvrière dont les patrons auraient bien raison de se réjouir. Il est évident que la revendication contient en soi une grande ambiguïté car elle peut sous-tendre que l’Etat est impartial et juste avec ses employés. Mais une autre lecture est possible et doit être impulsée : l’unification grandissante des conditions d’emploi entre travailleurs de secteurs différents, d’entreprises différentes renforce la base objective de la lutte.

Oui, critiquer l’Etat comme patron en l’assimilant aux patrons « privés » et, simultanément, exiger par la lutte indépendante d’avoir un seul contrat de travail, une seule grille salariale, des conditions de travail rapprochées ne sont pas contradictoires. Qui plus est, cette dialectique qui unit luttes indépendantes des organes politiques et syndicaux du capital et de l’Etat aux revendications inspirées par le seul intérêt matériel des ouvriers est la seule politique apte à déterminer des combats larges, durables et efficacement offensifs avec l’ennemi de classe. Mais surtout, elle permet aux prolétaires combatifs de s’organiser par eux-mêmes en vue de l’élaboration, dans et par la lutte, d’un plan général de révolution et de dépassement des rapports de classe actuels. Un plan dont le contenu est immédiatement social car il parle du communisme réel, celui qui jaillit de la critique pratique étendue à toutes les formes de l’exploitation et de l’oppression. Et dont la forme est forcément encore politique, non pas au sens de l’exercice planifié de l’art de la médiation mais de celui de l’expérimentation collective organisée et centralisée de la rupture et du dépassement de l’état présent des choses.

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APERÇU ÉCONOMIQUE DE LA GRECE

Quelques tendances

Si l’on considère le procès social de valorisation du capital de ce pays, on devrait conclure que la Grèce était en bonne santé juste avant l’éclatement de la crise de sa dette souveraine. Depuis 2001, quand elle a adopté la monnaie unique, l’économie grecque a avancé au rythme de 3,5 % par an. La zone euro dont elle fait partie a cru sur la même période de 1,5 %. L’éclatement de la crise globale du crédit l’a moins affectée que la zone euro dans son ensemble. « Dans un premier temps, la Grèce a mieux résisté à la crise économique mondiale que beaucoup d’autres pays de l’OCDE », peut-on lire dans le rapport de l’OCDE consacré au pays et publié début 2010. Plus en détail : « La robuste expansion de la Grèce depuis son entrée dans la zone euro s’est nettement ralentie sous le poids de la crise internationale. Toutefois, l’économie a assez bien supporté l’impact initial du choc qui a plongé la plupart des autres pays de l’OCDE dans une grave récession. La croissance est restée positive jusqu’à la fin de 2008 grâce au relatif dynamisme des exportations vers les Balkans et à de fortes augmentations de salaires qui ont soutenu la consommation. Le secteur bancaire a bénéficié d’une exposition marginale aux actifs toxiques à l’origine de la tourmente internationale ».

D’après les économistes qui ont rédigé le rapport, la production industrielle n’est pas vouée à s’effondrer : l’OCDE prévoit une contraction de la production de 1,25 % en 2009 suivie d’une lente reprise, le PIB augmentant de 1⁄4 pour cent en 2010. Au premier trimestre 2009, le PIB réel s’est contracté de 4.8 % en rythme annuel par rapport au trimestre précédent, mais a progressé de 0.3 % en glissement annuel selon les estimations des comptes nationaux ». L’évolution de la production industrielle grecque, depuis 2000, montre toutefois que la compétitivité de son secteur manufacturier a été fortement diminuée avec l’adoption de l’euro. L’indice de production grecque est resté au piquet tandis que ceux de la zone euro, de l’OCDE et du G7 ont bien progressé sur la période jusqu’en 2008. Il en est allé de même de la contribution de l’industrie à la hausse du PIB. Contribution qui n’a plus varié depuis 2005. En revanche, ce qu’on appelle les services (un secteur attrape-tout au sein duquel on retrouve aussi bien des entreprises de la sphère productive que celles de la sphère commerciale ou financière) ont accru leur apport de croissance de l’économie grecque notamment depuis 2005. Ce segment de la formation économique du pays a plus que compensé la quasi-stagnation industrielle et la perte continue de terrain de l’agriculture. Mais cette tendance n’est pas propre uniquement à l’économie grecque car elle se retrouve, quoique avec des accents différents, un peu partout dans les formations économiques et sociales capitalistes les plus développées.

Zoom sur les grandes entreprises

Industrie

Le capitalisme en Grèce indique une concentration des secteurs industriels et bancaires contrairement à l’agriculture ou au tourisme. En 2008, les 20 premiers groupes représentaient 60 % du chiffre d’affaires global des sociétés cotées et 71 % de leur EBITDA (Earnings before Interest, Taxes, Depreciation, and Amortization revenus avant intérêts, impôts, dotations aux amortissements et provisions sur immobilisations (mais après dotations aux provisions sur stocks et créances clients) marge opérationnelle brute, ce qu’on trouve de plus proche de la plus value dans la comptabilité capitaliste).

Les grandes sociétés grecques ont enregistré des résultats positifs en 2009 mais en retrait par rapport aux bons résultats de 2008. Leurs bénéfices sont de même niveau que ceux des entreprises européennes. Les baisses enregistrées sur le marché grec ont souvent été compensées par une forte activité dans les pays voisins, pays des Balkans, Turquie, et même pays arabes de l’Est de la Méditerranée. Coca-Cola Hellenic opère dans 28 pays et plus d’un tiers des profits de National Bank of Greece proviennent de Turquie. Le numéro deux mondial des embouteilleurs de Coca-Cola enregistre, pour 2009, un profit net de 437 millions de dollars, très légèrement supérieur à celui de 2008, mais grâce à un bénéfice exceptionnel. Son EBITDA, 639 millions €, est supérieur de 20 % à la moyenne des 5 dernières années.

Hellenic Telecom, ou OTE, ancien monopole grec des télécommunications – détenu à 30 % par Deutsche Telecom et à 20 % par l’Etat grec – est présent dans 5 pays voisins, contrôle le numéro un grec du mobile, Cosmote et emploie 30 000 salariés. Avec des revenus, en 2009, de 6,6 milliards d’euros, il a enregistré une baisse de ses profits de 33 % à 400 millions €, mais, depuis 2006, son EBITDA est constant, légèrement supérieur à un milliard €.

Dans l’industrie lourde, les résultats ont été nettement impactés par les conséquences de la crise financière. Le sidérurgiste Sidenor a subi une perte nette de 71,3 millions € après un bénéfice de 29,3 millions € en 2008. Son chiffre d’affaires a plongé de 45,3 % à 938 millions €. Son EBITDA est dans le rouge de plus de 20 millions après avoir été réduit de moitié en 2008. En 2006 et 2007, il plafonnait au-dessus de 160 millions €.

Le producteur de tuyaux Corinth Pipeworks annonce une hausse de 128,5 % sur un an de ses profits à 20,2 millions €, malgré une baisse de 26 % de son chiffre d’affaires à 285,2 millions. Son EBITDA a augmenté de 50 % à 30 millions €, en baisse sur les 48,5 millions € de 2007.

Avec un chiffre d’affaires de 662 millions €, en baisse de 30%, Mythilineos maintient son EBITDA à 70 millions €, au même niveau que l’année précédente, mais en baisse de 50 % par rapport aux trois années précédentes.

Fourlis, une société de distribution, notamment franchise d’Ikea, et également distributeur d’électronique grand public, a vu ses profits reculer de 42,6 % à 31,6 millions d’euros pour des ventes en baisse de 4,2% à 751,7 millions. Il compte cependant ouvrir une douzaine de nouveaux magasins Ikea d’ici à 2013. Son EBITDA, en recul d’un tiers par rapport à 2008, est toutefois dans la moyenne des résultats enregistrés entre 2006 et 2009.

L’entreprise de transport maritime de gaz liquéfié Stealthgas a perdu 13,3 millions € en 2009 contre un profit de 30 millions en 2008 suite à l’annulation d’une commande de bateau qui lui a coûté 16,5 millions €. L’entreprise qui possède 37 méthaniers a encore 5 bateaux en commande. Si son EBITDA s’est effondré à 1,3 millions €, il avait grimpé progressivement à 42 millions € au cours des quatre années précédentes.

Banques

Si certaines banques grecques affichent des résultats nettement positifs, Geniki Bank détenue majoritairement par la Société Générale et plus encore Emporiki Bank, la quatrième banque du pays, filiale du Crédit Agricole subissent des pertes records. Cette situation calamiteuse des filiales des banques françaises justifie largement l’intervention de la France pour soutenir l’Etat grec et, indirectement, ses propres banques. En 2009, les pertes de Geneiki ont plus que doublé à 110 millions € alors que celles d’Emporiki, bien qu’en retrait par rapport à 2008, approchaient les 600 millions €, plus que les 400 millions € de pertes d’ATEbank. Par contre le numéro un du secteur, National Bank of Greece, a réalisé plus de 900 millions € de bénéfices – la moitié en Turquie – bien qu’ils aient baissé de 40 % en un an. Autres banques majeures, Piraeus et Alpha affichent des profits importants malgré des provisions importantes.

Armement naval

Après une année 2008 exceptionnelle – 19,2 milliards € de gains, plus de 1 000 nouveaux bateaux commandés aux chantiers –, les résultats des entreprises grecques de transport maritime ont affiché des résultats en recul en 2009, supérieurs cependant aux attentes. Il est difficile de comparer les bénéfices d’une année sur l’autre, les achats et les ventes de bateaux perturbent les comparaisons. La comparaison des EBITDA est donc plus évidente. L’étude des résultats d’une douzaine de compagnies montre quelques augmentations de l’EBITDA, de nombreuses baisses, très peu de pertes, soit une baisse moyenne de 20 à 25 %.

Bien qu’ayant leurs sièges en Grèce, la plupart des armateurs sont des entreprises offshores, cotées principalement aux Etats-Unis.

Sidérurgie

Si la production d’acier n’est plus l’indicateur du développement capitaliste qu’il était à l’orée du siècle dernier, elle aide à identifier les cycles des pays en développement.

La Grèce est le seul pays en Europe, et l’un des rares dans le monde, à avoir produit en mars moins d’acier que un an plutôt. Toutefois, sa production en mars, 165 000 tonnes, bien qu’inférieure de 5,7 % à celle de l’année précédente, a rebondi de 11,5 % par rapport à celle de février 2010, ce qui pourrait indiquer, comme l’estiment certains acteurs, que la chute est enrayée. Pour l’ensemble du premier trimestre, la production grecque d’acier, 377 000 tonnes, est en chute de 30 % par rapport à celle du premier trimestre 2009.

La production grecque d’acier, qui en 2000 dépassait tout juste 1 million de tonnes (Mt), a rapidement augmenté dans les années suivantes pour culminer autour de 2,5 Mt de 2006 à 2008. En 2009, la sidérurgie grecque a moins souffert des conséquences de la crise financières que les producteurs des autres pays européens, n’enregistrant qu’une baisse 16 % à de 2 Mt. Dépendant du BTP pour ses débouchés, la sidérurgie grecque a vu son taux d’utilisation tomber vers les 60 %, un an après les aciéristes du reste de l’Europe.

Un tissu industriel non concentré

Si la Grèce possède quelques grands groupes industriels et bancaires, la réalité productive est beaucoup plus contrastée.

En effet, le tissu économique est constitué de petites (voir très petites) et moyennes entreprises.

Taille Nombre
Très petite (0<10 salariés ) 752 000
Petite (9<50 salariés) 16 000
Moyenne (49<250 salariés) 2 000
TOTAL 770 000

Sources : Observatory of European SME’sQ SME’s in Europe 2003, 7 (cité par la Chambre artisanale du Pirée).

Pour 2008, il y avait 820 000 PME employant 3 200 000 salariés sur un total de (hors chômeurs) 4 624 000 salariés..

Par ailleurs, pour l’emploi relativement à la taille des entreprises, les chiffres (1999) donnaient :

· 64,6 % des travailleurs sont employés dans des entreprises de une (1) à neuf (9) personnes.

· 17,2 % dans des entreprises de dix (10) à 49 (49) personnes.

· 5,2 % dans des entreprises de cinquante (50) à quatre cent quatre-vingt-dix-neuf (499) personnes.

· 4,2 % dans des entreprises de plus de cinq cents (500) personnes.

Quelques données

La croissance de la productivité en Grèce, 1970-2004

Si, en moyenne la croissance de la productivité – productivité globale, ensemble des facteurs – des différents secteurs s’est établie à 1,29 %, elle a progressivement ralenti. Au cours de la décennie 1970 elle a culminé à 2,71 %, tombant à 1,11 % dans les années 1980, puis à 0,51 % dans les années 1990 avant de pratiquement stagner entre 2000 et 2004 à 0,16 %.

C’est l’agriculture qui a enregistré le plus faible résultat, avec une croissance négative de 0,16% pour l’ensemble de la période. Dans la construction la croissance de la productivité a brutalement chuté dans les années 1990 et 2000, entraînant une baisse de 0,34 % pour l’ensemble de la période. Les secteurs industriels ayant bénéficié de la plus importante croissance de la productivité sont la production d’équipements industriels, les mines, la production de produits pétroliers, l’énergie, la chimie et les plastiques.

Dans l’ensemble des services la productivité a enregistré des baisses, accentuées à partir des années 1990. C’est le cas en particulier pour la finance, l’administration publique, le commerce, la santé et, plus récemment des transports (en croissance cependant de 0,30 % pour l’ensemble de la période).

Commerce extérieur

C’est l’Union européenne qui représente la majorité des échanges extérieurs de la Grèce, plus de trois quarts des importations et près de deux tiers des exportations. En 2008, les exportations du pays allaient vers l’Italie (11,5 %), l’Allemagne (10,5 %), la Bulgarie (7,1 %), Chypre (6,2 %), le Royaume-Uni (4,7 %), la Roumanie (4,4 %). Les principales marchandises exportées sont alimentation et boisson, produits manufacturés, produits pétroliers, chimie et textiles.

Les principales importations sont les machines, les équipements de transport, les carburants et la chimie. Elles proviennent principalement d’Allemagne (12,1 %), Italie (11,7 %), Russie (7,4 %), France (5,1 %), Pays-Bas (4,7 %).

Le déficit de la balance commerciale pour 2009 a atteint 29,93 milliards €, en baisse cependant de 27,4 % par rapport à 2008. Les importations, 44,33 milliards € sont pratiquement trois fois plus importantes que les exportations, 14,39 milliards €.

Le remarquable déficit de la balance commerciale – trois fois plus d’importations que d’exportations – est en partie compensée par les aides de l’UE (plus de 3 % du PIB, prés de 80 milliards de dollars entre 1994 et 2013), les revenus « invisibles » du tourisme et du commerce maritime ainsi que par d’importants transferts de l’importante population d’origine grecque dans le monde vers la mère-patrie.

Pour les investissements à l’étranger, la Grèce qui investit vers ses voisins européens, la Turquie et les pays arabes proches et n’attire plus autant de capitaux, est nettement déficitaire.

Au 31 décembre 2009, le montant total des investissements étrangers en Grèce atteignait 43,07 milliards de dollars ; celui des investissements grecs à l’étranger, 29,55 milliards.

Secteurs de l’économie

La répartition des différents secteurs est la suivante. L’agriculture qui emploie 12,4 % de la force de travail n’a représenté en 2009 que 3,4 % du PIB du pays. L’industrie emploie 22,4 % de la force de travail pour 20,8 % du PIB. Pour le secteur fourre-tout des services, les taux sont respectivement de 65,1 et 75,8 %.

Exprimé en dollars, le PIB par tête de la Grèce, 32 100 dollars soit environ deux tiers de celui des pays les plus avancés de l’UE, le situe au 42e rang mondial.

L’emploi

Au quatrième trimestre 2009, le nombre de chômeurs atteint 514 401 avec un taux de chômage remonté à 10,3 %. Un an plutôt, ce taux était tombé à 8,1 % le plus bas pour un premier trimestre depuis une dizaine d’année. Le taux de chômage des femmes, 14 % est pratiquement le double de celui des hommes, 7,7 %. Comme dans les autres pays d’Europe le chômage touche en premier les jeunes, 20,4 % pour les 15-29 ans. Pour les jeunes femmes, le taux est de 26,2 %.

Le taux de chômage est de 11,7 % pour les étrangers et de 10,2 % pour les Grecs. Toutefois le taux des étrangers économiquement actifs est de 73,6 % contre seulement 52,6 % pour les personnes de nationalité grecque.

Le pourcentage de personnes employées dans le secteur primaire est de 12,3 % dans le secondaire de 20,8 % et de 66,9 % dans le tertiaire. Les travailleurs à temps partiel ne sont que 6,2 %.

Parmi les actifs les salariés ne sont que 64,1 % un pourcentage nettement plus bas que dans les autres pays européens. Les travailleurs indépendants sont 21,7 %, les employeurs 8,2 % et les travailleurs non payés de l’exploitation familiale 5,9 %.

Les principaux secteurs de l’emploi en pourcentage sont :

Agriculture, forêt et pêche 12,3 Industrie manufacturière 11 Construction 8,1 Commerce de gros et de détail et réparation de véhicules 17,7 Transport et logistique 4,8 Hôtellerie, cafés, restauration 7,1 Activités professionnelles, scientifiques et techniques 5,1 Administration publique, défense et social 8,3 Education 7,3 Santé publique et travail social 5,4 Divers et non-déclarés 12,9 TOTAL100

Les immigrés

En 2007, il y avait 580 711 étrangers vivant en Grèce dont 481 501 avec un permis de résidence valide. La majorité est albanaise, 61,3 %. Les migrants représentent 7 % de la force de travail du pays. Plus de la moitié des hommes travaillent dans la construction, l’agriculture en emploie également massivement. La moitié d’entre eux est employée illégalement.

Le chômage, le travail précaire

Le salaire moyen mensuel en 2006, 1 837 euros pour les hommes, 1 400 pour les femmes, ensemble, 1 651 euros.

Pour mémoire : moyenne UE 27 : 2 468, 1 932 et 2 222.

La différence avec la moyenne européenne est beaucoup moins prononcée pour l’ouvrier d’usine, 1 600 euros en Grèce contre 1 744 moyenne pour les 27.

Pour les moins de 30 ans, 1 129 euros en Grèce, 1 662 en UE. L’écart diminue en pourcentage en vieillissant.

L’écart entre salaires des hommes et des femmes est d’un peu plus de 20 %, supérieur de 3-4% à la moyenne de l’Europe.

Salaire minimum, 526 euros en 2000, 681 euros en 2009.

Peu de travail à temps partiel, semaine de travail, 43,7 heures en moyenne, supérieure de 2 heures à la moyenne européenne.

Chômage de longue durée : 6,2 % en 2000, 3,6 % en 2008. En Europe, 4 et 2,6 %.

Chômage des jeunes : Grèce, 29,1 % en 2000 et 22,1 % en 2008. UE, 17,4 et 15,4 %.

Départ en retraite en 2006 : 59,3 ans, 6 mois plus tard que la moyenne européenne.

Travailleurs avec contrat à durée déterminée en 2008 : 10 % pour les hommes, 14 % pour les femmes. En UE, les moyennes sont de 13 et 15%.

Ce tableau que nous venons de dresser à grands traits indique que dans la zone grecque, le Capital ne se porte pas trop mal en tout cas pour ce qui concerne les grandes entreprises. Et l’impact de la crise de 2008 ne l’a pas frappé plus durement que dans d’autres pays de la zone euro. C’est pourquoi, il serait erroné d’attribuer la crise de la dette souveraine actuelle au déclin industriel du pays.

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LA CRISE FISCALE GRECQUE, UNE CONSÉQUENCE DE LA CRISE MONDIALE DU CRÉDIT.

Fallait-il s’attendre à une crise fiscale de cette ampleur en Grèce ? La question est amplement débattue dans les milieux patronaux du monde entier. La réponse est plus complexe qu’il n’y paraît comme on l’a vu précédemment. La crise des finances de l’Etat a plutôt trait à la configuration particulière de la démocratie sociale, des caractéristiques spécifiques du commandement général de l’Etat sur la société civile. L’articulation de ce commandement se fait prioritairement au moyen de trois instruments :

· une évasion fiscale généralisée des entreprises, condition même de survie d’un tissu productif peu concentré, insuffisamment capitalisé et souvent mal géré selon les standards du marché mondial,

· un système de protection sociale qui protège peu mais aux mailles suffisamment larges pour que les passe-droits et les ‘abus’ se multiplient en gage de paix sociale,

· un secteur public imposant, peu efficient et non rationalisé mais omniprésent dans les innombrables replis et strates de la société civile.

C’est à partir de ces constats que les économistes de l’OCDE préconisaient, juste avant l’explosion de l’affaire de la dette publique, « des réformes budgétaires structurelles ». Les « marges de manœuvre » (de l’Etat N.d.l.R.) sont fortement limitées par le poids de la dette publique, des dérapages budgétaires répétés et l’ampleur des déséquilibres externes et internes, qui se sont traduits par des marges élevées sur les taux d’intérêt souverains depuis la fin de 2008 à mesure que l’aversion pour le risque s’est accentuée », ont-ils résumé.

Et encore : « Avec le ralentissement de l’activité, une détérioration budgétaire est inévitable. Il n’y a pratiquement pas de marge de manœuvre sur le plan budgétaire et l’état médiocre des finances publiques justifie l’assainissement structurel immédiat déjà engagé ». La recette de l’organisation internationale est simple sur le papier : « Outre la simplification et l’élargissement des bases d’imposition, la lutte contre la fraude fiscale et la fraude aux cotisations sociales devrait être accélérée, et le recouvrement de l’impôt amélioré. Cette action doit s’accompagner d’un contrôle plus étroit des dépenses, avec notamment une réduction des coûts administratifs, une rationalisation et une limitation de la masse salariale et des réformes dans les entreprises publiques déficitaires. La viabilité à long terme passe aussi par de nouvelles réformes des retraites, notamment une révision des paramètres de calcul des pensions et des nouvelles mesures visant à réduire encore les incitations à la retraite anticipée ».

Plus simple à dire qu’à faire car les marchés financiers adorent les proies faciles, surtout quand elles sont en difficulté. « À la différence de beaucoup d’autres pays de l’OCDE, la Grèce ne dispose pratiquement pas de marges de manœuvre budgétaire pour amortir la baisse de l’activité. La dette publique avoisine actuellement 100 % du PIB, et le déficit budgétaire est passé de 3.1 % à 5 % du PIB entre 2006 et 2008, en dépit du dynamisme de l’économie. Dans le contexte d’une montée générale de l’aversion au risque et d’une contraction de la liquidité des marchés déclenchées par la crise financière, les dérapages budgétaires répétés, s’ajoutant à l’impact du vieillissement sur les perspectives budgétaires à long terme, expliquent largement la forte augmentation des écarts de taux d’intérêt vis-à-vis de l’Allemagne ».

Ces considérations n’ont pas échappé aux opérateurs sur les marchés spécialisés dans les gains sur les paris à la baisse des actifs financiers. La partie était d’autant plus aisée qu’il ne fallait pas mobiliser beaucoup d’argent pour faire flamber les taux d’intérêt des obligations d’Etat grecques. Encore convalescents, les marchés du crédit sur-réagissent au moindre signal baissier envoyé. En l’espèce, le signal baissier a été envoyé par le marché des CDS (Credit Default Swaps), des instruments financiers censés préserver des défauts de remboursement des dettes. En réalité, au sens marxiste, c’est une énième déclinaison de la duplication des instruments de crédit. Ceux adossés à la dette grecque ont amplifié dans des proportions considérables l’écart de rendement (le taux d’intérêt versé) qui grossissait entre les obligations d’Etat allemandes, considérées parmi les plus sûres, et celles de l’Etat grec.

Dans leur mouvement d’autonomisation relative de leur sous-jacent, la dette grecque elle-même, les CDS des obligations d’Etat grecs, ont pris le dessus sur ces dernières, leur raison première d’être. James Rickards, un ancien conseiller de LTCM [Long Term Capital Management], le fonds qui a joué le déclencheur de la crise financière de 1998, s’est demandé dans le Financial Times, daté du 12 février 2010, ce qui se passe quand le prix du CDS perd toute corrélation avec le risque sous-jacent qu’il est censé évaluer. Question qui en dit long sur la nature réelle de ces produits financiers. Les intervenants sur les marchés financiers ont franchement joué la dette grecque à la baisse en agissant sur son marché grégaire des CDS. Les ventes à découvert de CDS de la dette grecque se sont multipliées. La « profondeur » nettement moindre du marché des CDS de la dette souveraine grecque par rapport à celle-ci explique à la fois la rapidité et l’ampleur de cette typique conséquence de la sortie de la crise financière dite des « subprimes ». Le marché des CDS de la dette grecque se chiffre à environ 80 milliards de dollars, alors que la dette elle-même pèse quelque 385 milliards de dollars.

En raison de l’influence grandissante du prédicat (le CDS) sur le sujet (la dette), il a été décidément plus aisé et moins risqué eu égard des mises du pari - en terme de montants de capitaux engagés - de jouer le premier à la baisse pour forcer le second à aller dans la même direction. « C’est plus facile d’acheter une protection et de traiter une ‘position courte’ ; c’est la moitié des raisons pour lesquelles les CDS ont été développés, ainsi les gens peuvent se prémunir des risques », affirme dans le Wall Street Journal du 5 février 2010 Tim Backshall, stratège chez Credit Derivatives Research, une firme de recherche indépendante à New York.

« Vous pouvez faire bouger [les autres marchés] » en agissant sur celui des CDS, enchaîne-t-il. « Il a toujours été possible de vendre à découvert des obligations d’État, c’est-à-dire de parier contre elles directement. Mais les investisseurs disent qu’acheter les CDS peut être un moyen plus facile pour eux de faire rapidement un pari », continue Gregory Zuckerman, dans le même papier du Wall Street Journal .

Mais qui a vendu les CDS de la dette grecque ? Laissons encore la parole à James Rickards : « Les vendeurs sont généralement des fonds de pension qui cherchent à obtenir une prime à l’‘assurance’ et les acheteurs sont souvent des fonds spéculatifs qui cherchent à effectuer un coup rapide. Au milieu, vous avez Goldman Sachs ou une autre grande banque qui donne une grosse amplification au mouvement » (idem). Le 12 février 2010, Richard Barley, du Wall Street Journal, confirme cela : « Le véritable accélérateur des coûts est probablement venu au moment où les investisseurs traditionnels exposés aux actifs grecs ou à d’autres actifs européens du sud - y compris les actions et les obligations de sociétés ainsi que les obligations d’Etat - se sont inquiétés de la contagion possible de ses effets d’entraînement à cause de la crise très réelle des finances publiques grecques. Ils ont utilisé le marché des CDS pour couvrir leur exposition. Les activités de gestion des risques des banques ont également été contraintes d’acheter une protection alors que la liquidité du marché sous-jacent des obligations d’Etat diminuait et leur prix chutait, en ajoutant à la pression générale. » Un effet d’emballement des marchés du crédit des plus classiques.

Les « coupables » ne sont donc pas, selon ces experts bourgeois, les spéculateurs par excellence, les fameux hedge funds, mais plutôt les investisseurs institutionnels les plus stables, ceux que toute entreprise cotée rêve d’avoir comme actionnaires. La crise de la dette grecque n’est donc pas une tempête certes grave mais épisodique. Elle traduit et anticipe une lame de fond qui voit les Etats aux bilans les plus fragiles traités au même titre que n’importe quel autre capital individuel. Ceci n’est en rien une surprise pour les révolutionnaires qui conçoivent l’Etat à la fois comme le représentant suprême des classes dominantes mais aussi comme un capital individuel très spécial, car doté à la fois du monopole de son marché intérieur et de la faculté de faire porter le poids de son bilan sur la société civile tout entière. Les Etats ne font pas faillite, répètent à l’envi les tenants du système.

Oui, à deux exceptions près : la monarchie française enterrée par la Révolution de 1789 et l’Empire russe, balayé par la Révolution prolétarienne en octobre 1917. A ces deux exceptions près, la dialectique et les contradictions entre ces deux réalités des Etats modernes se résolvent donc toujours en faveur de sa fonction de premier garant actif du fonctionnement du système capitaliste dans son aire de compétence. Quand sa réalité de capital individuel rentre en conflit grave et prolongé avec cette fonction, l’Etat plonge dans la crise fiscale, la crise des recettes. Contrairement aux crises financières et/ou productives classiques dans un environnement concurrentiel, la crise fiscale de l’Etat ne se solde jamais par sa destruction pure et simple au profit d’autres Etats sans en passer par la guerre. Guerre civile contre les masses prolétariennes pour en réduire le pouvoir et en accroître l’exploitation. Ou guerre régulière contre d’autres Etats pour restaurer le bilan par le pillage. Par le passé, dans le cas des deux guerres mondiales, la victoire militaire de l’Etat sur la classe ouvrière a rendu possible le lancement de guerres régulières de pillage d’autres Etats. Inversement, quand l’Etat est trop faible pour déclencher les hostilités contre les exploités, il a toutefois les moyens de par son statut de survivre longtemps en dépit de la crise chronique des recettes.

C’est le cas de la Grèce mais aussi d’un grand nombre d’Etats capitalistes. L’attaque des marchés s’est portée en priorité sur la Grèce car la marge de manœuvre fiscale du nouveau gouvernement est très étroite, notamment après l’aggravation des déficits publics du fait des mesures prises en soutien de l’économie nationale à la suite de l’éclatement de la crise globale du crédit. La combativité élevée des salariés de ce pays relativement aux autres pays de la zone euro, l’inefficacité de l’administration de l’Etat à tous les niveaux et un tissu productif insuffisamment concentré et centralisé font la différence aux yeux des acteurs du capital financier. La crise de la dette souveraine athénienne peut entraîner celles des dettes d’autres pays comme l’Espagne, le Portugal, l’Irlande mais aussi l’Italie et, pourquoi pas, le Royaume-Uni ? Autant de pays dont le bilan des Etats respectifs s’est fortement détérioré avec la crise du crédit. Mais l’hypothèse de contagion la plus probable passe une nouvelle fois par les banques. Selon l’Agence de gestion de la dette publique du Ministère grecque des finances (voir graphique ci-dessous), les titres de la dette grecque sont détenus à environ 45 % par les banques et à 5 % par les banques centrales d’autres Etats. Si l’on ajoute les assurances et les fonds de pension, on parvient aux deux tiers du total. Les « spéculateurs » traditionnels (hedge funds et gestionnaires d’actifs divers) comptent pour le tiers restant.

Ce sont donc les grands établissements financiers à devoir gérer les premiers les risques associés aux paris financiers contre la dette grecque. On comprend mieux pourquoi plusieurs acteurs de ces catégories ont tenté de minimiser les pertes potentielles sur le marché de la dette souveraine grecque en investissant le marché des CDS en quête de protection. Mais voilà, cette ruée a produit, comme on l’a vu, un effet contraire en aggravant davantage la chute des prix des obligations d’Etat. Chute qui s’est poursuivie même après que l’Etat grec a aisément réussi à placer 8 milliards d’euros de titres de sa dette. Ce placement avait attiré une demande d’obligations d’Etat pour 25 milliards d’euros grâce au taux d’intérêt alléchant de 6,1 % (290 points de base de plus que le taux des obligations allemandes à 10 ans).

Il est enfin intéressant de noter que la dette grecque est largement internationalisée (voir graphique ci-dessous), car seulement 40 milliards d’euros des 385 milliards au total sont aux mains des banques locales, dixit le Crédit suisse. Plus généralement, toujours d’après l’Agence de gestion de la dette publique du Ministère grec des finances, les obligations d’Etat grecques sont possédées par à peine 29 % par des détenteurs locaux. Très exposés à ces titres sont les investisseurs et les banques des îles britanniques (Irlande comprise), de l’aire germanique (Allemagne, Autriche, Suisse) et de l’aire française (France et Benelux). Suivent l’Italie et, plus loin, la Scandinavie et les Etats-Unis.

L’empressement par lequel les gouvernements allemand et français ont réagi aux menaces qui planent sur la dette d’Athènes n’est, dans ce sens, étonnant. Le tableau (à fin 2009, en milliards de $ US), qui suit, tiré du rapport d’avril 2010 de la Banque de règlements internationaux (BRI), l’illustre bien

France 76 Allemagne 42 Royaume-Uni 13 Pays-bas 11 Portugal 8 Irlande 7 Italie 6 Autriche 4 Belgique 3 Suisse 2,5 Espagne 0,5 Total Europe (tous pays) 180 USA 16 Japon 5

Quant à l’efficacité des dispositifs de défense en voie d’élaboration (émissions d’obligations d’Etat couplées ou garanties des Etats tiers de celles d’Athènes), ils mettent tous en évidence les limites de la création d’une monnaie unique, l’euro, sans la formation parallèle d’un marché unifié des capitaux et en l’absence d’une gestion unique des finances des Etats appartenant à l’Euroland. Mais ceci est l’affaire des patrons et des Etats. Du point de vue de la classe ouvrière, une résolution de la crise fiscale par l’assainissement rapide du bilan de l’Etat grecque aux frais des salaires et de l’emploi dans le secteur public n’est tout simplement pas acceptable.

Il s’agit d’une véritable déclaration de guerre de l’Etat grec et de ses pairs de l’Euroland que les prolétaires ne doivent pas ignorer. Ces derniers doivent accepter le défi et livrer bataille sur le seul terrain qui compte, celui de la défense du salaire par la lutte politique généralisée contre tous les patrons et le plus dangereux et puissant d’entre eux, l’Etat-patron. Le plan du capital de faire payer sa dernière crise aux exploités est politique. L’exemple grec est un paradigme. Un paradigme qui accompagnera et scandera sous des formes différentes la vie de la société civile et de la classe ouvrière en particulier pour cette décennie. Seul un plan politique général, offensif et de signe opposé de la classe exploitée a la capacité de le battre en brèche. Un plan qui ne serait pas élaboré dans les chambres closes y compris des groupes révolutionnaires mais qui serait conçu dans le feu de la bataille par des comités politiques autonomes issus des secteurs les plus déterminés et conscients des enjeux du prolétariat. Un plan, enfin, qui attaquerait de face le réformisme d’Etat désormais au pouvoir à Athènes et acteur protagoniste de l’offensive capitaliste.

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RÉACTIONS OUVRIÈRES CONTRE LE PLAN DU GOUVERNEMENT

Chronique des événements

10 février

Première grève appelée par l’ADEDY avec une participation plutôt faible des travailleurs du secteur public.

23 févier

Avant la journée de grève du lendemain, le PC (en fait son courant syndical le PAME) décide de squatter la Bourse au début de la matinée avec une surréaliste et assez incompréhensible bannière disant en anglais « La crise paye la ploutocratie ». Leur but était, selon leurs termes, de « montrer aux inspecteurs de la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le FMI où est l’argent. » En fait, les services de la Bourse avaient été transférés dans un autre bâtiment et les manifestants quittèrent la Bourse à 14 heures. 24 février

Grève générale appelée conjointement par le GSEE et l’ADEDY. Lors de cette grève, le nombre de grévistes a été estimé entre 2 et 2,5 millions. Dans certains secteurs (ports, chantiers navals, raffineries de pétrole, construction, banques et entreprises du secteur public) la participation a atteint entre 70 et 100 %. Dans la fonction publique (enseignement, santé, services publics et ministères, poste) la participation a été plus faible, comprise entre 20 et 50 %

Les estimations de la participation aux manifestations, à Athènes, varient beaucoup. Selon la police, il y aurait eu 4 000 manifestants tandis que certains médias ont parlé de 100 000 et d’autres d’entre 9 et 30 000. Selon les camarades de TPTG participants aux manifestations, le chiffre de 40 000 représente une estimation fiable.

Il y a deux choses à noter. La première est la participation importante d’immigrés pas seulement derrière les groupes d’extrême-gauche mais aussi de façon diffuse dans le corps du cortège. On doit signaler que la participation des immigrés est liée à la nouvelle loi sur la « citoyenneté des immigrants » qui crée des divisions en leur sein en distinguant ceux qui sont éligibles à la citoyenneté et les milliers qui ne le sont pas.

La deuxième est les affrontements qui eurent lieu entre la police anti-émeutes et les manifestants qui ne venaient pas nécessairement du milieu anarchiste. En plusieurs occasions, il y a eu des corps à corps parce que la police avait reçu la consigne du gouvernement de ne pas utiliser les gaz lacrymogènes. Il y a eu des bris de vitrines de banques, des pillages de commerces (librairies, grands magasins, supermarchés et cafés) et bien que de façon marginale, cela a donné un ton inhabituel aux habituelles manifestations syndicales à Athènes.

3 mars

Le gouvernement socialiste a annoncé de nouvelles mesures pour le « salut du pays », y compris une réduction de 30 % des salaires des 13e et 14e mois des travailleurs du secteur public, une réduction de 12 % des subventions salariales, des augmentations de l’essence, alcool et tabac ainsi des réductions pour l’éducation et les dépenses de santé. Les premières réactions sont venues du PAME qui a accru ses occupations spectaculaires de courte durée, occupant cette fois-ci le ministère des Fiances et quelques stations de télévision dans des villes de province. Le PAME, une fois de plus, a appelé à des manifestations l’après-midi à Athènes et dans plusieurs autres villes pour le 4 mars. Plus tard, certains syndicalistes de gauche et des organisations d’extrême-gauche, rejoints par le syndicat des enseignants du secondaire et l’ADEDY, ont appelé à une manifestation distincte à Athènes. Étant donné le court délai d’annonce de la manifestation et le sentiment général d’impuissance, environ 10 000 personnes ont manifesté dans les rues du centre d’Athènes, d’une manière assez terne.

5 mars

L’initiative de la grève du 5 mars a été prise par le PC qui avait appelé à une « grève générale » et à une manifestation. L’ADEDY et le GSEE ont suivi avec un arrêt de travail de 3 heures, alors que d’autres syndicats (les syndicats d’enseignants à la fois du primaire et du secondaire et les syndicats des transports publics) ont appelé à une grève d’un jour. La manifestation du PAME a rassemblé autour de 10 000 personnes et elle a fini avant que l’autre n’ait commencé. Les anti-autoritaires et les jeunes avaient une présence plus visible cette fois-là et l’atmosphère était tendue depuis le début sur la place Syntagma près du Parlement où le PASOK était en train de voter ses nouvelles mesures.

Le chef de la GSEE, Panagopoulos, a tenté d’essayer de parler seul à la foule et n’obtint que quelques yaourts sur lui, puis un peu d’eau et de café et enfin une bousculade. Les attaques venaient de différentes directions et ainsi ses hommes de main ont été incapables d’empêcher une foule multiple (où certes les anti-autoritaires et les gauchistes ont été en majorité) d’exprimer pratiquement leur haine contre lui et ce qu’il représente. Il a été poursuivi et frappé tout le long du chemin jusqu’à l’entrée du Parlement et puis protégé par la police anti-émeute. Bientôt, une foule en colère s’est rassemblée juste en bas de l’édifice. Les gardes du Parlement ont dû quitter immédiatement le bâtiment et quelques combats ont commencé entre le peuple en colère et les brigades anti-émeute. C’est alors que les députés de la coalition SYRIZA ont choisi de faire leur apparition spectaculaire en déployant une banderole devant l’entrée avec une phrase de Breton qui disait « l’Etre humain est la question quelle que soit la réponse » une phrase qui a probablement rendu mal à l’aise les intellectuels althussériens appartenant à SYRIZA bien que cette phrase puisse être interprétée dans la rhétorique habituelle du SYRIZA comme « les hommes avant les profits »

La manifestation a alors commencé par se diriger vers le ministère du Travail, ce qui a été critiquée par de nombreux manifestants qui ont vu cela comme une action de la part des syndicalistes pour détourner la tension de la proximité du Parlement. Cependant, les esprits étaient encore chauds et donc quand la manifestation a atteint le bâtiment du Conseil d’Etat, des manifestants ont attaqué la brigade anti-émeute qui le gardait. Bientôt, une foule importante a commencé à jeter des pierres et divers objets à leur encontre. L’un d’eux, cependant est resté et a été capturé et presque lynché par les gens en colère. Cet incident qui indique à la fois une acceptation de l’escalade de la violence même par des gens qui d’habitude auraient réagi autrement et une haine contre la police, a duré quelques temps car la brigade anti-émeutes a été empêchée d’intervenir par des ouvriers licenciés d’Olympic Airways de s’approcher.

11 mars

Il n’existe pas de chiffres précis pour les niveaux de participation à la grève, mais nous pouvons dire avec certitude qu’il était plus élevé que le précédent (GSEE affirme que la participation à la grève a atteint 90 %). Cela a également été prouvé par le nombre de manifestants qui était presque le double de la manifestation du 24 février. Selon les estimations de TPTG, environ 100 000 personnes ont participé à la fois aux manifestations du PAME et du GSEE-ADEDY (PAME a organisé une manifestation distincte selon son habitude), même si les médias estiment ce nombre à environ 20-25 000. La composition de la foule était aussi légèrement différente, car il y avait plus d’étudiants, un peu d’élèves des écoles secondaires et plus de jeunes travailleurs tandis que les immigrés étaient absents à ce moment. De plus, les anti-autoritaires se sont fondus dans le cortège GSEE-ADEDY.

Une autre caractéristique différente a été la tactique plus offensive employée par la police. Plus de 5 000 policiers essayèrent d’empêcher l’escalade de la violence prolétarienne en encadrant au plus près de chaque côté la manifestation. Ils ont atteint leur objectif car peu de personnes, ne venant pas du milieu anti-autoritaire, ont participé aux affrontements ou les ont soutenus. Néanmoins, il y a eu plusieurs affrontements avec la Police dans différents endroits et qui se sont poursuivis autour d’Exarchia comme c’est d’habitude l’occasion.

En outre, il convient de noter que cette fois les dirigeants des centrales syndicales n’ont pas seulement coopéré ouvertement avec la police mais ont effectivement donné des ordres spécifiques à des escadrons anti-émeutes pour empêcher les manifestants sur l’avenue Patision afin de prendre la tête de la manifestation et éviter d’éventuels conflits avec la base et la répétition des événements du vendredi précédent, lorsqu’ils reçurent les sifflets qu’ils méritaient. Bien que la police ait arrêté et attaqué les premières lignes de la manifestation (qui comprend des groupes de syndicats de gauche d’enseignants du primaire) afin de préserver le leadership du GSEE et de l’ADEDY, le comité de coordination des mêmes syndicats du primaire et d’autres syndicalistes de gauche (comme un groupe de syndicalistes de l’OTE, l’ancienne entreprise publique de télécommunications) ont soutenu politiquement l’initiative de la GSEE et l’ADEDY en suivant leur itinéraire grâce à un détour par l’avenue du 3 septembre, laissant l’espace pour leur permettre de prendre la tête, puis en suivant juste derrière la GSEE et l’ADEDY ! En outre, la GSEE et l’ADEDY ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour aider la police à contrôler la manifestation.

Quand ils arrivèrent à la place Syntagma, ils ont essayé de disperser les manifestants qui arrivaient. Il n’est pas surprenant que la police a divisé la manifestation aux Propylées, où des affrontements ont éclaté, après que le bloc des bureaucrates soit retourné à son quartier général. Il faut aussi noter que les syndicalistes des forces de sécurité (police, pompiers, etc.) qui ont attendu sur la place Kolotroni pour la manifestation distincte de PAME ont été applaudies par les manifestants du PAME et à leur tour les ont applaudis aussi. Bien sûr, ils ont rapidement disparu après, car il ne serait pas une expérience très agréable pour eux le « Come Together » avec d’autres manifestants. Depuis le 11 mars

Des grèves sectorielles ont eu lieu au fil des jours : agents du fisc, salariés des auto-écoles, travailleurs de l’électricité (les 16 et 17 mars), travailleurs de la santé (16 mars), travailleurs des stations services (18 mars), chauffeurs de taxi (le 18 mars), etc. Ainsi que des grèves et manifestations, les 22 et 23 avril.

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Notes sur les partis politiques et les syndicats

Le PASOK (Πανελλήνιο Σοσιαλιστικό Κίνημα) Parti socialiste pan-hellénique est parti principal de la gauche et exerce un rôle prépondérant d’encadrement par le contrôle sur les deux syndicats, la GSEE et l’ADEDY. Il est le plus important parti en termes de militants, leur nombre s’élève à environ 250 000 (il est à noter que dans les élections internes en 2007, environ 770 000 « membres et amis » ont voté pour le président du PASOK, ce qui représenterait 6,7 % de la population !) Revenu au pouvoir depuis 2009, il met en place la politique d’austérité.

Le KKE (Κομμουνιστικό Κόμμα Ελλάδας) Parti communiste de Grèce est un des derniers partis réellement staliniens encore représentatif. Ses effectifs tournent autour de 40 000 militants. Au-delà de ses actions spectaculaires, le KKE s’appuie sur son courant syndical PAME et met en avant la dénonciation de l’Europe et des ploutocrates et est un fervent défenseur d’un nationalisme économique conforme à ses gènes staliniens. Il refuse toute « union de la gauche » et est pour le « socialisme maintenant ». Lors de son dernier congrès (2009), il a indiqué sa composition sociale :

Ouvriers-employés : 76 % (salariés du secteur privé 54 %, du secteur public 46 %).

Paysans : 2,81%

Artisans-commerçants-travailleurs indépendants : 9,32 % (sans employer de personnel 62,8 %, avec personnel 39,2 %).

Retraités : 7,15 %

Etudiants : 2,17%

Universitaires-chercheurs : 1,73%

Artistes-écrivains : 0,55%

SYRIZA (Συνασπισμός της Ριζοσπαστικής Αριστεράς), Coalition de la gauche radicale, a une influence mineure sur les syndicats (ils ont une certaine influence sur des professeurs d’université) Récemment Syriza a formé un réseau de membres de syndicats mais ils n’ont pas encore de réel influence sur les lieux du travail comme le PAME.

L’adhésion au syndicat dans le secteur public est très élevée dans quelques secteurs (c’est-à-dire les banques et les services publics) atteignant 90 % et dans quelques autres (l’enseignement, la santé) la haute adhésion au syndicat peut être quelque chose de plus qu’une « obligation » usuelle. Dans l’ensemble du secteur public, l’adhésion est environ de 60 %. Mai dans le secteur privé, le taux de syndicalisation ne dépasse pas, en moyenne, les 15 %.

Au niveau national, le nombre d’adhérents est environ de 30 % mais des recherches récentes prétendent que c’est encore inférieur. Malheureusement, nous n’avons aucune donnée disponible concernant l’adhésion au syndicat par région, mais généralement dans des régions provinciales elle est très basse comparée aux grandes villes (moins que la moitié).

Les effectifs présumés sont : GSEE, 1 million d’adhérents ; ADEDY, 400 000 adhérents ; PAME (courant syndical donc les effectifs sont déjà inclus dans les précédents) 300 000.

PAME est majoritaire dans le syndicat des Ouvriers Métallurgistes et dans plusieurs grandes usines.

La Confédération générale des Travailleurs de Grèce (GSEE) regroupe les centrales ouvrières des différentes villes qui elles-mêmes sont composées des syndicats de base de tous les secteurs de la production. Ainsi, la GSEE est composée des centrales ouvrières d’Athènes, Thessalonique, Patras, etc. Pour donner un exemple, la Centrale ouvrière d’Athènes (EKA) regroupe les syndicats d’entreprises du secteur privé, mais aussi ceux du secteur public et semi-public (banques, poste, Entreprise publique d’électricité, contractuels des administrations de l’Etat, etc.). ADEDY, pour sa part, est l’Union des fonctionnaires (elle regroupe les fédérations et les syndicats de fonctionnaires : enseignants, gardiens de prison, employés des ministères, etc.). L’appel à la grève générale est lancé par les directions de GSEE et ADEDY et répercuté à tous les niveaux (centrales ouvrières, syndicats de base, fédérations de fonctionnaires).

Premières constatations

En général

L’élément le plus éclatant est l’importance de la participation aux manifestations nationales et aux grèves appelées par les deux syndicats et, en leur sein, par la force et la capacité d’initiative montrées ces mêmes jours par le courant syndical du KKE. L’opposition aux mesures gouvernementales mises en avant par le PASOK (baisses des salaires, réductions des prestations, plus d’impôts directs et indirects, allongement de l’âge de la retraite, intensification des contrôles de police, etc.) a une assise très large. Toutefois, l’interprétation de la donne politique exprimée par ces mouvements mérite une analyse plus complexe et nuancée.

Sur la problématique de la « gestion » de la dette de l’Etat, la réaction la plus courante est d’affirmer que ceux qui l’ont créée doivent la payer et pas les travailleurs. Ces derniers ont bien à l’esprit que la longue série de scandales et de corruptions financières (incluant le gouvernement et des partis de l’opposition, église et sociétés privées) n’a jamais été punie. C’est pourquoi les grévistes n’avalisent pas la propagande étatique en faveur de « sacrifices nationaux » et ne recherchent pas une façon plus égalitaire de payer la crise. Les mesures fiscales gouvernementales, pour leur part, constituent une attaque concentrique à la fois contre les revenus des ouvriers avec les salaires les plus élevés, contre les professions libérales et contre d’autres strates petit bourgeoises traditionnelles coutumières de l’évasion fiscale. Cette approche prétendument égalitaire a rencontré un certain succès parmi les électeurs les plus fidèles du PASOK mais pas auprès des grévistes et des participants aux manifestations de ces derniers mois.

Or, si les chiffres de participation aux grèves lors des journées de manifestations sont importants, ils ne suffisent pas à établir l’existence d’une action autonome des ouvriers ni d’une contestation, même juste amorcée, du rôle organisateur et dirigeant du PASOK ou du KKE. Aucune tentative visible n’a eu lieu de prolonger et d’enraciner dans les lieux de travail ces journées de mobilisation par des grèves à l’initiative directe des ouvriers. Surtout, à aucun moment, la lutte contre les patrons, pour le salaire et des meilleures conditions de travail n’a été inscrite au menu du combat général. Les patrons ont bien saisi cette faiblesse du mouvement et ont choisi le profil bas laissant la haine de classe se déchaîner uniquement contre leur Etat.

Si, du point de vue des prolétaires, les journées de manifestation expriment une réelle volonté de combat, du point de vue de l’Etat et de ses organes politiques et syndicaux, elle sert à canaliser la colère des travailleurs et épuiser leurs forces pour faire passer les mesures gouvernementales ou, alternativement, promouvoir la politique du KKE et sa longue marche vers le pouvoir de l’exécutif.

Par ailleurs, il serait faux de penser qu’en Grèce (comme dans d’autres pays) la classe ouvrière se soit levée comme un seul bloc (forcément radical) et ait, en quelques mois, balayé les séparations qui l’innervent dans le quotidien du Capital : fonctionnaires de l’Etat, salariés des entreprises étatiques ou à participation étatique, salariés du secteur privé, salariés des grandes entreprises et celles des micro-entreprises, salariés en CDI ou salariés précaires (« la génération à 600 euros »), et bien sûr celles entre « Grecs » et « immigrés », sans compter les chômeurs.

Dans les usines

Il n’existe pas de groupes politiques révolutionnaires, en Grèce, ayant une activité régulière dans les entreprises. Quelles qu’en soient les raisons, il ne faut pas sous-estimer les pressions que le PASOK et le KKE sont capables d’exercer à mesure de leur poids prépondérant pour qu’aucun ferment autonome ne se formalise dans les ateliers. Jusqu’à présent, il n’y a aucun signe visible d’activité indépendante des ouvriers dans les usines. Aucune grève de longue durée ne s’est déclarée. Et encore moins investissant plusieurs secteurs. Les grèves sauvages d’atelier ou d’usine ne sont pas non plus d’actualité pour le moment. En termes d’organisation autonome, il convient de signaler que quelques militants révolutionnaires, principalement issus du milieu anarchiste, qui ont été impliqués dans l’occupation de l’ESIEA (le syndicat des journalistes), en décembre 2008, se réunissent encore régulièrement. Mais c’est un phénomène bien isolé.

Dans ce contexte, les actions d’éclat du PAME — occupations de bâtiments publics comme le Ministère de l’économie et le marché des actions, des manifestations et des rassemblements massifs de pratiques qui n’ont pas été inhabituel pour le PC, au moins depuis 2005 — monopolisent la scène surtout quand elles réussissent, au premier appel, à obliger le GSEE et l’ADEDY à suivre. Il n’est pas à exclure que par cette tactique, le PC tente d’attirer vers sa courroie de transmission syndicale des composantes des grands syndicats pour constituer sa propre centrale.

Deux grèves ont eu lieu pendant la période des manifestations, celle des employés de l’Imprimerie nationale et celle des employés de la compagnie Olympic airways.

Les employés de l’Imprimerie nationale, qu’ils ont occupé le 5 mars pour protester contre la coupe supplémentaire de 30 % du traitement des employés du ministère de l’Intérieur, avaient interdit à toute personne qui « n’était pas employée au ministère » de pénétrer dans les locaux. Des camarades qui leur ont rendu visite ont été renvoyés. L’Union socialiste des cadres a décidé de mettre fin à l’occupation dans la précipitation sans mettre la question au vote de l’assemblée en prétextant que « le gouvernement a promis » d’omettre la réglementation particulière. Les salariés n’ont pas apprécié mais n’ont pas poursuivi le mouvement.

L’occupation de la Comptabilité générale de l’État par des travailleurs licenciés d’Olympic Airways a connu le même épilogue. Les participants ont été pour la plupart des techniciens qui n’ont pas été payés depuis trois mois maintenant après qu’Olympic Airways avait été privatisée ou des travailleurs licenciés auxquels la direction avait promis des transferts dans d’autres sites. Au cours du premier jour de l’occupation, ils ont pris un fonctionnaire en otage pendant plusieurs heures. Le soir, ils ont affronté et chassé une escouade anti-émeute. Déterminés à maintenir le blocus aussi longtemps que nécessaire, ils ont toutefois interdit l’accès au bâtiment aux camarades venus d’ailleurs. Après 10 jours d’occupation, leurs représentants socialistes (issus de la droite de ce parti) ont accepté la promesse du gouvernement de créer un comité spécial pour examiner la question ! Il semble qu’à l’exemple des salariés de maintenance de la compagnie Olympic Airways licenciés qui se sont illustrés lors de la manifestation du 5 mars, il y ait aussi au sein des ouvriers « garantis » une division entre ceux qui sont virés et ceux qui restent. Ceci explique probablement pourquoi la minorité d’environ 300 salariés n’a pas pu entraîner les autres 4 700 dans une lutte plus conséquente avec, par exemple, le blocage des pistes.

Dans les manifestations

A Athènes, en règle générale, le métro fonctionne de 10h du matin à 16h de l’après-midi pour permettre aux manifestants d’une part de se rendre sur les lieux de rassemblement, d’autre part de rentrer chez eux. En raison de la division du mouvement, on a trois lieux de rassemblement et deux cortèges : GSEE et ADEDY se rassemblent d’ordinaire au Pedio Areos (Champ de Mars) et manifestent ensemble. A leur cortège, viennent s’agglutiner les partis de gauche et d’extrême-gauche (à l’exception du PC grec) qui se sont pour leur part rassemblés au Musée national. Enfin le PAME, le mouvement syndical du PC grec (KKE) se rassemble soit Place Omonoia, soit Place de la Constitution (Syntagma) et manifeste à part.

La composition de ces manifestations est différente de celles de décembre 2008. Si l’on regarde les chiffres des grèves, on constate une plus grande participation des salariés du privé et donc relativement une plus faible participation des enseignants. A l’exception de quelques cas isolés lors de la dernière journée d’action, les élèves du secondaire n’ont pas pris partie aux défilés en groupes reconnaissables. Ce ne fut pas le cas, en revanche, des étudiants qui ont répondu présent aux appels de participation lancés par leurs assemblées générales. Quant aux travailleurs « intermittents » et aux chômeurs, leur présence dans les manifestations n’a pas été réellement visible, mis à part l’implication directe de secteurs très minoritaires d’entre eux dans les actions violentes. Il faut une fois encore balayer la vision angélique d’une direction des syndicats « traître ». Le fait que le 5 mars, le dirigeant du GSEE, Panagopoulos, n’hésite pas à sortir du parlement pour haranguer les manifestants, quitte à se faire huer et bombarder de projectiles n’est-il pas la preuve que les chefs des PASOK et des syndicats sont encore sûrs d’eux et ont toujours une forte influence sur les ouvriers ?

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LES JOURNÉES DE MAI

Après les manifestations du 1er mai, une fois les mesures votées, la participation aux grèves et aux manifestations était un élément d’appréciation important pour savoir si, depuis mars, le mouvement contre les mesures d’austérité pouvait repartir.

En cela, le nombre de manifestants a été impressionnant non seulement à Athènes (30 000 pour le KKE/PAME, 120 000 pour les syndicats), Salonique (30 000) mais aussi dans beaucoup d’autres villes moyennes de province. La grève a atteint les mêmes taux de participation qu’en mars dernier, notamment dans les transports. Mais toujours aucune trace d’auto-organisation dans les entreprises ou d’activité autonome.

Il est difficile d’estimer la participation étudiante et lycéenne à la manifestation du 5 mai, dans la mesure où ils ne se distinguaient pas en cortèges séparés. Tout ce que l’on peut dire, c’est qu’il y avait beaucoup de jeunes. Ceci ne s’applique pas au PAME dans les rangs duquel les étudiants communistes forment leur propre cortège.

A Athènes, les actions violentes menées en marge des cortèges ont connu une ampleur inégalée, investissant jusqu’à la place Syntagma, devant le parlement. S’étant déroulé comme d’habitude à l’écart des autres, le cortège du KKE/PAME est arrivé le premier sur ces lieux. Les manifestants ont attendu les défilés de GSEE/ADEDY, ce qui a permis à des ouvriers de s’en extraire et de tenter d’attaquer — sans succès — les policiers protégeant le parlement, puis ceux en faction au monument au soldat inconnu.

Le long des rues menant à la place Syntagma (rue Panepistimiou, avenue Syngrou, avenue Stadiou), des banques (la plupart d’entre elles à rideaux fermés) et des immeubles administratifs (une perception, la préfecture d’Athènes) et des voitures de luxe, etc. font les frais de la colère des « autonomes » sans que les manifestants ne s’y opposent. En plusieurs endroits, la police a été incapable de réagir en raison de dysfonctionnements de son dispositif répressif. Le tout a duré environ trois heures. Selon TPTG, beaucoup de manifestants « normaux » ont participé aux escarmouches.

Puis la nouvelle est parvenue qu’une agence de la banque Marfin, rue Stadiou, avait été incendiée par les manifestants et que trois employés non-grévistes avaient péri dans l’incendie. Le lendemain, le 6 mai, les manifestations ont connu beaucoup moins d’affluence. La digestion de l’événement et de ses conséquences par les ouvriers est difficile. Grâce à cette erreur capitale, l’Etat a profiter de l’occasion pour tenter de reprendre la main.

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Témoignage

1. L’attaque s’est produite vers 14h (d’après les journaux). Le bloc de manifestants, dans les rangs duquel je me trouvais, est arrivé à environ 50 mètres de la banque en flammes vers 14h15. Il a alors marqué le pas, d’une part, parce que l’on ne pouvait plus avancer, d’autre part pour laisser passer les pompiers (deux voitures venant s’ajouter aux voitures de pompiers déjà sur place). Je n’ai pas été témoin de l’attaque.

Il s’est écoulé un temps assez long entre le moment où les « casseurs » de la banque ont réussi à casser les vitres très épaisses de la banque et le moment où ils ont mis le feu. Cette banque était la seule banque ouverte et la seule banque où il n’y avait pas de flics à proximité... Les premiers pompiers sont arrivés très vite. Sans verser dans les théories du complot, on peut se poser des questions.

2. Les « casseurs » ont brisé les vitres de la façade, jeté un liquide inflammable et lancé des cocktails Molotov. Tous les témoins présents confirment que la présence d’employés et de clients dans les locaux de la banque était parfaitement visible depuis la rue. Les manifestants, entre autres des immigrés (comme le montre un reportage télévisé), se sont immédiatement portés au secours des personnes piégées dans l’immeuble (une maison néoclassique transformée en immeuble de bureaux).

Un certain nombre d’employés ont pu sortir avant que les flammes ne soient trop hautes. Mais d’autres qui étaient derrière une porte de bureaux blindée très solide n’ont pas pu sortir puisque la porte principale de l’immeuble était fermée, qu’il n’y avait pas d’issue de secours - c’est un immeuble d’habitation, pas un immeuble de bureaux - et que les manifestants trotskystes et anarchistes qui ont essayé de l’enfoncer pour aider les employés à sortir n’ont pas réussi à les libérer.

3. Il est inexact d’affirmer que le patron a obligé les employés à monter dans les étages. C’est devant l’impossibilité de sortir par la façade, car le feu a commencé à faire rage, que les employés sont montés dans les étages où là ils ont été victimes des fumées dégagées par l’incendie. Trois personnes ont été asphyxiées. Les autres se sont réfugiées sur les balcons avant d’être sauvées par les pompiers qui avaient dressé leur échelle.

4. Le patron s’est rendu sur les lieux dans l’après midi, entre 17h et 18h, et s’est fait huer par les personnes encore présentes (environ 200 personnes). La manifestation était terminée. Ce patron n’est pas n’importe qui. C’est un peu le Berlusconi grec, il a racheté Olympic airways, la banque Marfin, et des intérêts dans les médias, etc. Il veut faire une carrière politique. 5. Les « casseurs » qui opèrent en marge du cortège des manifestants, se réfugient habituellement dans les rangs des « blocs » de manifestants anarchistes. Ils ne manifestent jamais à proximité des rangs du Parti communiste grec, le KKE, doté d’un solide service d’ordre qui leur ferait immédiatement la chasse, et préfèrent se planquer au milieu de gens dont ils savent qu’ils ne les chasseront pas de leurs rangs. L’angélisme de certains fait le jeu d’autres, aux intentions plus ou moins claires.

6. Il existe une pléthore de petits groupes d’extrême gauche et anarchistes en Grèce, des groupes dits autonomes, ainsi qu’un certain nombre de groupes qui pratiquent l’expropriation des banques et organisent des attentats. La situation actuelle permet à ceux qui prônent la violence contre les flics et l’Etat de se sentir comme un poisson dans l’eau dans les manifestations. Il est à craindre que leur intervention brouille les pistes.

Il n’est pas sûr, malgré tout, que l’accident de la banque ait terni l’image du mouvement social en cours. La dénonciation est unanime, et les divers collectifs anarchistes ne sont pas les derniers à dénoncer ce qu’ils appellent, pour certains, un assassinat Tout le monde fait bien la différence entre un mouvement général et justifié des travailleurs face aux mesures (les associations de commerçants des grandes villes sont plutôt favorables aux travailleurs), et les agissements d’individus aux objectifs parfois suspects (dans le cas de la banque Marfin, tous les témoins confirment que la présence d’employés et de clients était parfaitement visible à l’intérieur, ce qui confère un aspect criminel à cet « accident »).

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Ce terrible incident doit rappeler que l’exercice de la force n’est qu’un outil (et pas neutre) dont en certaines circonstances le mouvement peut ou doit se saisir. En soi, l’action violente n’a aucune valeur politique. Elle peut, et ce fut le cas dans l’épisode de la banque Marfin, se muer en un instrument hautement nuisible. Agie de la sorte, elle est uniquement l’expression d’une terrible vacuité de la pensée et aucunement une expression de force collective. L’emploi de cet outil doit donc en toutes circonstances être soigneusement pesé. Si l’organisation prolétarienne n’est jamais un luxe mais une nécessité permanente de la lutte de classes, l’action collective concertée et bien préparée est la condition sine qua non de toute initiative de force.

L’exercice de la force est une caractéristique constante de toute expression prolétarienne indépendante, de la simple assemblée, à la grève, à l’occupation, à la manifestation et plus. La reconnaissance de cet état de fait ne doit pas cacher ou faire sous-estimer les dangers inscrits dans son emploi. L’un d’entre eux qu’il faut veiller à surveiller est celui relatif à la constitution de corps séparés et spécialisés.

Les cibles éventuelles du mouvement doivent être poursuivies avec le maximum de rigueur et d’organisation pour éviter à tout prix les « accidents » du type de celui qui s’est produit. L’exaltation de la spontanéité et de la destruction, dans ce domaine plus qu’ailleurs, est en soi pernicieuse. L’avalanche d’explications débiles sur les responsables (provocation fasciste ou policière) et sur les coupables (le patron bien sûr, les employés non-grévistes) montre le désert d’intelligence politique des milieux qui se prétendent très, très révolutionnaires. Ce sont les mêmes milieux qui se sont faits les vestales de la révolte de décembre 2008.

Quant aux affrontements de la place Syntagma, quelle qu’eut été la volonté d’en découdre de la part de manifestants issus du cortège du KKE, ou des autres révoltés présents, ils représentent l’image spéculaire, quoique moins nuisible au plan politique, de l’attaque meurtrière à la banque. Leur inefficacité a été criante. Les assauts désordonnés ont été repoussés sans la moindre difficulté par les forces de répression. Pire, 200 mètres derrière au coin de la rue, le cortège KKE-PAME est resté totalement indifférent. Preuve du contrôle politique efficace, celui-ci, du KKE sur ses troupes.

Bruxelles, Londres, Paris, le 20 mai 2010

Pour toute correspondance écrire, sans autre mention, à : BP 1666, Centre Monnaie 1000, Bruxelles 1, Belgique.

Consulter le site Internet de Mouvement Communiste : www.mouvement-communiste.com

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