Ce texte, paru dans Echanges n° 130 (automne 2009), est la traduction d’un article de la revue allemande Wildcat (n°84, été 2009, p. 46 (non repris sur le site http://www.wildcat-www.de).
Le 25 mars 2009, trois jours avant les manifestations contre la crise organisées par la gauche (1), plus d’une centaine de travailleurs intérimaires de l’usine des véhicules utilitaires de Volkswagen (VW) de Hanovre-Stöcken ont défilé de Klagesmarkt au centre-ville. Les mots d’ordre repris avec le plus de force parmi ceux entendus à cette occasion furent « Suppression du travail temporaire », « Aujourd’hui c’est nous, demain c’est vous », ainsi que de vibrants appels à la solidarité internationale. En cause, la résiliation de leurs contrats à la fin mars. Les intérimaires de l’agence Wob VW exigent d’être inclus dans le programme légal de chômage partiel, à l’instar de leurs collègues titulaires.
Le 19 mars, 200 intérimaires s’étaient déjà invités à la session du comité d’entreprise des véhicules utilitaires de Volkswagen de Stöcken pour y présenter leurs revendications. Le comité avait alors fait appel aux gardes de sécurité de l’entreprise pour les expulser de la salle de la réunion. Le 27 mars, plusieurs intérimaires entamaient une grève de la faim et s’installaient dans une tente devant la porte de l’usine. De fait, un bon endroit pour un début, mais « la gauche syndicale semble éprouver des difficultés quand une action se passe en dehors des syndicats ». Hormis la branche locale de la FAU (2), seuls la communauté turque et un club de motards sont passés voir ce qu’il en était.
« J’y suis allé aujourd’hui avec C. et tout allait très bien ! Ce sont de jeunes Turcs qui ont autour de 25-30 ans. Les faits : jusqu’à l’automne 2008, environ 900 intérimaires de l’agence Wob-SA, appartenant au groupe Volkswagen, travaillaient dans l’usine de véhicules utilitaires de Hanovre. On les a licenciés petit à petit ; au 1er janvier, 300 d’entre eux étaient encore jetés à la rue. Le comité d’entreprise et le syndicat IG Metall ont collaboré aux licenciements, refusé de donner les informations en leur possession, bercé les gens d’illusions, etc. Dans le même temps, depuis l’annonce de la prime à la casse, Volkswagen cherche à Wolfsburg à contraindre les plus désespérés à un surcroît de travail, naturellement pas à des postes fixes mais provisoires, en tant qu’intérimaires. Volkswagen a conclu un accord d’“égalité des salaires” avec IG Metall. Selon cet accord, les intérimaires embauchés par Wob-SA au salaire horaire de base de 7,38 euros touchent, lorsqu’ils travaillent pour Volkswagen, environ 11 euros la première année, puis à peu près 13 euros la deuxième et autour de 16 euros la troisième. Lors des congés, arrêts maladie, etc. ils ne perçoivent que les 7,38 euros de base, et sont exclus des primes annuelles versées aux employés en contrats à durée indéterminée (CDI). Après deux années, ils peuvent prétendre à être titularisés. C’est là qu’est le problème pour nombre d’entre eux : selon Volkswagen, Wob-SA refuse de les employer au-delà d’une certaine limite afin d’éviter qu’ils n’obtiennent leur titularisation et d’avoir à se soumettre au paiement relativement élevé des salaires convenus par l’accord d’“égalité des salaires”. On ne leur propose alors, quand on leur propose quelque chose, plus que des contrats auprès de la seconde agence d’intérim du groupe Volkswagen, AutoVision. Ce qui veut dire un nouvel employeur, un nouveau contrat de travail, “reprends tout à partir de zéro !”...
» Les 230 intérimaires qui restaient ont suivi un cours de qualification en mars. Parfait. C’était la première fois qu’ils se rencontraient tous dans un même endroit avec plusieurs de leurs collègues. C’est là que se sont connus ceux qui forment le cercle qui mène actuellement le conflit. Quelques-uns d’entre eux ont pris l’initiative de s’organiser. Ils se sont d’abord adressés au comité d’entreprise qui les a expulsés avec l’aide des gardes de sécurité de l’entreprise. Lorsque celui-ci sut qu’ils projetaient d’organiser une manifestation, il essaya d’empêcher les gens d’y participer : “Nous pouvons peut-être faire quelque chose d’une façon ou d’une autre... restez tranquille en attendant... !” Tout le monde sachant clairement que c’était des promesses en l’air, ils ont maintenu leur manifestation. Après quoi, AutoVision annonçait tout d’un coup qu’environ 90 personnes seraient détachées à Wolfsburg ; plusieurs ont accepté l’offre. En ce moment, 30 participants viennent encore régulièrement devant la porte de l’usine, sept sont en grève de la faim (l’un d’entre eux est à l’hôpital). Ni le comité d’entreprise ni IG Metall ne veulent rien entendre et se contentent de répéter : “Vous mettez votre santé en danger en faisant la grève de la faim.” Les employés en CDI restent réservés. Lors d’une manifestation organisée par les intérimaires, 22 travailleurs en CDI, exactement, sur les 10 000 que compte l’usine, se sont joints à eux. Ils se disent que “c’est toujours ça”, voient la peur chez les autres et ne blâment pas les travailleurs en CDI.
» Ce qui m’a impressionné, c’est l’ambiance et les rapports entre eux, ainsi qu’avec ceux qui viennent les voir. Tout le monde est accueilli avec une poignée de main et chacun se présente par son prénom, même si c’est quelqu’un qui vient de leurs propres rangs. On interroge les visiteurs sur ce qu’ils font, où ils travaillent, d’où on se connaît ; nous devons parler de nous, etc. Ils racontent en partie leur “vie”, nous distribuent un tract qu’ils ont, semble-t-il, fait par eux-mêmes, nous demandent ce que nous en pensons. Et recherchent la discussion à propos de la fonction du travail intérimaire, veulent que nous leur expliquions des choses obscures pour eux, par exemple pourquoi l’Etat soutient le travail intérimaire, comment l’intérim s’est développé en Allemagne... »
(Propos de deux visiteurs.)
Notes
(1) Le 28 mars 2009, des manifestations contre la crise ont eu lieu dans plusieurs villes allemandes à l’appel de nombreuses organisations de gauche, dont Attac et Die Linke, à l’occasion du sommet de Londres du G20. (NdT.)
(2) Freie Arbeiterinnen- und Arbeiter-Union/Syndicat libre des travailleurs. (NdT.)