Quiconque a pu regarder hier (20 janvier) les chaînes américaines ou britanniques a pu se rendre compte à quel point l’élection d’Obama correspond à une déferlante d’unité nationale. « Obama nous rend de nouveau fiers d’être Américains », telle est l’antienne la plus entendue sur les chaînes de télévision anglosaxonnes.
On comprend mieux alors les raisons profondes et les mécanismes de l’ « Obamania » dans les médias internationaux et chez les « grands (salauds) de ce monde ».
Contrairement aux « petits », aux exploités, aux opprimés qui y voient une revanche d’un « Noir », d’un « non-Blanc », d’un « descendant d’esclaves », sur une classe dirigeante monocolore, les médias internationaux et les chefs d’Etat n’en ont rien à foutre du racisme, des discriminations raciales, des séquelles de l’esclavage, ou de ce que certains prolétaires « de couleur » (comme si le blanc n’en était pas une, de couleur) peuvent considérer comme une revanche historique, la promesse d’une revanche sociale ou même tout simplement la joie de se débarrasser d’un président (Bush) qui n’a fait que leur donner des coups pendant 8 ans.
Ce qui intéresse les médias et les puissants dans l’Obamania, c’est ce déluge de bons sentiments auquel on a pu assister hier, ces larmes versées dans l’unité, ces multiples allusions au caractère "divin" de l’élection..
Ces centaines de milliers d’hommes et de femmes qui ont traversé tout le pays, qui ont passé de 10 à 30 heures en car, pour être là, apercevoir de très loin « leur » président. Ce président qui a mis ses deux filles dans des écoles privées huppées, mais qui n’est pas hostile à une certaine redistribution des richesses ?
Ce même président qui leur promet d’ailleurs déjà qu’il va intensifier la guerre en Afghanistan, qu’il ne va pas se retirer immédiatement d’Irak, qu’il ne va pas fermer demain le centre de torture de Guantanamo et qu’il faudra que d’autres Etats se chargent des prisonniers.
Et que donc de nombreux soldats américains, issus des classes prolétaires, vont devoir mourir pour défendre les intérêts de leur puissante nation et de leurs exploiteurs.
Mais en contrepartie de ces sacrifices il leur promet qu’il va faire en sorte que les Etats-Unis deviennent une « smart power », une « puissance intelligente » – ce que pour notre part nous appelerions plutôt une puissance rusée.
Rusée car la première ruse des Etats-Unis sera de continuer à défendre leurs intérêts économiques par tous les moyens à l’échelle mondiale, y compris par la guerre.
Loin d’être une démonstration d’ « intelligence » , l’élection d’Obama est surtout une formidable manifestation de ruse.
Ruse personnelle d’abord, puisque ce politicien a su se servir de la communauté noire (qui a voté pour lui à 98%) pour mieux créer l’unité nationale, rallier les suffrages de 68 % des Latinos et s’allier avec les classes moyennes et supérieures blanches des grandes villes (celles qui détiennent le véritable pouvoir économique et politique) alors que la majorité des prolos blancs et des petits Blancs des petites villes de l’intérieur ont voté contre lui ou se sont abstenus.
Parfaitement conscient de cette situation, Obama, loin de mettre en avant sa couleur de peau (il n’en a pas besoin, d’autres le font pour lui) a ravivé tous les thèmes du chauvinisme américain et du chauvinisme de grande puissance, exactement comme son prédécesseur Bush ou son concurrent McCain, mais il a réussi, lui, à faire avaler la pillule à bien des gens de gauche dans son pays et sur cette planète.
Ruse personnelle aussi d’Obama, puisqu’il a fait toute sa carrière en réussissant à faire collaborer ensemble des individus ayant des vues divergentes, de son poste de directeur de la revue de la fac de droit de Harvard à la composition de son gouvernement et de son équipe de conseillers actuels. Ruse politique qu’il a su vendre aux médias comme une capacité d’écoute personnelle et inhabituelle.
L’Obamania illustre aussi la ruse de la classe dominante américaine car elle montre à quel point le système politique capitaliste sait habilement jouer sur :
les symboles (les références permanentes à des symboles fondateurs comme Lincoln et Martin Luther King),
la religion (omniprésente dans les discours comme dans les petits détails – l’action de grâces dite avant le repas, par exemple),
l’enthousiasme des exploités (« afro-américains » voire latinos) pour un de leurs prétendus représentants,
les mécanismes électoraux qui permettent, en pleine période de crise et de guerre extérieure, de raviver l’intérêt pour le bulletin de vote et l’illusion que ce bulletin pourra changer quelque chose,
et même la capacité à réhabiliter l’action politique de terrain (10 millions de personnes se sont mobilisées activement pour Obama), le "travail communautaire", pour aider les "pauvres" (que l’on soit mû par la ruse - "cela fait bien sur un CV" expliquaient les journalistes américains, ou par un sincère désir de solidarité (1)).
Enfin, dans le contexte français, l’Obamania de la classe politique franco-gauloise doit s’interpréter à l’aune de cette ruse qu’ils aimeraient bien maîtriser : savoir rassembler les classes sociales, les gens de toutes origines nationales et ethniques, de toutes religions, de toutes tendances (2), autour d’un homme ou d’une femme providentiels, tel est le rêve de tous les politiciens qui souhaitent duper les exploités. Y.C.
1. Comme le disait hier un journaliste américain nul ne sait si, parmi les centaines de milliers de gens qui ont reçu une petite formation militante pour soutenir Obama, certains d’entre eux n’utiliseront pas ces compétences nouvelles dans une autre direction que celle de la machine électorale démocrate. Une note d’espoir pour la lutte des classes, aussi ?
2. On voit bien comment Sarkozy, à une échelle plus petite, en débauchant des politiciens à gauche et au centre, ou en proclamant à propos des élections européennes « Rachida [Dati] et Michel [Bernier] en tête de liste, personne n’avait jamais osé le faire », tente d’imiter la stratégie de Mr. O.