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Les mouvements ouvriers et la mobilité du capital (1)

jeudi 12 novembre 2009

Ce texte est la traduction du chapitre 2 du livre de Beverly J. Silver « Forces ouvrières Les conflits ouvriers et la mondialisation depuis 1870 » (1). Il est paru dans Echanges n° 122 (automne 2007) et sa suite, Les mouvements ouvriers et la mobilité du capital (2), dans Echanges n° 129 (été 2009).

Ce chapitre analyse à l’échelle mondiale la dynamique de l’agitation ouvrière dans ce qu’on considère comme l’industrie dominante du capitalisme du vingtième siècle : l’industrie mondiale de l’automobile. La première partie du chapitre présentera la structure temporelle et spatiale de l’agitation ouvrière dans l’industrie automobile mondiale depuis 1930 jusqu’à nos jours, basée sur des indicateurs provenant de la base de données du WLG (2). Nous identifions une série de modifications spatiales dans la répartition de l’agitation ouvrière, l’épicentre du militantisme se déplaçant tout au long du xxe siècle depuis l’Amérique du Nord, traversant l’Europe de l’Ouest, pour se fixer dans un groupe de pays en voie d’industrialisation récente.

Ensuite, la deuxième partie décrit la dynamique de ces modifications spatiales et leur corrélation avec la succession de délocalisations du capital. Nous soutenons que la production de masse dans l’industrie automobile a eu tendance à recréer des contradictions sociales similaires partout où elle s’est développée, et qu’en conséquence, des mouvements ouvriers puissants et efficaces se sont produits pratiquement sur chaque site où la production de masse fordiste s’est étendue rapidement. Pourtant, chaque fois qu’un mouvement ouvrier fort a émergé, les capitalistes ont délocalisé la production vers des sites où la force de travail était moins coûteuse et en principe plus docile, affaiblissant les mouvements ouvriers sur les sites en voie d’abandon, mais donnant des armes aux travailleurs sur les nouveaux sites en voie d’expansion.

Notre description de la corrélation entre les mouvements ouvriers et les délocalisations du capital dessine ainsi une image beaucoup plus ambiguë que celle que donne la théorie de la course vers le bas [pour les salaires et les conditions de travail, NDT] (…). Pour le résumer en une seule phrase, la trajectoire de l’industrie automobile mondiale suggère que là où va le capital, le conflit suit. Ou, pour paraphraser David Harvey, la délocalisation géographique de la production est un « rafistolage spatial » qui ne fait que « reprogrammer les crises » ; il ne les résoud pas de façon permanente. L’analyse présentée dans les deux premières parties du chapitre insiste sur les ressemblances et les rapports entre les vagues d’agitation ouvrière sur les principaux sites de l’industrie automobile en expansion. L’industrie japonaise de l’automobile brille par son absence dans cet examen, car sa grande expansion après guerre n’a pas déclenché une vague importante de militantisme ouvrier. Pourtant, comme nous le soutenons dans la quatrième partie, une vague importante d’agitation ouvrière est cruciale pour expliquer cette « exception japonaise ».

Le Japon a connu une montée du militantisme ouvrier à grande échelle à la fin de la seconde guerre mondiale (c’est-à-dire juste avant le décollage de l’industrie automobile japonaise). Afin de venir à bout des contraintes imposées par cette vague de militantisme ouvrier, les entreprises automobiles ont choisi de se démarquer clairement du style fordiste de production de masse. Renonçant à leurs tentatives premières d’intégration verticale, les producteurs d’automobiles japonais constituèrent un système de sous-traitance à niveaux multiples qui leur permit simultanément de garantir un emploi à (et d’établir des liens de coopération avec) un noyau essentiel de la force de travail, tout en obtenant des contributions flexibles à bas coût de la part du réseau de fournisseurs au bas de l’échelle.

Cette combinaison n’a pas seulement permis au Japon d’échapper au genre d’agitation ouvrière qu’ont connue tous les autres principaux producteurs, mais a aussi permis aux grandes entreprises japonaises d’introduire un train de mesures de réduction des coûts dans les années 1970 (la prétendue lean production [3]) et, du coup, de triompher dans la compétition mondiale des années 1980.

Dans les années 1980 et 1990, les méthodes de lean production se répandirent dans le monde entier, puisque partout dans le monde, les producteurs de style fordiste cherchaient à imiter les producteurs japonais de manière sélective et puisque les entreprises automobiles japonaises elles-mêmes devenaient des entreprises transnationales importantes. On pense généralement que cette combinaison de processus a créé une « bête » post-fordiste fondamentalement différente face à laquelle les bases traditionnelles du pouvoir de négociation des ouvriers sont fragilisées (…). Pourtant, comme nous le soutenons dans la troisième partie de ce chapitre, cette réorganisation post-fordiste de la production se démarquait du modèle japonais sur des points cruciaux. On adoptait les mesures de réduction des coûts de la lean production, mais on ne prévoyait pas de garantie de l’emploi ; c’est pourquoi la base de motivation nécessaire à la coopération active des ouvriers avec les employeurs n’existait pas. De plus, l’impact de ces transformations sur le pouvoir de négociation des ouvriers n’a pas été franchement négatif. En vérité, dans certaines situations, les méthodes de lean production ont en fait accru la vulnérabilité du capital face à des irrégularités des flux de production et à un pouvoir de négociation des ouvriers sur le lieu de travail plus important.

Donc nous découvrons que ni le rafistolage technologique post-fordiste, ni les rafistolages spatiaux successifs, n’ont fourni de solution durable pour les problèmes de contrôle de la main-d’œuvre dans l’industrie mondiale de l’automobile. Comme nous l’affirmons dans la dernière partie, les tentatives récentes des grandes entreprises automobiles pour obtenir la coopération active de leurs ouvriers tout en réduisant les coûts, sont en train de créer une stratification géographique accrue de la force de travail dans l’automobile selon une ligne de partage centre-périphérie ainsi que selon des lignes entre les sexes, les ethnies et les nationalités. De plus, les contradictions et les limites de ces tentatives, à tour de rôle, révèlent au niveau entreprise/industrie comment le conflit travail/capital est prisonnier d’une tension inhérente (chapitre 1) entre des crises de légitimité et des crises de rentabilité.

Première partie

Les tendances historiques et mondiales

du militantisme ouvrier

dans l’industrie automobile

La description de l’agitation ouvrière à l’échelle mondiale dans l’automobile , extraite de la base de données du WLG (World Labor Group), est résumée dans les tableaux 1 (ci-contre, page 59) et 2 (page 60). Le tableau 1 montre la répartition des mentions d’agitation ouvrière dans l’automobile par décennie et par région. Au cours du temps, on peut distinguer une succession de modifications géographiques portant sur l’épicentre du militantisme : de l’Amérique du Nord dans les années 1930 et 1940, vers l’Europe du Nord-Ouest (et ensuite du Sud) dans les années 1960 et 1970, puis vers un groupe de pays en voie d’industrialisation rapide dans les années 1980 et 1990 (4).

Alors que l’Amérique du Nord totalise une écrasante majorité du nombre de recensions d’agitation ouvrière dans les années 1930 et 1940 (75% dans les deux décennies), dès les années 1970 et 1980, elle totalise une minorité caractéristique de l’ensemble des recensions (respectivement 15% et 20%). Par contraste, les pays d’Europe du Nord-Ouest se partagent des augmentations du nombre total de recensions de l’agitation ouvrière de 23% dans les années 1930 et 1940 à 39% dans les années 1950 et à presque 50% dans les années 1960 et 1970, avant de baisser dans les années 1980 et 1990. L’augmentation importante de la part de l’Europe du Sud (5) a lieu dans les années 1970, s’élevant de 2% dans les années 1950 à 10% dans les années 1960 et à 32% dans les années 1970. Le dernier changement important est l’augmentation du total pour le sud en voie d’industrialisation rapide, dont la part saute de 3% dans les années 1970 à 28% dans les années 1980 et à 40% dans les années 1990.

Le tableau 2 renforce cette image d’une succession de modifications spatiales dans le militantisme des ouvriers de l’automobile, en identifiant les « pics « de l’agitation ouvrière dans l’automobile pour onze pays où le militantisme des ouvriers de l’automobile est un phénomène social significatif (6).

La partie suivante de ce chapitre décrit brièvement les « vagues de pics « identifiés dans le tableau 2 (7). Il se dégagera de la suite de notre récit que ces vagues d’agitation ouvrière - tout en se produisant dans des environnements très différents politiquement et culturellement et à des époques différentes de l’histoire mondiale - partagent des caractéristiques étonnamment similaires. Elles faisaient irruption avec une soudaineté et une force auxquelles les contemporains ne s’attendaient pas. Elles remportaient rapidement d’importantes victoires, même confrontées à des employeurs hostiles aux syndicats (et, dans certains cas, à des gouvernements hostiles). Toutes s’appuyaient sur des formes de contestation non conventionnelles – surtout la grève sur le tas – qui, chaque fois, paralysaient la production d’énormes complexes industriels, mettant efficacement en évidence la vulnérabilité de la division technique et complexe du travail dans l’industrie face à l’action directe des travailleurs sur le lieu de production.

Dans tous les cas, les travailleurs étaient principalement des migrants (internationaux et interrégionaux) de la première et de la seconde génération, et le soutien d’une communauté vigoureuse était un ingrédient essentiel des luttes. Enfin, les luttes des ouvriers de l’automobile revêtirent une signification politique, au sens large du terme, pour le reste de la nation par-delà le secteur industriel concerné et ses travailleurs. En tant que telles, ces grèves représentaient aussi des « tournants décisifs « dans les relations travail-capital dans chaque pays.

L’industrie automobile semble aussi produire une forme caractéristique d’action directe. Les grèves stratégiques, surtout les grèves sur le tas visant un point sensible dans la division du travail technique de bout en bout de l’entreprise automobile, étaient des armes de choix lors de chacun de ces pics de grève. On peut relier la récurrence de cette forme (et son succès) au fort pouvoir de négociation sur le lieu de travail des ouvriers de l’automobile. La division du travail technique et complexe qui caractérise la production de masse dans l’industrie automobile accroît la vulnérabilité du capital face à l’action directe des travailleurs sur le lieu de production.

Comme nous le verrons, les pics de grève étaient non seulement semblables par leur forme et leur style de militantisme, mais ils subissaient aussi le même confinement, leurs victoires suscitant une succession de stratégies managériales qui affaiblissaient structurellement les mouvements ouvriers. A court terme, on encouragea le « syndicalisme responsable » et l’institutionnalisation de la convention collective pour obtenir la coopération des dirigeants syndicaux dans l’endiguement des perturbations issues de la base. A court et moyen terme, le travail fut de plus en plus automatisé, et les nouveaux investissements dirigés loin des bastions syndicaux. Cette restructuration du capital minait à la fois le pouvoir de négociation des travailleurs sur le lieu de production et les ressources sur lesquelles la résistance pouvait s’appuyer.

Les efforts répétés des entreprises pour trouver une solution spatiale au problème du contrôle de la main-d’œuvre signifient que ces pics de grèves ne sont pas qu’une série d’occurrences indépendantes dans un processus général. Mais plutôt qu’ils sont étroitement liés aux délocalisations successives de la production loin des forces de travail militantes. C’est pourquoi la partie suivante de notre récit est aussi l’histoire d’un processus historique unique de militantisme ouvrier et de mobilité du capital. Au fur et à mesure que le capital s’éloignait des sites de production établis, le pouvoir de négociation des travailleurs était freiné, et pourtant de nouvelles classes ouvrières se créaient sur les lieux choisis pour l’expansion industrielle. Le résultat est une trajectoire qui commence dans les années 1930 et traverse les années 1990, entraînant à sa suite les techniques de production de masse dans l’automobile et une forme particulière de militantisme qui ont envahi le monde, partant des Etats-Unis, traversant l’Europe de l’Ouest pour aboutir dans les pays en voie d’industrialisation rapide.

Deuxième partie

De Flint à Ulsan : déjà-vu

dans les principales vagues de grèves

dans l’industrie automobile

- Les Etats-Unis. Le 30 décembre 1936, des ouvriers occupèrent à Flint dans le Michigan, les usines nos 1 et 2 Fisher Body de General Motors. Dès le 12 mars 1937, General Motors (GM, la plus grande société industrielle des Etats-Unis, avec d’énormes ressources financières et un réseau d’espions anti-syndicats) furent obligés de capituler et de signer un accord avec UAW (United Auto Workers = Union des Ouvriers de l’Automobile). C’était le début d’un déluge de grèves qui apportèrent la syndicalisation aux industries américaines de production de masse, à une époque caractérisée à la fois par un fort taux de chômage (c’est-à-dire un pouvoir de négociation faible sur le marché) et par une timide organisation ouvrière (c’est-à-dire un pouvoir d’association faible).

Un des critères de réussite d’UAW était le pouvoir de négociation des travailleurs sur le lieu de travail : la capacité des ouvriers à exploiter leur position à l’intérieur de la division du travail complexe caractéristique de la production de masse. La grève sur le tas de Flint qui paralysa l’usine Fisher Body de GM fut planifiée et organisée par une « minorité militante » d’ouvriers de l’automobile qui en « arrêtant la chaîne à l’improviste et en s’asseyant dans l’usine... catalysa un sentiment favorable aux syndicats chez une grande majorité d’ouvriers apathiques » (8). La vague de grèves montra les limites du contrôle technique des ouvriers par le travail à la chaîne : un nombre relativement réduit de militants pouvait arrêter la production de toute une usine. Comme Edwards (9) l’a dit : « le contrôle [technique] solidarisait tous les travailleurs de l’usine, et quand la chaîne s’arrêtait, chaque ouvrier participait forcément à la grève. »

De plus, tout comme une minorité militante pouvait arrêter la production dans une usine entière, si l’usine était un maillon important dans un empire industriel, son occupation pouvait paralyser toutes les entreprises. En occupant les usines Fisher Body et l’usine de Flint qui produisaient la plupart des moteurs Chevrolet, les ouvriers réussirent à nuire à la production de voitures de General Motors. Le taux de production de l’entreprise passa de 50 000 voitures par mois en décembre à seulement 125 pour la première semaine de février. GM fut obligé d’abandonner sa posture anti-syndicale inflexible et de négocier une convention avec UAW concernant les ouvriers dans vingt usines afin de mettre fin à la grève et de reprendre la production (10).

L’expérience précoce de l’industrie automobile montre que la stratégie de mobilité du capital n’est pas une nouveauté introduite lors de la phase la plus récente (fin du xxe siècle) de la mondialisation. En réalité, « éviter la concentration de militants ouvriers a influencé les décisions d’implantation des entreprises même dans les premiers jours de l’industrie automobile. » Parmi les nombreuses raisons qui expliquent pourquoi l’industrie de l’automobile s’était concentrée dans la région de Détroit au début du xxe siècle figurait l’environnement le plus anti-syndical imposé par l’Association des Employeurs de Détroit au moyen d’une campagne en faveur des entreprises sans syndicat ou ne pratiquant pas le monopole d’embauche. « Dès 1914, lorsque la chaîne de montage mobile de Ford transforma la production automobile en déqualifiant les emplois, le concept d’entreprise sans syndicat... s’était fortement implanté à Détroit et dans l’industrie automobile en particulier « (Rubenstein, op. cit., p. 234-235).

Avec le succès d’UAW, la délocalisation de la production loin des bastions d’UAW devint une des stratégies logiques adoptées par les entreprises automobiles au cours du demi-siècle suivant. Immédiatement en 1937, GM acheta une usine de moteurs à Buffalo pour réduire sa dépendance par rapport à Flint et peu après commença à disséminer ses sites de production dans les zones rurales et le Sud des Etats-Unis (Rubenstein, op. cit., p. 240-241).

Mais la délocalisation géographique de l’industrie automobile ne fut pas, dans la période de l’après-guerre, principalement un phénomène intérieur aux Etats-Unis. La dislocation du marché mondial – depuis l’effondrement de 1929 jusqu’au retour à la convertibilité des monnaies en 1958 – ferma la sortie de secours du capital international. Et dès que l’Europe d’après-guerre se fut stabilisée, en particulier avec la création du Marché Commun et la restauration de la convertibilité des monnaies, les multinationales américaines (y compris les fabricants d’automobiles américains) investirent lourdement en Europe.

Pendant les décennies qui suivirent les victoires du CIO (Congress of Industrial Organizations), trois réactions des employeurs : la délocalisation de la production (désinvestissement dans les bastions syndicalisés), des innovations dans le procès de fabrication (principalement l’automatisation) et « l’échange politique » (la défense du « syndicalisme responsable »a répression du « syndicalisme irresponsable ») minèrent progressivement la force structurelle de la main-d’œuvre américaine en général, et des ouvriers de l’automobile en particulier. Lorsqu’une recrudescence d’agitation de la base à la fin des années 1960 (symbolisée par les « Lordstown Blues ») poussa UAW à réutiliser les vieilles tactiques de la confrontation lors de l’« Opération Apache » (une campagne de grèves peu importantes, courtes, mais fortement perturbatrices), les fabricants automobiles cessèrent d’encourager le « syndicalisme responsable » et s’engagèrent dans la délocalisation géographique et l’automatisation de la production avec un zèle renouvelé.

Au cours des années 1970, GM construisit ou planifia l’implantation de 14 usines dans le Sud des Etats-Unis, surtout dans des zones rurales ou des petites villes. Mais la « stratégie sudiste » de GM pour éviter les ouvriers militants devint obsolète dès 1979 lors d’une épreuve de force avec UAW dont cette dernière sortit vainqueur en obtenant que l’accord national du syndicat avec GM s’applique à toutes les usines du Sud. A l’occasion de cette confrontation, UAW exploita une fois de plus le positionnement des ouvriers dans une division du travail complexe : en faisant grève dans 7 usines stratégiquement situées, UAW était crédible en menaçant d’arrêter la production des deux modèles les plus vendus de l’entreprise. Avec l’extension des accords UAW à toutes les usines du Sud, le Sud américain perdit son principal attrait (Rubenstein, op. cit., p. 240-241). Les entreprises automobiles réagirent en intensifiant leur stratégie déjà en cours de déplacer la production vers des régions avec des réserves de main-d’œuvre plus importantes hors des Etats-Unis. Le pouvoir de négociation des ouvriers américains de l’automobile, déjà affaibli par des décennies de restructurations, s’écroula dans les années 1980. L’assaut politique contre les travailleurs organisés associé à la « révolution reaganienne » ne fut que la cerise sur le gâteau.

- L’Europe de l’Ouest. Pendant l’entre-deux-guerres, l’Europe de l’Ouest était très loin derrière les Etats-Unis pour la généralisation des techniques fordistes de production de masse à l’industrie automobile. Dans les années 1920, l’industrie européenne se composait surtout de nombreuses petites entreprises qui fabriquaient des voitures sur commande et à façon, aucune d’entre elles n’avait les ressources ou les parts de marché suffisantes pour faire les énormes investissements en usines et en machines spécialisées nécessaires pour « rattraper » les Etats-Unis. Dans les années 1930, la centralisation du capital progressa rapidement avec l’aide des gouvernements, mais la capacité de profiter des économies d’échelle inhérentes aux méthodes fordistes était tout simplement absente. Les obstacles au commerce intra-européen et des salaires généralement bas excluaient l’existence d’un réel marché de masse. Les ouvriers de l’industrie automobile américaine pouvaient se permettre d’acheter le produit qu’ils fabriquaient (même dans les années 1920) ; ce n’était pas le cas des ouvriers européens (11).

Etant donné l’extension limitée des techniques de production de masse, le pouvoir de négociation des ouvriers européens sur le lieu de travail était relativement faible entre les deux guerres. Par contraste, leur pouvoir d’association était relativement fort pendant les années qui suivirent la première guerre mondiale. Mais malgré l’émergence de mouvements ouvriers militants et de partis politiques de gauche, avec parfois de grandes victoires dans les usines et les urnes, la plupart de ces avancées avaient été anéanties dès le milieu des années 1920. (Le Biennio Rosso italien 1919-20, au cours duquel les ouvriers de Fiat jouèrent un rôle très important en est un exemple).

Dès le début des années 1930, des gouvernements fascistes étaient au pouvoir en Italie et en Allemagne, et au Royaume-Uni le Parti travailliste fut évincé au profit des Conservateurs. Même les gains obtenus lors des stupéfiantes victoires du Front Populaire en France qui ressemblent le plus (et l’ont peut-être inspiré) aux luttes du CIO aux Etats-Unis – furent de courte durée. Très vite après l’accord de Matignon de 1936, une offensive renforcée des employeurs réussit à bloquer la mise en place d’accords nationaux de négociation collective.

En l’espace de deux ans, les substantielles augmentations de salaire obtenues par l’accord de Matignon furent réduites à zéro par l’inflation ; et, en l’espace de trois ans, les adhésions à la CGT représentèrent le quart des cinq millions de membres déclarés en 1936. Dès 1940, dans la France en guerre, des « règlements quasi esclavagistes... enfermaient les ouvriers dans les industries de production de guerre », et selon W. Kendall, le fascisme s’était préparé « sous couvert d’une lutte contre Hitler » bien avant que le régime de Vichy n’assumât le pouvoir (12).

A part les résultats à moyen terme beaucoup plus assurés des vagues de grèves américaines, la base du succès dans les deux mouvements était clairement différente. Les deux vagues de grèves étaient remarquables par l’utilisation de la grève sur le tas et la tactique d’occupation d’usine. Mais le pouvoir des grèves parisiennes était basé sur un énorme mouvement de masse politisé, et les occupations d’usine étaient « soutenues avec enthousiasme par la population ouvrière des banlieues rouges de Paris », y compris celle associée aux syndicats anticommunistes. Au contraire, « la grève chez GM était un mouvement minoritaire « qui dut résister à un important contre-mouvement de « retour au travail ». En somme, alors que le pouvoir de négociation sur le lieu de travail relativement faible de l’ouvrier parisien était compensé en partie par un fort pouvoir d’association, on obtenait la dynamique inverse dans le cas des grèves américaines. Le pouvoir d’association relativement faible des grévistes de Flint était plus que compensé par leur capacité de « paralyser le circuit hautement intégré de production automobile » (13).

Néanmoins, dès les années 1950 et 1960, les niveaux de pouvoir de négociation sur le lieu de travail des deux côtés de l’Atlantique commençaient à converger. Le centre de croissance dans le monde de l’industrie automobile se déplaça vers l’Europe de l’Ouest à la suite des recrudescences de militantisme ouvrier des années 1930 et 1940 chez les ouvriers américains de l’automobile. Pour Altshuler et al. (14), la première grande vague d’expansion de l’industrie automobile dura de 1910 à 1950 et eut pour centre les Etats-Unis. La deuxième grande vague d’expansion se produisit dans les années 1950 et 1960 et eut pour centre l’Europe de l’Ouest. La production de voitures fur multipliée par cinq en Europe de l’Ouest pendant les années 1950, passant de 1,1 million en 1950 à 5,1 millions en 1960 ; elle doubla dans les années 1960 pour atteindre 10,4 millions en 1970 (Altshuler et al., 1984, op. cit., p. 19).

La dynamique derrière cette expansion était un mélange de « défi américain » et de réaction européenne. Les Etats-Unis avaient commencé à investir directement dans l’industrie de l’automobile européenne dans les années 1920 pour tenter d’éviter les barrières douanières et économiser sur les frais de transport et de main-d’œuvre. Mais ces investissements montèrent en flèche dans les années 1950 et 1960. GM investit plus de 100 millions de marks dans un grand développement d’Opel (Allemagne) entre 1950 et 1955 et continua ensuite à agrandir ses usines chaque année. GM investit aussi 36 millions de livres chez Vauxhall entre 1952 et 1956 pour agrandir son site de Luton et construire une nouvelle usine à Dunstable. De même, dans les années 1950, Ford développa rapidement son site de Dagenham au Royaume-Uni et son usine de Cologne en Allemagne (15). Une réaction combinée des entreprises et des gouvernements en Europe permit la croissance rapide des entreprises européennes de l’automobile grâce à la consolidation et à l’introduction des techniques de production de masse les plus récentes. C’est ainsi, par exemple, que l’industrie automobile en Italie (qui avait reçu peu d’investissements directs de la part de fabricants de voitures étrangers) fit plus que tripler sa production pendant les années 1950 et puis la doubla pendant les années 1960. Dès 1970, l’Italie produisait presque deux millions de véhicules, et Fiat en produisait la plus grande partie (16).

L’extension rapide des techniques de production de masse en Europe de l’Ouest eut des effets contradictoires sur la force de travail, identiques à ceux dont les ouvriers américains avaient fait l’expérience au début du xxe siècle. D’une part, son pouvoir de négociation sur le marché déclina alors que les artisans (et leurs syndicats) étaient écartés de la production et que l’on puisait dans de nouvelles réserves de main-d’œuvre. D’autre part, l’expansion et la transformation de cette industrie créa une classe d’ouvriers semi-qualifiés composée de travailleurs migrants prolétarisés depuis peu de temps. Dans le cas des Etats-Unis du début du xxe siècle, les immigrants venaient de l’Europe de l’Est et du Sud (et du Sud des Etats-Unis). Dans le cas de l’Europe de l’Ouest des années 1950 et 1960, les immigrants venaient des régions périphériques de l’Europe (Italie du Sud, Espagne, Portugal, Turquie et Yougoslavie). Dans les deux cas, la première génération de travailleurs migrants ne protesta généralement pas contre les dures conditions de vie et de travail. Les syndicats étaient faibles et le pouvoir arbitraire de la direction concernant l’embauche, le renvoi, la promotion et l’assignation des tâches n’était pas contesté dans les usines automobiles. Mais dans les deux cas, la deuxième génération devint le fer de lance des luttes militantes qui réussirent à transformer radicalement les relations à l’intérieur de l’usine et dans la société.

A la fin des années 1960, la vague de grèves en Europe de l’Ouest prit les syndicats, les managers et les états au dépourvu. Au cours de ces grèves, les ouvriers des industries de production de masse, comme leurs collègues américains des années 1930, purent exploiter le pouvoir de négociation qui leur était échu en raison de leur place dans la division du travail complexe. Dans les usines d’Europe de l’Ouest, les ouvriers de l’automobile prirent conscience du fait que des grèves bien placées et bien synchronisées pouvaient causer d’importants dommages à une entreprise, tout en réduisant au minimum les sacrifices faits par les ouvriers. Peut-être que l’exemple le plus dramatique fut celui de « l’automne chaud » de 1969 chez Fiat. Pour les grévistes italiens, la contestation coordonnée à l’intérieur d’une unité de production à grande échelle fut entreprise dans le but de paralyser la production au moindre coût pour les ouvriers. Une application judicieuse de la grève a singhiozzo (dans l’atelier) et a sacchiera (arrêts coordonnés sur tout le site) mène rapidement au chaos dans la production (17).

Les grèves ponctuelles, tournantes et éclair visaient à créer le maximum de désordre dans le flux de production en ciblant les maillons les plus sensibles de la chaîne de production. Les ouvriers de l’automobile eurent recours à des techniques semblables dans toute l’Europe de l’Ouest à la fin des années 1960 et au début des années 1970 (18).

L’exploitation réussie de ces tactiques eut pour résultat une extension rapide du rôle des syndicats, du contrôle ouvrier dans les ateliers et une explosion sans précédent des salaires dans les années 1970. On imposa des limites conséquentes aux prérogatives du management. Par exemple chez Fiat, on instaura des consigli dei delegati (conseils de délégués ouvriers) au niveau de l’usine dans le but de donner aux ouvriers (par l’entremise de leurs délégués) un peu de contrôle direct sur l’organisation de la production et l’occasion de donner leur avis dans l’exercice quotidien de ce qui était jusque là réservé au management comme l’assignation des tâches, leur quantité et leur rapidité ; les modifications dans l’or- ganisation de la production et l’introduction de nouvelles technologies.

On demandait au management d’informer, de consulter et de négocier avec les délégués des ouvriers sur toutes les décisions concernant l’organisation de l’atelier (19). Cependant, il faut ici faire la distinction entre l’Europe du Nord-Ouest d’une part et l’Europe du Sud-Ouest d’autre part. Dans l’Europe du Sud-Ouest, les luttes des ouvriers de l’automobile furent bien plus explosives que leur modèle du Nord -Ouest. De plus, à l’époque, les luttes des ouvriers de l’automobile en Espagne et en Italie étaient plus centrales (y compris au niveau symbolique) que les luttes politiques et sociales au sens large dans chaque pays.

On peut relier ces deux différences à la nature de la réserve de main-d’œuvre migrante. Les industries européennes du Nord-Ouest reposaient sur de la main-d’œuvre immigrée non naturalisée (y compris les ouvriers italiens et espagnols) tandis que celles du Sud-Ouest dépendaient d’une main-d’œuvre migrante mais naturalisée. Ceci avait des conséquences à la fois sur le marché et dans la politique sociale. Alors que les pays de l’Europe du Nord-Ouest avaient de multiples sources de main-d’œuvre immigrée, l’Italie et l’Espagne dépendaient de leurs ressources internes où d’autres pays puisaient aussi. Cette double configuration du marché du travail raidit les réactions italienne et espagnole aux mouvements protestataires et contribua ainsi à les rendre plus explosives.

De plus, le fait que les ouvriers en Italie et en Espagne étaient des citoyens de ces pays ouvrait une brèche dans laquelle d’autres mouvements sociaux pouvaient venir se greffer sur les luttes des ouvriers de l’automobile dans un cadre plus large de luttes pour la démocratisation économique et politique. Dans les deux cas, comme dans celui des prétendus pays en voie d’industrialisation récente (NIC, newly industrializing countries) dont nous reparlerons plus tard, le mouvement ouvrier renforçait (et était renforcé par) d’autres mouvements dont le but était de larges transformations sociales, économiques et politiques (20).

La réaction des producteurs automobiles en Europe de l’Ouest à la réussite surprenante des mouvements ouvriers fut semblable à celle de leurs homologues américains lors des victoires du CIO dans les années 1930 et 1940. « Des innovations dans le procès » (y compris la robotisation rapide des tâches nécessitant une main-d’œuvre importante), tentatives d’encouragement d’un « syndicalisme responsable », et délocalisation de la production, tous ces moyens furent énergiquement mis en œuvre. Pour Volkswagen, on adopta principalement une stratégie de délocalisation géographique - glissement des investissements sur des sites plus périphériques, surtout le Brésil et le Mexique. Globalement, les investissements directs de l’Allemagne à l’étranger quintuplèrent entre 1967 et 1975 (21). Chez Fiat, d’autre part, on insista sur la robotisation massive, y compris l’automatisation complète de la chaîne d’assemblage des moteurs (22).

L’impact sur le pouvoir de négociation des ouvriers fut semblable au cas américain. Dès le début des années 1980 , les mouvements ouvriers en Europe de l’Ouest (y compris dans l’automobile) étaient en général sur la défensive et on cessa d’encourager le « syndicalisme responsable « . Dès 1980, Fiat put contourner les conseils ouvriers et mettre en œuvre unilatéralement une politique agressive d’automatisation et de rationalisation qui fit passer le nombre de salariés de 140 000 à 90 000 (23). Les gains de la fin des années 1960 avaient été largement réduits à zéro. Toutefois, la face cachée de ce processus fut la création (et le renforcement) de nouveaux prolétariats de l’industrie automobile sur les sites d’expansion industrielle en vogue dans les années 1970 et 1980 (24).

- Le Brésil et le Fordisme dit EOI (Export Oriented Industrialization). Le « miracle économique » brésilien, qui a duré de 1968 à 1974, a correspondu exactement à une période pendant laquelle les centres capitalistes cherchaient à échapper aux luttes ouvrières militantes chez eux. Le Brésil semblait fournir un site parfait pour leurs investissements : le coup d’Etat militaire de 1964 avait mis en place un régime extrêmement répressif qui réussit à écraser le vieux mouvement syndicaliste corporatiste et à éradiquer toute opposition de la classe ouvrière, aussi bien au niveau de l’usine qu’au niveau politique national (25).

L’industrie automobile brésilienne connut une expansion rapide dans les années 1970. Dès 1974, le Brésil faisait partie des dix premiers producteurs mondiaux de véhicules. De 1969 à 1974, la production augmenta selon un taux annuel moyen de 20,7% ; de 1974 à 1979 (alors que la production s’effondrait partout dans les centres capitalistes en raison de la crise pétrolière et du militantisme ouvrier), l’industrie brésilienne continua à progresser de 4,5% par an (26). Tout en réduisant leurs opérations dans les centres capitalistes, les multinationales investirent lourdement au Brésil dans les années 1970 : Ford, par exemple, investit plus de 300 millions de dollars et accrut la capacité de ses usines de 100% (27).

L’expansion rapide de l’industrie manufacturière en général et automobile en particulier créa une nouvelle classe ouvrière : nouvelle par sa taille et son expérience. De 1970 à 1980, l’emploi doubla dans le secteur industriel (Humphrey, op. cit., 1987, p. 120). Dans la banlieue industrielle de Sao Bernardo do Campo, où était concentrée l’industrie automobile, le nombre d’ouvriers employés à la fabrication passa de 4 030 en 1950 à 20 039 en 1960 et à 75 118 en 1970 (Humpfrey, op. cit., 1982, p. 128-129). Cette nouvelle classe ouvrière avait tendance à se concentrer dans d’énormes usines. Trois usines à Sao Bernardo – Volkswagen, Mercedes et Ford – employaient plus de 60 000 personnes (Humpfrey, op. cit., 1982, p. 137). Comme les protagonistes des luttes du CIO des années 1930 et de la vague de grèves en Europe de l’Ouest de la fin des années 1960, les ouvriers de l’automobile brésiliens étaient placés de façon stratégique dans une division technique et complexe du travail au sein des usines brésiliennes. Mais cette nouvelle classe ouvrière était aussi située de manière stratégique dans ce qui était à présent le secteur clé d’exportation de l’économie brésilienne : les équipements de transport constituaient la principale exportation du Brésil et lui rapportaient 3,9 milliards de dollars en 1988 (28). Les grèves et le militantisme dans l’industrie automobile affecteraient non seulement les profits des entreprises concernées, mais aussi les capacités du gouvernement brésilien à rembourser aux banques étrangères les intérêts de son énorme dette.

Pendant les dernières années de la décennie 1970, alors que les mouvements ouvriers subissaient d’importantes défaites dans tous les centres capitalistes, un nouveau mouvement syndical fit une soudaine apparition au Brésil, mettant fin à presque une décennie et demie de passivité ouvrière. En 1978, une intense vague de grèves inaugura une période d’activisme qui survécut (et même prospéra) pendant dix ans de répression et de récession dans les années 1980. Les ouvriers de l’automobile brésiliens étaient au cœur de ce mouvement, les ouvriers de l’automobile et de la métallurgie avaient à leur actif presque la moitié de toutes les grèves de 1978 à 1986 (29).

B. J. S.

(à suivre : Les mouvements ouvriers et la mobilité du capital (2))

NOTES

(1) Forces of Labor. Worker’s Movements and Globalization since 1870, Cambridge Studies in Comparative Politics, Cambridge (Royaume-Uni), 2003. Beverly J. Silver est professeur de sociologie à l’université Johns Hopkins (Baltimore, Maryland).

(2) La banque de données du World Labor Group (WLG) est une des sources principales du livre de B. J. Silver. Elle a été créée en 1986 par un groupe de chercheurs du centre Fernand-Braudel de l’université Binghamton. Elle se fonde sur la notion de « labor unrest », que nous avons traduit par « agitation ouvrière », et qui désigne toute forme de résistance à la dégradation des conditions de travail, à la baisse des salaires, à la prolétarisation et à la destruction des habitudes de vie par la violence ou la destruction des modes de vie alternatifs au travail salarié.

(3) Lean production : littéralement « production maigre ». Concept global qui rassemble polyvalence, travail de groupe, flux tendus et zéro défaut. L’objectif central est de réduire les coûts (faire fondre la graisse) autour des ateliers taylorisés, c’est-à-dire dans les activités de maintenance, de qualité, dans la gestion de production. En effet, ces services occupaient relativement de plus en plus de monde. La taylorisation de ces tâches permet de réduire leurs effectifs et de réintégrer l’essentiel de ces fonctions dans le lot des tâches qui peuvent être prises en charge par des opérateurs peu qualifiés. La hiérarchie intermédiaire voit, elle aussi, ses effectifs fondre.

(4) Les 11 pays inclus dans les tableaux 1 et 2 satisfaisaient à un critère seuil : le nombre de mentions de l’agitation ouvrière dans l’industrie automobile représenter plus de1% du nombre total de mentions dans la base de données WLG concernant l’industrie automobile mondiale.

(5) L’Argentine est comprise dans l’ensemble sud-européen pour des raisons qui seront expliquées dans la note 21.

(6) Les pics (indiqués dans le tableau 2 par un X) sont définis comme l’année record d’agitation ouvrière pour un pays donné et/ou l’année au cours de laquelle les mentions d’agitation ouvrière sont supérieures de 20% au total des mentions pour ce pays.

(7) Le Japon ne figure pas dans la liste des pays sujets à des vagues d’agitation des ouvriers de l’automobile choisis à des fins d’analyse dans le tableau 2. L’expansion rapide de l’industrie automobile au Japon n’a pas abouti à une vague importante d’agitation ouvrière – anomalie sur laquelle se concentre la partie trois. Toutefois, comme il en sera aussi question dans la partie trois, il y a bien eu une vague importante d’agitation ouvrière au Japon dans les années de l’immédiat après guerre et que la base de données du WLG relève. Cette vague d’agitation a affecté toutes les industries, y compris l’industrie automobile. Pourtant, parce que l’industrie automobile n’était pas l’une des industries principales du Japon immédiatement après guerre, les index des journaux ne sélectionnent pas l’industrie automobile lorsqu’ils parlent de la vague de grèves.

(8) Melvyn Dubofsky et W. van Tine, John L. Lewis, A Biography, Chicago, Quadrangle, 1877, p. 255.

(9) Richard Edwards, Contested Terrain : The Transformation of the Workplace in the Twentieth Century, New York, Basic Books, 1979, p. 128.

(10) Melvyn Dubofsky et W. van Tine, op. cit., p. 268-269 ; Giovanni Arrighi et Beverly Silver, « Labor Movements and Capital Migration : The US and Western Europe in World-Historical Perspective », in C. Berquist éd., Labor in the Capitalist World-Economy, Beverly Hills, Californie, éd. Sage, 1984, p. 184-185 et 194-195 ; et James Rubenstein : The Changing US Auto Industry : A Geographical Analysis, Londres, Routledge, 1992, p. 235-237.

(11) David Landes, The Unbound Prometheus, Cambridge University Press, Cambridge, 1969, p. 445-451 ; et Steven Tolliday, « Management iand Labour in Britain, 1896-1939 », in S. Tolliday et J. Zeitlin ed., The Automobile Industry and Its Workers : Between Fordism and Flexibility, New York, St Martin’s Press, 1987, p. 32-37.

(12) W. Kendall, The Labour Movement in Europe, Londres, Allen Lane, 1975, p. 43-48 ; et Arrighi et Silver, op. cit., 1984, p. 186-190.

(13) Michael Torigian, « The Occupation of the Factories », Paris 1936, Flint 1937 », in Comparative Studies in Society and History », 1999, p. 329-330,.

(14) Alan Altshuler et al., The Future of the Automobile : The Report of MIT’s International Automobile Program, Cambridge, Massachussetts, MIT Press, 1984, ch. 2.

(15) Carl Dassbach, Global Enterprises and the World Economy : Ford, General Motors and IBM, The Emergence of the Transnational Enterprise, PhD Dissertation, SUNY-Binghamton, 1988, p. 254-255 et 296-300.

(16) James Laux, The European Automobile Industry, New York, Twayne Publishers, 1992, p. 178-200.

(17) Pierre Dubois, « New Forms of Industrial Conflict, 1960-1974 », in C. Crouch et Alessandro Pizzorno ed., The Resurgence of Class Conflict in Western Europe since 1968, 2 vol., New York, Holmes and Meier, 1978, p.9.

(18) Colin Crouch et Alessandro Pizzorno éd., op. cit.

(19) Beverly Silver, Labor Unrest and capital Accumulation on a World Scale, PhD dissertation, 1986, SUNY-Binghampton, 1992, p. 29-30 ; et Matteo Rollier, « Changes in Industrial relations at Fiat », in O. Jacobi et al éd., Technological Change, Rationalisation and Industrial Relations, Londres, Croom Helm, 1986.

(20) Joe Foweraker, Making Democraty in Spain, Cambridge, Cambridge University Press, 1989 ; Sidney Tarrow, Democraty and Disorder, Protests and Politics in Italy, 1965-1975, Oxford, Oxford University Press, 1986 ; Benjamin Martin, The Agony of Modernization, : Labor and Industrialization in Spain, Ithaca, NY, Cornell University Press, 1990, p. 417-426 ; .Ted Perlmutter, « Comparing Fordist Cities : The Logic of Urban Crisis and Union Response in Turin 1950-1975 and Detroit 1915-1945 », Center for European Studies Working Paper Series n° 31, Harvard University, 1991 ; et Robert Fishman, Working Class Organization and the Return of Democracy in Spain, Ithaca, Cornell University Press, 1990.

(21) International Investment and Multinational Enterprises : Recent International Direct Investment Trends, Paris, OCDE, 1981 ; Robert J. S. Ross, « Capital Mobility, Branch Plant Location and Class Power », rapport au Congrès annuel de la Society for the Study of Social Problems, San Francisco, 1982 ; Beverly J. Silver, op. cit., 1992, p. 80.

(22) Giuseppe Volpato, « The Automobile Industry in Transition : Product Market Changes and Firm Strategies in the 1970s and 1980s », in S. Tolliday and J. Zeitlin, The Automobile Industry and Its Workers : Between Fordism and Flexibility, New York, St Martin’s Press, 1987, p. 218.

(23) Matteo Rollier, op. cit., 1986, P. 117 et p. 129.

(24) Le cas argentin ajoute une autre variante à la même histoire de base racontée ici. C’est le cas d’une croissance rapide de la production de masse dans l’industrie automobile grâce à l’ISI (import substitution industrialisation) dans les années 1950 et 1960. La modélisation et la synchronisation de l’expansion de l’industrie et du déferlement d’une importante vague d’agitation ouvrière est semblable à ce qui est décrit pour l’Europe de l’Ouest, sauf que le niveau de richesse relativement bas en Argentine rendait le financement d’un contrat social stable plus difficile. Pour l’Argentine, comme pour le Japon, l’agitation ouvrière fut un problème dès le début. Mais contrairement au Japon, l’agitation ouvrière ne provoqua pas une rupture importante avec le fordisme (voir notre discussion du cas japonais plus avant dans ce chapitre). En Argentine, la croissance de la fabrication automobile, bien qu’intermittente, renforça la classe ouvrière et culmina dans l’important soulèvement de la fin des années 1960 connu sous le nom de Cordobazo, suivi d’un coup d’Etat militaire et d’une période de désindustrialisation brutale (Elisabeth Jelin, « Labour Conflicts under the Second Peronist Regime, Argentina, 1973-1976 », in Developments and Change, 10 (2), 1979 ; et Daniel James, « Rationalisation and Working Class Response : The Context and Limits of Factory Floor Activity in Argentina », in Journal of Latin American Studies, 13 (2), 1981 ; et James P. Brennan, Labor Wras in Cordoba, 1955-1976. Ideology, Work and Politics in an Argentine Industrial City, Cambridge, Massachussetts, Harvard,University Press, 1994.

(25) De plus, les tentations d’instaurer l’ISI (voir note précédente) ailleurs en Amérique latine (particulièrement en Argentine) produisaient des vagues d’agitation ouvrière, renforçant l’attrait exercé par le Brésil en tant que site alternatif d’investissement.

(26) John Humphrey, Capitalist Control and Workers’ Struggle in the Brazilian Auto Industry, Princeton, New Jersey, Princeton University Press, 1982, p. 48-50.

(27)John Humphrey, « Economic Crisis and Stability of Employment in the Brazilian Motor Industry », in W. Brierley ed., Trade Unions and the Economic Crisis of the 1980’s, Gower, Aldershot, 1987, p. 129.

(28) Economist Intelligence Unit, Country Profile : Brazil, n° 1, 1990, p. 3.

(29) Gay Seidman, Manufacturing Militance : Workers’Movements in Brazil and South Africa, 1970-1985, Berkeley, University of California Press, 1994, p. 36.

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