Ce texte paru dans Echanges n°128 (printemps 2009) est une synthèse de deux articles de Peter Rachleff, professeur d’histoire au Minnesota, qui ont été publiés par plusieurs revues et sites Internet américains : « Immigrant Rights Are Labor Rights » et « Postville and the lessons of the Hormel strike. » (Dollar and Sense, n° 278 (sept-oct. 2008), voir Immigration : les leçons de la grève de Hormel (1985-1986).
Le 12 mai 2008, à l’usine AgriProcessors de la petite ville (2 200 habitants) de Postville (Iowa), 900 agents de l’ICE (Immigration and Customs Enforcement, police de l’immigration et des frontières) ont procédé à une rafle, la plus importante de ce genre dans l’histoire des Etats-Unis. Près de 400 ouvriers sans papiers, hommes et femmes originaires, pour la plupart, du Guatemala, se sont vus rassemblés et accusés du crime d’ « usurpation d’identité aggravée » pour avoir utilisé de faux numéros de sécurité sociale.
Séparés de leurs enfants et de leurs familles, ces ouvriers ont été enchaînés, internés sous des tentes dans le parc à bestiaux de Waterloo (ville d’Iowa) et on les a fortement incités à plaider coupables. Presque tous l’ont fait et ont écopé de cinq mois de prison tandis que les femmes étaient assignées à résidence, portant des bracelets électroniques aux chevilles, sans pouvoir travailler. Quand les hommes sortiront de prison, elles prendront leur place. Et lorsqu’à leur tour elles sortiront de prison, tous seront expulsés.
Cette rafle de l’ICE à l’abattoir de Postville, le plus grand abattoir cachère du pays, et les effroyables conditions de travail dans l’entreprise qui ont été révélées depuis, ainsi que d’autres rafles semblables dans tout le pays (fin août, le New York Times a fait état d’une rafle semblable à Laurel, Mississipi), comptent parmi les défis les plus urgents auxquels le mouvement ouvrier doit faire face aujourd’hui. Mais les bases de la situation actuelle des travailleurs migrants aux Etats-Unis ont été jetées il y a longtemps, depuis qu’on a cassé les syndicats dans l’industrie de l’abattage et du conditionnement de la viande, depuis que le néolibéralisme a restructuré l’économie mondiale.
Dans le Midwest, les Libériens et les Guatémaltèques ainsi que de nombreux autres immigrés deviennent clandestins à cause d’une bureaucratie qui invoque le terrorisme pour justifier les augmentations de budget de l’ICE tout en coupant les crédits des services sociaux. Selon la logique étatique, les frontières et les limites sont clairement définies, certains d’entre nous sont à l’intérieur et les autres à l’extérieur. Des hommes, des femmes et des enfants fuient des régimes qui ont malmené leurs communautés, cherchant à survivre. Quand ils arrivent aux Etats-Unis, certains trouvent un travail mal payé, sale et dangereux. D’autres s’en tirent mieux économiquement mais vivent dans la peur de l’expulsion et de la perte de tout ce qu’ils ont construit ici.
Les Twin Cities (1) sont devenues le domicile de la plus importante communauté libérienne des Etats-Unis, même si le gouvernement fédéral refuse à nombre d’entre eux le statut de résident permanent. Deux décennies de guerre civile et de désordres, à la suite d’un siècle de néocolonialisme économique, en grande partie favorisés par l’armement, l’argent et l’intervention des Etats-Unis, ont détruit les infrastructures du Liberia et maintenu son taux de chômage autour de 80 %.
Pendant ce temps, d’après leurs propres calculs, les Libériens qui travaillent dans le Minnesota envoient chez eux entre 8 et 10 millions de dollars par mois pour leurs familles. Et pourtant, Washington n’a qu’un « statut protégé temporaire » à offrir à des dizaines de milliers de Libériens déplacés et un compte à rebours pour une expulsion – celle-ci était prévue en mars 2009. Pour couronner le tout, le gouvernement a instauré un programme de test ADN à Monrovia, capitale du Liberia, exigeant des aspirants à l’immigration qu’ils « prouvent » leur relation familiale avec les immigrés qui sont déjà aux Etats-Unis. Les immigrés libériens sont traités comme des criminels en puissance avant d’avoir mis les pieds dans le pays et ils y vivent chaque jour en regardant par-dessus leur épaule (lorsque les immigrés de Sierra Leone ont perdu leur statut protégé temporaire en mai 2004, un trait de plume bureaucratique les a fait passer de « réfugiés » à « clandestins sans papiers »).
Les immigrés d’Amérique centrale ne s’en sont pas mieux sortis. Dans les dernières décennies de la guerre froide, des gouvernements militaires et dictatoriaux, souvent financés par les Etats-Unis, ont littéralement fait la guerre à leurs propres populations. Avec la montée en puissance du libre-échange et du néolibéralisme, la production artisanale et agricole auto-suffisante a été mise à mal par les importations de produits agricoles bon marché et de marchandises produites en série. Les paysans et les villageois déplacés ont émigré pour nourrir leurs familles. A cause des restrictions à l’immigration, beaucoup sont entrés dans le pays clandestinement et sans papiers. Avec l’aggravation de l’insécurité économique pour de nombreux travailleurs américains blancs et la peur qu’entretiennent les démagogues, ces immigrés sont de plus en plus souvent dans la ligne de mire des autorités.
Comment s’est développée la politique de l’immigration ?
En avril 2006, des centaines de milliers d’immigrés qui militaient pour la reconnaissance de leurs droits organisèrent des manifestations dans plusieurs grandes villes des Etats-Unis. Ils ripostaient à de longs débats sur le pour et le contre d’une réforme en profondeur de l’immigration par des banderoles affichant un texte court mais génial : « Aucun être humain n’est illégal ». Cette revendication catégorique défiait les pratiques profondément enracinées de notre gouvernement ainsi qu’une profonde source intarissable de racisme dans notre culture. Leurs actions évoquaient aussi les traditions d’engagement, d’organisation et de résistance.
Depuis l’époque de l’esclavage – bien avant la formation des Etats-Unis proprement dits – le gouvernement, soutenu par la culture populaire, incluait certains résidents en tant que citoyens et en excluait d’autres en tant qu’étrangers, que l’historienne Mae Ngai a appelés « ressortissants impossibles ». Non seulement les esclaves n’appartenaient pas à la communauté politique et sociale, mais les esclaves affranchis et leurs enfants étaient habituellement exclus de la citoyenneté. La Constitution américaine comptait chaque esclave comme trois cinquièmes d’une personne tandis que la loi de naturalisation de 1790 offrait la citoyenneté aux « personnes blanches libres ». La loi sur les étrangers de 1798 autorisait le président à ordonner l’expulsion de tout étranger « dangereux pour la paix et la sécurité des Etats-Unis » en temps de paix. Le professeur Ngai affirme que le gouvernement a inventé les « immigrés clandestins » à partir du moment où il a commencé à réguler l’immigration.
Le critère principal de ce genre de décision était la race, et la réflexion sur la race était influencée par les passions, les croyances et les préjugés populaires. Un double processus faisait d’une personne d’une race différente un « autre », tout en assurant une place à l’intérieur à tous ceux à qui on accordait le statut de « Blanc ».
A partir de leur propre position précaire, menacée à la fois par la richesse et le pouvoir de ceux qui les dominaient et par l’impuissance de ceux qui se trouvaient en dessous d’eux sur l’échelle socio-économique, les Blancs de la classe ouvrière luttaient pour conserver leur part de statut et de privilèges. Tout en pratiquant la discrimination et même, parfois, la justice expéditive, ils désiraient aussi des lois et un Etat qui les respectent. C’est là l’origine d’un modèle qui allait être profondément gravé dans le corps politique américain. A chaque montée de la précarité dans la classe ouvrière blanche et à chaque menace de mécontentement populaire, les élites et l’Etat allaient riposter en diabolisant et en transformant « l’autre » en victime expiatoire, c’est-à-dire à la fois les personnes de couleur et les immigrés. Lorsque la révolution industrielle, dans la première moitié du xixe siècle, fragilisa l’indépendance des artisans blancs, ceux-ci se mirent à organiser des syndicats et des partis politiques indépendants. Mais, l’un après l’autre, les Etats révisèrent leurs critères d’aptitude pour le droit de vote, passant de la condition de propriétaire à celle de mâle de race blanche, et le mécontentement cessa.
La profonde dépression des années 1870 et l’agitation politique qu’elle engendra conduisirent à la loi d’exclusion des Chinois de 1882, la première loi à proscrire une race particulière. Au milieu des turbulences économiques et politiques nées de la première guerre mondiale, le Congrès passa en 1924 la Loi Johnson-Reed, première restriction nationale complète de l’immigration, pour laquelle elle fixait des quotas numériques, établissait une hiérarchie raciale et nationale qui favorisait les Européens du Nord et de l’Ouest – la plupart de ceux du Sud, du Centre et de l’Est n’étaient pas considérés comme « blancs » au départ. On vit rapidement se développer une bureaucratie chargée de faire respecter ces lois, non seulement sur les frontières et dans les ports, mais aussi dans les villes, les champs, les usines et les mines du pays tout entier.
On ne se contenta pas d’ériger des barrières contre l’immigration, car les ressortissants de ces groupes interdits qui vivaient tout de même dans ce pays furent traités en suspects. Les attitudes populaires dominantes, mises en forme et illustrées dans des bandes dessinées, des spots publicitaires, des journaux, des émissions de radio, des films et de l’humour, rendaient les membres de ces groupes « étrangers », « autres », pas très américains. Les autorités, depuis la police locale jusqu’à la Cour suprême des Etats-Unis, traduisirent ces attitudes en lois d’exclusion et actions punitives. Et même les groupes qui avaient vu leur statut atteindre un certain niveau « d’intégration » allaient découvrir avec quelle facilité on pouvait le révoquer. Pendant la grande dépression des années 1930 et la seconde guerre mondiale, des résidents mexicains, philippins et japonais furent désignés comme « clandestins » malgré leur entrée légale dans le pays, bien qu’ils soient devenus citoyens américains ou même bien qu’ils fussent nés ici. Ils furent dépouillés de leurs biens et de leurs droits, certains furent internés et d’autres expulsés. Même des citoyens américains de la troisième génération se retrouvèrent « clandestins ».
La loi sur l’immigration de 1965, influencée à la fois par le mouvement des droits civiques et par la guerre froide, allait mettre de côté les vieux préjugés et entamer une nouvelle ère d’ouverture et d’équité. On abandonna les quotas raciaux et on créa de larges catégories régionales. Paradoxalement, la période d’après-1965 amorçait aussi la transformation des économies mondiale et américaine qui entraient dans les turbulences du néolibéralisme et du libre marché. Le libre-échange, les importations de produits agricoles moins chers, l’exportation de capitaux et l’ouverture d’usines, la recherche de matières premières, la guerre et la présence militaire américaine lièrent les Hmong, les Vietnamiens, les Salvadoriens, les Mexicains, les Libériens et d’autres aux Etats-Unis. En même temps, la guerre, les discriminations, la sécheresse, les crises économiques et politiques poussèrent les Somaliens, les Erythréens, les Oromos, les Guatémaltèques, les Indiens, les Pakistanais et d’autres, à quitter leurs pays et à rechercher ailleurs la paix et la sécurité.
Et ces mêmes mutations économiques balayaient l’économie intérieure aux Etats-Unis, déstabilisant la production et détruisant la sécurité économique des travailleurs américains. Ils craignaient de perdre leur travail et prenaient de plus en plus conscience de la présence, dans leurs communautés, d’immigrés non blancs dont beaucoup étaient prêts à travailler plus pour gagner moins. Des hommes politiques, des démagogues et des animateurs d’émissions de radio puisèrent dans ce sol fertile pour rejouer le vieux scénario de la loi du sol natal. Faire des immigrés, surtout des immigrés non blancs, des boucs émissaires conduisait à la célébrité, à la fortune et au pouvoir politique.
Les prises de position du mouvement social
Tout au long de l’histoire américaine, le mouvement social dominant a volontiers participé à ces processus. Pendant la vague d’immigration en provenance d’Europe du Sud et du Centre, à la fin du xixe siècle et au début du xxe, l’AFL (American Federation of Labor), dominée par des syndicats d’artisans, chercha à créer des niches sûres pour les ouvriers blancs qualifiés originaires d’Europe du Nord et de l’Ouest.
L’AFL et ses sections ne s’efforçaient pas seulement – sans succès d’ailleurs – de préserver les privilèges de leurs adhérents, mais ils méprisaient le travail non qualifié. Même les Knights of Labor, plus ouverts et qui admiraient les Afro-Américains et certains nouveaux immigrés, rejetèrent l’adhésion des travailleurs immigrés chinois. Pendant les deux premières décennies du xxe siècle, une partie de l’antipathie que les syndicats dominants éprouvaient à l’égard des International Workers of the World (IWW) résultait de leur accueil des immigrés et des travailleurs de couleur.
Lorsque, pendant la grande dépression, on vit les Afro-Américains et les immigrés jouer un rôle positif au sein des nouveaux syndicats industriels de la CIO, les syndicats de l’AFL se vendirent souvent aux employeurs contre promesses de loyauté et contrats favorables aux deux parties, mais pas aux travailleurs. Dans les années 1960 et 1970, alors que certains syndicats s’ouvraient au mouvement des droits civiques, beaucoup ne le firent pas. A l’arrivée de la nouvelle vague d’immigration, dans le climat d’insécurité économique né du néolibéralisme, de nombreux syndicats adoptèrent une position protectionniste et de droit du sol, dénonçant non seulement les immigrés mais aussi leurs familles restées au pays et travaillant dans des ateliers clandestins appartenant à des Américains.
A la fin des années 1990, le militantisme des travailleurs immigrés de l’hôtellerie et des services lors d’une succession de luttes très visibles et de l’accession au pouvoir de la clique Sweeney, amenèrent l’AFL-CIO à renoncer à militer en faveur des restrictions à l’immigration et aussi à son refus d’organiser les travailleurs immigrés. Malgré ce revirement, le discours de la fédération resta empreint de nationalisme, de patriotisme et de la protection du « standard de vie américain ». Le racisme, le droit du sol et la xénophobie n’étaient jamais loin, et cela n’ouvrait guère de perspectives encourageantes aux adhérents de base.
Remise en cause du racisme
Mais tous les Américains ne se satisfaisaient pas de cet état de choses. Au courant des protestations, de l’organisation et de la résistance qui font aussi partie de l’histoire de ce pays, certains n’ont cessé de remettre en cause à la fois le racisme et les agissements de l’Etat. Maintes fois, ceux que le racisme et la politique de l’Etat frappaient de plein fouet ont été rejoints par ces gens ordinaires que leur conscience poussait à organiser des mouvements en faveur de la justice sociale.
Certains s’organisèrent pour libérer les esclaves dans le cadre de l’Underground Railroad (2) ou bien remirent en cause l’institution même de l’esclavage en devenant abolitionnistes. Dans les générations suivantes, des ouvriers, des fermiers et des ouvriers agricoles de couleur s’organisèrent avec leurs collègues blancs dans les Knights of Labor, le Mouvement Populiste et les IWW. Ils voulaient une Amérique démocratique et égalitaire face au pouvoir croissant des élites entrepreneuriales. Les immigrés d’Europe du Sud et de l’Est se joignirent aux Afro-Américains qui avaient quitté le Sud pour conduire le mouvement des syndicats industriels des années 1930. Dans le cadre de la grande dépression, ce mouvement recherchait la sécurité économique, l’équité et la dignité sur le lieu de travail et à faire entendre la voix des travailleurs dans la vie politique de la nation. Les porteurs des wagons-lits, les travailleurs hospitaliers, les ouvriers de l’automobile, les mineurs de charbon et beaucoup d’autres mobilisèrent leurs syndicats pour soutenir le mouvement des droits civiques. Les travailleurs migrants latinos et philippins étaient l’épine dorsale des United Farm Workers of America. Des organisations sur le lieu de travail et dans les communautés, des églises et des groupes de toutes sortes œuvrant pour la justice sociale se sont dressées maintes fois pour obtenir l’équité, l’égalité et l’intégration, même quand ce n’était pas populaire.
Actuellement au Minnesota, des organisations et des individus – organisations confessionnelles de travailleurs, défenseurs des droits et de la justice – fonctionnent en réseau pour soutenir le droit permanent à résidence pour les Libériens, un traitement équitable et la possibilité d’obtenir la citoyenneté pour les travailleurs immigrés de Postville. L’Action communautaire juive basée dans les Twin Cities, puisant dans son interprétation de l’histoire compliquée des Juifs – en tant qu’ « étrangers » d’une part et défenseurs de la justice sociale de l’autre – a joué un rôle de premier plan dans l’organisation du Comité pour la résidence permanente (CPR), qui s’est concentré sur l’immigration précaire des Libériens et dans l’organisation de l’aide matérielle et d’un rallye de soutien à Postville en juillet 2008. Les immigrés eux-mêmes ont fortement participé à ces efforts en amenant leurs voisins, en offrant des contacts et des informations critiques, en puisant dans leur expérience d’union et de courage pour agir.
Le 27 juillet, des bus convergèrent sur Postville en provenance des Twin Cities, Chicago, Milwaukee et LaCrosse, tandis que des groupes arrivaient en voiture de Madison, Iowa City et DesMoines. Les participants à ce rallye – presque 2 000 – réclamaient le paiement des arriérés de salaires et des congés pour les immigrés emprisonnés, la création d’un fonds d’aide de 100 000 dollars par AgriProcessors, la neutralité de la direction face aux tentatives de syndicalisation et le vote en Iowa d’une version de la loi sur les droits des abatteurs de boucherie approuvée en 2007 par le corps législatif du Minnesota. Les manifestants demandaient aussi une « réforme complète de l’immigration », un meilleur contrôle fédéral des conditions de travail, et un environnement national respectueux de la justice pour les travailleurs.
Au cours des semaines suivant la manifestation de mars, les organisations de la base se sont rencontrées et ont décidé d’un plan d’action, y compris un plan d’éducation interne sur les droits des travailleurs et des immigrés par le biais des églises, des synagogues et des organisations communautaires. Elles ont décidé de développer le hekhsher tzedek dans les organisations et les familles juives et non-juives, de récolter de l’aide matérielle pour les familles immigrées toujours persécutées par le raid de l’ICE, d’organiser un réseau de réaction rapide en cas de raids ultérieurs, de faire du lobbying au Congrès pour une réforme de l’immigration favorable aux migrants et d’étendre le réseau aux personnes qui militent en faveur de la justice pour les immigrés, les travailleurs, immigrés ou non.
Bien que dans les Twin Cities on puisse parler d’une participation et d’un soutien significatifs de la part de l’United Food and Commercial Workers (UFCW) Local 789 et de quelque soutien de la part de Unite-Here, Service Employees International Union (SEIU) et le Réseau œcuménique des travailleurs, il reste encore beaucoup à faire pour amener le mouvement social officiel à s’impliquer dans ce projet. S’il y a quelque chose à apprendre des échecs du milieu des années 1980, lorsque les principales fédérations syndicales se tenaient à l’écart, allant jusqu’à miner les luttes des syndicats locaux, avec des conséquences désastreuses, les militants à l’intérieur comme à l’extérieur des syndicats doivent exiger que le mouvement social, à tous les niveaux, apporte sa solidarité et ses ressources à cette nouvelle campagne historique et reconnaisse que les droits du travail et des immigrés sont intimement liés.
Car actuellement, AgriProcessors tente activement de séparer droits du travail et droits des immigrés. Fin août, l’entreprise a remis une pétition à la Cour suprême des Etats-Unis pour annuler l’élection de 2005 des délégués du NLRB (National Labor Relations Board, agence fédérale créée en 1935 pour l’application des lois sur le travail votées cette année-là), qui s’était tenue dans leur centre de distribution de Brooklyn (New York), car ces travailleurs n’avaient pas de papiers et n’avaient donc pas le droit de voter pour leurs délégués syndicaux. Les travailleurs immigrés, citoyens ou non, exercent ce droit depuis bientôt soixante-quinze ans et une décision de la Cour suprême l’a confirmé en 1984.
Mais voilà que cet employeur-voyou demande à la Cour suprême de revenir sur ces précédents au motif que les travailleurs (qu’ils ont embauchés !) n’auraient pas dû être autorisés à travailler et n’auraient pas dû pouvoir voter lors d’une élection syndicale. Il est temps que le mouvement social tout entier réponde d’une seule voix : « Les droits des immigrés sont les droits du travail. »
P. R.
Notes
(1) L’expression « Villes jumelles » désigne Saint-Paul et Minneapolis au Minnesota.
(2) Réseau clandestin qui permettait aux fugitifs noirs des États esclavagistes de rejoindre le nord des Etats-Unis ou le Canada.