Cet article est paru dans Echanges n° 122 (automne 2007).
Nous avions tenté de montrer, sous le titre Murs virtuels ou murs réels, l’enfermement au nom de la protection (Echanges n)120), comment s’édifiaient dans les sociétés capitalistes « modernes » à la fois des murs réels, bien matériels et/ou des murs virtuels, ceux-ci non visibles et pas du tout imaginaires. Tous ces « murs » donnent l’illusion d’une sécurité garantie d’une pseudo-liberté dans un espace restreint. Mais, dans le même temps, cet espace, cette « liberté », sont soigneusement enfermés dans un réseau le plus souvent virtuel d’une surveillance de tous les instants dans un luxe de fichiers, de caméras et autres contrôles informatiques – un autre mur peut-être beaucoup plus dangereux que les murs matériels.
La liste s’allonge avec de nouvelles « murailles de Chine » destinées , en principe, à prévenir des invasions pacifiques de migrants non désirés. Murailles bien réelles avec l’idée de construction d’un mur de 473 km entre la Turquie et le Kurdistan irakien pour empêcher l’incursion de séparatistes kurdes régulièrement en conflit avec l’armée turque, mais aussi pour empêcher les Kurdes irakiens de se mêler à leurs frères turcs ; ou encore avec le projet de construire le long des 900 kilomètres de frontière entre l’Arabie saoudite et l’Irak une barrière électrifiée. En plus petit, mais à relier aux murs déjà construits un peu partout pour isoler les classes sociales ou les communautés, la construction par les Américains à Bagdad d’un mur réel de 1 km de long pour séparer les quartiers chiites et sunnites de la capitale, comme si cela devait résoudre les affrontements que leur présence entretient et devant lesquels ils doivent s’avouer impuissants.
Dans la même direction de l’isolement d’une couche ou classe sociale déterminée, avec une fonction économique autant que sécuritaire, l’extension des zones économiques spéciales (ZES) qui, parties des anciennes « zones franches » portuaires occidentales, ont fleuri en Chine pour se répandre dans le monde entier et plus récemment en Inde (voir page 19). Elles apparaissent d’ailleurs, avec un souci plus grand de sécurité et de contrôle des travailleurs qui y sont surexploités, comme le prolongement sous d’autres formes des zones industrielles et/ou commerciales installées à la périphérie des villes, vidées de l’entremêlement d’usines et d’habitations qui était autrefois la caractéristique du tissu urbain – et pas seulement dans les banlieues.
Dans l’érection des murs virtuels, on peut voir la prolifération des lois destinées au contrôle de l’immigration dont les derniers avatars sont le contrôle génétique et l’exigence de connaissance du français avant l’entrée sur le territoire, afin de mettre une barrière au regroupement familial des immigrants.
Dans l’accélération de l’enfermement national ou individuel, chacun peut ajouter sa pierre à cette liste qui, comme nous le soulignions dans l’article cité d’Echanges, ne fait que témoigner de la vulnérabilité du système capitaliste.