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Débats américains : pourquoi faire l’apologie des années 1970 ?

jeudi 4 février 2010

Ce texte est paru dans Echanges n°88 (automne 1998).

Il y a eu ici [aux Etats-Unis, ces dernières années] une lente montée des luttes. Rien de bien dramatique, mais cela est digne d’être noté, spécialement en comparaison avec ce qui se passait ces dernières années. Tout d’abord, la grève à General Motors. Alors qu’elle n’a jamais atteint l’impact public que l’on avait vu dans la grève d’UPS (Echanges n° 85, p. 3) elle n’en a pas été moins importante à différents niveaux. Tout d’abord, elle a prouvé qu’en dépit des discussions sommaires et mal documentées sur la globalisation, la grève de Flint avait un impact certain bien au-delà des frontières : bien des usines mexicaines de GM durent être fermées.

Je n’ai pas pu suivre la grève en détail, en particulier analyser le règlement qui y mit fin ; mais j’ai acquis la conviction que ce fut plus échec et mat qu’une victoire dans le sens traditionnel des syndicats. Au cours des dernières semaines, on a vu plusieurs grèves régionales des travailleurs du téléphone et, actuellement, Northwest Airlines est en grève. Tout ceci suggère que l’on se trouve en présence d’un certain — bien que faible — tournant dans la combativité et la confiance des travailleurs dans les possibilités de lutte. Naturellement, il est extrêmement difficile aux Etats-Unis de parvenir à se faire une idée de ce type de tendance parce que le pays est si grand et les conditions si différentes d’une région à l’autre. Mais des événements plus intéressants souffrent d’une telle carence d’information.

Mini-émeutes à l’université

Par exemple, au printemps, des batailles rangées avec la police ont eu lieu sur différents campus universitaires, y compris des campus fort éloignés des principales cités. Ces mini-émeutes étaient en rapport avec des lois réglementant l’usage des boissons alcoolisées sur les campus où l’on tente d’en limiter la consommation chez les étudiants. Je pense que c’est un des caractères des conflits ici aux Etats-Unis : survenant sur un problème qui semble très éloigné des revendication économiques traditionnelles mais montrant une frustration et une angoisse souterraines latentes. Si vous cherchez dans ces événements soit des revendications traditionnelles, soit une organisation, vous serez totalement déçus car ceci en est complètement absent.. Dans le cas de ces émeutes sur les campus, on peut déceler bien autre chose que ces histoires de boissons. Une revue de sociologie, Social Problems (n°4, septembre 1997) contient une étude très intéressante sur les émeutes des « Chicago Bulls »(l’équipe de football) en 1992, qui, en surface, paraissaient totalement apolitiques. Il y eut alors deux actions parallèles et simultanées : l’une, celles des supporteurs célébrant la victoire des Bulls dans le centre commercial de la ville, l’autre dans le ghetto, sans rapport avec l’autre : les avantages du Welfare avaient été réduits quelques semaines auparavant, et l’émeute du football paraissait plus un prétexte au défoulement des rancœurs accumules à la suite de ces coupes exécutées dans le système d’indemnisation des plus pauvres. Si vous aviez alors recherché des revendications traditionnelles ou une forme d’organisation, c’eût été en vain. Malheureusement, trop peu de recherches traitent de ces conflits à ce « micro-niveau », précisément parce superficiellement ils semblent toujours « apolitiques ».

Pour ces raisons, je ne suis pas du tout d’accord avec Midnights Notes […] pour proclamer que les conditions de vie des travailleurs américains sont celles d’un « esclavage prolétarien ». Je pense que la situation est beaucoup plus vulnérable (pour la classe dominante) et plus complexe que cela.

Pourquoi faire l’apologie des années 1970 ?

Je collecte les articles et pense écrire sur ces arguments que je trouve très superficiels. […] On trouve une exagération concernant les luttes des années 1960-1970, combinée à une exagération semblable sur le manque de possibilités existant dans la période actuelle. Je suis spécialement en désaccord avec le concept de « périodisation » des luttes aux Etats-Unis : une apologie du « refus du travail » qui ultérieurement se combine avec un rejet total de cette notion. Des recherches récentes dans la « forteresse ouvrière » traditionnelle, Detroit, ont montré que l’industrie a perdu beaucoup plus d’emplois dans la période qui couvre la fin des années 1950 et le début des années 1960 que dans la période 1968-1977 — en d’autres termes, ces emplois furent perdus au plus haut des « années dorées ». Ce qui détruit selon moi les arguments selon lesquels la désindustrialisation fut une revanche des capitalistes pour les luttes du début des années 1970.

Ce dont on a besoin, ce n’est pas d’une sorte de contre-analyse triomphaliste prétendant avoir des « réponses faciles », mais d’une approche beaucoup modeste consistant à poser les questions adéquates.

Une sorte d’enquête ouvrière est plus que jamais nécessaire dans la période présente, parce que personne, pour ne pas parler de la gauche, n’a la moindre idée de ce qui se passe sur les lieux de travail aux Etats-Unis. Une difficulté (ou une opposition, suivant les perspectives) limite la discussion à ce sujet parce qu’on est submergé d’informations qui vont à l’encontre de ce qui apparaît dans ces endroits bien communs. C’est presque comme les différentes peaux d’un oignon, quand vous en enlevez une il en paraît une autre…

C. P.

7 septembre 1998

Intertitres rajoutés par Echanges.

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