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Encyclopédie anarchiste : La Raison contre Dieu

dimanche 28 mars 2010

(Anthologie de textes à paraître en mai 2010)

« L’Encyclopédie anarchiste a énormément vieilli », peut-on lire sur un site libertaire.

N’ayant jamais été anarchiste, ce n’est pas moi qui vais contredire l’auteur de cette remarque lapidaire. Mais alors pourquoi diable rééditer de vieux textes, s’ils sont devenus ringards ?

D’abord et avant tout, parce que la revue Ni patrie ni frontières est, depuis sa création en 2002, attachée à marteler une opinion simple : les luttes sociales ont une histoire, les idées politiques actuelles ont un passé, quoi qu’en disent les charlatans – sociaux-démocrates, néostaliniens, gauchistes ou radicaux chics. Et rien n’est plus désespérant – pour qui a une petite culture – que de voir resurgir – sous de nouveaux oripeaux « flashy » ou alambiqués – de vieilles idéologies qui ont lamentablement fait faillite.

Qu’il s’agisse du mythe du communisme chrétien primitif (une des sources de la fumeuse théologie de la libération), de la laïcité (que certains voudraient « ouvrir » jusqu’à la vider de son contenu), du matérialisme et de l’athéisme (honteux pour nombre de marxistes actuels), de la lutte contre les religions (que la plupart des gauchistes et certains libertaires ont lâchement abandonnée), du rôle de la raison et la réflexion critique, les auteurs ringards au style vieillot de L’Encyclopédie anarchiste ont encore pas mal de choses à nous apprendre. Et d’abord et avant tout, à ne pas gober les yeux fermés toutes les idées à la mode.

Loin de moi l’idée de défendre que les auteurs de L’Encyclopédie anarchiste aient eu raison sur tout : il suffit de lire ce qu’écrit l’un des auteurs à propos des « israélites » : tout en dénonçant avec virulence l’antisémitisme, il ne peut s’empêcher de souligner le caractère « malin » des juifs et leur talent à faire du commerce ; de même, on considérera avec le plus grand scepticisme, pour ne pas dire une franche hilarité, le lien qu’établit Barbedette entre le climat et le contenu des trois monothéismes.

Depuis quatre-vingts ans, les connaissances sur l’histoire des religions se sont considérablement approfondies et nous devons en tenir compte dans nos critiques des religions. Les athées et les rationalistes auraient dû normalement sortir renforcés de ce progrès des connaissances, mais, sur le terrain politique, cela n’est guère le cas, que ce soit parmi les militants de la gauche réformiste, ceux des mouvements altermondialistes ou d’extrême gauche. Curieusement, alors que le développement des connaissances archéologiques, historiques, sociologiques et psychologiques devrait consolider la critique des religions, les tenants d’un « autre monde possible » font de plus en plus de concessions à l’obscurantisme religieux, que ce soit celui des mouvements indigénistes d’Amérique latine, de la théologie de la libération, des différentes tendances de l’islam politique dit anti-impérialiste, du prétendu féminisme islamique, ou simplement des revendications religieuses au sein des sociétés (plus ou moins) laïques occidentales.

Lire L’Encyclopédie anarchiste demande donc un minimum d’esprit critique, mais pas davantage que la lecture d’auteurs branchés et « modernes « comme Onfray, Chomsky, ou Foucault, qui, pour être plus contemporains, n’en ont pas moins proféré pas mal d’âneries sur le plan politique.

Lire l’Encyclopédie anarchiste, c’est d’abord découvrir une pensée étonnamment diverse, les auteurs venant de plusieurs courants (anarchisme individualiste, communisme libertaire, syndicalisme révolutionnaire), même si les anarchistes individualistes dominent plutôt ici. Tous les auteurs ne sont pas d’accord entre eux, loin de là, y compris sur des questions philosophiques aussi épineuses que celles de la définition du Bien ou du Mal, de la morale, ou l’appréciation de certaines dimensions de la religion.

Celui qui ne connaît pas l’anarchisme découvrira un vaste continent aux reliefs et aux climats contrastés et sera obligé de réfléchir, de faire des choix, bref de ne pas agir en consommateur ou en fidèle borné. Cette encyclopédie n’est pas un catéchisme… Les sectaires seront déçus.

Elle a été écrite par des militants qui s’efforçaient d’établir un lien entre leurs idées, leur éthique, leur pratique politique et une critique radicale de la société, de l’Etat, de l’exploitation et de l’oppression. Ce n’est pas un hasard si, sur les 17 rédacteurs des articles présentés dans cet ouvrage, au moins 7 d’entre eux ont été condamnés à des peines de prison pour leurs écrits, leurs discours ou leurs actes, qu’il s’agisse de propagande antimilitariste ou anticolonialiste, ou d’avortements clandestins.

Quelques lecteurs jugeront indigestes, trop longs ou trop courts certains articles. D’autres trouveront lassantes les citations d’auteurs classiques, au style suranné, ou bien d’universitaires tombés dans l’oubli. D’autres estimeront que les auteurs ont un point de vue naïf sur la bonté naturelle des animaux ou des êtres humains. Ou qu’ils pêchent parfois par arrogance dans leur combat contre l’obscurantisme. Voire qu’ils tombent dans les théories du complot (comme l’auteur du très long article sur les Jésuites, que nous n’avons pas reproduit ici, faute de place).

Mais le lecteur aurait tort de se limiter à ces quelques réserves ou critiques, aussi fondées soient-elles.

De nombreux articles touchent juste, car leurs auteurs tentent de faire appel à la raison, au savoir historique, aux connaissances scientifiques, contre les approximations, le dogmatisme, ou les bons sentiments.

En cette époque où les émotions nourrissent le marketing politique de ceux qui se présentent aux élections. Où l’image choc est manipulée par tous les partis et les groupuscules (il suffit de jeter un œil sur Daily Motion ou You Tube), il peut être utile de réhabiliter la Raison, la discussion argumentée, la lecture et l’analyse des points de vue de nos adversaires politiques ou idéologiques.

L’Encyclopédie anarchiste contient, bien sûr, des inexactitudes, des proclamations triomphalistes, des envolées lyriques un peu creuses. Mais sa démarche est pour l’essentiel radicale, au sens qu’elle prend les choses – ici les religions, les questions philosophiques et éthiques – à la racine et que ses auteurs discutent pied à pied de la validité de toutes les thèses religieuses ou idéalistes de leur époque, et même des époques précédentes.

Des marxistes dogmatiques (mais si, cela existe !) nous objecteront que les anarchistes se focalisent trop sur les idées religieuses, et pas assez sur leur soubassement matériel. D’une part, ce reproche n’est pas fondé puisque de nombreux articles soulignent l’entrelacement entre politique et religion, oppression étatique et oppression religieuse, intérêts économiques des Eglises et soumission des fidèles ; et d’autre part, c’est tout à l’honneur des auteurs de s’être penché minutieusement sur les écrits des penseurs qu’ils critiquent avant d’émettre une opinion. Les trotskystes et les altermondialistes qui ont soutenu Tariq Ramadan n’ont certainement jamais pris la peine de lire l’un des livres de ce bigot réactionnaire, avant de s’exprimer à son sujet.

Ce goût du combat pour des idées est effectivement ringard à une époque qui promeut l’idéologie du « vivre ensemble », des « droits de l’homme » désincarnés (accompagnés d’interventions militaires « humanitaires »). Où l’on place toutes les idées sur le même plan, chacun ayant le droit de « penser ce qu’il veut », au Grand Supermarché des Idées Jetables et Interchangeables. Ou l’on considère que seuls les « extrémistes religieux » seraient dangereux, oubliant que toute religion est un système de contrainte, de pression et de répression sur l’individu, et que tout groupe religieux sera tenté de faire de la politique et d’imposer ses conceptions dans le champ social et dans l’espace public, et pas seulement dans ses lieux de culte ou entre les murs du foyer familial.

Les auteurs de l’Encyclopédie anarchiste n’avaient pas pour ambition de devenir les chouchous des médias, de dîner avec des hommes politiques, des chanteurs ou des actrices célèbres, ou de faire commerce de leurs livres ou de leurs conférences sous forme de DVD : ils voulaient changer le monde, libérer l’Humanité et démolir, pulvériser, toutes les idées réactionnaires qui contribuent à maintenir le Capital et l’Etat en place.

À vous, lectrices et lecteurs, de décider si leur démarche radicale a encore un sens aujourd’hui….

Ni patrie ni frontières. (avril 2010)

484 pages, 12 euros (frais de port compris)

Pour toute commande écrire à yvescoleman@wanadoo.fr

Ou Yves Coleman – 10, rue Jean Dolent 75014 Paris

Remerciements

La publication de ce livre n’aurait pas été possible sans les efforts de ceux et celles qui ont patiemment numérisé L’Encyclopédie anarchiste avant de la mettre en ligne sur le site

http://www.encyclopedie-anarchiste....

Qu’ils soient ici remerciés pour leur travail de… bénédictins, même si nous ne les avons pas consultés pour éditer cet ouvrage !

Par rapport au texte original, nous avons introduit quelques modifications légères : nous avons supprimé les bibliographies, aux références trop datées, modernisé l’orthographe de certains noms propres et corrigé quelques coquilles. Faute de place, nous n’avons pu insérer plusieurs articles liés aux questions religieuses et philosophiques, notamment sur les jésuites, l’histoire de la Libre-Pensée, les quiétistes et les quakers.

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