Sur les positions de Jacques Wajnsztejn
à propos du terrorisme d’extrême gauche
Introduction
Il existe toutes sortes d’analyses du terrorisme (ou plutôt des terrorismes), y compris à l’extrême gauche ou à l’ « ultragauche ». Des groupes qui condamnent le terrorisme sans ambiguïté à ceux qui l’approuvent, de ceux qui acceptent de s’engager sur le terrain périlleux, mais essentiel, de l’éthique révolutionnaire à ceux qui refusent même d’aborder la question. Pour plus de détails sur ces questions nous renvoyons au livre De la violence politique, anthologie de textes publiée par Ni patrie ni frontières en 2010 et qui contient des opinions diverses sur ce sujet.
Cet article s’intéresse aux positions développées par Jacques Wajnsztejn, un des membres de la revue Temps critiques, dans son livre Individu, révolte et terrorisme paru en 1988 et qui vient d’être réédité avec une nouvelle introduction. Un autre membre de la revue Temps Critiques (Loïc Debray) a écrit avec Anne Steiner un ouvrage réédité aux Editions L’Echappée (RAF : Guérilla urbaine en Europe occidentale), qui fera l’objet d’un autre article.
Temps critiques n’étant pas un groupe politique défendant une idéologie ou un programme définis, il est difficile de dégager une position unique, mais nous essaierons d’éclairer ce qui nous semble être la sensibilité commune aux participants de cette revue par rapport à la question du terrorisme et de la violence.
Pour être exhaustif, il aurait fallu exposer en détail les réflexions de Temps critiques autour des notions de valeur, de capital fictif et de société capitalisée, réflexions qui déterminent les positions de cette revue sur toute une série de questions, y compris à propos de l’existence de la classe ouvrière et de la disparition des classes sociales, mais cela dépasse mes compétences.
Je noterai simplement qu’à ma connaissance Temps critiques ne s’est jamais livré à une étude statistique et sociologique de l’importance de la classe ouvrière dans la population mondiale depuis le XIXe siècle (et donc d’une partie des bases matérielles et rationnelles des hypothèses de Marx). Si l’on en croit les statistiques officielles, pourtant, les effectifs du prolétariat mondial (quel que soit le sens, large ou restreint, que l’on donne à ce mot) seraient loin de décroître, notamment en Asie, et le « travail vivant » (le travail des hommes) serait loin d’être supplanté par le « travail mort » (capital, machines), comme le prétend Temps critiques.
La revue Temps critiques paraît depuis vingt ans et a publié 15 numéros, plus un certain nombre d’anthologies rassemblant des textes inédits ; de plus, ses membres ont aussi écrit des ouvrages en leur nom propre ou à quatre mains. Leurs livres font fréquemment référence à des philosophes ou des penseurs dont la lecture est ardue. Il faut parfois relire plusieurs fois certains passages pour en saisir la portée ou l’intérêt, mais cela vaut généralement la peine : si l’on fait un petit effort, on se pose de nouvelles et de bonnes questions et l’on découvre des éléments utiles pour mieux comprendre le monde capitaliste actuel.
L’une des influences théoriques principales de cette publication est, pour ce qui concerne le passé, la pensée de Karl Marx, et pour une période plus récente, d’un côté, les philosophes de l’Ecole de Francfort et, de l’autre, la revue Invariance et son animateur Jacques Camatte (1), dont les écrits ne sont pas non plus d’un accès facile. Les textes de Camatte (comme ceux de la plupart des ultragauches et des situationnistes et post-situationnistes) se caractérisent par un mépris de « l’activisme » (traduire : un mépris de la traduction de ses convictions politiques en actes concrets, et aussi un mépris des militants de base, considérés généralement comme un peu cons ou en tout cas dénués d’esprit critique), mépris qu’exprime parfois aussi Temps critiques, sous une forme moins systématique ou obsessionnelle que certains certains ultragauches.
Jacques Camatte a lui-même été influencé par la Gauche communiste italienne (courant que l’on qualifie habituellement de « bordiguiste », du nom d’un des principaux fondateurs du Parti communiste italien Amadeo Bordiga) (2).
Cette publication ne ressemble pas à une revue académique. Ni les sujets qu’elle aborde ni le ton militant qu’elle adopte (parfois, pas toujours, soyons honnêtes) ne la placent dans la catégorie des revues de la gauche sociale-démocrate, néostalinienne ou néotrotskyste (cf. Actuel Marx, Critique communiste ou Contretemps) qui ont un rapport souvent acritique avec les icônes de l’intelligentsia de gôche française (Bourdieu, Foucault, Derrida, Deleuze, Guattari et désormais… l’inénarrable Badiou !), ni des revues vaguement de gauche (Temps modernes, Esprit, Le Débat, etc.). Après cette brève présentation Temps critiques nous allons nous intéresser à un livre de Jacques Wajsztejn Individu, révolte et terrorisme (1988) et à la nouvelle introduction qu’il a rédigée en 2010 et qui se trouve sur ce site : http://www.mondialisme.org/spip.php....
Une définition problématique
Pour Jacques Wajnsztejn, en 1988 du moins, il existait deux types de terrorisme :
« celui de l’IRA, de l’ETA ou de l’OLP qui ne vise qu’à asseoir un nouvel État aux caractéristiques identiques à celui qu’il combat et dont les membres restent soumis à la “Cause” » (p. 5)
et d’un autre côté « celui d’INDIVIDUS prenant pour cible, dans leur révolte, l’idéologie et la pratique de l’Etat ».
Dès le départ cette distinction pose problème. Qu’est-ce qui permet à l’auteur d’affirmer que ces INDIVIDUS (dont la nature exceptionnelle et exemplaire est soulignée par l’usage de majuscules) ont véritablement rompu avec l’idéologie et la pratique de l’État ? Jacques Wajnsztejn ne l’explique guère tout au cours de son livre. Il s’intéresse surtout aux actes concrets de ces terroristes d’extrême gauche, au fait qu’ils prennent comme cibles des militaires (le général Audran) en France, des grands patrons (Hans Martin Schleyer) ou des hommes politiques (Aldo Moro), et non des civils « innocents » – les guillemets sont de moi. (On retrouve fréquemment dans la littérature « révolutionnaire » ce distinguo classique entre représentants de l’État, du Capital ou de l’impérialisme – coupables – et civils – innocents. À mon avis, cette distinction s’apparente à un tour de passe-passe en matière d’éthique. Ses fondements sont pour le moins douteux, comme plusieurs articles reproduits dans De la violence politique tentent de l’expliquer.)
Mais ces individus révoltés se réclament-ils des conseils ouvriers ? Font-ils partie de groupes qui ont dressé un bilan critique du bolchevisme et du léninisme, qui ont perdu toute illusion sur la nature prétendument socialiste du Vietnam, de la Chine ou de Cuba, icônes de l’extrême gauche des années 60 (2) ? Ont-ils rompu véritablement avec la tradition stalinienne de la Résistance italienne qui, si elle a lutté les armes à la main contre le fascisme, ne l’a fait que pour remettre en selle une autre forme d’Etat, démocratique certes, mais tout aussi bourgeoise ?
Jacques Wajnsztejn continue : « Ces individus ne s’expriment plus par et dans une classe, classe dont ils sont eux-mêmes exclus comme on l’a vu avec la chasse aux “terroristes” organisée dans les usines italiennes par le PCI et les syndicats ; mais par des actions violentes, spontanées diffuses et fugitives. »
Qu’est-ce qui a empêché ces révoltés de continuer à lutter, dans les usines, sur le terrain de la classe ouvrière ? Est-ce seulement l’hostilité criminelle du Parti communiste italien ? De fait, ce n’est pas ce que pense Jacques Wajnsztejn puisqu’il affirme dès la première ligne de son livre : « Il n’y a plus de classe sociale qui figurerait ou pourrait être assimilée au progrès de la société. La représentation du prolétariat par ses médiations traditionnelles (syndicats, partis, marxisme, pays socialistes) n’est plus possible et c’est à partir de ce vide que l’on peut essayer de comprendre le développement du terrorisme durant ces quinze dernières années. » (Rappelons que ce texte a été écrit en 1986-1987.)
Dans un tel cadre, on ne comprend guère, en dehors de la révolte individuelle contre l’exploitation et l’oppression, ce qui peut fonder rationnellement une action violente contre l’État.
Revenons aux activités violentes des groupes d’extrême gauche : « Mais cette violence devient terroriste quand ils cherchent à centraliser ces actions, à les rendre permanentes, à organiser politiquement ce qui ne peut l’être », écrit Jacques Wajnsztejn.
Un nouvel élément est ici introduit : la centralisation et la permanence de l’action signeraient le passage au terrorisme (donc, on le suppose, à une activité vaine, voire néfaste) : « Ils définissent alors des règles strictes de production de cette violence et transforment la révolte en une simple activité de l’ordre du militaire. »
Mais comment imaginer qu’un appareil d’État solide et pluricentenaire se laisse attaquer sans réagir, et sans obliger ainsi ses attaquants à eux-mêmes s’organiser en une contre-société secrète, hiérarchisée et militariste ?
« L’organisation de la violence accapare ainsi toute l’énergie de la révolte primitive. » Bien sûr. Mais cela était prévisible dès le départ et c’est accorder bien de la naïveté aux tenants de cette « révolte primitive » que de penser qu’ils n’avaient pas pensé aux conséquences de leurs actions.
« Cette difficulté à rompre avec les anciennes représentations apparaît bien dans la spectacularisation que l’État, par l’intermédiaire des médias, tente d’imposer aux terroristes. » Là aussi l’auteur prête aux terroristes d’extrême gauche une inexpérience exceptionnelle, comme si ces derniers ignoraient totalement les règles du monde dans lequel ils vivent et n’avaient pas l’intention d’en jouer.
« Le terrorisme déjà accusé, par la gauche et l’extrême gauche réunies, de servir seulement à museler les luttes ouvrières, sert aussi indirectement à revitaliser l’idéologie de l’Etat. »
Si l’auteur a raison de souligner que l’État n’a nullement besoin des petits groupes terroristes pour « museler les luttes ouvrières », il ne nous explique pas en quoi les individus dont il admire la révolte ont aidé en quoi que ce soit les luttes ouvrières ou les luttes des exploités en général. Mais évidemment si la révolte se justifie en elle-même, sans perspective historique, sans stratégie nécessaire, peut-être la solidarité avec les révoltés et la prise de risques physiques se suffisent-elles à elles-mêmes ?
Nouvelles nuances mais difficultés identiques
Dans son introduction de 2010 à Individu, révolte et terrorisme, Jacques Wajnsztejn apporte les précisions suivantes :
« Avec le recul, et le développement de nouvelles formes de terrorisme, il me semble que ce terme générique de “ terrorisme ” censé recouvrer toutes les formes armées de violence sociale et politique non étatique n’est plus opérant et cela pour deux raisons opposées :
premièrement parce que d’un côté des groupes de plus en plus nombreux se positionnent et agissent comme autant de “ petits Léviathans ” en puissance pour reprendre une expression d’Oreste Scalzone. On peut dire que tous luttent pour une Cause qui leur est extérieure et les domine, d’où leur comportement souvent sacrificiel ;
deuxièmement, parce que les attaques contre la société du capital ont actuellement perdu le caractère de masse qu’elles avaient pu atteindre dans les années 65-75 (mouvement extra-parlementaire allemand et violence diffuse en Italie) et sur lequel pouvaient venir se greffer des pratiques de lutte armée. Aujourd’hui, elles ne revêtent, au mieux, qu’un caractère de “ résistance ” qui permet justement aux différents pouvoirs de les isoler dans la forme “ terroriste ”, en criminalisant les modes d’action illégaux même s’ils demeurent peu violents, comme le sont, par exemple aujourd’hui, les blocages devant les établissements scolaires ou certaines actions au sein des universités ou entreprises (séquestrations, destruction de matériel). À partir du moment où il devient clair que c’est la société du capital qui domine l’usage de ces mots, il devient nécessaire, au minimum de les préciser. Aujourd’hui, il faut le dire, les seules actions armées sont celles qui visent à “ terroriser ” les populations. Or, elles sont de nature nationaliste, religieuse/communautariste ou directement produites par des États constitués et non plus des actions visant à une subversion sociale de l’ordre existant. »
Les précisions qu’apporte l’auteur posent tout autant de problèmes que son analyse antérieure. Jacques Wajnsztejn continue à penser que les années 60-70 auraient été le « dernier assaut révolutionnaire de notre époque ». C’est peut-être de cette affirmation péremptoire (et commune à presque tous les groupes d’extrême gauche ou ultragauches) que la discussion devrait partir.
Dans son Histoire des révolutions (2006, Points Seuil 2010) Martin Malia considère (en schématisant sa pensée) que les seules révolutions possibles, « réalistes », réalisables, sont les révolutions bourgeoises. Sans adopter cette hypothèse extrême, et bien décourageante pour des individus ou des organisations qui prônent encore la révolution sociale au XXIe siècle, on est bien obligé, si bien sûr on n’a aucune illusion sur le léninisme et le stalinisme, de constater que les révolutions « prolétariennes » ont toutes été défaites au XXe siècle, qu’il s’agisse des révolutions russes (1905/1917) ou de la révolution hongroise des conseils ouvriers de 1956.
Soucieux de donner de l’épaisseur à cette notion de vagues révolutionnaires, ou plus exactement de « cycle des révolutions », Jacques Wajnsztejn écrit :
« Il nous faut redire que les mouvements de lutte armée ont constitué des moments de la lutte à l’intérieur de ce qu’on pourrait appeler le cycle des révolutions du XXe siècle. C’est particulièrement net pour le processus enclenché en Italie à partir de la fin des années 60 et qui va s’étendre jusqu’au milieu des années 80. La lutte armée s’inscrit donc dans une tradition révolutionnaire qui prend son essor avec la “ propagande par le fait ” des anarchistes à la fin du XIXe siècle, le sabotage et le syndicalisme d’action directe du début du XXe, les expropriations et prises sur le tas en Espagne dans les années 20-30 ainsi que les multiples actions terroristes d’Ascaso et Durruti, les milices armées de Max Holz en Allemagne 1920 et 1921. »
La Fraction Armée Rouge, les Brigades rouges, et Action directe (créées respectivement en 1968, 1970 et 1979) sont nées –du moins pour les deux premières d’entre elles – dans le cadre d’une période riche en grèves dures, longues et variées. Si, au départ, ces groupes se sont attaqués à des bâtiments civils ou à des installations militaires plutôt qu’à des personnes, s’ils ont d’abord pratiqué ce qu’ils appelaient une « propagande armée », ils ont dû affronter une répression impitoyable quand ils ont commencé à pratiquer l’assassinat politique, c’est-à-dire en 1977 pour la RAF (rappelons que Holger Meins mourut en novembre 1974 après plusieurs semaines de grève de la faim en prison et que, en mai 1976, Ulrike Meinhof fut retrouvée « pendue » dans une cellule d’isolement sensoriel total). Pour obtenir la libération de ses membres emprisonnés, la RAF enleva Hans Martin Shleyer, un grand patron, le 5 septembre 1977 et, le 18 octobre, le gouvernement allemand annonça la mort par « suicide » d’Andreas Baader, Gudrun Ensslin, et Jan-Carl Jaspe, très probablement assassinés.
Pour les Brigades rouges, c’est à partir de 1974 qu’elles sont créditées d’assassinats politiques par la « justice » italienne, le plus célèbre d’entre eux étant celui d’Aldo Moro en 1978, ce qui montre la coïncidence entre le recul des luttes et la montée de la lutte armée sous sa forme homicide.
En dehors de cet affrontement inégal et suicidaire entre des groupuscules de quelques dizaines ou de quelques centaines de militants armés et les Etats allemand, italien et français, affrontement qu’on ne peut absolument pas qualifier d’ « assaut révolutionnaire », on ne voit pas dans quel pays d’Europe, ou même du monde, les travailleurs auraient formé des conseils ouvriers, des soviets, des comités de travailleurs, peu importe le nom, pour prendre en main les usines et les bureaux, ou auraient formé des milices ouvrières pour détruire l’Etat. En clair, où y a-t-il eu une période de double pouvoir en Europe dans les années 1960/70 ?
Le seul pays (jamais mentionné à ma connaissance par Temps critiques et par la plupart des ultragauches ou des extrême-gauchistes de toute tendance) où un pourcentage significatif des usines ont été reprises en main par les travailleurs en 1974-1975, c’est le Portugal. Et encore s’agissait-il plus d’une mesure défensive (assurer l’emploi et un revenu) que d’une mesure offensive (commencer à s’approprier les usines pour exproprier toute la classe capitaliste), même si les discussions politiques au sein des commissions de travailleurs montrent que les travailleurs portugais se posaient des questions politiques fondamentales (Le journal Combate, dont les interviews de travailleurs de toutes tendances reflétaient ces discussions, n’a malheureusement jamais été traduit en français, mais on peut trouver les textes en portugais sur Internet, et une analyse excellente dans Portugal l’autre combat publié par les Editions Spartacus).
Parler d’une « offensive révolutionnaire déclenchée par les mouvements radicaux des années 60/70 » me semble donc, jusqu’à preuve du contraire, se payer de mots.
Décidé à tout prix à accorder un label « révolutionnaire » aux petits groupes d’extrême gauche qui ont pratiqué la lutte armée, et soucieux de renforcer sa thèse d’une vague révolutionnaire, Jacques Wajnsztejn, en voulant critiquer les théories du complot (selon lesquelles ces groupes étaient entièrement manipulés par les services secrets), défend, dans son introduction de 2010 à Individu, révolte et terrorisme, deux positions qui nous semblent particulièrement fragiles, pour ne pas dire fausses :
d’une part, il assimile les « dissociés » italiens (ceux qui ont reconnu publiquement que la lutte armée était une erreur politique grave, mais n’ont dénoncé personne) aux repentis (ceux qui ont vendu leurs camarades contre une réduction de peine). Cette affirmation est cohérente avec sa croyance en l’idée qu’il y aurait eu une « vague révolutionnaire » dans les années 1960-1970 mais elle me semble calomniatrice pour les dissociés, en particulier ceux de Prima Linea qui se sont dissociés collectivement. Une telle position a surtout pour effet involontaire (ou pour fonction délibérée chez certains) d’empêcher tout bilan politique de cette période, sous prétexte que ceux qui tentent de reconnaître leurs erreurs politiques commises durant les années 1960/70 seraient automatiquement des ennemis de classe, ou renforceraient l’Etat italien et sa répression ;
d’autre part, il refuse d’évoquer sérieusement les liens qui ont pu exister entre les terroristes de la RAF et l’Allemagne de l’Est stalinienne, en réduisant la question à sa dimension anecdoctique (dans le passé, il y a toujours eu quelques provocateurs ou indicateurs dans les organisations révolutionnaires, y compris dans leur direction, cela ne changeait rien à leur nature). Malheureusement on peut, et on doit même, se demander pourquoi, si les militants de la RAF étaient autant opposés à la bourgeoisie de RFA qu’à la bureaucratie stalinienne de la RDA, cette dernière les a-t-elle accueillis à bras ouverts jusqu’à la chute du Mur ? Plus largement on peut se demander pourquoi certains groupes d’extrême gauche qui ont pratiqué la lutte armée (ou ont simplement envisagé de la pratiquer) ont-ils noué des relations avec des mouvements et des Etats nationalistes du tiers monde, mouvements et Etats dont la nature contre-révolutionnaire était évidente, déjà à l’époque ? Aller recevoir une formation militaire en Lybie, à Cuba ou dans la plaine de la Bekaa au Liban n’avait en effet rien de politiquement neutre.
Mais revenons à l’ouvrage Individu, révolte et terrorisme.
Un changement de période historique ?
Après avoir décrit les éléments fondamentaux de son analyse du terrorisme, Jacques Wajnsztejn se lance dans un assez long détour pour expliquer en quoi il se réclame toujours du communisme de Marx, tout en considérant que les analyses du Grand Karl ne s’appliqueraient plus à la société actuelle. Il est difficile, dans le cadre de cet article, de restituer tout le raisonnement de l’auteur. Signalons que pour Jacques Wajnsztejn le prolétariat en tant que classe aurait actuellement disparu et aurait été remplacé par ce qu’il appelle des « individus-prolétaires ». Curieusement l’auteur s’intéresse uniquement aux pays capitalistes avancés sans nous fournir beaucoup de statistiques ni sur le salariat ni sur la classe ouvrière proprement dite. Il passe sous silence le développement fantastique de la classe ouvrière dans des pays comme la Chine, l’Inde, le Pakistan ou le Brésil. Si, en 1988, ce développement était peut-être moins évident qu’aujourd’hui rappelons quand même qu’en 1972 Simon Rubak avait déjà publié, aux éditions Spartacus, un petit livre au titre prémonitoire : La classe ouvrière est en expansion permanente, contrairement à des sophismes trop répandus.
Pour Jacques Wajnsztejn, les nouveaux sujets de la révolte sont apparemment les « jeunes qui (…) pratiquent l’art de la débrouille : absentéisme, turn-over, petits boulots, travail au noir ; pour eux pas question de s’affirmer en tant qu’ouvrier : leur vie n’est pas à l’usine, le temps de travail est un temps intégralement perdu ». Ces individus révoltés se caractérisent par le « mépris de toutes les formes de travail », la « réactivation d’activités anciennes (artisanat) ou « alternatives » (« bio ») », le « désinvestissement par rapport au travail » et le « développement d’activités de substitution (vaguement artistiques, bricolage, etc. »
Jacques Wajnsztejn a raison de souligner que la classe ouvrière occidentale a profondément changé depuis les années 60 ; que ses rangs sont beaucoup moins compacts et encadrés depuis maintenant quarante ans ; que l’on a assisté à un processus d’ « individualisation » forcenée, de fragmentation des travailleurs. Dans une telle situation il est extrêmement difficile de savoir quand – et si – une nouvelle unification conséquente des luttes des prolétaires est possible. Mais lorsqu’il décrit toutes les activités de refus du travail auxquels se livrent (ou sont condamnés) les nouveaux arrivés sur le marché du travail (voire ceux qui se font jeter des entreprises à 40 ou 50 ans), on ne voit guère comment de ces intérimaires, de ces précaires permanents, pour ne pas parler des SDF, pourrait surgir la moindre conscience et organisation collective solide, permettant de dégager la perspective d’une révolution sociale.
Dans les pays occidentaux, les entreprises (qu’il s’agisse d’usines dont la taille ne cesse de diminuer, de sociétés de services ou d’administrations) existent toujours et ne sont pas en voie de disparition totale et définitive. Pas plus que les quartiers populaires, même si ceux-ci n’ont rien à voir avec les cités ouvrières qui s’étaient développées depuis la fin du XIXe siècle, où la majorité des habitants disposaient d’un travail dans une entreprise de taille respectable.
Mais, encore une fois, on saisit mal comment des travailleurs à domicile, des intérimaires, des chômeurs, etc., pourraient s’organiser (probablement sur une base locale) et avoir le même poids économique et politique que ceux qui font partie des « garantiti » comme on dit en italien, ceux qui ont un emploi garanti soit par leur statut de fonctionnaires ou assimilés, soit par un CDI dans des entreprises ayant les reins solides — ou pas.
Mais comme Jacques Wajnsztejn s’interdit cette perspective, on comprend mieux alors sa fascination, et celle des rédacteurs de Temps critiques, pour les différents groupes qui ont pratiqué la lutte armée, délibérément ou à leur corps défendant, ou bien pour les groupes qui ont pratiqué à une échelle de masse les autoréductions dans les transports, les occupations de logements, les interventions armées dans les supermarchés, etc.
Quelle qu’ait été l’ampleur de ces mouvements en Italie [et elle n’avait rien de groupusculaire ou d’anecdotique (3)], il est difficile de croire que ceux qui en ont été à l’initiative ignoraient que des dizaines de milliers de gens ne pourraient pas, pendant des mois, refuser de payer leurs loyers, remplir gratuitement leurs caddies au supermarché, payer des tarifs réduits dans les transports en commun, etc., sans que la répression se déchaîne contre eux. Et comment ils pouvaient ignorer que la protection armée de telles actions de base enclencherait une spirale répressive dont l’issue ne pouvait être que militaire.
Face à la répression de l’Etat contre eux, on peut et on doit certes être solidaires – sans ménager pour autant nos critiques politiques – de ces camarades qui ont tenté d’accélérer le cours de l’Histoire (mais pour Jacques Wajnsztejn et Temps critiques, l’Histoire a-t-elle encore un sens ?), mais on ne peut en même temps fermer les yeux sur les schémas simplistes qu’ils avaient dans la tête : une Résistance armée minoritaire mais populaire allait provoquer la répression de l’État, forçant ainsi la masse des exploités à faire le grand saut et à prendre les armes. Ou pire : un « Parti communiste combattant » allait rapidement se créer sous leur direction et prendre le pouvoir par un coup d’Etat habilement mené.
On ne peut pas non plus fermer les yeux sur la religion de la violence que partageaient ces groupes. Et lorsque Jacques Wajnsztejn affirme que les militants de la RAF ou des BR étaient les seuls à envisager de payer personnellement le prix pour leurs actions et pour leurs idées, on ne peut s’empêcher d’entendre quelque chose du genre : « Ces mecs (et ces femmes dans le cas de la RAF) avaient un sacré courage physique et n’hésitaient pas à risquer leur peau. » Sans aucun doute. Malheureusement ce courage et cette détermination indéniables (il n’est que de voir combien de militants de la RAF ou d’Action directe sont morts en prison ou ont subi des séquelles ineffaçables de leur emprisonnement), aussi admirables soient-ils sur le plan du courage individuel, ne remplacent pas une réflexion politique novatrice et surtout l’auto-organisation des masses.
« De Spartacus à aujourd’hui… »
Ce que Jacques Wajnsztejn et l’équipe de Temps critiques mettent utilement en évidence, de façon différenciée mais souvent convergente, c’est la difficulté d’envisager les formes d’une véritable révolution sociale aujourd’hui, surtout lorsqu’on ne croit plus à la théorie du Parti omniscient qui mènera les masses à la victoire militaire ; qu’on considère qu’une « guerre d’accumulation » n’est ni possible ni souhaitable puisqu’elle aboutirait forcément à la bureaucratisation avant même le Grand Soir ; et qu’enfin l’on pense que les classes sociales sont en pleine dissolution, et que donc le prolétariat n’est plus à même de jouer un rôle significatif dans la future révolution sociale.
Mais, si le seul élément de référence est l’individu et sa révolte contre l’oppression et l’exploitation, pourquoi donc s’accrocher à la référence à la classe ouvrière à certaines périodes de l’histoire du capitalisme ? Si la classe ouvrière est en voie de disparition à l’échelle mondiale, pourquoi se soucier encore des dernières manifestations de son rôle social ?
Si finalement ce qui compte le plus c’est la révolte brute, pure, « primitive », de l’individu et ses formes d’expression violentes, pourquoi s’embarrasser des références à Marx, des analyses économiques et sociologiques, des comparaisons historiques ?
On sent dans les textes de Jacques Wajnsztejn une tension permanente entre, d’un côté, une révérence profonde mais plutôt nostalgique vis-à-vis de Marx et du vieux mouvement ouvrier (grosso modo jusque dans les années 20 pour les tendances les plus radicales du mouvement communiste ou anarchiste), révérence qui implique de prendre au sérieux, quitte à les critiquer, les analyses marxistes classiques des classes sociales, du capitalisme et de l’impérialisme ; et, de l’autre, la volonté de « jeter le bébé avec l’eau du bain », de revenir à ce qui ressemble, faute de trouver un terme plus adéquat, à un anarchisme (ce concept n’ayant, pour moi, aucun caractère méprisant ou péjoratif) qui fait l’apologie de l’action directe, de la rébellion pure, non pas tant par conviction de son efficacité mais par… désespoir. (Un désespoir qui peut d’ailleurs avoir une certaine résonance chez les jeunes révoltés d’aujourd’hui, « individus prolétaires », qui voient le chômage augmenter, les périls ou les catastrophes écologiques se multiplier, et auquel les sociologues et les économistes réformistes annoncent dès aujourd’hui qu’ils vivront plus mal que leurs parents, que ceux-ci soient ouvriers ou petits-bourgeois…)
Cette tension, cette contradiction qui habite Jacques Wajnsztejn, le fait osciller entre un respect pour les catégories marxistes utilisées dans l’analyse des rapports de production (ce qu’on appelle par facilité, et à tort, l’ « économie »), et la volonté de faire table rase de toute la réflexion et l’action de Marx et des marxistes sur le plan de la lutte politique : revendications démocratiques, formation de partis et de syndicats, activité parlementaire pour les réformes, luttes de libération nationale, etc.
C’est pourquoi sur le terrain politique, et notamment de l’analyse du terrorisme, Jacques Wajnsztejn semble revenir à une position qu’il est difficile de qualifier autrement que d’anarchiste, voire de prémarxiste, pour laquelle l’Etat, étant l’ennemi absolu (« L’Etat n’est pas devenu ou redevenu autoritaire, il est devenu total comme le capital » ; « l’Etat n’a plus d’ennemi intérieur déclaré » ; cela l’amène « à ne plus respecter certaines règles du jeu démocratique traditionnel, afin de tester la conformité de chacun à ce point de vue d’ensemble », écrit-il dans son introduction de 2010 à Individu, révolte et terrorisme), aucune médiation n’est possible entre l’Etat bourgeois et le communisme intégral.
On comprend la méfiance de Jacques Wajnsztejn vis-à-vis des théorisations et surtout de l’expérience de la Troisième Internationale sur les questions ci-dessus évoquées, mais Temps critiques ne semble pas avoir trouvé beaucoup mieux pour le moment, sur le terrain des luttes politiques, qu’une défiance radicale vis-à-vis de l’Etat et de toutes les médiations qu’il offre, du moins dans les démocraties bourgeoises.
Les textes de Temps critiques expriment une solidarité radicale, et parfaitement justifiée, avec toutes les révoltes contre l’Etat. En cela les collaborateurs de cette revue reprennent à leur compte une très ancienne et saine tradition du mouvement ouvrier, tradition régulièrement foulée aux pieds par les organisations d’extrême gauche en quête de respectabilité électorale.
Mais la lucidité de Temps critiques face au manque total de perspectives des luttes depuis le milieu des années 70, lucidité qui tranche avec l’autosatisfaction permanente de l’extrême gauche ; le refus de cette revue de nous servir les « discours automatiques » que l’on retrouve jusqu’à la nausée dans la presse de la gauche « radicale » ; sa volonté d’explorer de nouvelles pistes pour renouveler l’analyse des modifications intervenues dans le fonctionnement du capitalisme, des classes sociales et des luttes des exploités, ces différents éléments semblent la conduire vers une illusion très ancienne : celle du communisme-tout-de-suite.
Cette posture n’est malheureusement pas plus innovatrice que les « analyses » préfabriquées de ceux qui croient qu’ils planifieront à nouveau l’insurrection militaire d’Octobre ou fomenteront l’autogestion en s’appuyant sur de nouveaux syndicats anarchosyndicalistes, quand ils ne prônent pas un hypothétique municipalisme « libertaire » en draguant les partisans de la « démocratie participative » chère aux altermondialistes (4).
La posture de Jacques Wajnsztejn se rapproche parfois d’une réflexion assez atemporelle (le capitalisme est un régime d’exploitation inadmissible, ce qui légitime toute révolte contre lui ; il écrit ainsi dans son introduction de 2010 à Individu, révolte et terrorisme : « nous pensons que la révolte reste une sorte d’invariant de l’histoire de l’humanité. De Spartacus à aujourd’hui, les raisons de la révolte ne manquent pas »), aux accents philosophiques généreux mais plutôt catastrophistes.
Communisation immédiate ou barbarie ?
On n’est pas très loin de l’éternelle alternative « socialisme ou barbarie » (dans le cas de Jacques Wajnsztejn ce serait plutôt « communisation immédiate ou barbarie »). Cette alternative est régulièrement recyclée depuis Marx, sous des formes diverses, des écologistes radicaux aux libertaires fascinés par les théories « primitivistes » ou « anti-industrielles » en passant par les trotskystes, ou les néotrotskystes, qui dénoncent la « putréfaction » et la « décomposition » du capitalisme dont les forces productives auraient « cessé de croître », ou ceux qui assimilaient hier la guerre froide à l’anéantissement de l’humanité par l’arme atomique, aujourd’hui la démocratie bourgeoise au fascisme ou au nazisme, etc. Comme si les « révolutionnaires » avaient toujours besoin de faire peur, de dresser des perspectives sinistres voire apocalyptiques, pour convaincre les gens de se mobiliser pour de justes causes… ou pour s’en convaincre eux-mêmes.
Ainsi, la thèse de la « démocratie totalitaire » – évoquée par Jacques Wajnsztejn et empruntée à l’Ecole de Francfort – converge dangereusement avec des analyses très répandues dans les milieux libertaires sur le « totalitarisme rampant » (ou « soft ») dans toutes les démocraties bourgeoises, « totalitarisme » qui s’incarnerait dans des juridictions comme la loi Perben ou le Patriot Act de G.W. Bush. Dans le numéro spécial du 22 décembre 2006 du Monde libertaire, Larry Portis n’hésite pas à parler de « fascisation « des Etats-Unis depuis les années 20 et à voir en Bush (tout comme d’ailleurs Jacques Julliard du Nouvel Observateur [5]), un éventuel fourrier du fascisme !!!.
L’emploi de l’épouvantail « fasciste » ou « totalitaire » a, peut-être, des vertus pédagogiques aux yeux de certains, mais il ressort d’un argumentaire manipulatoire et contraire à la perception de la réalité par l’immense majorité des êtres humains.
Comparer l’Allemagne de Hitler avec celle de Helmut Schmidt, de Helmut Kohl ou de Gerhard Schröder, l’Italie de Cossiga, Aldo Moro ou Berlusconi avec celle de Mussolini, la France de Pétain à celle du général De Gaulle ou de Nicolas Sarkozy, ne peut que pousser des militants sincèrement révoltés à des actions désespérées. Et c’est bien ce qui est arrivé aux quelques dizaines de membres de la Fraction Armée Rouge, des Brigades Rouges voire d’Action Directe. (De même qu’établir des parallèles entre Hitler, Sharon et Bush, comme le proclament nombre de pancartes dans les manifestations à propos de la Palestine ou de l’Irak, ne fait pas avancer d’un iota la compréhension du fonctionnement de l’impérialisme américain et du colonialisme israélien.)
Jacques Wajnsztejn ne tombe heureusement pas dans des panneaux aussi grossiers que ceux tendus par les vieux crabes nationalistes, étatistes et tiers-mondistes, ou ces libertaires qui voient le fascisme avancer masqué derrière toute publicité ou toute incitation à la « consommation », mais son penchant pour la thèse de la « démocratie totalitaire » établit des passerelles possibles avec la propagande gaucho-simpliste, écolo-simpliste ou anarcho-simpliste.
Dans les circonstances actuelles, cette propagande est amplifiée et dramatisée par ce qu’on pourrait appeler « l’antisarkozysme primaire », relayé par toutes sortes de chansonniers et de comiques populaires ; cet antisarkozysme (qui personnalise à l’excès des problèmes dont la solution ne se réduit pas à un simple changement de monarque ou à un exercice plus « digne » de la fonction présidentielle) se répand à toute vitesse avec la permanence de la crise et l’accroissement des difficultés des travailleurs en France – d’autant plus qu’il sert les intérêts boutiquiers du PS, des écologistes, du PCF et du Parti de gauche.
Conscient de ce piège d’ailleurs, Jacques Wajnsztejn nous livre, dans son introduction de 2010 à Individu, révolte et terrorisme, des réflexions très justes : « Ainsi, certains sont enclins à voir dans toutes les actions de l’État, une tendance politique vers la droitisation à travers l’arrivée au pouvoir de gouvernements populistes (Berlusconi, Haider, Sarkozy). Les caractéristiques autoritaires de l’État contemporain sont alors assimilées à une fascisation rampante comme le montrent divers appels à la “ résistance” ou au retour à une forme de vichysme. On est alors dans la plus grande confusion quand la multiplication des “bavures” est mise sur le même plan qu’une volonté d’anéantir un mouvement social… qui n’existe pas ou bien lorsque la moindre action directe se présente comme lutte sociale. Cela engendre deux erreurs de taille car elles inversent le processus réel. Tout d’abord, l’État est pensé comme tout-puissant alors que son raidissement est plutôt une preuve de sa faiblesse (en France l’État-nation est en crise profonde et en Italie il n’arrive jamais à se stabiliser) et en second lieu, la lutte sociale est présentée comme toujours potentiellement forte alors même que la notion de mouvement social est plus que jamais indéterminée. »
On ne peut que regretter que la lucidité actuelle de Jacques Wajnsztejn ne s’applique pas davantage à l’analyse des luttes de masse des années 1960 et 70 et du terrorisme d’extrême gauche, voire même à la précédente « vague révolutionnaire » des années 1920, qu’il faudrait aussi réanalyser en profondeur en ne s’en tenant pas simplement à la version des acteurs les plus radicaux, aussi réconfortante soit-elle pour nos espoirs d’une révolution sociale.
Y.C., avril 2010
Notes
1. Pour ceux qui souhaiteraient lire Bordiga trois solutions :
– s’adresser à un militant du Parti communiste international (ce qui n’est pas facile à trouver) ou à la Librairie La Brèche où l’on pourra dénicher un certain nombre de textes de Bordiga publiés par le PCI et le plus souvent anonymes (rassurez-vous : en recoupant avec Internet on arrive à savoir lesquels sont de Bordiga !) ;
– aux Éditions Spartacus 8 impasse Crozatier 75012 Paris Tél : 01 42 09 41 73 Mail : http://www.atheles.org/spartacus/page/ correspondance@editions-spartacus.fr Et correspondance@editions-spartacus.fr
– ou explorer des sites comme http://www.ica-net.it/quinterna/ de la revue n + 1, le plus complet apparemment en italien ; http://www.sinistra.net, archives en plusieurs langues dont le français, ou http://classiques.uqac.ca/classiques/ bordiga_amedeo/ histoire_ gauche_com_I/HGC_t_I.html).
En italien, des œuvres complètes étaient en cours de préparation mais l’éditeur (Graphos) étant devenu négationniste, le projet s’est arrêté aux années 1911-1926.
2. Si l’on consulte les écrits d’Ulrike Meinhof (cf. par exemple le site de la revue Front social) on est sidéré par le schématisme des analyses de cette militante de la Fraction armée rouge, qui se caractérise par un antiaméricanisme primaire, une exaltation acritique des luttes de libération nationale et l’assimilation de la démocratie bourgeoise au fascisme. Si Ulrike Meinhof avait vécu dans un petit bled paumé au fin de l’Ethiopie ou du Soudan, où elle n’aurait eu accès qu’à une feuille de chou stalinienne introduite en contrebande ou à des traductions falsifiées des écrits de Marx, Engels ou Lénine, on pourrait essayer de comprendre ses positions et de les mettre sur le compte d’une ignorance tout à fait pardonnable.
Mais elle vivait en Allemagne dans un pays à l’histoire politique extrêmement riche, où elle disposait de tous les moyens de prendre connaissance des différents courants du mouvement ouvrier allemand, hollandais, anglais, américain, russe, italien, français, etc., et de leurs débats théoriques depuis un siècle.
On suppose donc qu’elle ne défendait pas ces positions par ignorance, mais par choix, tout comme aujourd’hui, dans un tout autre registre, les trotskystes britanniques du SWP qui n’avaient aucune illusion sur les mouvements de libération nationale dans les années 60, discutent tranquillement avec des représentants irakiens de l’Armée du Mahdi au Liban, font l’éloge du Hamas ou mènent campagne en faveur de Tariq Ramadan. Il s’agit de choix politiques qui ne peuvent être « excusés » par un quelconque manque d’informations.
3. Yann Moulier-Boutang et Pierre Rival Les Autoréductions : Grèves d’usagers et luttes de classes en France et en Italie (1972-1976), Christian Bourgois, 1976.
4. C’est ainsi que, dans son introduction à Pour un municipalisme libertaire de Murray Bookchin, (Atelier de création libertaire, 2003) Mimo Puccarelli écrit à propos de ce texte : « Un des éléments intéressants que l’on peut en retenir c’est sans doute la possibilité de faire vivre un municipalisme libertaire en agissant dans les quartiers, dans les petites villes, c’est-à-dire à une échelle ‘humaine’ ou horizontale, mais c’est aussi l’esquisse d’une sorte de fédéralisme des groupes et des activités vivant dans ces municipalités. » Après le « socialisme à visage humain », voilà l’ « anarchisme à visage « humain… et municipal » ! Décidément, plus on avance dans le XXIe siècle, plus les « révolutionnaires », privés de boussole et de sextant politiques, raffolent des pâtisseries rances de la vieille social-démocratie.
Le coup du « municipalisme », on nous l’a déjà fait, en France notamment, et il y a plus d’un siècle, avec les brillants résultats que l’on sait. Bookchin réinvente l’eau chaude…et Puccarelli rajoute un peu de savon liquide pour faire de jolies bulles libertaires. Mais il faut dire, à leur décharge, qu’ils sont en bonne compagnie : Lutte ouvrière a consacré toute une brochure pour défendre la « démocratie communale » ; quant au Parti des travailleurs, c’est son pain quotidien...
5. Une première version de ce texte, restée inédite, avait été écrite en avril 2007, raison pour laquelle y figurent ces référence à des articles écrits il y a trois ans par Larry Portis et Jacques Julliard…
Post-scriptum :
Ceux qui souhaitent approfondir les problèmes évoqués dans cet article pourront se rapporter aux nombreux articles publiés dans Ni patrie ni frontières sur la question de la violence politique et des terrorismes, notamment dans le numéro 11-12 de la revue : http://www.mondialisme.org/spip.php... et repris avec d’autres textes dans le recueil De la violence politique. (http://www.mondialisme.org/ spip.php ?article1370)